Pour Descartes, qui a exacerbé le dualisme, le corps ressemble à une marionnette. Il obéit à son chef, l’esprit, qui tire les ficelles. Il tire la cordelette de la jambe gauche et la jambe gauche se met en action, puis la cordelette de la jambe droite et débute la marche en avant par la simple habileté du marionnettiste. Descartes appréhende le corps comme un ensemble de poulies et de ressorts, une mécanique que seul maîtrise un esprit ingénieux. Un être humain est ainsi composé de deux substances : le corps ( chose étendue) et l’âme ( chose pensante).(1)
Mais pour les Stoïciens, bien avant Descartes, l’être humain est uniquement constitué de matière. Ils conviennent que l’âme existe mais ne lui accordent pas une substance différente du corps : l’âme comme le corps est matérielle, elle est logée dans le cœur avec des ramifications sensitives dans les membres et la tête.
« […] De plus les parties de l’âme s’écoulent à partir de leur siège dans le corps, comme à partir de la source d’une rivière, et s’étendent à travers le corps tout entier [...] » Chrysippe (5)
C’est pourtant bien le souffle divin de l’âme ( pneuma) qui donne vie et anime tout le corps Stoïcien, et son principe directeur ( Hègemonikon) qui donne son assentiment à ses faits et gestes.
Une autre marionnette permettrait d’évoquer une troisième ontologie. Pinocchio doit prétendument son existence de petit garçon à un sculpteur qui lui façonne un corps de bois, matière qui n’évoque pas la vie, bien que tout arbre met en action un bois vivant doté de sève et de feuilles. Et c’est peut être cette dualité du bois : inerte/vivant qui caractérise l’identité de Pinocchio. Car dans cette histoire, la bûche initiale, le morceau de bois qui paraît mort parle déjà avant d’avoir forme humaine, le bois semble être vivant avant même d’être sculpté par Geppetto. Ce garçon de bois n’est de plus pas une véritable marionnette puisque ses mouvements sont autonomes, Pinocchio court allégrement dès le début de l’histoire dans la campagne italienne. Il gagne finalement un vrai corps de chair par un coup de baguette magique de la fée bleue. Cette histoire évoque une matière originelle vivante et transformable, le bois, irrigué par la sève. Mais personne n’aurait l’idée d’appeler « sève » l’âme du bois bien qu’un bois sans sève se réduise à un bois mort. Dans l’hypothèse pinocchieste un corps purement matériel se suffit donc à lui même pour se maintenir vivant et nul besoin, comme la métaphore de la marionnette incite au début à le penser, de le doter d’un esprit ou d’une âme.
Si tant de siècles ont propagé l’idée d’une âme ou d’un esprit substantiel la faute en revient certainement à ce qu’on a nommé la conscience.
La Conscience
La conscience, dont le mot apparaît dans l’ouvrage de Locke(1) en 1694, c’est à dire après Descartes mort en 1650, est difficile à cerner. Elle reflète l’état et les pensées du corps par une sorte de mise à distance. Mais si elle est trompeuse, comme nous le verrons, elle concède que parfois les choses se produisent indépendamment de sa volonté : « j’ai sommeil, j’ai mal, j’ai faim, j’ai envie» sont des informations qui proviennent indubitablement du corps qui les inspire malgré le JE que s’arroge la conscience. Le dualisme cartésien nous fait croire que la conscience ( ou l’esprit) serait un objet indépendant et surplombant. Or il est possible, et plus raisonnable, de concevoir le contraire. La conscience, comme toute les manifestations d’un humain vivant, provient du corps. Le corps lui donne vie et la pilote. Mais elle n’est qu’une petite fenêtre de cette grande maison et ne permet de voir qu’une partie du paysage ( le monde) et presque rien de l’intérieur ( le corps). Autrement dit la marionnette c’est la conscience, elle ne reçoit que quelques indications de la machine ultra complexe sous-jacente pilotée par un réseau de neurones, qui tire les ficelles. Mieux, la conscience c’est le corps. Cette petite musique dans la tête ne vient pas d’ailleurs. Mais c’est le corps parlant, le haut de la pyramide qui ne tiendrait pas sans tout le reste. Des millions de processus silencieux adviennent que la conscience ignore, elle est bernée à tout bout de champ : si je pense « il faut respirer profondément », nul doute que c’est mon corps fonctionnant qui envoie cette pensée à la conscience et non l’inverse (la conscience qui donnerait un ordre à mes poumons).
