jeudi 30 juin 2016

Quand le corps médite sur l'esprit

Dans la première des "Méditations métaphysiques", qui débute le cheminement de la pensée de Descartes pour démontrer le dualisme du corps et de l'âme, il s'exclame : "Et comment est ce que je pourrais nier que ces mains et ce corps ci soient à moi" ?
Ce "à moi" sonne étrangement. La langue et les mots agissent comme des filtres séparateurs et inadéquats. Lorsque Descartes prononce "à moi", il a déjà considéré que "moi" n'est pas le corps. Caché dans la langue et dans les deux mots "à moi", réside déjà l' opposition qu'il dresse entre l'âme et le corps. Pourquoi n'a -t-il pas demandé "comment est ce que je pourrais nier que ces mains et ce corps ci soient moi"? car alors il ne s'agit plus d'une appartenance mais d'une identité, si ce corps est moi, alors je suis ce corps, alors que si ce corps est "à moi", je ne suis pas ce corps et la relation d'appartenance déjà différencie la propriété du propriétaire.
Nous ressentons naturellement une identité entre ce corps qui agit et la conscience qui révèle ce qu'est "moi". Ce n'est pas le corps d'à côté, pourtant semblable, qui est moi, mais ce corps ci. Effectivement personne ne peut le nier, et ce n'est pas notre raison qui préside à cette reconnaissance : il s'agit d'une sensation, la sensation d'être soi que nous découvrons en bas âge, grâce à ce que nous appelons "la conscience de soi".
La langue nous piège lorsque nous disons "mon corps". Le pronom possessif ne devrait pas s'appliquer car il distancie le locuteur du corps, se pose comme une tour de contrôle, comme un seigneur qui dispose du corps comme d'un vassal . Je peux, en tant que corps, parler de "ma main", qui en est une partie et qui appartient à l'ensemble, mais si je suis un corps il est totalement inadéquat de parler de "mon corps". Cette formulation ramène aussitôt au dualisme cartésien.
La sensation de soi est imparfaite. Je peux bouger ma main mais pas mon estomac. Mon cœur bat sans que je le désire, mes poumons se gonflent sans ma volonté. Mes yeux se ferment lorsque j'ai sommeil et je perd conscience. Une partie de moi m'échappe, je n'en ai pas le contrôle. Alors le corps conscient, qui seul agit , prend acte d'une partie indocile et l'appelle "mon corps", comme une partie externe en partie autonome. Ici prends racine le dualisme.
"Combien de fois m’est-il arrivé de songer, la nuit, que j’étais en ce lieu, que j’étais habillé, que j’étais auprès du feu, quoique je fusse tout nu dedans mon lit ?" Descartes plonge dans le doute, où est la vérité si je ne peux même pas savoir si je suis éveillé ou endormi ? Seules les mathématiques lui permettent de retrouver une vérité plus solide : "Car, soit que je veille ou que je dorme, deux et trois joints ensemble formeront toujours le nombre de cinq, et le carré n’aura jamais plus de quatre côtés ; et il ne semble pas possible que des vérités si apparentes puissent être soupçonnées d’aucune fausseté ou d’incertitude." Mais si Dieu était un malin génie qui faussait en lui le résultat des calculs ? plus encore si Dieu n'existait pas? Descartes se résout alors à commencer par douter de tout, et par imaginer le faux pour continuer sa réflexion.
"je crois que le corps, la figure, l’étendue, le mouvement et le lieu ne sont que des fictions de mon esprit." De nouveau le langage masque un préjugé,  "mon esprit" indique que l'esprit m'appartient, qui est ce moi à qui l'esprit appartient ? Imaginons que Descartes ait écrit "l'esprit" au lieu de "mon esprit". La phrase n'en reste pas moins un préjugé, une sentence, un axiome : pour lui les fictions viennent de l'esprit, pas du corps. A partir du moment où une entité, l'esprit, se pose en négation du corps, qui  pourrait être dégradé au statut de fiction, de nouveau cette hypothèse inclut le dualisme que l'auteur cherche à démontrer. En réalité le corps peut imaginer, soit pendant le sommeil, soit pendant la veille, mais quoi qu'il imagine cela ne fait pas disparaître ce corps du monde. Imaginer en état de veille n'empêche pas de savoir qu'on veille et qu'on imagine, d'où la constatation "Je suis, j’existe, est nécessairement vraie, toutes les fois que je la prononce, ou que je la conçois en mon esprit.", on pourrait ajouter "en mon corps" mais il prétend en fermant les yeux, pouvoir nier qu'il a un corps, en contradiction puisque les yeux appartiennent au corps.
 Descartes en arrive alors à vouloir définir ce "je", il en arrive à la conclusion qu'il est "une chose qui pense, c'est à dire un esprit". Comment le démontre-t-il ? en séparant les attributs du corps et ceux de l'âme, c'est à dire de nouveau en positionnant en hypothèse un dualisme du corps et de l'esprit, au corps étant réservé l'étendue, et surtout pas la pensée. Or qui pense sinon le corps et le cerveau ?
 Vient alors l'exemple de la cire, solide et géométrique lorsqu'elle est froide, molle et informe en se réchauffant. Descartes en tire l'idée que ce ne sont pas nos sens qui permettent la connaissance, que c'est notre entendement, notre pensée qui permettent d'aller au delà de la simple perception et d'identifier l'idée de substance. "à proprement parler nous ne concevons les corps que par la faculté d’entendre qui est en nous et non point par l’imagination ni par les sens, et que nous ne les connaissons pas de ce que nous les voyons, ou que nous les touchons, mais seulement de ce que nous les concevons par la pensée"
Descartes, en doutant des informations fournies par les sens relègue le corps à l'étendue, seul attribut selon lui qui le caractérise. De nouveau il présuppose que le corps n'est pas pensant.
Dans la méditation quatrième de nouveau la même affirmation :"Et certes l’idée que j’ai de l’esprit humain, en tant qu’il est une chose qui pense, et non étendue en longueur, largeur et profondeur, et qui ne participe à rien de ce qui appartient au corps, est incomparablement plus distincte que l’idée d’aucune chose corporelle." Par la même démonstration on pourrait avancer que la vision ou l’ouïe, qui ne sont pas étendue en longueur, largeur et profondeur, ( contrairement à leur objet) ne participent à rien de ce qui appartient au corps...
Or ce qui se passe dans le corps, lorsque nous voyons, entendons ou pensons, ne nous est pas accessible par la conscience, pas plus que le sang qui circule ou les aliments qui y sont transformés. Mais il n'y a aucune raison que ces processus ne soient pas mesurables, il y a même aujourd'hui des preuves qu'ils le sont
De nouveau, lorsque Descartes compare l'idée de l'esprit et l'idée du corps, il présuppose un dualisme. Or "L'idée" est émise par le corps qui la "conscientise", si la conscience du corps offre une sensation incomplète ou imparfaite de tous ses processus internes ou des processus externes, un peu comme notre incapacité à percevoir les ultrasons ou à voir la nuit, cela n'autorise pas à penser une entité autonome : l'esprit.

Esprit (ou âme) est un mot valise: une idée qui englobe toutes les autres idées, un ensemble, comme l'ensemble des nombres entiers naturels, mais pas une entité mystérieuse logée dans notre corps, ou même plus absurde encore : qui lui survivrait. Toute pensée reste matérielle : qu'elle réside dans le cerveau, qu'elle soit parole, écriture, ou numérisée.

