jeudi 26 janvier 2017

Idée d'un emploi universel


Quelles sont les prérogatives de l'Etat ? Ses fonctions régaliennes se résument à minima historiquement à assurer la sécurité des citoyens, rendre la justice, et à percevoir l'impôt. Par extension l'Etat doit également avoir pour but  la prospérité. Mais tous les Etats moderne se mêlent, plus ou moins, de la question sociale. Dans aucun Etat libéral l'Etat ne se désengage totalement du problème de la pauvreté et de la redistribution. Il y a cependant de forte différences entre "l'Etat providence" et un Etat purement néo-libéral. Car ils ne poursuivent pas la même fin, l'Etat qui repose sur un libéralisme économique "pur" doit être réduit à ses fonctions régaliennes et laisser l'économie soumise à la main invisible. L'Etat providence a pour fin de diminuer les inégalités en même temps qu'il assure les fonctions régaliennes. L'idée d'un revenu universel ne se retrouve pas sous le même concept dans les deux formes d'Etat.
Le revenu universellement versé à la population parait naturellement souhaitable à l'Etat providence pour assurer une rente minimale à tout le monde. Les moins nantis verront leur vie changer beaucoup plus que ceux qui ont déjà une forme de rente ou un patrimoine, donc les inégalités diminuent. Si nous versons dans l'utopie complète, cette rente minimale pourrait devenir un revenu confortable pour tous. Ainsi de multiples tensions sociales pourraient s'effacer et nous pourrions vivre dans une société apaisée, d'où disparaîtraient les problèmes liés au chômage, aux inégalités géographiques de logement, d'éducation, de santé, de transport etc. Mais le budget de l'Etat devrait être renforcé en conséquence, il faudrait bien prendre à Pierre ce qu'on donne à Paul. Dans ce mode de pensée, le problème du financement vient comme une conséquence de l'aspiration à une mesure sociale. La réduction des inégalités est posée comme prémisse et le financement comme conclusion logique.

Pour l'Etat purement libéral, qui souhaite redistribuer le minimum et garantir une liberté individuelle maximale, il s'agit d'estimer comment il est possible de stimuler l'économie dont la demande est atone face à la surproduction. Il faut amorcer la pompe d'une consommation à venir,  et estimer si l'enjeu en vaut la chandelle pour l'économie par rapport à la paupérisation comme risque économique et social. Donc le financement de la demande vient comme prémisse et  la conclusion doit être une économie vivifiée et le renforcement de la liberté individuelle par une diminution des contraintes de nécessité. Il faut se rappeler le fordisme des années 1950 dans lequel l'enrichissement, relatif, des ouvriers a permis une consommation plus forte, mais par le travail

Mais pour les deux types d'Etat, la question se pose de ce qui fait alors société. Comme Durkheim l'a montré, la division du travail social crée une "solidarité organique" d'où découle un fort lien social. La morale chrétienne, le marxisme, le libéralisme ont tous placé le travail au centre de la vie humaine. Dans notre culture l'oisiveté est immorale : "l'oisiveté est la mère de tous les vices". John Rawls dans sa "théorie de la justice" ne conçoit pas que le surfeur de Malibu puisse recevoir des fonds public. Est ce que constater que le voisin, nourri par la collectivité, rêve sur sa chaise toute la journée alors que vous travaillez dur ne crée par un sentiment d'inégalité ? contribuer d'une manière ou d'une autre à l'utilité collective, lorsqu'on n'y est pas empêché, n'est-il pas la seule façon d'appartenir à une communauté ? N'est ce pas un fantasme totalement individualiste et égoïste de recevoir de tous sans rien donner en retour ? de placer l'individu au centre, quitte à nier ce qui fait une part du social ?
Pour concilier la nécessité de la solidarité organique qui repose sur la division du travail, cause essentielle du lien social, avec l'exigence morale d'assurer un revenu décent pour tous nous devons assurer pour tous un emploi. Ce qu'il nous faut donc définir c'est la notion d'emploi universel. Un emploi garanti quelque part pour tous à tout moment de la vie, qui remplace le chômage, pour les licenciés où les premiers emplois.
 Les entreprises existantes depuis un certain laps de temps, suivant leur taille et leurs revenus, devraient assumer un quota de postes pour l'emploi universel, en retour elles seraient exonérées de cotisations chômage. Ainsi au lieu de verser ces cotisations, elles emploieraient ces montants à payer des salariés auxquels il faudrait trouver de nouvelles tâches dont l'utilité compenserait la dépense. Si ces tâches sont impossibles à trouver dans l'entreprise, alors elle devrait prendre en charge la formation du recruté . Les salariés en "emploi universel" devraient jouer le jeu et exécuter les tâches sous peine de se retrouver sans assistance d'Etat. L'orientation du placement devrait être accomplie en fonction des compétences et du secteur d'activité. Le temps de travail devrait être proportionnel au revenu versé et ce dernier fonction du salaire précédent. Personne n'aurait intérêt à prolonger la situation telle quelle, ni l'entreprise parce qu'elle n'a pas demandé ces emplois, ni l'employé parce qu'il espère plus pour vivre. Mais rien n'empêche que ces emplois forcés ne deviennent une forme d'apprentissage ou une façon de mettre le pied à l'étrier et soient transformés en emplois durables. 



