lundi 4 mai 2020

Le risque



Après le déconfinement la question du risque de contamination revient au premier plan alors que les français reprennent bientôt le travail et que leurs enfants peuvent reprendre l'école.
A cet égard, le bilan des professions de santé, le plus lourd, effraie. Comment pouvons nous estimer le risque de reprise d'activité par profession? Par quels critères ?

Les professions de santé 

En France au 21 Avril, 9 médecins sont morts du coronavirus. Des infirmières, cadres de santé, aide-soignants et agents hospitaliers sont aussi décédés.  Comme le relève le Monde connaître le nombre de décès de soignants relève du "parcours du combattant", à la date du 12 Avril l'APHP dénombre 3800 professionnels de santé qui "ont été ou sont atteints" par la maladie. Il faut au moins doubler ce nombre pour avoir une idée de la totalité : selon le Figaro du 10 Avril, Santé Publique France rapporte 6019 cas dans les professions de santé . A l'étranger les nombres sont tout aussi difficiles à trouver, selon le Huffington Post du 25 Mars, 24 médecins seraient morts en Italie.
Par définition ce risque accru existe pour ces métiers par la confrontation directe et proche avec les malades du Covid-19. Mais quels risques doivent affronter les autres professions si elles reprennent le travail ? La question du risque devient cruciale à un moment de bascule où les conséquences du confinement sur l'économie dépassent celles de l'atteinte du virus sur les corps. Le risque dépend de la létalité ( case-fatality ratio), de la sévérité de la maladie lorsqu'elle n'est pas létale, et du taux de reproduction de la maladie le R0, c'est à dire à quelle vitesse elle se propage.

La létalité

Celui que nous voulons tous éviter, le risque mortel, reste très difficile à évaluer. Il dépend du taux de létalité, résultat d'une division: au numérateur le nombre de personnes décédées à cause du coronavirus  et au dénominateur  le nombre de personnes qui ont été infectées. Seuls les experts, les épidémiologistes peuvent déterminer à bon droit la létalité. Mais ni le numérateur, ni le dénominateur ne sont connus aujourd'hui exactement. Nous connaissons en France assez bien le nombre de morts par Covid-19,  mais pas le nombre de ceux qui ont été infectées: les personnes sans symptômes ( toux, fièvre etc.) dites asymptomatiques ne sont pas testées et ne sont pas dans leur grande majorité pas connues et donc pas dénombrées. Le dénominateur, le nombre de personnes testées, est donc sous-évalué ce qui augmente le taux apparent de létalité. Pour ceux qui ont des difficultés avec les fractions, un exemple imaginaire chiffré le fait comprendre:
- nombre de personnes décédées: 10
- nombre de personnes infectées( testées) : 100
- taux de létalité : 10/100 *100= 10%
Cela signifie donc que 10% des personnes infectées vont mourir.
Si en réalité le nombre de personnes qui ont été infectées par le virus est le double ( simple hypothèse), parce qu'on y ajoute les asymptomatiques non testés qui ne meurent pas, alors le taux de létalité est deux fois moindre  :
- nombre de personnes décédées: 10
- nombre de personnes infectées
( testées+asymptomatiques) : 100+100 = 200
- taux de létalité : 10/200 * 100= 5%

 Ainsi plus il y a d'asymptomatiques non connus ( non testés) et plus le taux de létalité diminue. Cela fait comprendre que dans les pays où le test est répandu massivement le taux de létalité doit être plus faible ( à démographie comparable), mais aussi qu'on ne connaîtra réellement ce taux qu'à la fin de la pandémie. D'après l'université John Hopkins qui agrège les statistiques du monde entier ce taux varie actuellement entre 0.5% et 15%, et variera encore. 
Or la peur de ce virus est directement liée au taux de létalité. Si vous attrapez la maladie et que le taux de létalité monte à 100% vous pouvez être terrorisé par la mort certaine, mais s'il est de 0.1 % vous pouvez voir l'avenir avec plus de sérénité.
 D'autres critères interviennent qui augmentent ou diminuent le taux de létalité et le risque:

- le système de santé
- la pyramide des âges

Malgré les critiques, il vaut mieux tomber malade en France qu'ailleurs, et être hospitalisé dans notre pays ne conduit pas à un risque supplémentaire comparé à d'autre pays.  En revanche la létalité est fonction de la démographie. Un pays plus âgé pourra donc présenter une létalité plus élevée. 
Le Dr Fauci, spécialiste des maladies infectieuses aux Etats-Unis, dans un article du 26 Mars du "New England journal of medecine" estime la létalité moyenne réelle dans le monde probablement entre 1 et 2% .
Considérons maintenant la mortalité due au Covid-19 par tranche d'âge.

