mercredi 27 avril 2022

Rousseauistes et Hobbésiens aujourd'hui


"Le Léviathan" de Thomas Hobbes paraît en Angleterre en 1651, un siècle plus tôt que le "Discours sur l'origine des inégalités" en 1755 de Jean-Jacques Rousseau. Chaque auteur présente une vision de la nature de l'homme, anthropologie qui sous tend une histoire de la formation des inégalités pour Rousseau, de l'état pour Hobbes. Nous héritons en politique, comme nous allons le voir, de ces deux visions fondamentales irréconciliables.

 A lire les deux textes, leur désaccord saute aux yeux. Examinons tout d'abord la position de Rousseau.

Rousseau

 Dans l'état de nature pour Rousseau l'homme est un sauvage pacifique. L'état de nature correspond à l'époque pré-sociale, à l'homme  " tel qu'il a du sortir des mains de la nature":

"Je le vois se rassasiant sous un chêne, se désaltérant au premier ruisseau, trouvant son lit au pied même de l'arbre qui a fourni son repas, et voilà ses besoins satisfaits."

 Les hommes vivent dispersés et peureux:  "[...] rien n'est si timide que l'homme dans l'état de nature et qu'il est toujours tremblant et prêt à fuir au moindre bruit[...]". Rousseau dépeint un homme asocial qui n'a aucune raison d'aller vers son prochain: "[...] En effet il est impossible d'imaginer pourquoi, dans cet état primitif, un homme aurait besoin d'un autre homme qu'un singe ou un loup de son semblable[...]". Rousseau a choisi, contrairement à Aristote, de dépeindre un homme qui ne vit pas en société  il arrive donc à ce genre de conclusion pour le moins étrange, puisque les loups ne construisent pas d'abri ni ne peignent dans les grottes. Puis il continue: "[...]Les sauvages ne sont pas méchants précisément parce qu'ils ne savent pas ce qu'être bons[...]" car ils vivent "dans le calme des passions et l'ignorance du vice qui les empêche de mal faire". Parmi ces passions il en est une qui compte avant toutes les autres. Cet homme des origines ne supporte pas la souffrance de ses semblables, comme la mère qui veille son petit, et la pitié est pour lui une vertu naturelle. Qui plus est elle modère l'amour propre puisqu'elle conduit au soucis des autres et force à l'oubli de soi . Pour Rousseau c'est la pitié qui va engendrer toutes les vertus sociales: générosité, clémence, humanité, commisération... Alors que "c'est la raison qui engendre l'amour-propre". Et plus loin il enfonce le clou :

"Il est donc certain que la pitié est un sentiment naturel qui, modérant dans chaque individu l'activité de l'amour de soi-même, concourt à la conservation mutuelle de toute l'espèce"

L'homme naturel de Rousseau est donc "plutôt farouche que méchant" et enclin naturellement à la pitié. Le philosophe conclut ainsi son premier propos :

 "Concluons qu'errant dans les forêts sans industrie, sans parole, sans domicile, sans guerre, et sans liaisons, sans nul besoin de ses semblables, comme sans nul désir de leur nuire[...] l'homme sauvage sujet à peu de passions, et se suffisant à lui même, n'avait que les sentiments et les lumières propres à cet état[...]

 Rousseau va alors nier qu'il soit possible dans l'état de nature de dominer, vaincre ou mettre en esclavage son prochain : "il est impossible d'asservir un homme sans l'avoir mis auparavant dans le cas de ne pouvoir se passer d'un autre; situation qui, n'existant pas dans l'état de nature, y laisse chacun libre du joug et rend vaine la loi du plus fort ". Conclusion tout aussi étrange. Au final Rousseau fait confiance à la nature et se méfie de la raison et de la société. Tout le développement subséquent de la seconde partie démontrera que les inégalités naissent de la société et de la propriété, non de l'état de nature.

Hobbes

  Les milles pages du Léviathan constituent un développement beaucoup plus long que le texte de Jean-Jacques Rousseau. Mais les premiers chapitres peuvent y être comparés puisqu'il s'agit également d'anthropologie, bien qu'elle soit moins "incarnée" que celle du sauvage dans les bois. Une des premières notions présentées par Hobbes au chapitre X est la puissance :

"Chez un humain la puissance (considérée universellement) consiste en ses moyens actuels pour acquérir un bien apparent quelconque."

Puis elle est articulée, au chapitre suivant qui traite des mœurs, à la question du désir:

"La félicité est une progression ininterrompue du désir allant d'un objet à un autre, de telle sorte que parvenir au premier n'est jamais  que la voie allant au second. La cause en est que l'objet du désir n'est pas de jouir une fois seulement, pendant un instant, mais de ménager pour toujours la voie de son désir futur". Dans cette fuite en avant, il y a une sorte d'angoisse de pouvoir réitérer cette jouissance et de s'assurer l'objet qui la supporte, d'où la relation avec la définition qu'il vient de donner de la puissance ( "acquérir un bien"):

 "C'est pourquoi je place au premier rang à titre de penchant universel de tout le genre humain, un désir inquiet d'acquérir puissance après puissance, désir qui ne cesse seulement qu'à la mort[...] La compétition pour les richesses, l'honneur, le commandement ou pour d'autres puissances conduit à la lutte, à l'hostilité, et à la guerre"

