dimanche 28 janvier 2007

Champ Champi Champignon


Mes pas résonnent sur le vieux plancher. Mes yeux piquent un peu, les volutes de fumée tourbillonnent le long des longues poutres sombres. La table est couverte de girolles et de "champignons". Dans ces contrées le cèpe est nommé "champignon", sont reléguées à d'autres catégories moins noble girolles et autres coulemelles.
La nuit épaisse accentue l'isolement, la fenêtre est une juxtaposition de six carreaux noir de jais.
L'immense cheminée chauffe le ciel et accessoirement la pièce, mais comme un être vivant elle souffle et rassure.
Un claquement subit et un petit joyau rougeoyant roule, rejeté du coeur de braise.
Je regarde pensif l'extraordinaire cueillette sur la table puis je reprends mon labeur ancestral.
Je tranche presqu'avec regret la chair immaculée. Dans le papier journal s'agitent de petits asticots blancs expulsés de leur logement.
Il naviguent sur les océans verts mousseux ôtés des vieux chapeaux. Un pied charnu abrite une cavité où déjeune une petite limace, escargot sans maison... J'expulse l'intru qui se contracte en demi-cercle. Désirait-elle manger ou se protéger ? Monde merveilleux où l'on mange les murs de sa maison.
Un cèpe est une habitation, un logis pour nécessiteux, un refuge pour vers, scarabée et gastéropodes. Sa tête abrite de la pluie d'automne et sa chair tendre donne la pitance aux minuscules habitants des sous-bois.
De petits brins de mousses se lovent autour de bouts de brindilles qui se piquent dans des quartiers de feuilles mortes brunes.
Ce parfait petit chapeau débarrassé des dernières traces de terre offre une somptueuse coupole terre de sienne. Rembrand aurait pu peindre des champignons.Les senteurs de la forêt diffusent. Chair blanche qui invite au pêché et peau veloutée complètent ce tableau sensuel.
Quelques bouchées d'omelette plus tard je subis avec délice la puissance hypnotique de l'âtre, renforcée par les effets du petit verre de mirabelle.
Je m'inscris avec plaisir dans cette chaîne de vies simples contemplées au long des générations par les murs de granit de cette maison.
J'ai besoin de ces liens invisibles, de cette vie épurée. Marcher, cueillir, dormir.
Je suis harassé, je suis sûr que cette nuit je n'entendrai pas les loirs.

vendredi 26 janvier 2007

La mémoire

Qu'est ce que je voulais écrire? Ah oui la mémoire.
Le souvenir fait obstacle au temps, tel un congélateur il fige la matière, ou plutôt sa représentation. La mémoire se charge de mettre de côté des informations captées par la pensée et les sens. Réactivées un jour ces informations rejoignent la conscience : pensée retrouvée, odeur, lieu, personne, musique etc.
Mais comme il ne s'agit pas, lorsqu'on mémorise, de capter le parfum dans un vrai flacon pour en retrouver l'odeur ultérieurement, ou d'enfermer une véritable personne dans une pièce afin de la revoir un jour, il faut admettre que le souvenir est une représentation codée, stockée probablement dans le cerveau.
Mais pas seulement dans le cerveau, difficile d'imaginer le souvenir de l'être aimé résider physiquement dans le gros orteil et pourtant ... le corps tient lieu de dépositaire d'affects que l'on refoule, la mémoire emprunte, pour son empreinte, le corps tout entier.

Comme Monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir, nous mémorisons sans cesse, exactement comme nous respirons.
Ce peut aussi être un effort délibéré, par exemple l'apprentissage "par coeur", mais la plupart du temps nous somme capables de décrire ce que nous venons de faire sans avoir prévu de le mémoriser.
Il s'agit même d'une condition pour raisonner logiquement.
Comment un souvenir revient-il à la conscience ? Cette action ne provient pas de la volonté, tout au plus souhaite-t-on plus ou moins intensément pouvoir "se rappeler" ( soi même), comme le chasseur siffle son chien afin de le rappeler.
Le souvenir surgit selon plusieurs modalités.
Très soudainement : "j'ai rendez vous dans une heure avec le médecin", rappel que rien ne connecte à la réalité du moment. Mais il survient également par association avec les sens: j'entends une musique qui me rappele une scène, un souvenir est ramené par une effluve dans le sillage d'une femme. Un interlocuteur peut servir de catalyseur pour puiser dans une histoire oubliée, un moment vécu ensemble.
De ces trois modes, le premier amène le plus d'interrogations. Quelque chose, qui n'est pas notre conscience, distille des pensées qui remontent à notre esprit, ou au contraire lui dissimule, en dehors de sa volonté. Merci Sigmund.
Absorbé dans ma lecture, je pense tout à coup que je suis invité chez des amis à dîner ce soir. Comment se déclenche ce rappel en dehors de toute association?
Ce mécanisme très pratique pour être à l'heure est aussi très effrayant: personne n'est totalement maître de ce qu'il pense. Quelque chose peut surgir de la mémoire et faire irruption.
La pensée se nourrit de ces phénomènes aléatoires.

dimanche 21 janvier 2007

le temps qui passe


Si rien ne bougeait. Si l'univers entier était figé. Si les rivières ne s'écoulaient plus. Si les coeurs s'arretaient de battre. Si les nuages cessaient de défiler...Comment mesurerait-on le temps qui passe ? Que serait le temps ?
Voilà une illusion largement partagée : le temps s'écoulerait imperturbablement.
Le temps n'existe pas : l'homme compte les évènements et les modifications qu'il perçoit.
Seuls des changements nous permettent de compter : l'aiguille de la montre passe devant le 12 ou bien l'ombre du cadran solaire passe sur le 6 ou encore les nombres digitaux du chronomètres changent grâce aux pulsations du quartz interne, la neige fond, les tournesols inclinent leur couronne, la terre complète un tour sur elle même.
L'homme a indéfectiblement lié la matière au temps. Le temps est fonction de la matière, par construction mentale.
Prenez une sculpture,une photographie,un film. Quelqu'un était là dont la représentation est figée dans la matière. Ces personnages pourront être vu de nouveau après leur mort. C'est ainsi que la matière se joue du temps.
Le mammouth enfoui dans la glace en Sibérie se joue des siècles comme toute matière conservée au froid.
La mémoire tente aussi de défier le temps se heurtant à un paradoxe: comment être ici et maintenant, et là-bas il y a longtemp , en même temps, dans la même conscience ?

vendredi 19 janvier 2007

l'étoile de mer

L'autre matin, dans la frange qui nous sépare du sommeil mais qui n'est pas encore le réveil, j'étais une étoile de mer. Mes jambes me semblaient des bras, mon cerveau n'était plus l'organe directeur, le centre de mon être était déplacé aux environs de mon nombril ou de mon sexe.
Mes bras n'étaient pas plus préemptifs que le bas de mon corps, tout le centre de gravité avait migré vers le bassin. J'étais une sorte d'être primitif, le corps primant sur l'intellect. Une formidable érection disait le bien ressenti dans les limbes du sommeil. C'est d'ailleurs une jouissance primaire cette détente matinale du corps. Vous me direz la comparaison est un peu limite, les étoiles de mer ne bandent pas... en tout cas pas le matin au réveil. Il faudrait faire l'expérience dans un lit pour vérifier.