La mortalité


La définition du taux de mortalité par Covid-19 peut varier selon qu'on le rapporte à la population d'un pays entier, à un sous-ensemble ( celui des malades hospitalisé par exemple) ou bien qu'on le segmente par tranche d'âge.
  Considérons les tranches d'âges. Le taux de mortalité sera défini par le nombre de morts dans une tranche d'âge divisé par le nombre de morts total. La mortalité affecte considérablement plus les sujets les plus âgés, 80% des victimes en France  du Sars-Co V2 ont plus de 70 ans .  Il faut bien comprendre que le taux de mortalité défini ainsi est un rapport où n'intervient que des  morts au numérateur et au dénominateur, alors que la létalité est caractérisée par une comparaison entre les morts et les infectés.
La tranche d'âge 60 à 69 ans représente 12% de la mortalité due au coronavirus, les 50 à 59 comptent pour 5%, 40 à 49 pour 2%, le 20 à 39 à 2%. Les morts parmi la classe d'âge qui travaille (de 20 à 62 ans) représente environ 20% du total. Il s'agit bien de pourcentage parmi tout ceux qui sont morts du Covid et non de pourcentage rapporté à la population totale bien heureusement. Si les séniors meurent plus, relativement, c'est que le virus est plus dangereux pour leur organisme. Mais ils meurent plus aussi, en absolu, car dans les EHPAD  ils habitent ensemble et se contaminent.
Si nous croisons la mortalité par âge avec la létalité, estimée  à 2% par Fauci, les morts des contaminés de la classe d'âge qui travaille,  représenteraient donc relativement au nombre total des contaminés , un taux de 2% x 20% soit 4/1000. Notons bien que ces 1000 ne sont pas ceux qui travaillent mais, parmi ceux qui travaillent, ceux qui âgés de 20 à 62 ans sont contaminés, dont on ne peut en réalité connaître le nombre absolu par avance.
Mais là encore, il s'agit d'une approximation concernant le monde du travail à partir de l'âge, le chiffre doit être apprécié en fonction de  la pyramide d'âge dans chaque profession et du risque de contagion spécifique à chaque profession. Si l'on confine ensemble des gens du même âge il est évident qu'il y a un effet de stratification, comme dans les EHPAD.

 Les enseignants

En France dans le premier et le second degré public les enseignants en 2017 sont au nombre de 736 997.
Dans le second degré en 2010 8% des enseignants ont plus de 60 ans et 19% sont entre 50 et 60 ans. Nous focaliserons notre intérêt sur ces populations les plus à risque. Soit pour ces deux groupes, si les pourcentages n'ont pas changé depuis 2010, un total absolu de

 736997 x (8+19) /100 = 198989

Comme nous l'avons vu les plus de 60ans sont dans la tranche d'âge des 12% de mortalité due au virus, alors que les 50-59 sont la tranche des 5%, mais évidemment on ne meurt, possiblement, que si on est contaminé. Il faut donc de nouveau croiser la mortalité avec la létalité. On suppose que la létalité chez les enseignants est similaire au reste de la population. La létalité nous donne le taux de morts potentiel, et parmi celui-ci nous cherchons celui d'une catégorie d'âge spécifique. Chez les enseignants, comme dans la population, pour ces deux tranches les plus affectées (12+5=17% ) on obtient théoriquement alors: 2% x 17% = 3,4/1000. Ce qui rapporté au chiffre absolu, en assumant que tous dans ces tranches soient contaminés, cela donne: 