 Cette recherche de la puissance, condition de l'assouvissement du désir, ne peut déboucher que sur l'affrontement, car elle suppose la compétition ( pour la gloire, l'honneur, le territoire, et tout les biens). Hobbes s'accorde à dire comme Rousseau que dans l'état de nature les hommes ont des ressources mentales et corporelles à peu près comparables, au début du chapitre XIII "De la condition du genre humain". Mais justement cela fait que lorsqu'ils désirent la même chose ils deviennent ennemis puisque chacun peut espérer vaincre et obtenir ce qu'il convoite, ce pourquoi par défiance ils peuvent s'allier à d'autres pour contrer les attaques:

 "A cause de cette défiance de l'un envers l'autre, un homme n'a pas de moyen aussi raisonnable que l'anticipation pour se mettre en sécurité, autrement dit se rendre maître, par la force et les ruses, de la personne du plus grand nombre possible de gens, aussi longtemps qu'il ne verra d'autre puissance assez grande pour le mettre en danger". Afin d'assurer sa propre conservation l'homme doit anticiper les dangers causés par les désirs d'autrui en augmentant sa puissance  ( c'est ce qu'on observe aujourd'hui sur l'armement mondial). A ce propos Hobbes est assez visionnaire, quant au conflit actuel :

"Et à tout signe de mépris, chaque fois qu'on le sous-estime, chacun s'efforce naturellement, dans la mesure où il l'ose( et ce parmi ceux qu'aucune puissance commune ne tient tranquilles, est suffisant pour qu'ils s'exterminent les uns les autres) d'obtenir par la force que ses contempteurs admettent qu'il a une plus grande valeur[...]"

  La période de normalité ne sera donc pas la paix, état d'exception, mais la guerre:

 "Par cela il est manifeste que pendant ce temps où les humains vivent sans qu'une puissance commune ne leur impose à tous un respect mêlé d'effroi, leur condition est ce qu'on appelle la guerre". L'état sera bien sûr cette puissance commune qui en impose à tous, mais avant cela : "La vie humaine est solitaire, misérable, dangereuse et brève".

Dans le chapitre XIV suivant Hobbes décrit le droit de nature ( jus naturale) comme: "la liberté qu'a chacun d'user de sa propre puissance comme il le veut lui-même pour la préservation de sa propre nature[...]" . C'est dans ce paragraphe qu'apparaît cette fameuse déclaration:

" Parce que la condition humaine est un état de guerre de tous contre tous, où chacun est gouverné par sa propre raison, [...] chacun a un droit sur toute chose y compris sur le corps des autres."

Il apparaît donc qu'à l'opposé de Rousseau, l'état de nature ne débouche que sur la guerre et que la paix ne peut être retrouvée que par un état fort, corps artificiel nommé Léviathan.

 

 Les conséquences

  Les interprétations des phénomènes politiques d'aujourd'hui semblent dériver directement de ces deux analyses contradictoires. La causalité se plie souvent à l'une ou l'autre de ces idéologies.

D'un côté chez les Rousseauistes on va expliquer les phénomènes violents par les inégalités dans la société, puisque intrinsèquement l'homme est bon et sans vice. De l'autre chez les Hobbesiens il s'agit d'exiger plus de rigueur et d'autorité de l'état face à la tendance des hommes à lutter entre eux.

Sur la gauche Rousseauiste, le bonheur se trouve dans l'égalité des conditions, le mal n'existe pas par lui-même il provient de l'organisation sociale mais il peut être éradiqué en retrouvant l'égalité des origines. Tout le malheur provient du fait que certains "se gavent" et d'autres "rament", certains sont propriétaires de tout d'autres de rien. On juge scandaleuse la disparité des salaires entre ouvriers et cadres puisque tous ont une utilité sociale. La course aux profits n'est pas une tendance naturelle, mais le résultat d'un système piloté, concerté et organisé, le capitalisme est analysé comme le pire des maux puisque engendrant toutes les inégalités sociales. Il faut diminuer le budget de la défense et casser la course aux armements puisque nous vivrons naturellement dans un monde en paix. Si la société change elle laissera la place à un homme nouveau ( l'homme naturel retrouvé), lavé de toute idée du mal,  en lieu et place de l'homme perverti par la société de profit. L'état doit protéger chacun et supprimer les inégalités ainsi toutes les tensions disparaîtront.

Sur la droite Hobbesienne l'horizon du bonheur ne peut être atteint qu'en travaillant plus, en accumulant les puissances et en se préservant du danger, des criminels, des migrants.   La compétition règne naturellement entre tous et chacun doit se battre pour avoir une place au soleil mais en respectant les règles. Le profit est un moyen s'assurer son futur et celui de ses enfants. Certains portent le mal en eux et les mauvaises graines peuvent pourrir toute la société, il faut les maîtriser, la police doit être renforcée ainsi que la défense pour assurer l'intégrité du territoire puisque la menace est partout. L'état doit imposer sa puissance commune à tous pour vivre une société apaisée.