 

mardi 28 juin 2016

D'où viennent les populistes ?

De nos jours de très fortes tensions s'expriment dans notre démocratie. Certains pensent que le mandat du président devrait s'invalider lorsqu'il ne respecte pas ses promesses de campagne, ce qui ne laisserait aucun président au pouvoir très longtemps... Heureusement l'histoire a permis à notre constitution de pouvoir traiter légalement un certain nombre de crises de confiance. Le choix des représentants nationaux suit une procédure démocratique, la majorité des voix désignant les acteurs sélectionnés. Comment les procédures démocratiques peuvent elles empêcher les représentants élus de s'écarter de leur rôle consistant à être l'acteur des décisions du peuple, qui, comme le dit Hobbes, en est l'auteur véritable ? Peut on ne pas respecter les règles démocratiques au nom de la raison ou de la morale ?

Si l'on considère l'ensemble des décisions prises par un exécutif, leur volume est tel qu'il est fantaisiste de penser que toutes figurent dans le programme de ceux qui prétendent à le diriger. Un prétendant à la fonction suprême donnera donc les grandes lignes de son action, par exemple celles qui vont permettre à sa politique économique de résoudre le chômage, s'affichera comme conservateur ou progressiste,  et prendra position sur certains grands sujets de société. Cette vue statique de la politique ne correspond malheureusement pas à la réalité. L'histoire du monde ne peut être figée sur une photographie, et chaque jour la vie fait surgir une nouvelle question et un nouveau problème à résoudre. Les représentants du peuple vont donc devoir agir et réagir en fonction des nouveaux évènements qui se présentent à eux et sont censés devoir prendre des décisions conformes aux grandes règles qui ont porté leur campagne et les subsumer sous leurs grands principes. Par exemple aucun candidat n'aurait pu énoncer une promesse comme "je n'invoquerai pas l'Etat d'urgence en cas d'attentat massif à Paris", fait imprévisible. Le mandat impératif ne serait alors d'aucune utilité. Notre système électif se base donc sur la confiance dans les décisions imprévues que devra prendre l'exécutif et prévoit de le contrôler par les assemblées. Le contrôle est assuré par la chambre des députés qui, si elle estime que le gouvernement a failli, peut le révoquer au moyen d'une motion de censure à la demande de 1/10e des députés. Mais que se passe-t-il quand le peuple ne s'estime plus représenté par ses députés dans le temps de la législature? Il reste alors les corps intermédiaires, associations, syndicats etc... et les mouvements sociaux pour manifester son désaccord ou ses aspirations,  et cela permet une respiration démocratique bienvenue en dehors des procédures électives formelles. Mais la respiration ne doit pas devenir un halètement, lorsqu'une chambre est élue à une courte majorité, la moitié du peuple va rester dans l'opposition, il suffit que la majorité doute pour encourager l'instabilité sociale . Pour assurer une stabilité minimale aux gouvernants, l'opposition doit légalement ronger son frein pendant cinq ans pour attendre les prochaines législatives. Sans ce délai nous risquerions d'assister à des renversements permanents rendant impossible l'application de toute politique. Voilà pour la Constitution.



Si les mouvements sociaux veulent imposer malgré tout leur volonté contre les actions du gouvernement, sans attendre les échéances électives, soit le pouvoir finit par céder et légifère, soit il reste ferme et risque l'envenimement ou la guerre civile. Mais on conçoit bien que lorsque l'opposition représente la moitié du peuple, le pouvoir ne peut céder à toute injonction de l'opposition dans la rue, quitte à renier le mandat qu'a donné la majorité. Mais d'autres cas de figures peuvent advenir, par exemple celui où une fraction du peuple appartenant à la majorité s'oppose à l'exécutif. Les représentants de l'exécutif font alors face à une partie du peuple qui a voté pour eux. Mais le président élu représente l'ensemble du peuple, il ne peut non plus céder automatiquement aux manifestants censés être dans son camp. Dans ce cas de figure la motion de censure, votée par une majorité de députés, devrait pouvoir renverser le gouvernement si besoin est. Mais les députés majoritaires peuvent décider de ne pas censurer le gouvernement, ce qui renforce l'instabilité. Les manifestants ne sont jamais en mesure de garantir qu'ils représentent le peuple, aussi nombreux soient-ils, mais ils peuvent aller jusqu'à ne plus reconnaître les institutions, la constitution, et opter pour la révolution par la force... ou bien rentrer chez eux dépités, pleins de ressentiment et réagir aux prochaines élections en votant pour un autre camp ou en désertant les urnes. En résumé, un gouvernement ne peut  céder systématiquement aux mouvements sociaux sous peine de n'être qu'une girouette cédant au moindre souffle, ce qui engendre, contre tout pouvoir, une forte amertume.


Un gouvernement doit avoir comme horizon le bien commun et ne pas être inféodé à un parti ou un intérêt. Un mouvement social n'est pas tenu par ce but, aussi souvent cherche-t-il l'intérêt d'une catégorie, d'une branche professionnelle, d'un groupe, qui souvent ne représentent pas l'intérêt général. Nous voyons fréquemment des mouvements sociaux défendant les intérêts d'une corporation : taxis, VTC, agriculteurs, pêcheurs, pilotes, cheminots, éboueurs etc... qui se dressent contre une modification de leur statut, contre la loi ou un projet de loi. Qui bloquant un jour l'accès aux aéroports, qui arrêtant le trafic sur une autoroute, qui stoppant le trafic aérien, qui arrêtant la distribution de carburant etc...Celui qui pense vivre une injustice incrimine de nos jours en premier lieu l'Etat, et oublie que son sort provient souvent, non de causes purement politiques, mais de la concurrence économique globale , de la raréfaction des ressources naturelles, ou de la dette de l'Etat. Effectivement l'Etat, comme agent régulateur de l'économie, a un rôle à jouer. Les mouvements les plus radicaux considèrent que l'Etat ne remplit pas ce rôle et accroît les inégalités, peu leur importe la démocratie car ils ont "raison" et cela justifie leur violence. Ils oublient que la démocratie doit rassembler des gens qui croient tous avoir raison, la raison ne suffit pas en politique car il faut aussi l'accord, la concorde. Ils attendent les lendemains qui chantent un peu comme d'autres attendent le paradis, ne veulent pas réformer mais tout reconstruire après le jugement dernier. Ils réagissent conformément à une morale déontologique, dérivée de l'impératif catégorique kantien, ce sont les grands principes sacralisés qui les guident. A l'opposé les ultralibéraux font pression pour que l'exécutif ne freine pas le déroulement "naturel" de l'économie, par des mesures contre les inégalités qui seraient autant de handicap en situation de concurrence mondiale acharnée. Pour eux la politique doit être réduite à la portion congrue, la vie se résume au dicton darwinien "Struggle for Life", adapte toi ou meurs, le plus fort gagne. Nietzsche les inspire, ce qui provient d'eux est bon, ce qui est faible est mauvais et doit être dominé, doit alimenter leur énergie. Ils conquièrent le monde, leur puissance le façonne. Un pouvoir social démocrate se trouve donc entre le marteau et l'enclume, sa morale utilitariste du Bien pour le  plus grand nombre exposée d'un côté aux critiques de ceux qui valorisent une éthique de conviction et ne veulent pas réformer au nom des principes souvent hérités de Marx pour qui "la violence est la sage femme de l'Histoire", de l'autre à celles des prédateurs pour qui le monde appartient aux puissants, qui prescrivent eux- mêmes ce que doit être la morale. Les deux critiquent l'Etat, qui n'apparaît toujours au service que de l'autre camp.