198989 x 3,4/1000 = 676

Un chiffre énorme. Mais ce chiffre ne donne que le nombre de morts potentiels si tous sont contaminés, sans protection particulière ni gestes barrières, avec lesquels on peut diminuer justement drastiquement la contamination . Si on ne contrôle pas la létalité du virus, tant qu'on a pas de vaccins ni de médicaments efficaces, il est en revanche possible de contrôler la contamination donc la mortalité.
A titre indicatif et  arbitraire si on projette un ratio de contamination d'une classe sur trois, et une contamination dans ces classes de seulement un enseignant sur trois , grâce aux masques dans ces écoles atteintes, alors le taux précédemment calculé pour cette classe d'âge devient :

2%x17%x 1/3x 1/3 = 0.37 / 1000 
 soit en absolu
198989 x 0.56 / 1000 = 73

Evidemment si la létalité se révèle égale à 1% au lieu de 2 ce chiffre diminuera de moitié.
Ce qui représente tout de même une quantité considérable de morts potentiels, mais moins d' un par département, parmi les enseignants d'un âge supérieur à 50 ans. Mais en même temps il révèle une probabilité faible de décès par rapport au nombre d'enseignants.

La transmission à l'école

Il reste une grande inconnue: alors qu'au début de l'épidémie les enfants étaient réputés comme étants de grands transmetteurs de la maladie, aujourd'hui cette analyse semble remise en question. En particulier par une étude du Lancet qui montre que les taux de contamination des 5-14 ans sont très faibles.



Préserver

Comment alors préserver les populations d'enseignants dans cette incertitude? Mettre de côté 17% des enseignants n'est pas envisageable dans le système éducatif vu le nombre déjà élevé d'élèves par classe qu'il faut de plus restreindre à cause de la distanciation. Il faut alors pouvoir diminuer les chiffres des hypothèses ci-dessus et faire en sorte que bien moins d'écoles voient un début de contamination survenir, et fermer l'école dès la détection d'un positif. Cela  implique de tester les symptomatiques, puis de tester systématiquement tous les autres élèves de l'école avant de réouvrir.  Il faut aussi rendre très difficile la possibilité de contamination d'un enseignant en classe. Non seulement pour les préserver du décès mais aussi parce que cette maladie, encore mal connue, peut laisser des séquelles. La fourniture de masques efficaces, de visières transparentes et de gants semble un moyen efficace de les préserver, ainsi que la distanciation physique en classe ou dans les couloirs. Des plans de circulation, comme l'entrée et la sortie des élèves séparément de l'enseignant devraient aussi être mis en place. On comprend que dans cet environnement incertain une reprise progressive, peut être par département pourrait être riche d'indications utiles.

 











dimanche 3 mai 2020

Servitude et confinement

Nous sommes tous confinés, obligés par la loi, mais nous l'étions jusqu'ici , en ce qui concerne la majorité d'entre nous,   volontairement. Or nous pouvons nous demander à quelles conditions le confinement peut rester longtemps en place. Pour cela il n'est pas inutile de se remémorer le fameux  "Discours de la servitude volontaire", d'Etienne de la Boétie.
 
"Pas besoin que le pays se mette en peine de faire rien pour soi, pourvu qu’il ne fasse rien contre soi. Ce sont donc les peuples eux-mêmes qui se laissent, ou plutôt qui se font malmener, puisqu’ils en seraient quittes en cessant de servir. C’est le peuple qui s’asservit et qui se coupe la gorge ; qui, pouvant choisir d’être soumis ou d’être libre, repousse la liberté et prend le joug ; qui consent à son mal, ou plutôt qui le recherche... S’il lui coûtait quelque chose pour recouvrer sa liberté, je ne l’en presserais pas ; même si ce qu’il doit avoir le plus à cœur est de rentrer dans ses droits naturels et, pour ainsi dire, de bête redevenir homme. Mais je n’attends même pas de lui une si grande hardiesse ; j’admets qu’il aime mieux je ne sais quelle assurance de vivre misérablement qu’un espoir douteux de vivre comme il l’entend. Mais quoi ! Si pour avoir la liberté il suffit de la désirer, s’il n’est besoin que d’un simple vouloir, se trouvera-t-il une nation au monde qui croie la payer trop cher en l’acquérant par un simple souhait ? Et qui regretterait sa volonté de recouvrer un bien qu’on devrait racheter au prix du sang, et dont la perte rend à tout homme d’honneur la vie amère et la mort bienfaisante

