mardi 28 juin 2016

D'où viennent les populistes ?

De nos jours de très fortes tensions s'expriment dans notre démocratie. Certains pensent que le mandat du président devrait s'invalider lorsqu'il ne respecte pas ses promesses de campagne, ce qui ne laisserait aucun président au pouvoir très longtemps... Heureusement l'histoire a permis à notre constitution de pouvoir traiter légalement un certain nombre de crises de confiance. Le choix des représentants nationaux suit une procédure démocratique, la majorité des voix désignant les acteurs sélectionnés. Comment les procédures démocratiques peuvent elles empêcher les représentants élus de s'écarter de leur rôle consistant à être l'acteur des décisions du peuple, qui, comme le dit Hobbes, en est l'auteur véritable ? Peut on ne pas respecter les règles démocratiques au nom de la raison ou de la morale ?

Si l'on considère l'ensemble des décisions prises par un exécutif, leur volume est tel qu'il est fantaisiste de penser que toutes figurent dans le programme de ceux qui prétendent à le diriger. Un prétendant à la fonction suprême donnera donc les grandes lignes de son action, par exemple celles qui vont permettre à sa politique économique de résoudre le chômage, s'affichera comme conservateur ou progressiste,  et prendra position sur certains grands sujets de société. Cette vue statique de la politique ne correspond malheureusement pas à la réalité. L'histoire du monde ne peut être figée sur une photographie, et chaque jour la vie fait surgir une nouvelle question et un nouveau problème à résoudre. Les représentants du peuple vont donc devoir agir et réagir en fonction des nouveaux évènements qui se présentent à eux et sont censés devoir prendre des décisions conformes aux grandes règles qui ont porté leur campagne et les subsumer sous leurs grands principes. Par exemple aucun candidat n'aurait pu énoncer une promesse comme "je n'invoquerai pas l'Etat d'urgence en cas d'attentat massif à Paris", fait imprévisible. Le mandat impératif ne serait alors d'aucune utilité. Notre système électif se base donc sur la confiance dans les décisions imprévues que devra prendre l'exécutif et prévoit de le contrôler par les assemblées. Le contrôle est assuré par la chambre des députés qui, si elle estime que le gouvernement a failli, peut le révoquer au moyen d'une motion de censure à la demande de 1/10e des députés. Mais que se passe-t-il quand le peuple ne s'estime plus représenté par ses députés dans le temps de la législature? Il reste alors les corps intermédiaires, associations, syndicats etc... et les mouvements sociaux pour manifester son désaccord ou ses aspirations,  et cela permet une respiration démocratique bienvenue en dehors des procédures électives formelles. Mais la respiration ne doit pas devenir un halètement, lorsqu'une chambre est élue à une courte majorité, la moitié du peuple va rester dans l'opposition, il suffit que la majorité doute pour encourager l'instabilité sociale . Pour assurer une stabilité minimale aux gouvernants, l'opposition doit légalement ronger son frein pendant cinq ans pour attendre les prochaines législatives. Sans ce délai nous risquerions d'assister à des renversements permanents rendant impossible l'application de toute politique. Voilà pour la Constitution.



Si les mouvements sociaux veulent imposer malgré tout leur volonté contre les actions du gouvernement, sans attendre les échéances électives, soit le pouvoir finit par céder et légifère, soit il reste ferme et risque l'envenimement ou la guerre civile. Mais on conçoit bien que lorsque l'opposition représente la moitié du peuple, le pouvoir ne peut céder à toute injonction de l'opposition dans la rue, quitte à renier le mandat qu'a donné la majorité. Mais d'autres cas de figures peuvent advenir, par exemple celui où une fraction du peuple appartenant à la majorité s'oppose à l'exécutif. Les représentants de l'exécutif font alors face à une partie du peuple qui a voté pour eux. Mais le président élu représente l'ensemble du peuple, il ne peut non plus céder automatiquement aux manifestants censés être dans son camp. Dans ce cas de figure la motion de censure, votée par une majorité de députés, devrait pouvoir renverser le gouvernement si besoin est. Mais les députés majoritaires peuvent décider de ne pas censurer le gouvernement, ce qui renforce l'instabilité. Les manifestants ne sont jamais en mesure de garantir qu'ils représentent le peuple, aussi nombreux soient-ils, mais ils peuvent aller jusqu'à ne plus reconnaître les institutions, la constitution, et opter pour la révolution par la force... ou bien rentrer chez eux dépités, pleins de ressentiment et réagir aux prochaines élections en votant pour un autre camp ou en désertant les urnes. En résumé, un gouvernement ne peut  céder systématiquement aux mouvements sociaux sous peine de n'être qu'une girouette cédant au moindre souffle, ce qui engendre, contre tout pouvoir, une forte amertume.