Beaucoup vivent dans l'illusion qu'un exécutif devrait pouvoir donner satisfaction à tout le monde, que l'Etat est l'ennemi, que le réel n'est pas si complexe, que la solution à tous les problèmes est à portée de main. Seuls ceux qui jettent le voile de maya sur la réalité, qui vont toujours dans le sens du peuple ou des manifestants, attisent les peurs et dissolvent les difficultés dans les slogans simplistes ont la chance d'obtenir finalement son appui et de capter leurs espérances, on les appelle les populistes...et ils sont précurseurs de plus grands troubles encore. Voici ce que déclarait Alexander Hamilton, premier secrétaire d'état au trésor des états-unis, créateur du parti fédéraliste :
" Je sais, disait-il, qu’il y a des gens près desquels le pouvoir exécutif ne saurait mieux se recommander qu’en se pliant avec servilité aux désirs du peuple ou de la législature ; mais ceux- me paraissent posséder des notions bien grossières sur l’objet de tout gouvernement, ainsi que sur les vrais moyens de produire la prospérité publique.
Que les opinions du peuple, quand elles sont raisonnées et mûries, dirigent la conduite de ceux auxquels il confie ses affaires, c’est ce qui résulte de l’établissement d’une constitution républicaine ; mais les principes républicains n’exigent point qu’on se laisse emporter au moindre vent des passions populaires, ni qu’on se hâte d’obéir à toutes les impulsions momentanée ; que la multitude peut recevoir par la main artificieuse des hommes qui flattent ses préjugés pour trahir ses intérêts. Le peuple ne veut, le plus ordinairement, qu’arriver au bien public, ceci est vrai ; mais il se trompe souvent en le cherchant. Si on venait lui dire qu’il juge toujours sainement les moyens à employer pour produire la prospérité nationale, son bon sens lui ferait mépriser de pareilles flatteries ; car il a appris par expérience qu’il lui est arrivé quelquefois de se tromper ; et ce dont on doit s’étonner, c’est qu’il ne se trompe pas plus souvent, poursuivi comme il l’est toujours par les ruses des parasites et des sycophantes ; environné par les pièges que lui tendent sans cesse tant d’hommes avides et sans ressources, déçu chaque jour par les artifices de ceux qui possèdent sa confiance sans la mériter, ou qui cherchent plutôt à la posséder qu’à s’en rendre dignes. Lorsque les vrais intérêts du peuple sont contraires à ses désirs, le devoir de tous ceux qu’il a préposés à la garde de ces intérêts est de combattre l’erreur dont il est momentanément la victime, afin de lui donner le temps de se reconnaitre et d’envisager les choses de sang-froid. Et il est arrivé plus d’une fois qu’un peuple, sauvé ainsi des fatales conséquences de ses propres erreurs, s’est plu à élever des monuments de sa reconnaissance aux hommes qui avaient eu le magnanime courage de s’exposer à lui déplaire pour le servir."

vendredi 24 juin 2016

Brexit et philosophie de l'histoire

"Toutes les dispositions naturelles d'une créature sont destinées à se développer un jour complètement et conformément à une fin" énonce Kant dans la première proposition de "l'Idée d'une histoire universelle". Puis plus loin il évoque le "système téléologique de la nature". Au contraire si l'on considère que la nature n'a pas de but," c'est le hasard désolant qui vient prendre la place du fil conducteur de la raison".
La nature a-t-elle des desseins, des buts ? Kant ne semble pas en douter. Que nous puissions, comme êtres raisonnables, distinguer des régularités, ou même des lois dans le monde physique, implique-t-il un plan "caché" de la nature qui présiderait à ces régularités ou à ces lois ?
Cela nous ramène à notre étonnement devant les choses du monde. Nous restons confondus lorsque nous constatons qu'une graine minuscule âgée de centaines d'années peut, lorsqu'elle est arrosée, générer un arbre majestueux de plusieurs dizaines de mètres de hauteur, composé de branches porteuses de milliers de feuilles délicatement nervurées qui captent la lumière de l'astre doré. Ce mystère nous laisse perplexe car nous jugeons cette complexité à l'aune de notre propre capacité de création humaine. Plus la science creuse dans le monde pour extraire des connaissances nouvelles, plus nous nous émerveillons. Il serait même possible de concevoir que l'étonnement, l'émerveillement à propos de ce qui nous entoure, constitue une donnée de l'espèce. Que notre attitude est partagée entre émerveillement et contemplation de la nature. Entre scrutation de l'inconnu et recherche de l'habitude ou du répété. Quand Homo faber regarde satisfait les œuvres qui ont surgi de sa volonté, de ses projets, il pense par analogie que toute structure complexe ou vivante de la nature doit être le fruit d'une volonté ou d'un projet, que la créature naturelle qu'il examine peut être vue comme un mécanisme, ou chaque rouage a une fonction, car lui même être humain ne sait pas produire autrement. La raison, disait Hobbes, nous donne la faculté de calculer, mathématiquement ou logiquement. Une création artisanale également s'élabore comme un raisonnement, chaque étape est portée par la précédente et nourrit la suivante. Sans but, le raisonnement ne va nulle part, l’œuvre ne peut exister et les actions ne se tiennent pas ensemble. Nous sommes donc tenus par la raison et sa logique à produire en vue d'une fin. Comme le dit Hobbes : "la science est la connaissance des consécutions, et de la dépendance d'un fait par rapport à un autre, science par laquelle, à partir de ce que nous savons présentement faire, nous savons comment faire quelque chose d'autre quand nous le voulons, ou une chose semblable, à un autre moment; parce que, quand nous comprenons comment une chose se produit, à partir de quelles causes, et par quelle manière, et que les mêmes causes viennent en notre pouvoir, nous comprenons comment nous pouvons leur faire produire les mêmes effets".
Aussi lorsque nous nous étonnons devant le vol gracieux des oiseaux ou l'extraordinaire efficacité de leur plume légère, nous y voyons aussi implicitement une fonction ou un effet : le vol, et des organes associés ou des causes, les ailes. Il nous semble évident que les ailes servent à voler, plus encore qu'elles ont été conçues dans cette optique. Car sinon nous n'avons comme  alternative que le retour à la citation de Kant : "c'est le hasard désolant qui vient prendre la place du fil conducteur de la raison"
Mais entre ces deux extrêmes : la nature téléologique ou le hasard désolant, n'existe-t-il pas d'autres propositions ? et pourquoi le hasard, qui ne permet pas à l'homme de fabriquer, serait-il désolant pour la nature ?
Dans "l'origine des espèces" Darwin explique que les espèces sont déterminées par variation et adaptation au milieu. La variation provient justement de mutations génétiques aléatoires et elle permet parfois à l’espèce d'acquérir un avantage, un trait "adaptatif" par lequel elle se développe au profit d'autres individus qui ne portent pas cette variation ou ont subi une variation désavantageuse. Ainsi profusions d’espèces qui ont vu le jour proviennent simplement de la confrontation du hasard et des contraintes du milieu environnant.  Et si les oiseaux volent ce n'est pas parce que la nature avait conçu des ailes dans cette fin, mais parce que des nageoires ont évolué en pattes puis en ailes très légères qui lorsqu'elles battent très vites permettent une réaction de l'air et la sustentation. De la même façon pomper le sang n'est pas la "fonction" du cœur, mais lorsque le cœur se contracte, l'effet provoqué, le résultat, est l'éjection du sang. Voici ce que déclare aussi Nietzsche dans la "Généalogie de la morale §12": "... de toute antiquité on a cru saisir dans la fin assignable, dans l'utilité d'une chose, d'une forme, d'une organisation, jusqu'au principe de sa gènèse, l'oeil est fait pour voir, la main pour prendre..."
Kant aborde aussi, avant Darwin, cette idée du développement de l'espèce au cours des siècles, appliquée aux humains. Toute la philosophie de l'Histoire de Kant repose sur cette assertion que la raison, sur le modèle des corps physiques, tend à un développement infini "pour amener enfin les germes inscrits dans notre espèce au degré parfaitement conforme à son dessein" ( le dessein de la nature). Que les connaissances, plus que la raison, s'accroissent à travers la mémoire et la succession des générations humaines, il n'est pas permis d'en douter. Mais de nouveau, il n'y a là aucun dessein : c'est par les facultés du langage et de la mémoire que les hommes cumulent leurs connaissances, cet accroissement en est le résultat, pas le but.
Kant déduit de cette téléologie et du développement de l'espèce que l'histoire humaine a un sens et  sera le produit d'une raison toujours plus efficace dans la résolution des problèmes, jusqu'à l'avènement d'une société des nations et l'élaboration d'une paix universelle voulue par le plan caché de la nature. Des évènements historiques comme la révolution française peuvent être interprétés dans ce sens, celui selon lui, d'un progrès de la raison.
Malheureusement la nature n'a pas de plan caché, elle ne fournit qu'un ensemble de règles physiques très complexe. De nombreuses espèces ont déjà disparu, il n'y a aucune garantie donnée par l'univers que la nôtre subsiste éternellement. L'histoire humaine ne promet pas que, les connaissances augmentant, les hommes vont juguler leurs passions à l'aide d'une raison mieux déployée. Dans "Le monde d'hier", Stefan Zweig décrit le monde vivant de la pensée d'avant les guerres mondiales, dans lequel personne n'imaginait les épouvantables massacres à venir, pourtant la raison n'avait pas quitté les hommes mais la passion les avait vaincu.
Ainsi les évènement historiques, comme le Brexit, sont imprévisibles car ils sont le résultat d'un affrontement entre la passion et la raison, ou comme dirait Kant de la composition de leur double nature : sensible et supra-sensible qui garantit leur liberté.