 Des clefs

 L' histoire de la philosophie donne aussi des clefs pour comprendre les  commentaires de l'élection. Les analyses expliquant à gauche la présence au 2e tour et le score de Marine Le Pen  par la volonté machiavélique d'Emmanuel Macron, remises au goût du jour récemment par Jospin, sont la suite d'une longue série d'explications similaires. En 2002, il y a vingt ans, Mitterrand était accusé d'avoir sciemment fait progressé le Front National ( et donc battre Jospin !...), et Hollande d'avoir débattu sur la déchéance de nationalité pour faire gonfler l'extrême droite. Tout se passe comme si la progression de l'extrême droite en France depuis vingt ans pour devenir le premier parti et obtenir 42% des voix à la présidentielle n'était qu'un complot hourdi par la gauche depuis des années. Complot dans lequel elle se serait sabordée elle-même, on jugera de l'absurdité de la thèse. Mais apparaît ici encore le rousseauisme explicatif. L'explication la plus rationnelle, que des électeurs sont de plus en plus séduits par les thèses ( dangereuses) de ce parti n'affleure pas, pourquoi? Parce qu'à gauche le peuple ne peut aller naturellement vers le mal ( l'extrême droite), puisqu'il est bon. Il y a donc forcément tromperie, complot, manœuvres, plutôt que raisons objectives. Évidemment  le choix aux d'un bulletin de gauche aux élections ne pourrait pas, lui, être suspect de complot, le peuple qui vote Mélenchon le fait en toute connaissance de cause, rationnellement, et n'est pas influencé par les mesures de gauche que prendrait le gouvernement Macron pour gonfler l'électorat LFI pour mieux combattre Le Pen ( explication aussi peu vraisemblable que la précédente) . Cette négation de la pensée du mal, conduit plus généralement lorsque le peuple ne va pas dans la direction souhaitée, à penser qu'il est "manipulé", "instrumentalisé", et donc incapable de choisir par lui-même ce qui représente finalement un certain mépris de classe.

 De même les œillères de l'extrême gauche concernant les dangers du radicalisme islamique. Il est absolument inconcevable pour cette famille politique que le mal puisse émerger d'une minorité qui souffre, dont la pitié doit s'affirmer face à toute autre considération, fut-elle une ultra minorité, et que ça ne puisse pas rentrer dans la grille rousseauiste. Les inégalités ( bien réelles) chez les immigrés constituent le voile épais qui doit éluder et dissimuler toutes les valeurs défendues par les intégristes qui sont à l'opposé des valeurs d'extrême gauche depuis l'origine (en particulier la séparation des femmes et des hommes). Ainsi cette théorie inventée de toute pièce de l'islamophobie ( lire "Islamophobie la contre enquête", Isabelle Kersimon), qui doit contrer cette "attaque". L'idée qu'une idéologie religieuse mortifère puisse émaner de certains publics défendus par eux leur paraît conceptuellement impossible, tout autant que celle d'un ouvrier qui vote Le Pen, sauf une explication par le social - par les inégalités donc -. Le mal ne peut exister chez les pauvres naturellement, il y a forcément une explication sociale ou politique, un complot raciste ( la religion ne serait qu'un prétexte),  un amalgame. Dénoncer le danger de l'islamisme politique , ( qui a pourtant engendré une révolution en Iran, en Afghanistan, en Irak, évitée de peu en Algérie, Islam politique qui a toujours joué un grand rôle depuis la chute de l'empire ottoman - lire "Les Arabes leur destin et le nôtre" de Pierre Filiu-), c'est rompre avec l'explication rousseauiste de l'inégalité, car les islamistes ne revendiquent pas l'égalité mais le pouvoir spirituel et temporel. 


 

 






lundi 25 avril 2022

Espèce invasive: il est temps d'enterrer Malthus

 
L'année dernière Futura Sciences publiait un dossier sur les espèces invasives. On y peut lire la définition suivante :

"Une espèce invasive est une espèce exotique qui devient nuisible à la biodiversité autochtone".

 Sur actu-environnement il est question d' "espèce envahissante" définie ainsi:

"Espèce exotique dont la population se maintient ou accroît son aire d'implantation en perturbant le fonctionnement des écosystèmes ou en nuisant aux espèces autochtones, par compétition ou par prédation."

Le gouvernement parle lui "d'espèce exotique envahissante" :

"Une espèce exotique envahissante (EEE) est une espèce introduite par l’homme volontairement ou involontairement sur un territoire hors de son aire de répartition naturelle, et qui menace les écosystèmes, les habitats naturels ou les espèces locales."  

Tout le monde se souvient de la Caulerpa Taxifolia , l'algue découverte en 1984 au pied de la principauté de Monaco qui menace aujourd'hui par son expansion très rapide toutes les espèces végétales en Méditerranées. Dans le règne animal, le phénomène de l'introduction du lapin en Australie est devenu l'exemple paradigmatique de l'espèce invasive. En effet en 1859 Thomas Austin un chasseur libère vingt quatre lapins pour diversifier le gibier. Dix ans plus tard deux millions de lapins sont tués chaque année sans effet notable sur le nombre total. Une clôture de 3000km de long érigé en 1901 n'empêcha par la propagation du rongeur. Aujourd'hui les lapins, qui ont pullulé,  résistent à toutes tentatives de contrôle de leur population. Ils ont considérablement transformé l'écosystème Australien par l'élimination de nombreux végétaux qu'ils dévorent, accentuant l'érosion des sols. Beaucoup d'autres exemples existent, comme celui récemment en France du frelon asiatique qui attaque les ruches et tue les abeilles.

  Futura explique que, comme pour le lapin, dans beaucoup de cas ces invasions sont provoquées par l'homme ( L'antonyme d'autochtone est "allochtone"):

"Le processus actuel d'invasion par des populations allochtones, induites par l'Homme implique une brutale - ou discrète mais durable - mise en compétition avec des espèces qui ont constitué les équilibres écologiques."

