dimanche 28 octobre 2018

Macron ou la science de l'ascension

"Par contre, généralement, il y en a toujours un qui assure dans une cordée. Et ce n’est pas le premier qui assure. Je le dis parce qu’une société qui n’a pas ses premiers de cordée, qui n’a pas des gens qui arrivent à ouvrir la voie dans un secteur économique, social, dans l’innovation, ne monte pas la paroi. Mais quand il n’y a personne qui assure, le jour où ça tombe, ça tombe complètement." dit Emmanuel Macron à l'Elysée le 17 Juillet 2018, et de prendre comme exemple de chute le Brexit, sans doute s'imaginant lui même comme le premier de cordée français et l'innovateur en chef.
Cette analogie macronienne de la société emprunte ses images à l'alpinisme.
Les alpinistes sont à la cordée  ce que les travailleurs sont à un secteur économique ou social, c'est à dire solidaires . Les premiers de cordée sont nécessaires pour ouvrir la voie et gravir la paroi , tout comme les innovateurs sont requis  pour ouvrir de nouveaux marchés. Mais tout ceci ne peux se faire qu'avec ceux qui, derrière les premiers de cordée, assurent et tiennent fermement la corde. Tout comme "à l'arrière" de ceux qui innovent, d'autres  doivent les soutenir autrement dit la société toute entière doit conforter l'avant garde. Si personne n'assure un premier de cordée, il peut glisser et tomber, de la même manière si la société ne suit pas fermement ses fers de lance alors la société s'écroule lamentablement...

Peut-on réduire la société à ce paradigme vertical ? A ce réductionnisme de startup?

Peut-on vraiment considérer une société comme une photographie d'un ensemble ordonné et hiérarchisé d'individus, gravissant une montagne, ayant le même intérêt commun, celui d'aller plus haut. Etant tous alors solidaires ils se doivent de soutenir la progression vers le haut des meilleurs car  hauteur signifie ici  bonheur de tous. Cette éthique de la pyramide ne va pas de soi, car beaucoup se démènent encore dans les plaines et n'ont jamais commencé à grimper. Qui plus est, personne ne leur a jamais tendu la corde. Leur regard reste baissé car beaucoup d'obstacles jonchent le sol et leur faut les éviter. En haut de la pyramide poussent les fruits du bonheur que les premiers de cordée promettent de faire ruisseler en aval pour les "derniers de cordée". Mais entre temps, tout en bas, parce que la nourriture se révèle insuffisante, on a prélevé les denrées des plus vieux pour les donner aux plus jeunes, idée qu'on ne trouve guère dans l'esprit montagnard qui respecte les anciens.

 Mais une société n'est pas une photographie, pas plus qu'elle ne se compare à une montagne. Toute structure, nous apprend Saussure, peut être analysée en terme de synchronie et de diachronie, de présent et de passé. 
Résumer la synchronie de la structure que forme la société française à la concurrence dans l'innovation est pour le moins réducteur. L'innovation constitue un moyen, pas une fin. Les français attendent des politiques une claire vue des fins. Ils recherchent le bonheur, pas l'innovation. Ils désirent que leurs besoins primaires soient couverts: santé, justice, logement, nourriture. Ils sont avides de culture, de partage et d'amour. La cohésion de la société française repose sur la liberté, la fraternité, l'égalité, faudrait-il ajouter à cette devise "l'innovation" ? Évidemment ça n'a pas de sens. Quelle éthique derrière l'économie ? Le philosophe roi Macron veut gravir des montagnes pour trouver de nouveaux trésors et entraîner le peuple derrière lui, mais "en même temps" il ferme des hôpitaux, réduit les crédits dans l'éducation, rend l'énergie plus chère. Et si la politique devait aujourd'hui contourner la centralité du travail pour améliorer les rapports en société? Comment hiérarchiser les besoins, comment ne pas fermer les hôpitaux ? Comment éviter les ghettos ? Comment partager ? Le philosophe roi ne guide pas un peuple, il dirige une entreprise. Les français attendent aussi des politiques un respect de ce qu'ils sont et d'où ils viennent, ils refusent d'être considérés comme éléments anhistorique, comme particules venant de nulle part et gênant le "progrès".

Les êtres qui vivent aujourd'hui sont nés d'autres êtres et ont hérité d'un monde. Le petit Macron s'est instruit dans des écoles de la République bâties par des centaines de mains et de cerveaux. Pour cela il a emprunté des rues, des moyens de transport, des routes,  toute une infrastructure dont l'origine se perd dans les siècles. Il a suivi l'enseignement de nombreux professeurs sans doute maintenant à la retraite auxquels , ingrat, il fait les poches en tirant un trait sur leur mérite. Il s'inscrit dans l'héritage des Lumières, de générations d'êtres pensants qui ont façonné la tradition dans laquelle lui et nous vivons, qui ont déterminé la langue, les limites du territoire, les institutions. Toutes les pensées, les artefacts, la situation de la planète ( tout n'est pas positif...) , la valeur de ce que nous avons aujourd'hui nous le devons aux êtres d'hier. Y compris les cordes et le matériel d'alpinisme. Cette armée des ombres détermine notre vie largement autant que les éclaireurs d'aujourd'hui. Il nous faut respecter ce socle sur lequel nous reposons. Cessons d'attribuer en avance à la jeunesse le mérite de la société d'aujourd'hui. La jeunesse innovante aura ce mérite demain.

Macron fait du Bergson. Vitaliste il pense que les structures inertes doivent recevoir un élan vital pour devenir vivante. L'élan c'est lui, Macron. Sans élan, sans celui qui tire ( le premier de cordée)  les molécules ( le peuple) ne peuvent former l'organisme. Depuis,  la biologie a découvert que la vie pouvait être assimilée à l'organisation des mêmes molécules dont est constitué l'inerte. Les molécules coopèrent régies par un certain nombre de lois de composition pour former des systèmes complexes. Pas d'élan vital nécessaire, juste de la chimie moléculaire. Donnons un peu plus d'importance aux molécules.