La Boétie affirme qu'au fond les peuples restent responsables de leur asservissement. Souhaitant leur liberté il leur suffirait de la saisir. La liberté serait un droit naturel dont l'absence transformerait l'homme en bête.  Pourtant il accorde qu'un homme puisse se contenter de "vivre  misérablement", mais simplement parce qu'il doute de pouvoir "vivre comme il l'entend". Or La Boétie au contraire décrit la facilité d'abandonner la servitude comme résultant d'un simple choix. Des hommes nombreux assoiffés de liberté dominent naturellement une minorité qui ne serait motivée que par l'ordre. Sans liberté la vie est "amère et la mort bienfaisante". 
Chacun perçoit aujourd'hui plus intensément le sens de ces propos. Il se trouve que le confinement n'a tenu et n'a persisté de façon efficace que parce que les citoyens ont eu peur d'attraper le Covid-19, pas parce qu'ils ont craint le pouvoir ou les amendes. Le peuple a adhéré à la solution du confinement face au drame inondant et submergeant les hôpitaux et les EHPAD. Outre l'effroi, a joué aussi la compassion face au danger pour les anciens, les "séniors" qui sont aussi nos mères, nos pères, nos grands-peres et grands-mères. Ce fut aussi de l'empathie pour ceux qui souffriraient de cette maladie. Chacun comprenait que son action, ou plutôt son inaction encasernée, évitait au corps social une tragédie.
Depuis, une sorte de balance de la justice habite chacun, à l'image de celle de l'égypte antique qui pèse l'âme des défunts, la psychostasie.  D'un côté  de la balance le coeur du mort, qui doit nier ses crimes et de l'autre côté la plume de Mâat qui symbolise le  jugement qui permettra de passer dans l'autre monde. Comment passerons nous dans l'outremonde , celui du déconfinement? Notre cœur a penché vers le confinement. Mais d'ores et déjà sur les plateaux de la balance, d'un côté se trouvent les morts potentiels du Covid-19 et de l'autre les morts ou les maux des conséquences du confinement. Il faut aujourd'hui ajouter sur ce dernier plateau la difficulté de l'emprisonnement, l'absence de liberté d'agir, l'isolement social, la servitude volontaire. Nous vivons dans des refuges, transformés en bêtes traquées par plus petits que nous. Nous voilà revenus à La Boétie.
Alors que l'horizon s'éclaircit,  nous allons enfin trouver le courage d'affronter ce virus le 11 Mai, à l'aide de nos accessoires un peu ridicule pour guerroyer avec l’infiniment petit: des masques et du gel. Mais le pouvoir menace, il nous dit en substance:  je vous tiens en laisses (100km), attention! si vous n'êtes pas sage vous ne serez pas libérés. La volonté politique de contrôle  se comprend, la prudence est de mise, on sait gré au pouvoir de vouloir protéger ses ouailles. Mais ce pouvoir, qui infantilise maintenant les citoyens, va se heurter à une sorte d'impossibilité: l'homme ne peut maintenir une servitude volontaire très longtemps. Il va devoir y mettre fin, contre les injonctions du politique, pour se retrouver tel qu'en lui-même. La police devra retrouver son activité habituelle plutôt que de pourchasser les attestations. Hommes et femmes, tout en restant prudents au sens aristotélicien de la phronesis, vont se libérer, se revoir, se rencontrer, s'amuser, apprendre, travailler sans oublier ce qu'ils risquent. Le confinement mettait l'accent sur la définition négative de la liberté, comme absence d'empêchement. Nous allons retrouver sa version positive, dans le cadre des lois habituelles  et si possible loin de cette législation d'exception. Cette liberté va reprendre ainsi que,  de façon contrôlée, l'épidémie et l'économie. Il nous faudra du courage, pas de la témérité, de la passion, mais raisonnée.
Souhaitons juste que cela se passe à la française, rationnellement, d'en bas, en desserrant gentiment la bride et non comme dans les manifestations hideuses et armées du Michigan entretenues par le showman de la maison blanche.