 Il n'y a pas que sur terre que l'homme disperse les espèces lors de ses déplacements, ses navigations sur les océans ont le même résultat que ses pérégrinations sur les continents, comme l'écrit Futura:

"Les espèces envahissantes représentent la deuxième cause d'extinction des espèces et de perte de la biodiversité dans les milieux aquatiques du monde [...] Plus des deux tiers des dernières introductions d'espèces dans les zones marines côtières sont dus au transport de l'eau de ballast."

Nul doute que les espèces invasives détruisent les écosystèmes par un mécanisme bien connu et énoncé par Charles Darwin: la compétition pour les ressources limitées. Lorsqu'une espèce en s'adaptant parfaitement à son nouveau milieu  colonise et capte les ressources qui permettaient aux autochtones d'en vivre s'en suit une diminution de la nourriture et du milieu vital de ces derniers et finalement leur extinction. Les nouveaux venus en pillant les richesses naturelles prolifèrent, accroissent leur territoire et augmentent le phénomène de raréfaction des espèces avec lesquelles ils partagent le même espace.

L'espèce la plus invasive

Quelle est l'espèce qui en se répandant et pullulant depuis des millénaires a colonisé le plus la planète,  pris possession des terres, des océans, du ciel et de la stratosphère? Une espèce vorace qui dévore les autres espèces végétales et animales, qui a éradiqué les espèces sauvages et pris leur place? Une espèce qui comptait 1000000 d'individus il y a 100000 ans 1 656 000 000 individus en 1900, 6 987 000 000 en 2011 et 7 600 778 340 aujourd'hui, bientôt 8 milliards. Une espèce invasive qui introduit des espèces invasives, une espèce invasive au carré en quelque sorte, qui colmate les sols avec du sable, des cailloux, du bitume et du béton, rejette ses déchets empoisonnés dans les fleuves et la mer, transforme les paysages par la culture intensive, les carrières, les gravières, les barrages, la coupe des arbres, les structures de transports et d'habitation, épuise les sous-sols et les matériaux organiques ou minéraux, et par son activité change rapidement le climat?

Si l'on accepte l'idée qu'un humain est un vivant d'origine naturelle, alors il va de soi qu'il gagne la compétition des espèces invasives ( peut être avec les rats). Nous commençons à nous apercevoir que les ressources de la planète ont des limites, bien que des éclaireurs l'ait claironné il y a 50 ans ( "The limit to growth", par le couple D.Meadows , le rapport du club de Rome). Notre espèce a tellement bien colonisé son milieu qu'elle arrive a raréfier ou polluer les éléments qui la font vivre. Mais alors qu'une réflexion raisonnable sur les espèces invasives pose comme problème primordial le nombre des individus, nous sommes incapables de raisonner de la même manière pour les humains.

Le point aveugle

Depuis que Malthus et son "Essai sur le principe de population" a tenu un raisonnement faux et proposé des solutions inacceptables et immorales sur la question démographique, le match est plié. Depuis que Paul R.Ehrlich et son livre "The Population Bomb" a tenu des prédictions qui se sont révélées fausses, la question démographique reste une sorte d'impensé. Celui qui tente de la poser est immédiatement renvoyé dans le camp de l'immoralité, du malthusianisme, de l'eugénisme. Il y a une sorte de gêne à réfléchir à ce sujet, comme commettre une mauvaise action. "Mais que veux tu faire ? éliminer les pauvres ? les noirs, les arabes, les chinois?" : voilà l'état de la réflexion.

Pourtant tout comme l’œuvre peut être dissociée de l'auteur, le constat et l'analyse scientifique des effets de la démographie croissante humaine sur son milieu, le problème qu'elle pose, peuvent être séparées de la question du remède et des solutions. Jusqu'ici la réflexion est surtout posée en terme de "que faire pour que les humains présents ou à venir sur terre survivent ou vivent mieux"? Tout se passe comme si un axiome était posé qui bloque la réflexion, un 11e commandement de Dieu  qui énonce "Tu ne contrôleras pas ta descendance ni ton expansion ". Les individus sont disposés à accepter l'idée de contraception, qui apparaît comme une liberté, mais refusent de réfléchir au problème global posé par cette même liberté de se reproduire ou non.   Pourtant comment trouver la solution d'un problème dont l'énoncé est tronqué? Analyser la situation en expliquant que nous rejetons trop de gaz à effet de serre dans l'atmosphère sans prendre en compte que cette quantité est directement proportionnelle au nombre d'humains démontre bien l'impensé dans cette équation.

Certains acceptent de considérer le paramètre "nombre d'humains" mais aussitôt font des projections, expliquent que la transition démographique qui affecte les pays riches va atteindre la Chine ( 1,4 milliard aujourd'hui), l'Inde qui verront alors leur population vieillir et diminuer, là sera le vrai problème: celui du nombre d'actif moindre qui devra nourrir une population vieillissante, ce qui est déjà le cas du japon. Par conséquent nous n'avons pas à nous soucier d'une expansion infinie des humains, le problème est réglé, CQFD.

La Chine, le pays le plus peuplé, a effectivement mené une politique malthusienne via la politique de l'enfant unique. Mais depuis mai 2021 les couples peuvent avoir jusqu'à trois enfants. Cependant l'indice de fécondité a chuté à 1,7 enfants par couple, ce qui signifie que la population finira effectivement par diminuer. 