vendredi 20 janvier 2017

le pari

Dans ses Pensées Pascal propose au non croyant ou au sceptique de s'engager: parier que Dieu existe ou qu'il n'existe pas et évaluer les conséquences. Parier que Dieu est, c'est gagner en retour la vie éternelle. Mais qui, au casino de Pascal remet le gain au parieur ? ce ne peut être que dieu.  Je place mon pari sur la case "est" ou sur la case "n'est pas", quand saurai-je que j'ai gagné ? pas demain ni après demain, seulement lorsque j'atteindrai ou non le paradis.
Si je mise "dieu est" aussitôt je me met à croire en Dieu, à espérer. Mais aussi à pratiquer la religion, à vivre conformément à ses directives, à suivre les rites, à abandonner les passions néfastes, ma vie ici bas en est transformée .
Si je mise "dieu n'est pas" , quelle espérance de gain puis-je avoir ? pas celle de l'accès au paradis, qui n'est accordé qu'aux croyants. Le gain de ce pari est nul. Ma vie continue sans que je m'encombre de rituels, et je conserve les mêmes passions et concupiscences qui m'éloignent de l'amour de dieu. Mais c'est aussi le sort de celui qui refuse de parier, du sceptique qui estime qu'il n'y a aucun pari à tenir, qui ne choisit pas de case où engager sa mise. Donc que l'on soit athée , c'est à dire celui qui choisit "dieu n'est pas", ou agnostique, celui qui ne choisit pas et qui ne participe pas au pari, c'est la même chose du point de vue de la vie qui se poursuit identiquement, mais c'est aussi la même chose à la fin des temps:  l'agnostique et l'incroyant auront le même sort, ils n'iront pas au paradis. Voilà pourquoi Pascal dit que le sceptique est "embarqué" malgré lui, car ne pas participer au pari c'est comme choisir "Dieu n'est pas". 
Si dieu n'existe pas, le croyant perd son pari, sa peine sera d'avoir fait des génuflexions inutiles jusqu'à sa mort. L'incroyant gagne, mais son gain est nul.
Si dieu existe, le croyant gagne le Paradis et la vie éternelle. L'incroyant brûle en enfer.
Donc en ce qui concerne le non croyant ou le sceptique, qui parient que dieu n'existe pas, selon le résultat quant à l'existence de dieu leur sort oscille entre un gain nul d'un côté ou de l'autre côté une perte qui signifie brûler en enfer  . Alors que s'ils parient sur l'existence de dieu, ils gagnent une vie éternelle au paradis et s'ils perdent, ne perdent rien.
Pour Pascal il s'agit donc d'un simple choix raisonnable:
- ne pas parier revient à parier que dieu n'existe pas
- en pariant "dieu est" le non croyant n'a rien à perdre ou tout à gagner si dieu existe
- en pariant "dieu n'est pas", le non croyant n'a rien à gagner si dieu n'existe pas ou tout à perdre s'il existe.
- son intérêt se résume donc à parier que dieu existe.
Sauf que pour évaluer l'intérêt du "tout à gagner" et "tout à perdre" il faut déjà croire et se trouver dans l'espace de signification du croyant. Dire à un incroyant qu'il va gagner ce qu'il considère comme une illusion ne l’intéressera pas. L'argument "raisonnable" de Pascal ne peut donc persuader que ceux qui le sont déjà et qui accordent une valeur positive au paradis et une valeur négative à l'enfer.