Bien sûr si l’on enlève, par chirurgie, des membres ( bras, jambes) et des organes d’un corps humain ( vésicule, rate, prostate, utérus, etc.) il est toujours capable de fonctionner. Mais pas si la tête est coupée. Il y a donc , comme l’évoquaient les Stoïciens avec l’Hègemonikon une instance matérielle vitale et directrice logée dans la tête : le cerveau. Mais la conscience n’est que la capacité sensitive du cerveau et non son tuteur. Elle provient de la simple matière, qui est première, devenant vivante tout comme Pinocchio.
Comme dit Spinoza :« Nul ne sait ce que peut le corps»(3). Pendant le sommeil la conscience disparaît, alors que le corps continue de fonctionner. Lors de gestes habituels qui ne demandent pas d’attention, elle n’est pas sollicitée, le corps ne voit pas de nécessité de l’informer, il est ainsi possible de conduire sa voiture tout en rêvassant. Les somnambules peuvent réaliser des parcours complexes, sans conscience. Altérer le corps, par exemple par l’alcool, c’est altérer la conscience qui en est une émanation. Si l’on nomme conscience le processus du corps qui informe des évènements intérieurs ou extérieurs alors l’amibe a une conscience(6).
Mais la conscience humaine se défend de tout cela et prétend absolument régner grâce à un allié de poids : le langage. En réalité la conscience n’existe que comme état (on est conscient ou non), et pas comme une entité. Les abstractions, les mots, les concepts sont-ils des êtres ? Existent-ils vraiment ? Petit détour par une question relative à l’existence des catégories, des classes, des espèces et des genres.
La controverse des Universaux
Un cheval, nommé « tempête » devant moi indubitablement existe, mais existe-t-il une espèce « Cheval » ? untel, mettons Thomas Pesquet, existe mais existe-t-il une espèce « Homme » dans la réalité ? Le genre, l’espèce, ne sont-ils que des inventions commodes du langage pour invoquer les objets qui se ressemblent ou bien sont-ils des êtres réels? Voilà le problème posé dans la « querelle des universaux » dont Aristote fut l’origine et qui se développa au Moyen âge.
Aristote, dans son « Ethique » , critique Platon et sa théorie des Idées. Ce dernier prétend que les Idées existent dans un monde séparé du monde sensible et que les choses n’en sont que de pâles copies : Une table « participe » de l’idée « table » en tant qu’elle en provient. Le monde des Idées plane au dessus du monde vulgaire des objets sensibles. Aristote s’inscrit en faux contre cette théorie. Alors qu’il cherche, dans son Ethique, à déterminer ce qu’est le Bien il révoque la pensée platonicienne d’un « Bien en soi », dont tous les biens ici-bas participeraient. En effet pour Aristote il n’y a pas un Bien mais des biens : le bien de la médecine c’est la santé, le bien de la stratégie c’est la victoire etc. ( Pour Aristote « bien » égale vertu ou fin). Autrement dit Platon adopte une approche « réaliste » du concept de « Bien », c’est à dire qu’il existe vraiment une Idée « Bien » dans un monde éthéré mais bien réel, alors qu’Aristote affirme une approche « nominaliste » : pour lui « le Bien » est un mot ou un concept qui se décline dans plusieurs instances particulières. La controverse antique s’élargit par la suite à tout « universel », genre ou espèce : les « universaux » existent-ils ou seulement les choses particulières qu’ils évoquent ? Examinons les trois postures possibles dans cette dispute.
Le nominalisme
Seul tel ou tel chien individuel existe dans la réalité. L’espèce « Chien » n’est qu’un simple mot, un son.