Pourtant pour l'ONU la population mondiale attendue en 2100 se chiffre à 10 874 950 000 ( près de 11 milliards) , plus de 40% de plus qu'aujourd'hui alors que la situation est déjà très critique du point de vue environnemental ( climat, ressources).


La saturation

Beaucoup de scientifiques réfléchissent aux solutions qui permettraient aux hommes de coloniser Mars ou bien recherchent des exoplanètes qui présentent des conditions proches de la vie terrestre. Ceux là ont déjà baissé les bras, comme ceux qui s'arrêtent pour un pique-nique, répandent leur détritus et souillent la place, et réfléchissent déjà au prochain endroit où manger puisque celui-ci est trop sale.

Qui veut d'un monde avec des zones urbaines de 42 millions d'habitants , ce qui est le cas de Tokyo aujourd'hui? Les humains doivent-il habiter comme des termites dans une proximité telle, et alors que plus aucune parcelle de leur zone de vie n'est naturelle? Doit on se résoudre à ne voir plus voir des animaux en liberté? à n'observer les animaux sauvages que dans les zoos ou les parcs? A vivre les uns sur les autres? A sortir avec des masques? A manger des insectes? A raser l'Amazonie? Augmenter la surface des déserts? Inonder de plastiques les océans? Densifier les habitats, n'est ce pas considérer que l'humain doit vivre à l'image des fourmis, des abeilles, dans des cases? N'y a-t-il pas de relation directe entre la structure urbanistique et le nombre d'humains? Entre l'urbanisme et la relation au monde? La progression du saccage est-elle inéluctable?


La téléologie

 Dans "Idée d'une histoire universelle", Emmanuel Kant questionne l'idée selon laquelle la nature aurait un plan et l'histoire un sens : celui de mener notre espèce à son développement ultime. Depuis la barbarie, en passant par les monarchies, jusqu’aux états avec une Constitution garantissant les libertés, une ruse de l'histoire garantirait aux hommes à travers les générations une évolution vers des états vivant en paix grâce à une "cosmopolitique". Beaucoup ont vus dans ce texte qui évoque "une société des nations" l'idée de l'ONU. 

  Nous pourrions imaginer que  le comportement de chaque pays, uniquement focalisé dans un premier temps sur son développement et son extension territoriale soit, grâce à la raison qui progresse dans l'espèce, consciente des enjeux posés par la limite des ressources. Enjeux dont Kant n'avait pas connaissance. Mais  nous ne pouvons pas appliquer son raisonnement, étayé sur les méfaits de la guerre entre états, aux méfaits de la surpopulation. Puisqu'en cette matière tous les états ne sont pas ennemis mais collaborent pour que la population augmente. Pourquoi la Chine a-t-elle voulu freiner sa croissance démographique ? parce qu'elle courait à la famine non pas parce la qualité de vie aurait été moindre. L'homme est en train de changer pour devenir une micro machine à consommer dupliquée dans un univers grouillant de plus en plus artificiel et réducteur.

  Le débat sur le climat masque donc une autre réalité, démographique. La quantité globale de population influe sur la qualité de vie individuelle. Même si nous gardions le même climat la planète deviendrait invivable par la pullulation des humains. Ce qu'il nous manque c'est l'idée même du besoin humain d'espace vierge, de solitude parfois, de liberté d'aller et venir, de silence, d'obscurité nocturne, de contact et d'affrontement avec les éléments naturels, de confrontation avec le non humain.  Il faudrait, pour garder l'idée de l'homme intacte, définir une sorte de charte du droit humain de vivre dans un environnement non artificiel, une reconnaissance de la naturalité de l'homme, de la nécessité de rester en contact permanent avec la vie, les espèces vivantes. Le nombre d'humain ne peut rester en progression alors que l'environnement pour chacun diminue. Il faut au moins être d'accord sur le constat pour envisager des solutions.







vendredi 22 avril 2022

Service public ou pouvoir d'achat


  Dans le contexte de l'élection présidentielle 2022 le pouvoir d'achat est classé première préoccupation  des français. Ne pas pouvoir acheter le nécessaire,  ne pas être à même d'honorer ses factures ou encore devoir arbitrer des dépenses peut être vécu comme injuste, mais l'angle économique invoqué n'épuise pas, ou plutôt masque, toutes les autres dimensions qui affectent la vie et le sort des gens. Son côté aveugle ( pouvoir acheter quoi?) lui donne un aspect flou qui dissous et invisibilise les difficultés qu'affrontent les gens sans les hiérarchiser. Ce terme renvoie directement à l'idée de consommation, alors que les autres pans essentiels de la vie, qui ne dépendent pas directement de la consommation, s'évanouissent. Le bonheur lui même, le pouvoir d'être heureux, ne se résume pas au pouvoir d'achat. Ainsi faut-il aussi par exemple  pouvoir dormir, pouvoir respirer, pouvoir boire et pouvoir manger, en toute nécessité. Dormir, qui est une des activités les plus importantes de la vie, ne relève pas directement du pouvoir d'achat, mais du fait par exemple que le petit dernier ne fait pas ses nuits ou que les voisins sont trop bruyants. Pouvoir respirer de l'air pur n'est pas non plus directement corrélé au salaire, etc. Il n'est donc pas question de nier la pauvreté ou les restrictions de vie imposées aux bas salaires mais le
pouvoir d'achat reste un concept trop vague pour être pertinent pour apprécier les besoins. Les citoyens n'habitent pas du pouvoir d'achat mais des logements, ils ne se transportent pas dans du pouvoir d'achat mais dans des trains ou des voitures. Ils ne se chauffent pas avec du pouvoir d'achat mais avec des chaudières ou des poêles. Ils n'exercent pas leurs droits politiques avec du pouvoir d'achat mais adhèrent à des partis, des associations, et se rendent aux urnes. Penser pouvoir d'achat revient à convertir le bonheur en espèces sonnantes et trébuchantes, regarder le doigt alors qu'il faut voir la Lune. Personne ne travaille pour gagner de l'argent, mais pour assurer la survie, le confort, et plus si besoin est. Le truchement de la monnaie, le voile du pouvoir d'achat, dissolvent la réflexion sur les valeurs, sur les vertus, sur ce qui constitue une vie bonne, sur ce que doit être l'action de l'état. Ils phagocytent la discussion sur l'éthique individuelle.