mercredi 18 janvier 2017

Copier-Coller : Changer l'être de la nature


L'interview dans Courrier International , qui republie un article de "the Verge" du 22/11/2016, de Jennifer Doudna, spécialiste de la biochimie à l’université de Californie à Berkeley, met en valeur la motivation des chercheurs et la façon dont ils accommodent la morale à leur propre désir. 
Cette chercheuse, avec Emmanuelle Charpentier, Martin Jinek et Krzysztof Chylinski a mis au point  une technique nommée "Crispr-Cas9" qui permet la modification des séquences génétiques. Une des applications de cette découverte pourrait révolutionner le traitement du cancer, mais il s'en profile des centaines d'autres qui ont toutes en commun de changer les séquences ADN et d'opérer des modifications possiblement risquées sur les espèces vivantes, et mêmes de restaurer des espèces disparues. Pourquoi les modification génétiques sont-elles risquées ?
A la différence de la médecine traditionnelle qui traite un individu, la modification génétique peut entraîner la modification de la descendance. Si cette descendance s'impose par la sélection naturelle au détriment des compétiteurs qui n'héritent pas de cette modification, l'espèce peut, dans son ensemble, présenter les caractères associés à cette modification. A terme tout l'écosystème est concerné par ces changements. Cette nouvelle médecine peut donc conduire à des déséquilibres dangereux et définitifs dans l'environnement. Cela concerne les végétaux, les animaux et les humains. Comme le reconnaît Jennifer Doudna dans l'article: "Nous devons rester attentifs [...] afin d'éviter toute répercussion indésirable sur l'environnement.". Puis : "Nous espérons que les scientifiques réussirons à maîtriser plus précisément les technologies qui contrôlent les caractéristiques des moustiques pouvant être utiles à l'homme[...]" ou encore : "Si cette technologie sert à modifier définitivement la lignée germinale d'un embryon des conséquences risquent-elles d’apparaître des années plus tard? je l'ignore.". Et enfin : "Ce qui m'inquiète, c'est toujours l'idée que nous connaissons très mal la fonction des gènes, et notamment leurs interactions au sein de notre génome". Mais alors comment garantir une approche éthique ?
C'est la question posée dans l'article par la chercheuse, qui semble enthousiaste à l'idée d' applications prometteuses mais aussi très consciente de l'impact potentiellement dévastateur de cette découverte. Elle répond à sa propre question sur l'éthique :"Si la technologie se révèle efficace et sans danger chez l'embryon ( dans certains cas), je pense que nous jugerons contraire à l'éthique de ne pas utiliser cette technique". Elle adopte donc une morale conséquentialiste, comme la définit l'utilitarisme de Jeremy Bentham. Pour mesurer la moralité d'un acte il faut évaluer ses conséquences. Cette morale s'oppose à une morale déontologique, laquelle repose sur des principes qui valent a priori, quelque soient les conséquences d'un acte. Curieusement elle évalue le danger de l'absence d'action, absence qui pour elle peut se révéler immorale. Mais renversant ses propos précédents, elle semble admettre qu'on puisse prouver, par expérience, que la technologie qu'elle propose puisse être sans danger, alors qu'elle dit le contraire partout ailleurs dans l'article puisqu'elle admet que notre compréhension des gènes est insuffisante. N'est-il pas plus dangereux alors d'appliquer une technique dont on n'admet ne pas savoir calculer les effets futurs ? Ne vaut-il pas mieux agir préventivement pour prévenir un danger, même hypothétique, en interdisant toute application ?
C'est le raisonnement qui a conduit à l'adoption du principe de précaution de notre constitution dans l'article 5 de la charte sur l'environnement : "Lorsque la réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en l'état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d'attributions, à la mise en œuvre de procédures d'évaluation des risques et à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage."