Bien sûr si l’on enlève, par chirurgie, des membres ( bras, jambes) et des organes d’un corps humain ( vésicule, rate, prostate, utérus, etc.) il est toujours capable de fonctionner. Mais pas si la tête est coupée. Il y a donc , comme l’évoquaient les Stoïciens avec l’Hègemonikon une instance matérielle vitale et directrice logée dans la tête : le cerveau. Mais la conscience n’est que la capacité sensitive du cerveau et non son tuteur. Elle provient de la simple matière, qui est première, devenant vivante tout comme Pinocchio.
Comme dit Spinoza :« Nul ne sait ce que peut le corps»(3). Pendant le sommeil la conscience disparaît, alors que le corps continue de fonctionner. Lors de gestes habituels qui ne demandent pas d’attention, elle n’est pas sollicitée, le corps ne voit pas de nécessité de l’informer, il est ainsi possible de conduire sa voiture tout en rêvassant. Les somnambules peuvent réaliser des parcours complexes, sans conscience. Altérer le corps, par exemple par l’alcool, c’est altérer la conscience qui en est une émanation. Si l’on nomme conscience le processus du corps qui informe des évènements intérieurs ou extérieurs alors l’amibe a une conscience(6).
Mais la conscience humaine se défend de tout cela et prétend absolument régner grâce à un allié de poids : le langage. En réalité la conscience n’existe que comme état (on est conscient ou non), et pas comme une entité. Les abstractions, les mots, les concepts sont-ils des êtres ? Existent-ils vraiment ? Petit détour par une question relative à l’existence des catégories, des classes, des espèces et des genres.
La controverse des Universaux
Un cheval, nommé « tempête » devant moi indubitablement existe, mais existe-t-il une espèce « Cheval » ? untel, mettons Thomas Pesquet, existe mais existe-t-il une espèce « Homme » dans la réalité ? Le genre, l’espèce, ne sont-ils que des inventions commodes du langage pour invoquer les objets qui se ressemblent ou bien sont-ils des êtres réels? Voilà le problème posé dans la « querelle des universaux » dont Aristote fut l’origine et qui se développa au Moyen âge.
Aristote, dans son « Ethique » , critique Platon et sa théorie des Idées. Ce dernier prétend que les Idées existent dans un monde séparé du monde sensible et que les choses n’en sont que de pâles copies : Une table « participe » de l’idée « table » en tant qu’elle en provient. Le monde des Idées plane au dessus du monde vulgaire des objets sensibles. Aristote s’inscrit en faux contre cette théorie. Alors qu’il cherche, dans son Ethique, à déterminer ce qu’est le Bien il révoque la pensée platonicienne d’un « Bien en soi », dont tous les biens ici-bas participeraient. En effet pour Aristote il n’y a pas un Bien mais des biens : le bien de la médecine c’est la santé, le bien de la stratégie c’est la victoire etc. ( Pour Aristote « bien » égale vertu ou fin). Autrement dit Platon adopte une approche « réaliste » du concept de « Bien », c’est à dire qu’il existe vraiment une Idée « Bien » dans un monde éthéré mais bien réel, alors qu’Aristote affirme une approche « nominaliste » : pour lui « le Bien » est un mot ou un concept qui se décline dans plusieurs instances particulières. La controverse antique s’élargit par la suite à tout « universel », genre ou espèce : les « universaux » existent-ils ou seulement les choses particulières qu’ils évoquent ? Examinons les trois postures possibles dans cette dispute.
Le nominalisme
Seul tel ou tel chien individuel existe dans la réalité. L’espèce « Chien » n’est qu’un simple mot, un son.
Le conceptualisme
L’espèce « Chien » est un concept créé par l’esprit, une classification ( animal à quatre pattes, museau, crocs, poils etc.) purement humaine, une catégorie déclinée dans le langage pour nommer ce qui est commun à tous les chiens particuliers. Mais un tel concept n’a aucune existence hormis dans un cerveau.