 Parmi les toutes premières valeurs qui doivent compter en politique figure l'assistance aux démunis, aux empêchés. La politique doit cimenter les liens qui unissent les citoyens et rejeter l'individualisme et l'atomisation. Focaliser l'attention sur les plus fragiles peut  garantir une approche fondamentalement plus juste que la seule revendication économique appliquée à tous. De la même manière que l'on découvre que le PIB n'est qu'un indicateur économique quantitatif qui ne mesure pas le qualitatif tel le bonheur, la revendication généralisée du pouvoir d'achat efface la hiérarchie des valeurs. L'assistance prioritaire que l'on doit aux "faibles" doit passer par un renouveau des services publics. La revendication du pouvoir d'achat fait surjouer à l'état son rôle d' acteur économique tout en laissant sous silence son rôle majeur de fournisseur de services.

 Ainsi s'il faut chercher en politique, dans un but de justice, à se préoccuper en tout premier lieu  des plus faibles, dans son aspect qualitatif, alors sont-ils  facilement désignés et parfaitement identifiables.

 Les malades graves et les accidentés en général souffrent physiquement, voient leur autonomie diminuer ou disparaître et ne sont plus capables d'apprécier un seul moment de la vie,  puisqu'ils endurent la douleur et perdent la liberté d'exercer leurs activités préférées. Au bout d'un temps leurs revenus décroissent et à la souffrance s'ajoutent l'angoisse de l'avenir, la peur de la mort, et le soucis d'inonder les proches de tristesse. Ils constituent donc la première catégorie à protéger dont l'état doit se soucier.

Les "aînés" ou les "seniors", puisque nous évitons dorénavant de parler de "vieux", représentent la seconde catégorie dans la population des plus faibles. Plus ils avancent en âge plus leur monde se rétrécit : la vision se fait moins claire, le pas moins assuré, l'audition baisse sensiblement , la force diminue, le champ des possibles se rétracte tout comme le temps qu'il reste à vivre, l'autonomie décroît, la mort s'approche et le cercle des amis disparus augmente. L'intersection des deux catégories, soit les personnes à la fois  âgées et malades  ( pendant la pandémie ou atteintes de pathologie liées à l'âge Alzheimer, Parkinson, cancer), engendre une faiblesse et une souffrance accrues . 

Enfin font partie des plus faibles les enfants en bas âge qui ne connaissent ni n'ont les moyens d'affronter les dangers du monde dans lequel ils sont plongés subitement et qui doivent, tel l'oisillon sorti de l’œuf, compter sur d' autres pour leur survie. Il doivent être protégés,  éduqués et instruit, soignés, nourris et vêtus.

Les autres catégories de population peuvent de façon contingente être assimilés à des "faibles", comme par exemple les victimes de crime, mais nous recensons ici ceux qui, de façon systémique et massive, physiquement et psychiquement,  se retrouvent en situation de faiblesse dans la collectivité. Un autre critère les délimite: Ils n'ont pas la capacité par simple volonté ou effort de quitter leur situation car le champ des possibles est fermé et contraint: un malade ne peut pas simplement s'extraire de sa maladie, un vieux ne peut pas redevenir jeune ni un bébé s'autonomiser. A l'opposé le "conatus" spinoziste joue à plein pour les adultes en bonne santé. Il peuvent augmenter leur "puissance d'agir", s'efforcer d'améliorer leur vie grâce à la plénitude de leurs moyens physiques et mentaux, du temps qu'ils ont devant eux et de la force et de l'autonomie dont ils jouissent. Il sont donc intrinsèquement plus libres. Il ne faut pas s'étonner si Marx, expliquant l'histoire par les luttes de classes et l'économie, n'a jamais considéré les malades, les vieux et les nouveaux nés comme comme des acteurs d'importance qu'il fallait considérer. Idem si les libéraux, mettant la production au sommet des valeurs, se préoccupent avant tout des actifs.

 

  Examiner la situation de ces trois catégories permet de faire le point sur les services publics qui les concernent directement dont on peut aisément constater la dégradation.

Les patients aux urgences, surchargées dans de nombreux hôpitaux, attendent parfois plusieurs heures avant même de recevoir un anti-douleur. La médecine ambulatoire renvoie à domicile les patients opérés depuis quelques heures. Il faut parfois jusqu'à douze mois pour obtenir un rendez vous avec un ophtalmologiste.  Les médecins généralistes ne se déplacent plus à domicile pour soigner leurs patients, ils ne veulent plus aller en province, où augmentent les déserts médicaux et délaissent les gardes. Ceux qui ont besoin de voir un médecin le week-end n'ont plus qu'à appeler SOS médecin s'ils ont les moyens ou aller aux urgences même s'ils n'en relèvent pas. La France doit recruter des médecins à l'étranger puisqu'un manque s'est créé depuis des années en conséquence du numerus clausus appliqué à l'entrée des facultés de médecine. Bien qu'envié à l'extérieur de nos frontières, puisque techniquement à la pointe et quasi gratuit, le service de santé des français semble en perte de vitesse, en pénurie de personnel et en manque de moyens. le burn-out se répand chez les professionnels de santé et les patients en font les frais. La santé est en crise depuis l'irruption de l'hôpital-entreprise, de nombreux experts en témoignent .

Pour le grand âge la situation n'est pas meilleure. Au fil du temps les parents vieillissant ont été exclus du domicile de leur enfants qui ne peuvent plus assumer un emploi trépidant, l'éducation de leur enfant et l'assistance à des aînés grabataires. Nous avons donc vu se multiplier des maisons de retraite puis des EHPAD censés prendre soin des plus âgés en perte de leur moyens. Cependant Les résidents des EHPAD se retrouvent parfois en situation de maltraitance comme le décrit Victor Castanet dans son livre "Les Fossoyeurs" dans sa mise en cause d'ORPEA. Mais malheureusement le scandale ne se limite pas à ORPEA qui n'est que l'arbre qui cache la forêt. Nos aînés se retrouvent dans des structures très chères, qui souvent cherchent à faire des bénéfices en rognant sur la nourriture ou sur les soins, quand elles ne mettent pas en danger les pensionnaires. Les aides soignants sont sous-payés et débordés, il exécutent des tâches pas très valorisantes qui peuvent être répugnantes et n'arrivent pas, en sous-effectif, à réaliser correctement leur travail. En conséquence les personnes âgées n'ont droit souvent qu'à une douche par semaine et vivent avec les cheveux sales, situation que l'on peut qualifier d'indigne. Mais le problème ne provient pas seulement du profit réalisé sur le dos des anciens puisque les dirigeants des structures à but non lucratif expliquent que la dotation de l'état est insuffisante pour une bonne gestion qui garantirait le confort des résidents.

En sous-effectif la seule maternité de la Nièvre a fermé ses portes cette année.  Les femmes qui désirent accoucher devront faire la route pour atteindre le département voisin. Le nombre de maternité a été divisé par trois en quarante ans . L'évolution du nombre de gynécologues obstétricien est à la baisse : -16% prévu pour 2030  avec une grande disparité sur le territoire. Le nombre de crèches est toujours insuffisant et tous les couples venant d'avoir un enfant connaissent l'angoisse de trouver une nounou à proximité avant de reprendre le travail. 

Nos trois catégories à protéger ont donc vu récemment leur situation se déprécier, et l'injustice qui les concerne augmenter. Mais il faut bien raisonner en terme de services publics déficients et pas seulement en terme de pouvoir d'achat alloués aux individus. Faire en sorte que des services de santé, de soins aux personnes âgés, ou d'attention portée aux mères et aux bébés correspondent aux besoins ne se résume pas au pouvoir d'achat mais à l'organisation et à la mise en œuvre d'une politique de santé, d'une politique de gestion de la dépendance et d'une politique de natalité. Tout trois sont relatif au service public, à un service qui doit être délivré et piloté par l'état même s'il peut admettre une composante privée comme cela se passe pour les cliniques. Le service public ne doit pas se restreindre à s'occuper des plus faibles mais se destiner à délivrer une qualité de vie pour tous.

  Le service public doit être conçu comme un instrument décisif du politique, comme une composante essentielle de l'état et  en complément des composantes régaliennes , la sécurité, la défense, la justice, les finances, les affaires étrangères. L'économie livrée à elle même ne connaît que l'homo œconomicus, sorte d'étrange être rationnel qui achète et consomme mais ne vit pas vraiment. La politique, si elle fait tout dépendre du fait économique, réduit alors les citoyens  au statut de porte-monnaie sur pattes. Les services au citoyen tout comme le régalien peuvent être des centres de coûts mais il faut l'assumer. Assurer la défense d'un pays attaqué vide les caisses de l'état, mais une fois le territoire dévasté par l'ennemi, il n'y a plus de pays ni d'état, plus de citoyens, il existe donc des dépenses inconditionnelles comme celle de la guerre défensive.  Il coûte beaucoup plus cher à l'état d'installer la fibre optique dans les zone rurales où vivent moins d'habitants que dans les zones urbanisées mais l'égalité impose de fournir partout le même service numérique. Il y a donc des valeurs qui assurent le lien de la collectivité, pour lesquelles celle-ci doit être disposée à sortir de la pure logique budgétaire et de l'orthodoxie financière.