L'utilisation de cette technique à des fins immorales, eugénisme ou création de monstres, n'effraie pas Jennifer Doudna: "pas plus que l'arme nucléaire". Pourtant il y a une différence de nature entre l'arme nucléaire et les modifications génétiques, l'une change l'agencement des éléments de base de la matière, qui est inerte et ne se reproduit pas,  l'autre change le fondement de la vie, qui possède la reproduction dans son être même. On sait très bien évaluer les effets de la fission de l'atome, on ignore les effets à moyen et long terme du changement des séquences ADN. La nature c'est, pour Aristote, ce qui a en soi son principe de développement, l'être de ce qui est par soi-même. En ce sens l'arme nucléaire ne change pas la définition de la nature, alors que modifier l'ADN c'est changer ce qu'est la nature, son essence, ce par quoi elle se définit. Le fait que cette jeune chercheuse ne perçoive pas cette différence fondamentale, vient du formidable plaisir qu'elle prend à son ouvrage prométhéen, qui gomme son esprit critique. Ce n'est pas la morale qui lui enjoint ses actes, mais ses actes qui lui permettent de choisir sa morale, au bénéfice de sa réputation, de sa gloire, de son plaisir, dissimulés derrière l'écran de son prétendu altruisme à vouloir soigner le cancer. Comme disait dans ses maximes La Rochefoucauld : "Nous aurions souvent honte de nos actions si le monde voyait le motif qui les produisent"
Elle est prête à jouer un rôle dans la plus folle entreprise humaine, en considérant qu'elle n'y a pas plus de responsabilité que ceux qui ont découvert le formidable pouvoir de la fission nucléaire. Elle sous entend qu'au fond recherche sur la vie et recherche sur la matière sont sur un même plan en terme éthique. Corriger les effets de la nature à notre profit, ce qui était une conséquence de la science, devient changer ce que veut dire "nature". Nous sommes à l'aube du rêve cartésien de "se rendre comme maître et possesseur de la nature". Usus, abusus, fructus, nous somme propriétaires nous pouvons donc utiliser et abuser de notre bien comme il nous plaira, y compris le redéfinir, le modifier dans son être. Cette hubris a déjà des conséquences désastreuses sur les ressources et le climat. Ce bien que nous prétendons posséder disparaîtra en fur et à mesure que nous le nierons, non seulement dans ses apparences et ses effets mais aussi dans son être. Nous ne saurons plus ce que veut dire naturel.



vendredi 13 janvier 2017

Robert Marchand, la réponse

Cet homme de 105 ans a parcouru 22,547 km en une heure à vélo sur le vélodrome de Saint Quentin en Yvelynes le 4 Janvier 2017.
Pourquoi sommes nous admiratif de ce centenaire ?
Bien sûr il y a le côté unique qui le distingue : personne d'autre n'a été plus vite que lui dans la même catégorie d'âge. Mais être simplement distingué d'un autre n'est pas une vertu. L'oxymore : être un champion centenaire suffit-il à provoquer l'émerveillement ?
Dans l'absolu son score montre surtout que la vieillesse fait décliner les qualités physiques : le record actuel de Bradley Wiggins est de 54,52 km dans l'heure soit plus du double de Robert Marchand, dans cette tendance au déclin il n'y a donc rien de surprenant. A-t-il dominé les hommes sa classe d'âge ? non, la plupart sont décédés depuis longtemps. Mais cet argument vient plutôt en sa défaveur, quel mérite de faire mieux que vos compétiteurs virtuels décédés ? Nous accordons plus d'honneur au champion du monde qu'au champion national ceci car le nombre d'adversaires du premier supplante celui du second, et le mérite augmente proportionnellement aux nombre de vaincus. Or passé la centaine, plus de candidats pour le record de l'heure. Doit on alors le crédit qu'on lui porte à ce qu'il n'est pas dans la norme des capacités ordinairement attribuées à son grand âge ? remarquons qu'on ne parle jamais de ceux qui se situent sous cette norme, ils ne nous intéressent pas. Dépasser les attentes en matière des capacités liées à l'âge sera donc ce qui nous intéresse.
Cet homme figure pour nous la lutte contre la mort. Nous lui sommes gré d'illustrer ce que nous souhaitons le plus : éloigner le spectre de la fin ultime, le repousser toujours plus loin, tout en conservant toutes nos capacités. Voilà le rêve collectif qu'il met en œuvre. Comme lui nous voudrions repartir pour un tour et repousser à plus loin le dernier tour de piste. Robert Marchand répond à merveille à nos angoisses, il y gagne nos applaudissements.