Le réalisme
Le réalisme
Si on qualifie de «chien» ces deux animaux A et B devant moi il faut bien le justifier. A savoir qu’ils ont des caractéristiques en commun. Ces caractéristiques, ces propriétés, elles existent comme « communes » et déterminent ce qui correspond à un chien. Mais si elles existent alors il ne s’agit pas que d’un nom, quelque chose dans la réalité s’affirme qui correspond à l’idée ou au concept de chien, qui entraîne au développement et au comportement de chien, indépendamment de la présence des humains et de leur capacité langagière. Si on veut rendre compte de l’identité de nature entre les chiens il faut bien admettre que le concept de « Chien » reflète une réalité tangible, une essence.
Autrement dit le nominalisme n’admet que des existences particulières tandis que le réalisme y ajoute des concepts universels, des essences qui définissent le particulier. Le concept de chien n’aboie pas mais mais que serait un chien sans les attributs de son espèce ?
Au moyen âge Thomas d’Aquin défend l’idée que les universaux résident en Dieu, qu’ils président à toute création alors que Guillaume d’Ockham ne reconnaît comme existant que des choses particulières. Pour lui les termes généraux, genre ou espèce, n’ont aucune existence réelle. La théologie officielle de l’époque ne pouvait admettre une ontologie dans laquelle Dieu n’aurait pas créé les essences de toutes choses, Ockham fut accusé d’hérésie.
Bien plus tard dans les années 1920 a lieu en philosophie un « tournant linguistique » par lequel l’analyse du langage devient primordiale pour élucider des problèmes philosophiques. La philosophie analytique ( Frege, Russel, Wittgenstein,...) va alors s’opposer à la « philosophie de l’esprit » ( Hegel, Heidegger,...). Wittgenstein ira même jusqu’à dire :
Au moyen âge Thomas d’Aquin défend l’idée que les universaux résident en Dieu, qu’ils président à toute création alors que Guillaume d’Ockham ne reconnaît comme existant que des choses particulières. Pour lui les termes généraux, genre ou espèce, n’ont aucune existence réelle. La théologie officielle de l’époque ne pouvait admettre une ontologie dans laquelle Dieu n’aurait pas créé les essences de toutes choses, Ockham fut accusé d’hérésie.
Bien plus tard dans les années 1920 a lieu en philosophie un « tournant linguistique » par lequel l’analyse du langage devient primordiale pour élucider des problèmes philosophiques. La philosophie analytique ( Frege, Russel, Wittgenstein,...) va alors s’opposer à la « philosophie de l’esprit » ( Hegel, Heidegger,...). Wittgenstein ira même jusqu’à dire :
« Ce dont on ne peut parler il faut le taire.»(7)
En 1947 dans l’article “steps towards a constructive nominalism” Quine et Goodman débutent par cette phrase : “Nous ne croyons pas aux entités abstraites”. Différents mouvements vont étudier comment le langage pourrait coller plus précisément à la réalité empirique.
Le positivisme logique ( ou empirisme logique)
Le positivisme logique ( ou empirisme logique)
Le positivisme est un mouvement dont Auguste Comte est le fondateur. La métaphysique prétend penser « au delà » de la physique et discourir sur Dieu, l’Être ou le monde. La science au contraire ne veut sélectionner que des théories qui vérifient leurs preuves à travers l’expérience. Comte formule la lois des trois états par lesquels est passée l’humanité( théologique, métaphysique, scientifique). Il considère dépassé l’âge de la métaphysique et déclare l’avènement de l’âge scientifique.
De 1920 à 1930 se regroupent à Vienne autour de Moritz Schlick un ensemble de scientifiques et philosophes réputés ( Gödel, Carnap, Neurath, etc :le cercle de Vienne). Ils veulent comme Comte venir à bout de la métaphysique et trouver des critères de démarcation pour établir ce que seraient de véritables propositions scientifiques (dénuées de présupposés métaphysiques) par rapport aux propositions pseudo scientifiques. Pour cela un travail sur le langage est nécessaire pour reconnaître les propositions réellement dotées de sens, se rapprocher de l’empirisme pur, et se débarrasser des croyances et des spéculations. Il s’agit d’analyser le langage en le passant au crible de la logique pour que les théories de la science soient réductibles dans des énoncés de bases finalement toujours vérifiables empiriquement. Russel et Whitehead qui ont publié en 1913 « Principia Mathematica », la bible de la logique moderne, ainsi que Wittgenstein ( Tractatus logico-philosophicus) ont fortement influencé la naissance de ce mouvement.
