mercredi 19 juin 2019

L'anti-spécisme ou la dangereuse pensée de Peter SInger


"Le spécisme est un préjugé ou une attitude de parti pris en faveur des intérêts des membres de sa propre espèce et à l'encontre des intérêts des membres des autres espèces".
Ainsi Peter Singer définit-il le spécisme en 1975 dans son livre "La libération animale". Élever les poulets en batterie, les veaux en stabulation ou plus généralement industrialiser la nutrition en traitant l'animal comme une chose ou une machine à viande, sans considérer ses souffrances, revient donc à être spéciste. Spéciste également l'idée que la recherche médicale ou cosmétique peut légitimement torturer des animaux dans le but d'en tirer des produits intéressant pour l'humanité.
Jusqu'ici il est assez facile de suivre Singer dans son raisonnement, puisqu'en effet aujourd'hui personne, depuis Descartes et sa théorie de "l'animal machine", ne refuse d'admettre que les animaux connaissent la souffrance, et qu'il faut absolument leur éviter.
Singer suit l'idée que tout animal a droit à une égalité de considération avec les humains dès lors qu'il peut ressentir une souffrance. S'il est justifié moralement de juger égaux en droits tous les humains quelque soit leur race, alors dit-il nous devons moralement admettre une égalité de considération, mais non de traitement, pour tous les animaux susceptibles de souffrir.
Il en arrive donc rapidement par ce raisonnement au chapitre V à dénier aux humains le droit de manger la chair des animaux, tout comme le professait déjà Pythagore ou  Plutarque dans son "Sur l'usage des viandes" (993a):
"je vous demande avec étonnement quel motif ou plutôt quel courage eut celui qui le premier approcha de sa bouche une chair meurtrie, qui toucha de ses lèvres les membres sanglants d'une bête expirante, qui fit servir sur sa table des corps morts et des cadavres, et dévora des membres qui, le moment d'auparavant, bêlaient, mugissaient, marchaient et voyaient? Comment ses yeux purent-ils soutenir l'aspect d'un meurtre? comment put-il voir égorger, écorcher, déchirer un faible animal? comment put-il en supporter l'odeur? comment ne fut-il pas dégoûté et saisi d'horreur quand il vint à manier l'ordure de ces plaies, à nettoyer le sang noir qui les couvrait ?"

 "Meurtre",  le mot normalement s'applique à un humain.  Plutarque établit donc un rapprochement d'espèce, et utilise le vocabulaire dédié à l'acte de tuer un humain pour décrire l'abattage d'un animal en vue de le servir à table. Singer raisonne identiquement en trouvant des similitudes, des points communs entre humains et non-humains, en particulier la souffrance, qui justifie de cesser de les manger.
Mais s'il est possible ressentir de l'empathie pour certains animaux, il ne va pas de soi que faire souffrir une espèce animale pour l' intérêt des humains peut offrir un parallèle quelconque avec le racisme. Car "spéciste" est tiré de "raciste".
Le raciste considère un sous-ensemble humain comme une espèce étrangère inférieure, comme un animal, qui peut être utilisée à sa guise. Le spéciste considère un sous-ensemble animal , bien sûr comme une espèce étrangère par définition puisque non-humain, qu'il utilise comme il l'entend.
Positionner l'animal comme équivalent à un humain, raisonner comme si humain et chimpanzés appartenaient à la même espèce, peut alors permettre de comparer alors racisme et spécisme. Puisque la victime, du genre "primate" est alors "exclue" des droits du "genre" qui réunit tous les primates par exemple, tout comme le "racisé" l'est de l'espèce humaine. Le niveau de l'empathie remonterait d'un cran dans l'arbre phylogénétique.
Singer va donc beaucoup plus loin que Plutarque. Le "spéciste", donc l'humain dans la bouche de Singer, a "une attitude de parti pris en faveur des intérêts des membres de sa propre espèce et à l'encontre des intérêts des membres des autres espèces". Il faut comprendre qu'il faut abandonner cette idée pour garder une attitude morale.
Mais quel organisme évolué dans le monde vivant n'a-t-il pas cet instinct ? Les fourmis se font la guerre, élèvent des pucerons et dévorent d'autres insectes, les frelons tuent les abeilles, les oiseaux mangent des vers, le chat est un tueur redoutable, les fauves se partagent des gazelles, etc. Tous les animaux sont donc "spécistes". Bref il n'y aurait donc que l'homme qui devrait abandonner cette caractéristique de voir dans les animaux des moyens pour ses fins. 
Toute l'argumentation de Singer : "il sont comme nous", tombe alors. Puisque ne pas être spéciste, serait au fond de ne pas se conduire comme un animal. Respecter la création, la nature, les êtres vivants, se traduirait alors par ne pas se comporter comme tous les êtres vivants qui se combattent. L'être humain n'a pu subsister que par empathie particulière pour son espèce, tout comme d'autres organismes évolués. La lutte pour vie fut son lot comme tous les animaux qui voulaient le dévorer. Sa domination  a permis à son espèce de persévérer. S'il cessait de privilégier son espèce, il devrait alors tuer ses semblables, trop nombreux et affectant négativement la biosphère, pour faire augmenter la bio-diversité...

D'où viennent l'empathie ou la pitié, que Rousseau mettait au fondement de tout sentiment politique, sinon d'un instinct ? D'après Spinoza ( Ethique III,XXVII) nous ressentons naturellement les sentiments d'autrui:

"Si nous imaginons qu'une chose semblable à nous et pour laquelle nous n'avons éprouvé aucun sentiment est affectée de quelque sentiment, nous somme par cela même affectés d'un sentiment semblable"
"Cette imitation de sentiment, quand elle concerne la Tristesse, s'appelle Pitié" ( scolie )
  
Or effectivement nous ressentons aussi parfois ce sentiment devant la souffrance animale. Mais qui pleure en voyant des poissons mourir lorsque les pêcheurs remontent les filets? Cette "sympathie" semble alors dictée par le sentiment du semblable comme l'explique Spinoza. Autrement dit elle ne semble pas résulter pas d'un choix. Les mouvements végétariens, le refus de la viande, progressent en même temps que l'humanité constate que l'élevage, par son empreinte écologique, ne peut être soutenable. Cette inclination "vegan" provient-elle alors d'un choix raisonné ou d'un sentiment d'effroi au regard de l'avenir de l'espèce humaine ? Ce soucis accru de l'animal n'est-il pas inféré de l'intérêt à garantir la vie de l'espèce humaine? Cette générosité apparente n'est-elle pas conduite par un égoïsme sous-jacent? Cette pitié pour l'animal ne serait-elle pas masquée d'une pitié plus forte pour notre espèce ?  Car il s'agit autant de faire cesser la souffrance que de cesser l'alimentation carnée.

Il ne faut pas confondre l'idée d'éviter la souffrance animale, avec celle d'effacement des frontières d'espèces, erreur que commet Singer. Poursuivie à l'extrême cette idée conduit certains "Vegan" à brûler restaurant ou abattoir, risquant des morts, au nom de la morale anti-spéciste. Elle peut aussi conduire à qualifier de "spéciste" le refus de l'euthanasie pour des handicapés profonds:
"spécistes[...]ceux qui adhèrent à la thèse du caractère sacré de la vie, parce qu'ils font une distinction marquée entre les êtres humains et les autres animaux, tout en admettant pas que l'on fasse de distinction quelle qu'elle soit au sein de notre propre espèce, s'opposant au fait de tuer les débiles profonds et les séniles incurables aussi vigoureusement qu'au fait de tuer les adultes normaux" ( page 92)

Mais encore une fois Singer est pris en pleine contradiction puis qu'il affirme en page 71:
"Le principe de l'égalité des êtres humains n'est pas la description d'une hypothétique égalité de fait parmi les humains , c'est une prescription sur la manière dont nous devons traiter tous les humains".
Par conséquent le droit à la vie ne peut être relatif à la qualité intellectuelle ou à la maladie. Pourtant Singer enfonce le clou de la contradiction en page 95:
"La préférence donnée , dans les cas normaux, quand il faut faire un choix , à la vie d'un humain sur celle d'un animal, est une préférence donnée sur les caractéristiques que possèdent les humains normaux, et non sur la simple appartenance à la même espèce que nous"

Cette préférence "sur les caractéristiques" représente bien une inégalité de fait, qu'il récusait au nom du principe de l'égalité de tous les humains.
Reste encore à savoir ce que pour Singer signifie la "les cas normaux" chez les humains, puisque "l'anormalité" donnerait la préférence à l'animal...