 

Les autres service publics

 

  Malheureusement certains autres services public réduisent aussi leur offre, au moins géographiquement, ou détériorent la relation avec l'administré. La poste ferme petit à petit ses bureaux les moins actifs pour les concentrer dans d'autres quartiers ou des villes plus importantes. Il faut rappeler qu'outre le service du courrier elle assure aussi les services d'une banque pour un grand nombre de nos concitoyens qui dépose leurs maigres économies, rongées par l'inflation, sur leur compte épargne. Lorsqu'une poste ferme elle démonte aussi son distributeur de billet de banque et renvoie donc les client tirer de l'argent vers un ailleurs parfois lointain. Quand une poste disparaît, au delà du service qui n'est plus rendu, c'est un sentiment d'abandon de la part de l'état qui prédomine dans les villages.

  Le service public de transport n'est pas en reste ( l'état est unique actionnaire de la SNCF). Les petites gares  mettent la clef sous la porte les unes après les autres ainsi que les petites lignes jugées non rentables, au profit d'une politique du tout TGV.  L'investissement très lourd pour la construction des LGV a entraîné une  maintenance insuffisante du réseau classique comme en témoigne le drame en gare de Brétigny. Les transports de banlieue en Île-de-France rendent pénibles les trajets domicile travail, car souvent bondés ou perturbés. Ils fatiguent des travailleurs avant ou après une journée de labeur qui par ailleurs souvent les épuise. La saturation des lignes de RER aux heures de pointes rend catastrophique le moindre incident sur la ligne qui se répercute en cascade. De leur côté les ruraux sont démunis de transports publics et n'ont d'autres choix que prendre leur voiture pour faire les courses ou pour aller travailler.

 Concernant l'éducation, les collèges et lycées, soumis au classement international PISA, montrent depuis des années un recul des apprentissages dans des matières fondamentales comme les mathématiques ou le français. Comment l'expliquer? il y a-t-il trop d'élèves par classe? Pas assez d'enseignants? Les programmes sont-ils trop fournis? La fermeture des classes en zone rurale a durement touché les territoires au début du siècle comme le montre ce rapport sénatorial ( )  : " le nombre d'écoles maternelles et primaires dans les communes de l'espace rural a diminué de 9 % entre 1999 et 2007,". Des classes continuent de fermer et alimentent les mécontentements en région. 


Les tribunaux d'instances sont regroupés dans les villes les plus importantes des départements. La justice s'éloigne de ses administrés. Les dossiers s'entassent sur le bureau des magistrats et la justice, pour s'exercer effectivement, prend des mois sinon des années.

  Demander le renouvellement d'un passeport ou d'une carte d'identité prend en 2022 de nombreux mois, pendant lesquels vous ne pouvez plus exercer un certain nombre d'activités : voyager,  ouvrir un compte bancaire, demander un crédit etc. Alors qu'il suffisait de passer en mairie déposer une demande il faut maintenant prendre rendez vous en ligne. Un exemple où le numérique ne sert qu'à masquer le manque  d'employés pour traiter les demandes.

  Contacter l'assurance vieillesse pour compléter son dossier de retraite est une aventure inénarrable. Les conseillers qui s'occupent des dossiers sont anonymes et injoignables directement. Les réponses aux questions, lorsqu'elles arrivent sont répétitives ou hors sujet. L'administré se trouve souvent dans une situation kafkaïenne face à une administration robotisée. Là aussi le numérique n'est qu'un voile posé sur le manque de fonctionnaires. Le retraité ne peut jouer qu'un rôle passif. Il est pieds et points liés face à l'état qui décide ou non de traiter son dossier, de revaloriser sa pension, ou d'augmenter les taxes.

  Alors que certains tentent de faire passer le fait pour une légende, certains quartiers sont laissés à l'abandon la police n'y mettant plus les pieds. Les statistiques de coups et blessures volontaires  augmentent d'ailleurs fortement depuis 2019. Dans le même temps des gendarmeries ferment dans les zones rurales renforçant le sentiment d'insécurité.

  En 2022 si  l'énergie est distribuée correctement partout sur le territoire, elle devient inabordable pour les particuliers. Si la distribution l'énergie n'est pas un service public l'état y exerce pourtant une influence majeure puisqu'il est actionnaire majoritaire d'Engie et d'EDF.  C'est bien l'état qui subventionne EDF pour la construction de nouveaux EPR. Il y a bien quelques réseaux de chauffage urbain à économie mixte mais la majorité des citoyens traite directement avec le privé depuis la libéralisation du marché de l'énergie. Le citoyen doit se débrouiller seul pour trouver une énergie abordable chez un fournisseur, sans aide de l'état, dans un marché soumis à la concurrence ( sauf remise ponctuelle ou report d'augmentation). Pourquoi il y a-t-il une "sécurité sociale" et pas une "sécurité énergétique", se chauffer n'est-il pas essentiel à la "vie bonne"? Nombre de concitoyens ont diminué cet hiver leur chauffage d'un ou plusieurs degrés. N'est-il pas temps d'assurer un service public de la sécurité énergétique?


Prendre toutes ces questions par le bout du "pouvoir d'achat" revient à ne jamais se questionner sur ce qui importe vraiment, à savoir le service que l'état rend au public, qui concerne les besoins communs : transport, sécurité, justice, éducation, culture etc. Dans une société où tout serait payant, l'air pur, le sommeil, la sécurité, la défense, l'éducation, la santé il faudrait assurément augmenter le pouvoir d'achat. Mais l'état, qui représente le corps du peuple souverain, doit assurer pour le bonheur des citoyens un ensemble de services de qualité hors de la sphère économique concurrentielle.