Pour eux la science et ses propositions ( ses théories et les faits observés) nécessitent un formalisme logique et un rapport le plus fort possible avec la réalité, donc tout le contraire de la métaphysique et de ses formules empoulées et parfois difficilement compréhensibles. Wittgenstein dira même qu’elles n’ont aucun sens. On peut en prendre la mesure avec cet extrait de « Etre et temps » de Heiddegger :
De 1920 à 1930 se regroupent à Vienne autour de Moritz Schlick un ensemble de scientifiques et philosophes réputés ( Gödel, Carnap, Neurath, etc :le cercle de Vienne). Ils veulent comme Comte venir à bout de la métaphysique et trouver des critères de démarcation pour établir ce que seraient de véritables propositions scientifiques (dénuées de présupposés métaphysiques) par rapport aux propositions pseudo scientifiques. Pour cela un travail sur le langage est nécessaire pour reconnaître les propositions réellement dotées de sens, se rapprocher de l’empirisme pur, et se débarrasser des croyances et des spéculations. Il s’agit d’analyser le langage en le passant au crible de la logique pour que les théories de la science soient réductibles dans des énoncés de bases finalement toujours vérifiables empiriquement. Russel et Whitehead qui ont publié en 1913 « Principia Mathematica », la bible de la logique moderne, ainsi que Wittgenstein ( Tractatus logico-philosophicus) ont fortement influencé la naissance de ce mouvement.
Pour eux la science et ses propositions ( ses théories et les faits observés) nécessitent un formalisme logique et un rapport le plus fort possible avec la réalité, donc tout le contraire de la métaphysique et de ses formules empoulées et parfois difficilement compréhensibles. Wittgenstein dira même qu’elles n’ont aucun sens. On peut en prendre la mesure avec cet extrait de « Etre et temps » de Heiddegger :
« La "présupposition" de l’être a le caractère d’une prise préalable de perspective sur l’être, de telle manière qu’à partir de cette perspective l’étant prédonné soit provisoirement articulé en son être . »
Un langage au-delà de la science
Mais ces auteurs ne considèrent la science que comme le seul usage utile du langage. Or il va sans dire que c’est un peu court. Une langue sert à communiquer, certes des états du monde, mais aussi de l’imaginaire, de la poésie, de l’espoir, des vues sur le futur, des sentiments, des ordres, des conseils, bref bien au-delà de la science. Autrement dit jamais un scientifique n’observera une espèce en tant que telle, ni au téléscope ni au microscope, même électronique. Car le langage ne transmet jamais la réalité mais des représentations de la réalité. Classes, catégories, ou espèces sont des représentations humaines qui correspondent à la façon dont nous assimilons le monde et sa diversité. Se demander si elles existent c’est poser similairement la question de notre propre existence. Car il s’agit de nous, de la réalité, mais aussi du rapport que nous entretenons avec elle. Voit-on ou entend-t-on jamais un animal ? Non car il s’agit d’un être unique qui brâme ou aboie dans les bois. Il n’est qualifié d’animal que parce que notre langage permet d’évoquer ses caractéristiques même sans le voir ou l’entendre. Le langage permet de parler des choses en leur absence et de généraliser.
Et l’esprit ?
Il y a un monde entre nos représentations et la réalité. Par exemple le mot être. Être est polysémique. Une chose EST et existe dans le monde physique, mais mon imagination existe aussi sans qu’il soit possible de dire que c’est un être. Ainsi les classes et les catégories, elle existent pour nous, mais n’ont aucune existence physique. Chacun comprend ce que veut dire « esprit », il est possible « d’avoir de l’esprit » en plus d’avoir un esprit, pourtant aucun esprit n’existe en tant que tel. La conscience, comme le toucher, la vue ou l’odorat est ressentie. Tout comme les cinq sens elle possède une localisation physiologique ( le cerveau), mais prétendre à son existence comme être ou comme substance est une tromperie du langage qui objective la conscience .