Un gouvernement doit avoir comme horizon le bien commun et ne pas être inféodé à un parti ou un intérêt. Un mouvement social n'est pas tenu par ce but, aussi souvent cherche-t-il l'intérêt d'une catégorie, d'une branche professionnelle, d'un groupe, qui souvent ne représentent pas l'intérêt général. Nous voyons fréquemment des mouvements sociaux défendant les intérêts d'une corporation : taxis, VTC, agriculteurs, pêcheurs, pilotes, cheminots, éboueurs etc... qui se dressent contre une modification de leur statut, contre la loi ou un projet de loi. Qui bloquant un jour l'accès aux aéroports, qui arrêtant le trafic sur une autoroute, qui stoppant le trafic aérien, qui arrêtant la distribution de carburant etc...Celui qui pense vivre une injustice incrimine de nos jours en premier lieu l'Etat, et oublie que son sort provient souvent, non de causes purement politiques, mais de la concurrence économique globale , de la raréfaction des ressources naturelles, ou de la dette de l'Etat. Effectivement l'Etat, comme agent régulateur de l'économie, a un rôle à jouer. Les mouvements les plus radicaux considèrent que l'Etat ne remplit pas ce rôle et accroît les inégalités, peu leur importe la démocratie car ils ont "raison" et cela justifie leur violence. Ils oublient que la démocratie doit rassembler des gens qui croient tous avoir raison, la raison ne suffit pas en politique car il faut aussi l'accord, la concorde. Ils attendent les lendemains qui chantent un peu comme d'autres attendent le paradis, ne veulent pas réformer mais tout reconstruire après le jugement dernier. Ils réagissent conformément à une morale déontologique, dérivée de l'impératif catégorique kantien, ce sont les grands principes sacralisés qui les guident. A l'opposé les ultralibéraux font pression pour que l'exécutif ne freine pas le déroulement "naturel" de l'économie, par des mesures contre les inégalités qui seraient autant de handicap en situation de concurrence mondiale acharnée. Pour eux la politique doit être réduite à la portion congrue, la vie se résume au dicton darwinien "Struggle for Life", adapte toi ou meurs, le plus fort gagne. Nietzsche les inspire, ce qui provient d'eux est bon, ce qui est faible est mauvais et doit être dominé, doit alimenter leur énergie. Ils conquièrent le monde, leur puissance le façonne. Un pouvoir social démocrate se trouve donc entre le marteau et l'enclume, sa morale utilitariste du Bien pour le  plus grand nombre exposée d'un côté aux critiques de ceux qui valorisent une éthique de conviction et ne veulent pas réformer au nom des principes souvent hérités de Marx pour qui "la violence est la sage femme de l'Histoire", de l'autre à celles des prédateurs pour qui le monde appartient aux puissants, qui prescrivent eux- mêmes ce que doit être la morale. Les deux critiquent l'Etat, qui n'apparaît toujours au service que de l'autre camp.

Beaucoup vivent dans l'illusion qu'un exécutif devrait pouvoir donner satisfaction à tout le monde, que l'Etat est l'ennemi, que le réel n'est pas si complexe, que la solution à tous les problèmes est à portée de main. Seuls ceux qui jettent le voile de maya sur la réalité, qui vont toujours dans le sens du peuple ou des manifestants, attisent les peurs et dissolvent les difficultés dans les slogans simplistes ont la chance d'obtenir finalement son appui et de capter leurs espérances, on les appelle les populistes...et ils sont précurseurs de plus grands troubles encore. Voici ce que déclarait Alexander Hamilton, premier secrétaire d'état au trésor des états-unis, créateur du parti fédéraliste :
" Je sais, disait-il, qu’il y a des gens près desquels le pouvoir exécutif ne saurait mieux se recommander qu’en se pliant avec servilité aux désirs du peuple ou de la législature ; mais ceux- me paraissent posséder des notions bien grossières sur l’objet de tout gouvernement, ainsi que sur les vrais moyens de produire la prospérité publique.
Que les opinions du peuple, quand elles sont raisonnées et mûries, dirigent la conduite de ceux auxquels il confie ses affaires, c’est ce qui résulte de l’établissement d’une constitution républicaine ; mais les principes républicains n’exigent point qu’on se laisse emporter au moindre vent des passions populaires, ni qu’on se hâte d’obéir à toutes les impulsions momentanée ; que la multitude peut recevoir par la main artificieuse des hommes qui flattent ses préjugés pour trahir ses intérêts. Le peuple ne veut, le plus ordinairement, qu’arriver au bien public, ceci est vrai ; mais il se trompe souvent en le cherchant. Si on venait lui dire qu’il juge toujours sainement les moyens à employer pour produire la prospérité nationale, son bon sens lui ferait mépriser de pareilles flatteries ; car il a appris par expérience qu’il lui est arrivé quelquefois de se tromper ; et ce dont on doit s’étonner, c’est qu’il ne se trompe pas plus souvent, poursuivi comme il l’est toujours par les ruses des parasites et des sycophantes ; environné par les pièges que lui tendent sans cesse tant d’hommes avides et sans ressources, déçu chaque jour par les artifices de ceux qui possèdent sa confiance sans la mériter, ou qui cherchent plutôt à la posséder qu’à s’en rendre dignes. Lorsque les vrais intérêts du peuple sont contraires à ses désirs, le devoir de tous ceux qu’il a préposés à la garde de ces intérêts est de combattre l’erreur dont il est momentanément la victime, afin de lui donner le temps de se reconnaitre et d’envisager les choses de sang-froid. Et il est arrivé plus d’une fois qu’un peuple, sauvé ainsi des fatales conséquences de ses propres erreurs, s’est plu à élever des monuments de sa reconnaissance aux hommes qui avaient eu le magnanime courage de s’exposer à lui déplaire pour le servir."

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