mardi 14 juin 2016

Récompenses et châtiments

Hanna Arendt, dans "La crise de la culture", intitule un de ses chapitres : "qu'est ce que l'autorité" ? Pour répondre à cette question, elle remonte non pas à la Grèce antique qui ignorait ce concept, mais à  Rome  qui le forgea  à partir de la fondation de la cité antique. "Le mot "Auctoritas" dérive du verbe augere, 'augmenter' et ce que l'autorité ou ceux qui commandent augmentent constamment: c'est la fondation". L'autorité des vivants provenait de l' héritage des morts, la vie politique romaine reposait sur le caractère sacré de la fondation et sur l'autorité reconnue des anciens qui créèrent la cité.
Mais l'autorité, précise H.Arendt, exclut à la fois la persuasion et la coercition, elle est obéissance acceptée. Comment mener une politique sans autorité ? Platon s'était aperçu que la vérité ne pouvait être atteinte du plus grand nombre. Sans l'aide de la persuasion par la raison pour faire accepter aux citoyens l'action appropriée en politique il fallait donc trouver, pour le dirigeant philosophe, des moyens de coercition , mais sans en passer par la violence. C'est pourquoi, dans "la République", Platon fait appel au fantatisque mythe d'Er, qui introduit les notions de récompenses et de châtiments pour les âmes après qu'elles aient quitté les corps. L'enfer après la mort, et sa peur comme menace, "Les hommes y enduraient dix fois le mal qu'ils avaient fait à n'importe qui" raconte-il,  serviront donc de moyen politique à Platon pour forcer l'obéissance ici bas, assurer la domination du roi-philosophe pour qu'il puisse mener les actions appropriées guidées par la raison.
Le christianisme reprit, à partir du Ve siècle, la doctrine de l'enfer,  le châtiment éternel et le jugement dernier hérités de Platon. Pendant des siècles, perdant peu à peu  l'autorité héritée de Rome, issue de l'évènement fondateur de la résurrection du Christ, l'église pu asseoir sa politique sur la peur du jugement dernier et de la souffrance éternelle. Aujourd'hui ces peurs ont disparu. Pour Hanna Arendt "la conséquence la plus importante de la sécularisation de l'époque moderne est peut être bien l'élimination de la vie publique , avec la religion, du seul élément politique de la religion traditionnelle, la peur de l'enfer".
Derrière cette affirmation, elle sous-entend que la conduite des hommes sur terre était conditionnée en grande partie par le châtiment, par la peur d'une souffrance sans fin après la mort. Mais il faut considérer que ce comportement était également influencé par l'espoir de la récompense, du salut, du paradis, de l'accès à la Civitas Dei. Il n'est qu'à voir les oppositions et les longues discussions à propos de la grâce entre  Jansénistes et Jésuites pour savoir s'il l'homme peut acquérir le salut par ses actions. Récompenses et châtiments reposent sur la morale religieuse qui définit ce qui est bien et mal. Quoi qu'il en soit, baser sa vie terrestre en fonction d'une autre vie qui se déroulera après la mort, voilà le véritable levier politique. La question cruciale posée est la suivante: quelles sont les actions qui conduisent au paradis ou en enfer? Qui s'appuie aujourd'hui sur ce levier ?
Pour un islamiste radical, tuer le maximum de mécréants en perdant sa vie en martyr peut amener au bonheur éternel. Ainsi peu importe la vie sur terre, elle doit être abandonnée au profit de la véritable vie au ciel. Dans une organisation comme Daesh, l'autorité religieuse, tirant partie de l'espoir de l'au-delà, se confond avec l'autorité politique  et lui confère une puissance formidable. Les nouvelles recrues "prêtent allégeance", autre formule pour reconnaître une autorité. Du point de vue de la raison, faire reposer la politique sur la croyance en l'immortalité de l'âme confine à l'absurdité. La politique a en charge l'organisation de la cité sur terre, pas dans le ciel. Elle suppose que les humains ont une vie rationnelle. Mais d'un point de vue religieux, cette idée retrouve une certaine cohérence : bien que notre passage sur terre soit court, il est déterminant pour notre vie au ciel, il est donc important de se conformer aux commandements de la morale et d'obéir aux dirigeants qui par ailleurs sont des clerc religieux.
Hanna Arendt décrit la société romaine comme reposant sur trois piliers : la tradition, l'autorité et la religion. La société occidentale ne repose plus sur ce trépied et vacille. Daesh a restauré ces trois tuteurs : la tradition s'appuie sur le califat, l'autorité est celle du chef Al Baghdadi qui refonde un territoire,  la religion est la religion musulmane proche du wahhabisme, et ce triptyque illumine le phare qui ramène au bercail nombre de naufragés de la vie. "Religare", qui donna "religion", dit Arendt signifie relier au monde par la croyance au commencement. A l'opposé de Georges Bataille qui déclarait : " Le pur bonheur est dans l’instant", l'idée lointaine du paradis motive tous ses combattants, alors que la peur de l'enfer ne les concerne pas. Le chef charismatique, que Max Weber classait comme une des formes de l'autorité, avec la tradition et le pouvoir légal dans "Economie et société", attire tel l'aimant le fer, les jeunes en désarroi qui cherchent un sens à leur vie, une cause à défendre, des épreuves initiatiques,   des rêves de gloire et un combat. Dans ce monde matérialiste désenchanté,  où l'individu est atomisé et le futur sombre, où l'avoir semble le seul avenir pour l'être, ils fondent un nouvel espoir collectif dans la religion "des origines" qui leur garantit un au-delà radieux et une nouvelle estime de soi. La haine du mécréant et les passions mortifères reconstruisent une nouvelle fraternité. Ils sont à la recherche d'une tradition perdue et d'une autorité naissante. Devenue sourde et aveugle à la connaissance et au doute leur vitalité libérée se met au service de l'obscurantisme meurtrier.
 La critique de l'islam radical ou de l'intégrisme catholique ne doit pas se contenter de pointer les dévoiements par rapport à la religion du plus grand nombre, mais rappeler qu'attiser la croyance en l'immortalité, dévaloriser la vie hic et nunc, peut conduire aux conduites les plus délirantes, les plus meurtrières et suicidaires. 

vendredi 10 juin 2016

La poésie et le tyran

Un tracé fin, racé, élégant ou épais, lourd et hésitant. Une voix distinguée, nasillarde ou vulgaire. Signe écrit ou vocal, quel que soit sa forme, la langue provoque une compréhension, sinon des réactions, semblables chez chaque récepteur d'un message. Nous apprenons à identifier très tôt ces signes oraux à des états internes ou externes. "Mal", "Aie", sont des sons que l'enfant en bas âge associe à des douleurs ressenties, et bien que la douleur soit un sentiment partagé par toute l'espèce, sa traduction orale varie selon des langues. Dès le plus jeune âge il nous faut apprendre à troquer le ressenti individuel pour l'expression normée.
 Trois parmi les cinq sens nous autorisent à  recevoir une communication par la langue : la vue pour la lecture, l’ouïe pour le parler, le toucher pour le braille. Nous avons, en tant que locuteurs adultes, du mal à évaluer l'extraordinaire dressage, le pesant joug, que constitue ce laminage expressif du plus jeune âge, dans lequel toute sensation doit être convertie en signe, et pour lequel tout son émis revêt un sens potentiel partagé. Car ce que la langue impose au corps, comme le forceps à la naissance ou comme l'apprentissage de la propreté chez le jeune enfant, c'est le partage de normes. Cette codification de signes, différemment élaborée pour la vue, l’ouïe ou le toucher, nous impose un comportement commun, un moule dans lequel nous devons tous nous couler obligatoirement. Nous perdons ce qui est unique dans notre nature à devoir traduire nos sensations dans ces syllabes en nombre limité. C'est ce que Roland Barthes appelait la tyrannie de la langue, cet abandon de l'individualité au profit de ce pouvoir qui s'applique sans contrôle au collectif. Cette tyrannie agit sur le son reçu, sur les signes vus, et pour les aveugles et le braille sur les signes touchés. Une partie des événements du monde nous est retranscrite dans la langue et elle nous condamne à les interpréter de manière collective, par les mots. Inversement cette habitude de convertir ce qui se passe à l'intérieur de nous en mots, nous façonne tous similairement, nous revêt d'une même livrée. Nous nous inscrivons par la langue comme membre d'une communauté. Mais nous n'avons pas de liberté de choix, nous sommes tenu de nous y conformer, et même le désirons sous peine d'un terrible isolement, d'une exclusion sociale.
Arriver à traduire les mêmes états internes ou externes perçus, aussi bien par des signes sonores qu'écrits est fascinant. Cette capacité des sens à permettre à la fonction du langage d' atteindre notre entendement par des canaux totalement différents n'a pas d'équivalent. Dans l'espace sonore, la musique nous fait vivre une expérience totalement étrangère de ce que nous apporte, pour ce qui concerne la vision, la vue d'un arc en ciel. Pourtant par la langue, nous arrivons à  faire converger ces sens , comme moyens alternatifs de communication, supports du langage. Nous pouvons saisir aussi bien une phrase entendue que la même phrase lue, le message compris sera identique. Encore plus étonnant: les signes de la langue sont arbitraires comme l'a montré Saussure dans son cours de linguistique générale. Nous émettons des sons arbitraires, différents dans chaque langue, capables de déclencher chez l'autre rires, pleurs, colère, amour. Nous possédons une clef secrète qui pénètre le corps de l'autre, et induit des réactions. Le langage enferme une connaissance de l'autre qui rend le monde plus prévisible. Lorsque l'instituteur dit "sortez vos cahiers", trente petits corps assis font le même mouvement prédictible d'ouvrir leur cartable et de sortir les cahiers. Ce phénomène devient plus perceptible lorsqu'on observe la même scène dans une langue étrangère: le pouvoir des sons émis par un corps sur les autres corps jaillit de façon plus nette. Le même pouvoir est atteint par l'écriture. L'écriture n'appartient pas au domaine de la vie comme le son, c'est une matière inerte. Pourtant son pouvoir dépasse le langage parlé. Observez ces salles d'examen où à partir du même texte écrit -d'une feuille de papier où sont couchés de fins signes noirs- les centaines de candidats s'exercent à composer pendant des heures assis studieusement dans le silence, et réfléchissent sur le même problème sur tout le territoire et au même moment. L'écrit régule aussi tout notre espace urbain par une signalétique omniprésente: limites de vitesse, injonctions de ne pas marcher sur les pelouses etc., et attise notre désir par des publicités sur les murs, dans les boites à lettres. Notre communication avec l’État passe le plus souvent par l'écrit: feuille d'impôts, relevé de sécurité sociale, contraventions ... Il résulte de ces signes une attitude collective sinon obéissante, du moins disciplinée. La quintessence de cette automatisation face à la codification écrite est atteinte par l'orchestre, ensemble de corps qui agissent précisément ensemble face à la partition écrite. Ou face au signe oral par les militaires qui chantent en cœur des hymnes guerriers, dont les corps marchent et se balancent en cadence par la scansion du "un, deux, un, deux", message minimaliste qui transforme les individus en un nouveaux corps composé de dizaines de bras et de jambes. Ou encore par les cortèges de manifestants, psalmodiant ensemble de courts mantras, comme si le niveau sonore de ces prières était le garant de leur influence sur la réalité. Enfin par ces supporters, sorte de combinaison du militaire et du manifestant, dont les corps bardés de peinture aux couleurs nationales, scandent des antiennes à la gloire de l'équipe, se lèvent ensemble pour fabriquer des vagues qui revendiquent la puissance des éléments naturels ou exultent de concert en dressant les bras : buuuuuuut !
C'est notre rapport au monde qui est transformé par ce filtre, notre corps tout entier participe du langage, émet des sons, voit des textes. Voir une voiture, c'est reconnaître, subsumer sous une règle dirait Kant, et calquer un concept porté par la langue, sur des couleurs, une forme, un bruit, une odeur. Lire le mot voiture, c'est associer à un signe les mêmes couleurs, forme et bruit. Tout le réel est découpé par les mots, les concepts, les catégories.
Seule la poésie tente de transcender la norme en inventant des expressions  qui désobéissent au tyran. Elle parvient à évoquer, via la langue mais en rupture des règles, un au-delà en brisant ses chaînes, en manifestant la liberté perdue  d'un être pur qui ne s'exprime plus. Son inventivité personnelle recrée une individuation perdue par l'apprentissage de la langue. La poésie dénoue les corps et les enjoint à s'émanciper du collectif, elle réveille paradoxalement  cette vie en nous que la langue veut domestiquer. Elle se pose en exact opposé du slogan qui rassemble, qui simplifie le monde et le réel. Elle retrouve la diversité des êtres, des goûts et des désirs. Au jugement déterminant, illustré par l'exemple de la voiture reconnue et déterminée par des règles, elle oppose un jugement réfléchissant, par lequel l'individu qui perçoit est ramené à son être plutôt qu'aux règles et concepts de la communauté via sa langue. De cette "faculté de juger", Kant tire cette sentence: "Est beau ce qui plaît universellement sans concept", et c'est pourquoi la poésie, bien qu’œuvre intime, est reçue par tous.




mardi 7 juin 2016

Comment concilier l'admiration pour la figure de l'athlète et celle de l'idée d'homme nouveau ?

La figure de l'athlète apparaît dans la Grèce antique, ainsi que les jeux Olympiques au VIIIe siècle avant JC. La compétition sportive honore et couvre de gloire le meilleur. La mythologie grecque regorge de récits d'exploits de héros: Héraklès, Persée, Jason qui représentent autant de personnalités dont les activités sortent du lot et leur valent l'admiration de tous. D'une autre façon sont arrivés jusqu'à nous la réputation des grands mathématiciens et philosophes, pré ou post socratiques, Pythagore, Thalès, Héraclite, Aristote, Platon. Sont admirés aussi les artistes, sculpteurs inconnus ou auteurs de grands récits mythiques comme Homère, auteur de l'Iliade et de l'Odyssée. La morale antique se base sur la vertu individuelle que l'on doit toujours perfectionner pour atteindre une vie bonne. Depuis toujours notre civilisation met en avant celui qui se distingue, soit par des qualités physiques, soit par des qualités d'intelligence, soit par le courage. La société moderne fournit de nombreux moyens, dans tous les champs sociaux, de désigner le meilleur. Dans le sport par les compétitions, jeux olympiques, championnat, tour de france... qui attribuent des coupes, médailles etc., dans les sciences et la littérature par des prix: Goncourt, Nobel , médaille field, etc.,  la culture propose également ses trophées: prix de festivals : Cannes, mostra de Venise...cérémonies annuelles: oscars, césars etc... Dans les écoles ou les concours d'accès aux administrations, les compétiteurs sont classés par note. Les détenteurs des meilleures notes ont le privilège du choix des meilleurs postes. La vie sociale toute entière constitue une hiérarchie issue d'une compétition pour les postes. Le médecin occupe une position plus enviée que le balayeur, le professeur est plus admiré et respecté que le manœuvre, la grande star attire même l'amour de tous contrairement à la femme de ménage. Le médecin a le formidable pouvoir de sauver des vie par ses connaissance scientifiques et de faire durer les corps, le professeur a celui d'augmenter les connaissance de celui qui l'écoute et de transformer son être, la star peut l'espace d'un instant faire éprouver des émotions plus fortes que dans la vie courante. Même les régimes communistes, adoptant l'idée de Marx que les hiérarchies sociales sont issues des conflits de classe, encouragent la compétition. Le héros soviétique, Stakanov est porté au nue parce qu'il est le meilleur producteur. Gagarine atteint le panthéon car il a battu les américains dans la course à l'espace. Les sportifs des pays de l'Est ont été l'objet d'intenses programmes médicaux de dopage pour vaincre leurs compétiteurs occidentaux y compris récemment à Sotchi. La Chine s'est battue âprement pour pouvoir organiser les jeux Olympiques. Notre société est traversée de part en part par l'idée que le premier a plus de valeur que le dernier. Même les petits enfants se disputent, chacun croyant son père "le meilleur". Dans toute éducation la figure du héros s'impose comme nécessaire pour l'exemplarité: qui copier sinon le meilleur ? Marx aurait du mal à nous convaincre qu'Hercule ou Achille sont le produit de la domination d'une classe sur une autre.
Mais se trouver en haut de la hiérarchie attire aussi quelques désagréments. L'énorme effort d'éducation réalisé pour délivrer aux jeunes sportifs l'idée que le perdant doit respecter le gagnant, que "l'important c'est de participer", masque mal une contradiction majeure. Puisque tout l'esprit du compétiteur est tendu au maximum vers l'idée de gagner, que parfois tout son être en dépend, que tout le monde autour de lui répète qu'il est le meilleur, l'échec ne peut que se vivre comme un drame. Naturellement, celui qui perd hait celui qui gagne, celui qui lui ravit son trophée, cette place qu'il avait tant espéré. C'est pourquoi les éducateurs insistent tellement sur l'idée qu'il faut serrer la main du vainqueur quelque soient les sentiments bouillonnants au plus profond de soi: il faut préserver les apparences, conserver les règles de bienséance pour éviter les guerres. Mais dans les gradins, les spectateurs n'ont pas subi le même dressage, quand leurs poulains échouent, il se déchaînent. 
Dans la vie sociale, nous vivons les mêmes expériences. Celui qui est arrivé premier, qui a réussi, subit la jalousie, l'envie. Le premier de classe se voit souvent détesté par les derniers, sans quoi ils se détestent eux mêmes. Celui qui sera nommé chef d'équipe, de groupe, de rubrique, de département subira la vindicte de ceux qui espéraient la place. Dans le foot, les faits divers décrivent à profusion la haine qui surgit lorsqu'un joueur n'est pas sélectionné.  En politique, la démocratie impose aux votants dont le candidat perd l'élection d'obéir à un gouvernement qu'ils détestent. Le remède ? l'idéal d'égalité.
D’où vient l'exigence d'égalité ? aucune société ne supporte l'inégalité, qui pourtant est structurelle, native à la nature humaine, certains sont beaux, forts ou intelligents, d'autres laids, faibles ou idiots. Cette demande d'égalité ne surgit que pour rendre possible la politique, pour lutter contre ce qui reste premier : la jalousie, pour que les hommes vivent ensemble sans se battre. Offrir un égal accès aux postes et aux chances selon Rawls et sa théorie de la justice ne va pas transformer chaque humain comme un équivalent de son voisin, ni annihiler son sentiment d'envie . Celui qui aura une assistance en math n'atteindra pas le niveau du surdoué en algèbre. Faire du foot tous les jours en forcené ne vous transformera pas en Messi.
Nous vivons dans une "insociable sociabilité" selon la formule de Kant, et le ressentiment reste l'émotion la mieux partagée, comme l'a décrit Nietszche dans la "généalogie de la morale". Marx a réussi l'exploit de faire croire que ce ressentiment provenait d'une seule et unique cause: la domination des capitalistes,  tout en masquant qu'il est également inhérent à la nature humaine qui à la fois sélectionne les meilleurs et leur en veux de l'être. Si il n'existait pas de nature humaine, comment le capitalisme existerait-il ? le désir d'accumulation du profit n'appartiendrait-il qu'aux entreprises, entités inertes ? Non la nature humaine s'exprime depuis des millénaires, et c'est pourquoi toutes les expériences communistes ont échoué à créer un "homme nouveau".

samedi 4 juin 2016

Alphago: l'esprit des machines


Nous le savons, esprit et cerveaux sont liés. Lorsque les neurosciences cognitives étudient le cerveau, elle établissent des corrélations entre une activité cognitive et des changements d'états électriques ou chimique de certaines  zones de notre matière grise. Tentons d'établir une analogie avec l'intelligence artificielle. Le champion du monde de jeu de go a été battu les  9 et 12 Mars 2016 par un ordinateur nommé Alphago . Imaginons n'appréhender cette machine qu'avec des sondes électriques, sans aucune connaissance de son fonctionnement, de sa structure en ignorant tout de mémoire, cpu, bus, contrôleurs. 
Lorsque se déroule un programme informatique, il s'exécute à partir d'une mémoire "vive". Si l'on observait son activité du point de vue des changements électriques, surgiraient des pics dans certaines zones ( où sont stockées les données) mettons la zone D1 et la zone D2. Puis également à un endroit différent ( où le programme s'exécute) mettons la zone P. Des tensions changeantes apparaîtraient aussi d'autres zones (sur les bus de données ou d'adresses).Enfin dans l'unité CPU dans laquelle s'activent les registres. Si le programme a la capacité d'exécuter des tâches simultanées, alors nous aurions plusieurs CPU, et des activités similaires à certains moments dans chaque CPU, mettons cpu1,cpu2.
En examinant les valeurs électriques relevées, dans D1,D2,P composées de 0 et de 1, c'est à dire de niveaux électriques 0 ou 5 volts, nous pourrions constater que certaines conserves les mêmes tension, alors que d'autres évoluent sans cesse.
D'autres organes  réagiraient systématiquement et voient leur tension changer en tapant sur le clavier ou lorsque l'écran change.
A partir de ces mesures disparates il nous serait quasiment impossible de reconstituer le fonctionnement d'un ordinateur, d'une part, et d'autre part de savoir comment est constitué le programme qui s'exécute et quelle est sa fonction. Autrement dit, et reprenons l'analogie dans l'autre sens, examiner le fonctionnement électrique du cerveau et les zones qui s'activent en fonction de certaines situations n'est pas près de nous apprendre comment fonctionne le cerveau. 
Cela pose une autre question. Si l'on commence à considérer les programmes comme "intelligents", peut on affirmer que l'ordinateur possède un esprit ? Peut on reconsidérer le dualisme cartésien à la lumière des nouvelles performances des machines ?

Une première objection serait d'opposer que l'intelligence du programme, pour un observateur qui ne se contente pas de relever les niveaux électriques d'une machine, ne se situe pas dans l'ordinateur mais se trouve dans le code source. Ce code n'embarque-t-il pas une pensée cristallisée intelligente de même qu'un livre ou un outil perfectionné ? L'analogie de la pensée cristallisée semble ici convenir, un code source comporte une sorte de commandement: si telle chose arrive alors tu feras ceci... mais pas pour un programme en exécution qui a un caractère dynamique, réagit à des stimuli, sort des résultats, peut se modifier lui-même. Le programme n'est plus une pensée cristallisée, c'est une sorte de pensée vivante, qui sait jouer au jeu de go, qui sait apprendre. Il y a donc  l'esprit "concepteur" du programme qui permet de produire un code source, mais il y aurait aussi un esprit "exécuteur", libéré de son auteur humain, qui peut battre un champion du monde de go, à la différence du ou des concepteurs de l'application, qui en seraient incapables. Mais c'est le programme, et non l'esprit que l'ordinateur exécute. Parler d'esprit pour le hardware n'a pas de sens, l'ordinateur peut être qualifié de chose pensante, comme dirait Descartes dans les méditations métaphysiques, mais ne possède pas d'esprit.
Dans l'ordinateur, l'esprit a disparu, est vaporisé, néantisé. Car ce que nous appelons esprit, serait une entité qui produit des pensées. Que sont les pensées? des tensions électriques et des messages chimiques que nous convertissons en langage. Le corps produit les pensées, qui sont des mots, pas l'esprit. L'ordinateur réalise le parcours exactement inverse : il convertit des mots, des pensées, un langage source,  en codes machine, codes qui ne sont que des tensions électriques. Ne lui reste qu'à produire de nouveaux programmes, ce qu'il commence à faire.
Alors que nous nous plaçons depuis l'âge classique au sommet de la création, nous réalisons, contre Descartes, que les hommes sont des animaux machines. Qu'est ce que naître sinon instancier un nouveau programme ? Leibnitz opposait déjà au XVIIe les idées innées à Locke pour qui nous naissions tel une "tabula rasa". Notre programme consiste à nous reproduire pour continuer l'espèce et, comme l'a dit Hobbes, à assurer notre conservation coûte que coûte , à préférer le bonheur au malheur, à aimer nos semblables et leur société, le chant et la danse, les roses et le soleil, le sucre et le ciel azur, à avoir peur de la mort , à nous imiter en tout, à rejeter ceux qui ne suivent pas cette programmation. Et la conscience ? elle n'est qu'un miroir: penser sur ce qu'on pense, connaître ses connaissances. De l'électricité et de la chimie. Alfago, un jour, sera heureux de gagner, déjà il est conscient de sa victoire.



mercredi 1 juin 2016

démocratie et référendum d'entreprise

La démocratie, gouvernement du peuple, amène théoriquement le peuple à se déterminer sur tous les sujets qui le concerne et sur lesquels il peut agir. Les "sujets" dont il est question, sont en fait des problèmes. Pour l'ordinaire, les lois doivent s'appliquer. Comme la vie ne se répète jamais à l'identique, la contingence aidant, de nouveaux problèmes surgissent , sur lesquels les lois ne peuvent s'appliquer qui amènent le peuple à se déterminer, par la voix de ses représentants, dont la fonction, précisément consiste à agir à la place du peuple et en son nom. Ces nouveaux problèmes appellent de nouvelles lois ou des modifications des lois existantes. Les lois sont votées par la représentation nationale, c'est à dire une représentation de chaque partie géographique du pays dont la somme des habitants constitue le peuple.
Pour certains problèmes qui ne concernent que l'échelon local, les maires peuvent prendre des arrêtés municipaux ou bien les département ou les régions arrêter des décisions affectant la géographie dont ils ont la charge, mais les questions d'ordre national ne peuvent être prise en charge que par l'exécutif national . A l'échelon local il est possible d'organiser des enquêtes d'utilité publiques, consultatives, ou des référendums locaux  pour tout projet relevant de la collectivité .
Lorsque le gouvernement  envisage de résoudre un problème nouveau ou persistant tel qu'il engage la nation pour plusieurs années et affectera profondément le pays, son économie, son aménagement, la vie des habitants, il peut décider d'un référendum national où la majorité décide.
Mais la démocratie ne se définit pas uniquement par les procédures publiques. Elle s’immisce dans d'autres secteurs, par exemple dans le monde du travail ou un sous ensemble du peuple, les salariés, se voit offert la possibilité d'être représenté face à l'employeur, pour les problèmes spécifiques autour du  travail. Ces représentants, délégués du personnel , peuvent appartenir ou non à un syndicat et dans les entreprises de plus de 10 salariés doivent être élus, pour 4 ans . Il ne s'agit plus de "gouvernement du peuple", puisque le dirigeant n'est pas élu par les salarié, mais d'une procédure élective organisant la représentation. 
Pour les entreprises de plus de 50 salariés, un syndicat peut nommer un délégué syndical, qui assure l'interface entre son syndicat et l'employeur et les salariés. Le cadre spécifique de l'entreprise est alors débordée puisque le syndicat peut présenter des revendications d'ordre national. Le syndicat, lorsqu'il abrite sous son aile de nombreux salariés de nombreuses entreprises d'un métier, peut s'allier dans une fédération avec des syndicats du même métier puis ensuite former une confédération représentant les travailleurs de différents corps professionnels. Ses interlocuteurs ne se situent alors plus à l'échelle de l'entreprise mais au niveau national se trouvent être les représentant patronaux d'une part et l'exécutif national d'autre part. Les dirigeants des confédérations sont élus,  par exemple à la CGT le secrétaire général est élu par  un bureau confédéral national lui même désigné par le Comité Confédéral National qui est l'assemblée des secrétaires généraux des fédérations . Toute cette configuration "démocratique" à plusieurs niveaux, publiques et privés, ne suffit pas à conférer au monde du travail calme et équilibre.
La nouvelle loi travail, pour passer un nouvel accord d'entreprise,  prévoit de pouvoir  organiser un référendum  s'il est demandé par des syndicats représentant au moins 30% des salariés aux élections professionnelles ( délégués du personnel et Comité d'entreprise). L'accord est adopté si la majorité des salarié se déclarent pour. Les syndicats  qui potentiellement représentent les 70% restant des délégués des salariés ne peuvent alors s'y opposer. Comme dans le cas de l'échelon local pour le public, le référendum pourrait donc s'appliquer pour le domaine privé de l'entreprise.

 D'un côté un vote direct des salariés après une demande de représentants qui peuvent être minoritaires, de l'autre ignorance possible de représentants peut-être majoritaires. On peut comparer ce vote local privé au cas du référendum national de l'article 11 dans le public : le vote direct du peuple prime sur l'avis de la représentation nationale qui n'est consultée que pour un débat. Mais cette analogie n'est pas parfaite car dans la loi travail il s'agit du niveau local, de problèmes locaux spécifiques d'organisation ou de durée du travail qu'on ne retrouve pas dans toutes les entreprises de façon identique, on ne pourrait pas porter ce type de référendum au niveau global des salariés, cela n'aurait pas de sens.
Appliquer des lois nationales d'organisation du travail peut contrevenir au choix des salariés compte tenu de  la diversité des situations dans les entreprises, on l'a vu pour l'hôpital lors de la réforme des 35h. Mais inversement appliquer des règles locales peut poser de nouvelles questions d'ordre national.

- Faut-il que l'avis des syndicats prime sur l'avis des salariés contrairement au projet de loi? Faut-il que l'avis des représentants prime sur l'avis des représentés ? Dans ce cas, les représentés ne sont plus représentés, puisque le mandat du représentant consiste à émettre l'avis de celui qui confie le mandat. Le représentant n'est que l'acteur, le représenté doit rester l'auteur sous peine que soit rompu le contrat de représentation. 

- Peut-on étendre ce type de démocratie en entreprise ? Si chaque entreprise devait vivre sous des lois locales déterminées par référendums locaux, il est clair que le code du travail deviendrait une coquille vide. La question principale revient donc à délimiter ce qui relève du droit du travail pour l'ensemble des entreprises et ce qui peut être aménagé localement. Le problème de savoir s'il est possible potentiellement d'ignorer l'avis des syndicats majoritaires  n'en est pas un, l'avis des représentés étant finalement le plus important en ce qui concerne leur propre vie.

- L'employeur peut-il faire pression sur ses salariés pour qu'ils votent dans son sens ? Lorsque ce sont les syndicats, qui passent ou refusent un accord sur la base d'une politique nationale , il le font en ignorant les conséquences locales particulières, comme l'a expliqué Max Weber, dans "le savant et le politique". L'éthique de conviction est mise à l’œuvre. Il s'agit d'un point de vue utilitariste: il faut conforter la situation du plus grand nombre au détriment possible de quelques uns. Les salariés, si l'employeur explique qu'une nouvelle mesure d'organisation conditionne la survie de l'entreprise, offriront une écoute plus intéressée que les syndicats arc-boutés sur une position de principe, suivant la ligne de conduite nationale. Pourrait-il en abuser ? Il faut reconnaître que l'entreprise est le siège d'un rapport de force, l'employé se trouve en position de faiblesse, surtout dans une période de chômage très importante. Le syndicat, d'ordinaire vise à offrir l'union, une force supplémentaire pour le salarié atomisé. Mais le référendum ne présente pas le salarié seul face au patron, il s'agit d'un vote majoritaire anonyme, porté par un soucis des conséquences locales, dans lequel l'électeur est porté par une éthique de responsabilité.

- Va-t-on vers des accords régressifs ? La loi prévoit une "inversion des normes", l'accord d'entreprise supplantant l'accord de branche. Les salariés seront ils amenés à signer des accords moins disant par rapport à ce que les luttes sociales avaient permis de conquérir ? Encore une fois tout dépend de la portée de l'accord soumis à référendum. Si les salaires ou les conditions de licenciement étaient dans la portée de ce nouvel article, il s'agirait d'une régression potentielle et d'un démantèlement du droit du travail, s'il est question de tenir compte du métier spécifique pour aménager des conditions temporaires permettant un fonctionnement amélioré , il s'agit d'une souplesse dont il ne faut pas se priver si la majorité l'adopte.

La CGT vient de crée un site pour organiser une votation citoyenne sur le nouveau projet de loi afin de se déterminer pour ou contre. Le vote aura lieu sur les lieux d'étude, de travail, d'administration, et lieux publics. Eu égard au métier de la CGT, il semble acquis que les bureaux de vote apparaîtront en majorité dans les entreprises et les administrations, plus précisément dans les lieux où la CGT est fortement représentée. S'il s'agit de mimer un référendum national, il apparaît immédiatement qu'il sera biaisé. Les catégories de population votantes seront essentiellement issues du monde du travail et contre le projet. Nous sommes en présence d'une sorte de pétition bis, on ne recueille que l'avis des mécontents. Or le code du travail n’intéresse pas que le monde du travail , à cette aune le débat sur la peine de mort n’intéresserait  que les condamnés. Cette stratégie consistant à élaborer un vote cohabite difficilement avec celle qui entreprend de bloquer l'économie. Un glacis démocratique fait briller légèrement un vote citoyen, tandis que la force pure s'exprime dans le blocage des trains, du métro, des avions, de l'énergie... Rappelons que les salariés syndiqués représentent 8% de la population salariée et que CGT et FO obtiennent aux élections professionnelles 27% et 16%, la CFDT 26%. Leur sphère d'influence va bien au delà des encartés, mais rien ne dit qu'une majorité de salariés soit prêtes à se mettre en grève. Un petit nombre de grévistes dans une activité centrale comme le transport suffit à bloquer l'ensemble du service. En proposant qu'un référendum "citoyen" de portée bien moindre qu'un référendum national prime sur la loi, le syndicat cherche à établir en quelque sorte une inversion des normes qu'il conteste par ailleurs.
Un référendum national sur cette loi travail contestée serait souhaitable pour sortir de la tyrannie d'une minorité.