Nos représentations, dont nous pouvons parler et que nous pouvons échanger avec d’autres locuteurs, nous font croire qu’elles sont la réalité. Que l’herbe verte est verte ou que nous avons un esprit. Or beaucoup d’animaux ne voient pas les mêmes couleurs que nous. L’herbe est verte, pour NOUS, humains. Sextus Empiricus, un Sceptique du IIe siècle, remarquait :
Nos représentations, dont nous pouvons parler et que nous pouvons échanger avec d’autres locuteurs, nous font croire qu’elles sont la réalité. Que l’herbe verte est verte ou que nous avons un esprit. Or beaucoup d’animaux ne voient pas les mêmes couleurs que nous. L’herbe est verte, pour NOUS, humains. Sextus Empiricus, un Sceptique du IIe siècle, remarquait :
« Chacune des choses apparentes qui nous tombent sous les sens nous paraît diverse, par exemple la pomme est lisse, odorante, douce et jaune ; a-t-elle donc, dans sa réalité, toutes ces qualités, ou a-t-elle une seule qualité ou apparaît-elle diverse selon la constitution des organes sensoriels, ou a-elle encore plus de qualités que celles qui apparaissent, certaines d’entre elles ne tombant pas sous nos sens[...] »(8)
Le feu est chaud pour NOUS. Il s’agit de NOTRE rapport à la réalité. Voici ce qu’en disait John Locke :
« Il n'y a rien comme nos idées qui existerait dans les corps mêmes ; et même si nous décrivons un corps à partir d'une idée, cette idée n'est là qu'un pouvoir de produire en nous cette sensation : ce qui est doux, bleu ou chaud en idée n'est que cette masse, cette figure et ce mouvement particuliers des éléments insensibles du corps même, que nous appelons ainsi. »(9)
Depuis longtemps les philosophes ont donc compris que nous appréhendions la réalité avec notre bagage sensoriel particulier qui donne lieu a des représentations.
Voilà justement la tâche de la science, constater la nature des choses indépendamment de nos spécificités humaines, de les détacher de la subjectivité, objectivation impossible d’ailleurs puisque la science est humaine. Pourtant elle réussit à porter un autre regard sur la réalité : le vert est une longueur d’onde, la chaleur une énergie due à l'agitation de molécule.
Dans le monde physique l’être du langage lui-même, son sens, sa grammaire, n’existent pas, il n’est que sons et claquement de langue, traces d’encre sur le papier, ou pixels allumés sur l’écran. L’esprit, ou la conscience ne sont au final que des impulsions électriques et des messages chimiques entre neurones. L’esprit ou la conscience, tout comme la vue ou le toucher se réduisent au corps, rien qu’au corps, corps qui permet de les ressentir et d’en parler.
« La nature ne lui dissimule-t-elle pas la plupart des choses, même sur son corps, afin de le cantonner et de l’enfermer dans une conscience fière et illusoire, à l’égard des circonvolutions de ses intestins, de la circulation rapide du sang dans ses veines, des excitations complexes de ses fibres ? Elle a jeté la clef : et malheur à la curiosité angoissée qui par une fente, serait en mesure de sortir de cette chambre de la conscience pour regarder au dehors et vers le bas, et qui pourrait alors ressentir que l’homme repose sur ce qui est impitoyable, avide, insatiable, qu’il est indifférent à sa propre ignorance, et suspendu à ses rêves, en quelque sorte sur le dos d’un tigre. »
Friedrich Nietzsche(10)
(1) René Descartes. Méditations Philosophiques.
(2) John Locke. An Essay concerning Human Understanding II, xxvii, Of Identity and Diversity.
(3) Baruch Spinoza. Éthique III, 2, S.
(4) Aristote. Ethique à Nicomaque.
(5) Long et Segley. Les philosophes héllenistiques II. Les Stoïciens 53, G
(6) Raymond Ruyer. Néofinalisme
(7) Ludwig Wittgenstein. Tractus logico-philosophicus, proposition 7
(8) Sextus Empiricus. Esquisses Pyrrhoniennes. L I, 14, 95.
(9) John Locke, ibid II,27,22
(10)Nietzsche. Vérité et Mensonge au sens extra-moral.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire