Hanna Arendt, dans "La crise de la culture", intitule un de ses chapitres : "qu'est ce que l'autorité" ? Pour répondre à cette question, elle remonte non pas à la Grèce antique qui ignorait ce concept, mais à Rome qui le forgea à partir de la fondation de la cité antique. "Le mot "Auctoritas" dérive du verbe augere, 'augmenter' et ce que l'autorité ou ceux qui commandent augmentent constamment: c'est la fondation". L'autorité des vivants provenait de l' héritage des morts, la vie politique romaine reposait sur le caractère sacré de la fondation et sur l'autorité reconnue des anciens qui créèrent la cité.
Mais l'autorité, précise H.Arendt, exclut à la fois la persuasion et la coercition, elle est obéissance acceptée. Comment mener une politique sans autorité ? Platon s'était aperçu que la vérité ne pouvait être atteinte du plus grand nombre. Sans l'aide de la persuasion par la raison pour faire accepter aux citoyens l'action appropriée en politique il fallait donc trouver, pour le dirigeant philosophe, des moyens de coercition , mais sans en passer par la violence. C'est pourquoi, dans "la République", Platon fait appel au fantatisque mythe d'Er, qui introduit les notions de récompenses et de châtiments pour les âmes après qu'elles aient quitté les corps. L'enfer après la mort, et sa peur comme menace, "Les hommes y enduraient dix fois le mal qu'ils avaient fait à n'importe qui" raconte-il, serviront donc de moyen politique à Platon pour forcer l'obéissance ici bas, assurer la domination du roi-philosophe pour qu'il puisse mener les actions appropriées guidées par la raison.
Le christianisme reprit, à partir du Ve siècle, la doctrine de l'enfer, le châtiment éternel et le jugement dernier hérités de Platon. Pendant des siècles, perdant peu à peu l'autorité héritée de Rome, issue de l'évènement fondateur de la résurrection du Christ, l'église pu asseoir sa politique sur la peur du jugement dernier et de la souffrance éternelle. Aujourd'hui ces peurs ont disparu. Pour Hanna Arendt "la conséquence la plus importante de la sécularisation de l'époque moderne est peut être bien l'élimination de la vie publique , avec la religion, du seul élément politique de la religion traditionnelle, la peur de l'enfer".
Derrière cette affirmation, elle sous-entend que la conduite des hommes sur terre était conditionnée en grande partie par le châtiment, par la peur d'une souffrance sans fin après la mort. Mais il faut considérer que ce comportement était également influencé par l'espoir de la récompense, du salut, du paradis, de l'accès à la Civitas Dei. Il n'est qu'à voir les oppositions et les longues discussions à propos de la grâce entre Jansénistes et Jésuites pour savoir s'il l'homme peut acquérir le salut par ses actions. Récompenses et châtiments reposent sur la morale religieuse qui définit ce qui est bien et mal. Quoi qu'il en soit, baser sa vie terrestre en fonction d'une autre vie qui se déroulera après la mort, voilà le véritable levier politique. La question cruciale posée est la suivante: quelles sont les actions qui conduisent au paradis ou en enfer? Qui s'appuie aujourd'hui sur ce levier ?
Pour un islamiste radical, tuer le maximum de mécréants en perdant sa vie en martyr peut amener au bonheur éternel. Ainsi peu importe la vie sur terre, elle doit être abandonnée au profit de la véritable vie au ciel. Dans une organisation comme Daesh, l'autorité religieuse, tirant partie de l'espoir de l'au-delà, se confond avec l'autorité politique et lui confère une puissance formidable. Les nouvelles recrues "prêtent allégeance", autre formule pour reconnaître une autorité. Du point de vue de la raison, faire reposer la politique sur la croyance en l'immortalité de l'âme confine à l'absurdité. La politique a en charge l'organisation de la cité sur terre, pas dans le ciel. Elle suppose que les humains ont une vie rationnelle. Mais d'un point de vue religieux, cette idée retrouve une certaine cohérence : bien que notre passage sur terre soit court, il est déterminant pour notre vie au ciel, il est donc important de se conformer aux commandements de la morale et d'obéir aux dirigeants qui par ailleurs sont des clerc religieux.
Pour un islamiste radical, tuer le maximum de mécréants en perdant sa vie en martyr peut amener au bonheur éternel. Ainsi peu importe la vie sur terre, elle doit être abandonnée au profit de la véritable vie au ciel. Dans une organisation comme Daesh, l'autorité religieuse, tirant partie de l'espoir de l'au-delà, se confond avec l'autorité politique et lui confère une puissance formidable. Les nouvelles recrues "prêtent allégeance", autre formule pour reconnaître une autorité. Du point de vue de la raison, faire reposer la politique sur la croyance en l'immortalité de l'âme confine à l'absurdité. La politique a en charge l'organisation de la cité sur terre, pas dans le ciel. Elle suppose que les humains ont une vie rationnelle. Mais d'un point de vue religieux, cette idée retrouve une certaine cohérence : bien que notre passage sur terre soit court, il est déterminant pour notre vie au ciel, il est donc important de se conformer aux commandements de la morale et d'obéir aux dirigeants qui par ailleurs sont des clerc religieux.
Hanna Arendt décrit la société romaine comme reposant sur trois piliers : la tradition, l'autorité et la religion. La société occidentale ne repose plus sur ce trépied et vacille. Daesh a restauré ces trois tuteurs : la tradition s'appuie sur le califat, l'autorité est celle du chef Al Baghdadi qui refonde un territoire, la religion est la religion musulmane proche du wahhabisme, et ce triptyque illumine le phare qui ramène au bercail nombre de naufragés de la vie. "Religare", qui donna "religion", dit Arendt signifie relier au monde par la croyance au commencement. A l'opposé de Georges Bataille qui déclarait : " Le pur bonheur est dans l’instant", l'idée lointaine du paradis motive tous ses combattants, alors que la peur de l'enfer ne les concerne pas. Le chef charismatique, que Max Weber classait comme une des formes de l'autorité, avec la tradition et le pouvoir légal dans "Economie et société", attire tel l'aimant le fer, les jeunes en désarroi qui cherchent un sens à leur vie, une cause à défendre, des épreuves initiatiques, des rêves de gloire et un combat. Dans ce monde matérialiste désenchanté, où l'individu est atomisé et le futur sombre, où l'avoir semble le seul avenir pour l'être, ils fondent un nouvel espoir collectif dans la religion "des origines" qui leur garantit un au-delà radieux et une nouvelle estime de soi. La haine du mécréant et les passions mortifères reconstruisent une nouvelle fraternité. Ils sont à la recherche d'une tradition perdue et d'une autorité naissante. Devenue sourde et aveugle à la connaissance et au doute leur vitalité libérée se met au service de l'obscurantisme meurtrier.
La critique de l'islam radical ou de l'intégrisme catholique ne doit pas se contenter de pointer les dévoiements par rapport à la religion du plus grand nombre, mais rappeler qu'attiser la croyance en l'immortalité, dévaloriser la vie hic et nunc, peut conduire aux conduites les plus délirantes, les plus meurtrières et suicidaires.
1 commentaire:
Un compromis pourrait donc résider dans une religion où le paradis n'existe pas (néant après la mort) mais où l'enfer existe pour ceux qui commettent de "mauvaises" actions.
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