lundi 22 novembre 2021

Les vertus cardinales et le climat

 

Platon décrit au livre IV de la République quatre vertus cardinales : sagesse, courage, tempérance, justice. La vertu à cette époque correspond à une disposition à atteindre l'excellence dans l'exercice d'une tâche, et ne possède pas forcément une dimension morale. S'efforcer d'être vertueux : un objectif de vie pour réaliser tout son potentiel, maîtriser ce qui dépend de nous et s'approcher du bonheur. Nous sommes loin de cette fin et aujourd'hui submergés par les catastrophes climatiques. Nous maîtrisons certainement beaucoup de processus naturels à notre profit, mais sommes dépassés par les conséquences de la production artificielle que nous n'arrivons plus à dominer. Si, comme le dit Heiddeger l'homme a "arraisonné" la nature par la technique, il a dans le même temps perdu le contrôle de lui-même.
Il semble que la crise climatique que nous vivons et les nombreux nouveaux défis que nous affrontons exigent de nous, individuellement et collectivement, alors que nous perdons le nord, de retrouver les vertus "cardinales". Tentons d'abord de réaliser ce qui nous arrive.
 
Alors que la COP26 vient de se terminer, quelques lectures s'imposent pour prendre la mesure des enjeux relatifs au réchauffement climatique. Autant puiser à la source :

- 6e Rapport du GIEC (Groupe d'Experts Intergouvernemental sur l'évolution du Climat)

- Rapport de RTE (Gestionnaire du Réseau Transport Electricité) relatif au futur énergétique de la France

- Déclaration finale de la COP26 .

- Rapport de NégaWatt ( association indépendante qui raisonne tout autrement que RTE) sur la façon d'atteindre  en France les objectifs de la COP à horizon 2050.

Pour qui veut faire de la Politique avec un grand P, et même de la cosmopolitique comme aurait dit Kant ("Idée d'une histoire universelle au point de vue cosmopolitique"), l'époque est propice. Les experts du climat énoncent les transformations planétaires à venir.  Elles sont susceptibles de changer radicalement à brève échéance  nos vies, celles de nos enfants et petits enfants, celles de l'humanité présente et à venir mais aussi toutes vies sur terre, rien que ça. Malheureusement les changements de comportements individuels ne suffiront pas pour amortir ce choc. Des politiques d'actions concertées de la part de tous les états sur terre deviennent nécessaires pour imposer de nouvelles normes industrielles, de transport, de constructions etc. qui diminuent les émissions de gaz.

Ressentir cette urgence climatique et énergétique reste beaucoup moins évident que toucher du doigt quotidiennement les impératifs économiques. Nous mangeons et nous déplaçons chaque jour, et chaque jour nous rappelle le coût de la vie,  particulièrement ceux du gaz et de l'essence. La fin de mois préoccupe plus que la fin du monde disait-on lors de la crise des gilets jaunes. Nous avons déjà oublié les  signaux épars pourtant nombreux qui se lèvent ci et là, mais irrégulièrement, indiquant les catastrophes à venir: pics de chaleurs d'été, ours blancs affamés, inondation de la vallée de la Roya, incendies monstres en Australie et en Californie, sécheresse accrue au Sahel, stress hydrique y compris dans les zones tempérées par exemple dans la Creuse ou la Corrèze pourtant départements très verdoyants.

Nous avons deux options, la première ne rien faire et ignorer les signaux allumés depuis des années par les scientifiques ( le secrétaire général de l'ONU parle d'une "alerte rouge pour l'humanité"),  la seconde agir pour maintenir le réchauffement en dessous d'un seuil limite. Dans les deux cas nous serons affectés par les modifications du climat qui sont déjà engagées. En tout cas s'informer sur le discours scientifique en la matière ainsi que sur les actions possibles semble nécessaire pour se faire un avis sur les politiques à déployer.

 L'expression "ne rien faire" utilisée plus haut est trompeuse, en effet elle ne signifie pas que rien ne se passe et que tout continue de manière égale. Car bien que dans cette hypothèse l'humanité n'engage aucune action corrective, les émissions de GES ( gaz à effet de serre) continueront de progresser et la température de monter pour de nombreuses années. Le GIEC écrit à page 14 de son dernier rapport: "Global surface temperature will continue to increase until at least mid-century under all emissions scenarios considered."

Le problème

  La manière la plus simple de poser le problème du climat consiste à mettre en exergue ce qui nous attend d'après le VIe rapport du GIEC (plus exactement son résumé pour les décideurs). Il commence par une sentence qui tombe comme un couperet sur le cou des sceptiques, dans le chapitre A :

- A1 :   L'influence humaine, sans équivoque , a réchauffé l'atmosphère, l'océan et la terre. Des changements importants et rapides  se sont produits dans l'atmosphère, les océans, la cryosphère et la biosphère.

 Le rapport présente six scénarii qui sont calculés d'après des projections de progression plus ou moins importante des GES ( gaz à effet de serre) dans les années à venir. Son pire scénario nommé SSP5-8.5, extrapolé de la situation actuelle et évoqué dans le "Summary for policy makers" dans le paragraphe B "Possible climat future"  prévoit une montée en température de 3,3 à 5,7 degrés en 2100. Le scénario le plus optimiste ( SSP1-1.9 ) indique lui un accroissement de 1 à 1,8 degré pour la même échéance. Les conséquences de cette hausse sont multiples:

 
- B2: Fréquence et intensité accentués pour évènements climatiques extrêmes ( inondations, cyclones, incendies, vagues de chaleur, sécheresses etc.). 
 
Un épisode de température extrême d'une fréquence qui était décennale avant 1900 surviendrait, dans le scénario 5 °, 9 fois tous les dix ans à partir de 2100. Autrement dit une canicule qui survenait une fois tous les dix ans deviendrait annuelle. Dans le scénario "optimiste" ( d'un réchauffement de "seulement" 1,5 °), ce même événement caniculaire arriverait 4 fois en 10 ans. 
 
-  B5.2: Montagnes, glaciers et permafrost vont continuer inéluctablement de fondre. Le carbone libéré par le permafrost va booster le réchauffement.
 
 La progression du réchauffement n'est donc pas linéaire mais s'accélère au fur et à mesure qu'elle s’accroît par la libération incontrôlable de GES pendant des centaines d'années (comme pour la progression exponentielle d'une épidémie tout retard dans l'action consacre une difficulté de plus en plus difficile à résoudre la crise).

- B5.3: Il est pratiquement certain que le niveau moyen mondial de la mer continuera d'augmenter au cours du 21e siècle ( 0.28/0.55m pour SSP1-1.9 et 2m pour SSP5-8.5 )

Il va sans dire que ces changements vont affecter des milliards d'individus, en premier lieu ceux qui vivent dans les zones côtières, dans les zones arides ou enneigées. Ces changements massifs se caractérisent par des inégalités géographiques. Mais toutes les autres régions seront aussi concernées ne serait ce que par les inondations, la sécheresse ou les canicules. Sans oublier les modifications d'habitats des animaux et des insectes ravageurs ou malsains pour l'homme, avec pour conséquence la destruction des arbres et des récoltes, l' apparition de nouvelles épidémies, etc..  Les animaux ne seront d'ailleurs pas les seuls à se relocaliser puisque l'on prévoit des phénomènes de migration humaine sans précédent, qu'ils se produisent à une échelle régionale ou plus globale. Les conséquences économiques seront multiples et les tensions internationales autour des énergies fossiles ou pour le partage de l'eau constituent un risque fort d'affrontement armé. Cet horizon de calamités pour 2100 concerne au premier chef la vie future des jeunes générations, moins celle des générations au actuellement pouvoir, ce qui explique en partie la tendance à la procrastination et l'hésitation chez les politiques à prendre aujourd'hui  les mesures qui vont braquer les citoyens. Chaque pays désire profiter à l'envie du paradis actuel sans regarder trop loin, prendre sa part de richesse du gâteau mondial, plutôt que commencer une transition énergétique qui se traduira par des restrictions et des insatisfactions. Voir pendant ce temps les pays concurrents en profiter semblerait intolérable aux dirigeants mondiaux engagés dans une croissance ralentie. Faire des efforts pour  refroidir le climat alors que le pays frontalier le réchauffe découragerait les plus vertueux.  

Nous sommes dans le piège décrit par la retentissante "Tragédie des biens communs" de Garret Hardin, qui a suscité moult réflexions sur la gestion des "communs". Ce bien commun c'est le climat mais d'une certaine façon c'est aussi la demande économique mondiale qui enrichit la planète, chacun voulant garder sa part dans la compétition. Aujourd'hui l'économie, et nos modes de vie, détruisent le climat, alors que faire ?


La solution théorique

Dans son chapitre D le rapport du GIEC suggère des pistes scientifiques pour limiter les futurs changements climatiques. Son analyse est très claire :

"From a physical science perspective, limiting human-induced global warming to a specific level requires  limiting cumulative CO2 emissions, reaching at least net zero CO2 emissions, along with strong reductions in  other greenhouse gas emissions. Strong, rapid and sustained reductions in CH4 emissions would also limit the warming effect resulting from declining aerosol pollution and would improve air quality. "

Le remède consiste donc pour les experts du GIEC à ne plus émettre du tout de gaz carbonique ni de méthane. Il est alors facile de comprendre pourquoi tous les pays du monde se réunissent dans les COP's depuis des années pour chercher comment atteindre cet objectif commun très exigeant. En plus des émissions "net zero" le but de l'accord de Paris lors de la COP21 - et celui de la COP26 -  reste aussi celui de plafonner à 1,5 degré en 2050 la hausse de température du globe ( "Secure global net zero by mid-century and keep 1.5 degrees within reach"). De son côté la commission européenne a publié en avril 2021 une loi sur le climat qui impose aux pays membres d'abaisser de 55% les émissions de GES à horizon 2030 (par rapport aux émission de 1990).  Contrairement au scénario de G.Hardin pour sa pâture, dans lequel personne n'avertit les agriculteurs du danger, nous bénéficions des messages des scientifiques qui jouent le rôle de lanceurs d'alerte pour le climat, héros et héraults du monde moderne qui annoncent, au moins pour le monde physique, ce qui va se passer. Nous pourrions alors espérer que la responsabilité des politiques face à cette information claire suffise à changer la conclusion tragique de l'histoire. Mais au contraire conformément au déroulé du compte mythique de Hardin nous voyons des intérêts séparés et aveugles collaborer pourtant objectivement pour aggraver la situation, Trump et ses partisans en composant la figure paroxystique, en niant totalement que nous soyons entrés dans l'anthropocène et en relançant l'extraction de pétrole de schiste, les Chinois en accroissant la production de charbon pour leur industrie.

Dans les années 2020 l'humanité se retrouve donc avec au moins deux facteurs décisifs qui incitent à l'élaboration d'une politique concertée mondialement ( une cosmopolitique) : La Covid 19 et le "Global warming". Dans les deux cas des mesures prises localement, pays par pays, n'auraient pas d'efficacité sans une planification assurée de concert avec les autres pays. En effet, dans le premier cas, le vaccin doit être délivré partout pour résoudre la pandémie. Dans le second, les émissions de GES doivent être réduites à néant sur tout le globe pour stopper le réchauffement. Ceci y compris dans les pays qui n'en ont pas les moyens. Les aider équitablement devient d'ailleurs une des pierres d’achoppement. Ceci pour dire que les problèmes communs nécessitent des solutions communes.
Mais alors que chacun ressent quasiment dans sa chair le danger et la nécessité de stopper le coronavirus qui engendre des morts comptés chaque jour,  il ignore en revanche les conséquences dévastatrices qui restent encore lointaines, dans le temps et dans l'espace, du réchauffement. Il y a pourtant un point commun : les experts deviennent des lanceurs d'alertes, des empêcheurs de tourner en rond. 
 
Le rôle des experts
 
 Lorsque nous touchons du doigt les conséquences annoncées par le message des experts, quand les répercussions en sont perçues dans notre vie concrète (injection d'un vaccin qui effraie encore plus que la maladie , ralentissement ou redéploiement de notre façon de consommer) les scientifiques deviennent rapidement les boucs émissaires responsables de tous les maux. La doxa retourne alors comme une chaussette cette réalité dérangeante  pour inventer une réalité virtuelle où les vaccins seraient en fait inventés pour soumettre une population au besoin du capitalisme ( des Big Pharma inventant un nouveau virus pour s'en mettre plein les poches ) et le réchauffement une fable puisque chacun peut témoigner "qu'il fait encore très froid l'hiver"... ( dixit Trump et ses partisans). Quand la réalité est trop dure à affronter, la science et son discours alarmant deviennent suspects:  le GIEC n'est-il pas un ramassis de gauchiste ou d'écologistes radicaux qui veulent stopper le capitalisme ? Le conseil scientifique Covid n'est-il pas à la solde du président qui veut discipliner les foules en les confinant ? Bref comme l'avait décrit Freud le principe de plaisir prend le dessus jusqu'à nier la réalité. Le raisonnement est simpliste et enfantin: si la réalité est déplaisante elle n'est pas la réalité, il y a un réel alternatif, une autre explication. Puisque ce qu'on nous annonce est terrible, ce doit être faux, donc nous sommes certainement manipulés et instrumentalisés. D'où les très nombreux complots inventés qui surgissent sur la toile en ces jours troublés ( Qanon, twitter, facebook).
 
 Il est pourtant vrai que les politiques  ou les industriels savent souvent utiliser le discours des experts à leur profit. il suffit d'évoquer les publicités des hommes en blouse blanche qui vantent les dentifrices, les lessives ou les régimes pour maigrir, qui disaient hier le tabac inoffensif, ou les présentations militaires de Powell sentencieux devant les cartes d'état major pour envahir l'Irak en soutenant l'existence d'armes de destruction massive . Mais si chacun peut se revendiquer "expert", personne ne peut s'autoproclamer scientifique. Il faut passer des examens parmi les plus difficiles ou des concours et des équivalences sont établies au niveau mondial. Le discours scientifique, présente  une spécificité qui le rend moins manipulable que tout autre communication. Par l'évaluation de ses publications par ses pairs dans les revues internationales le scientifique établit des faits reproductibles par l'expérience. Le fait scientifique est le fruit d'une méthode, il acquiert et possède ainsi une force et une affirmation bien plus nette qu'une opinion, fût-ce-t-elle celle d'un général US. L'homme de science élabore des connaissance dans le règne de la nécessité :  il exprime ce qui arrive nécessairement par les lois de la nature et qu'il peut prouver par l'expérience et une méthode universellement reconnue, alors que tout expert dont on vient chercher "l'opinion" reste dans la contingence, ce qu'il annonce peut très bien ne pas se produire.
 Le rôle du scientifique consiste à rapporter seulement les théories, les lois et les faits, et non à prendre parti pour telle ou telle mesure, pour tel ou tel parti. Les scientifiques doivent publier leur recherche et bien informés,  les politiques doivent prendre les décisions. Cette séparation a parfaitement été analysée  dans  les conférences du début du siècle de Max Weber publiées sous le titre "Le Savant et le Politique ".  L'histoire fournit cependant des exceptions dont l'affaire Lyssenko est la plus connue.  Ce biologiste prétendait alors pouvoir accroître les rendements agricoles, par une théorie qui s'est avérée fausse , rejetant les lois de Mendel sur l'hérédité. Pourtant Staline qui voulait y croire avait  de fait divisé la biologie en deux types : la biologie bourgeoise et la biologie révolutionnaire. Une science officielle, validée par le comité central était née, des biologistes de renom furent obligés d'abjurer la théorie mendéleienne et les autres partirent au goulag dont Vavilov, un des plus grands savants de l'époque, qui mourra en 1943 après avoir été emprisonné. Mais la façon dont procède la science aujourd'hui au niveau mondial empêcherait que se reproduise un tel phénomène. Un scientifique reconnu et respecté ne plus affirmer des faits sans preuves qui ne soit validées par ses pairs très longtemps, nous avons tous en mémoire l'histoire récente de "la mémoire de l'eau" ou  de l'hydroxychloroquine pour soigner le Covid. Cette illusion qui a couru quelque temps a rapidement été effacée et son initiateur doit aujourd'hui en rendre compte au conseil de l'ordre. Il n'est pas le premier scientifique de renom a avoir quitté la méthode rigoureuse de la science. On peut citer aussi le Pr Montagnier découvreur du virus du Sida, prix Nobel , renvoyé par l'institut Pasteur depuis qu'il prétend que les vaccins tuent les enfants ou le Pr Perrone,  infectiologue réputé démis de ses fonctions à l'APHP après avoir écrit que les nazis ont modifié génétiquement les tiques pour leur injecter la maladie de Lyme. Tout à coup ces scientifiques géniaux, suivis par des meutes de complotistes, sortent du sillon de la rigueur scientifique, écrivent des livres dénonciateurs où circulent des théories non consensuelles réfutées par l'expérience.
 Le progrès de la science consiste à évoluer par "saut", en corrigeant ses erreurs, généralement par des changements entier de paradigme comme le développe S.Kuhn dans "Les révolutions scientifiques". Une vérité scientifique peut donc être réfutée  mais à l'inverse jamais elle ne peut être prouvée  comme l'a démontré Karl Popper ( "La logique de la découverte scientifique"). Cela peut donner du grain à moudre aux complotistes. Cependant, même réfutée, cela ne signifie pas qu'une théorie n'a aucune espèce de correspondance avec la réalité. Au contraire à un instant donné, avant d'être supplantée, la théorie courante représente souvent  les meilleures chances de prédiction juste. La théorie de Newton, avant d'être  remplacée par celle d'Einstein, a fourni d'excellent résultats pendant des dizaines d'années malgré son insuffisance théorique. Par conséquent un consensus scientifique bien établi relatif à une théorie ( par exemple celle sur le climat) présenté à une époque donnée par la majorité des savants d'une discipline revêt le caractère d'une connaissance indiscutable, jusqu'à ce qu'un chercheur fournisse une donnée qui la réfute. Cette théorie , en cet instant, a une probabilité maximale de fournir des outils utiles aux décideurs puisqu'elle correspond à l'expérience tirée du monde au fil du temps. Ses détracteurs sont obligés de constater année par année que ses prévisions sont justes. Elle représente la meilleure façon qu'on ait de faire des prédictions sur le futur. 
Mais il ne faut pas dissimuler que modéliser le climat, donc les causes de changement, reste extraordinairement complexe puisque cela nécessite un nombre infiniment grand de paramètres. Il faut aussi ajouter que faire des expériences climatiques en laboratoire pour valider les modèles n'est tout simplement pas possible. La statistique sur le temps long reste seule la seule expérience possible (hormis celle de l'effet de serre, que connaît tous les jardiniers). Mais précisément l'échelle de temps sur laquelle se produisent les phénomènes n'est pas connue à l'avance. Cependant voir coïncider les périodes de développement industriels de l'humanité avec celles de la montée des GES et celles de la montée des températures ne laisse aucun de doute sur la conclusion à tirer.

Les quatre larrons
 
Après avoir rapporté les faits ( taux d'incidence covid / taux de GES dans l'air), publié des projections, il appartient au scientifique de jouer un rôle de conseil, de fournir au politique des pistes de résolution, donc des moyens de sortir de la crise articulés sur ses connaissances ( confinement, masques obligatoires / arrêt ou ralentissement des émissions de CO2), dont lui seul peut mesurer l'efficacité. 
Mais dès lors il quitte la pure science pour entrer dans la raison pratique, dans le management de la crise. 
En temps de crise, il y a donc une figure, le scientifique, possédant la connaissance pure de la science qui  dans un second temps change de profil et  propose les actions à mener qui utilisent ces connaissances ( comme le fait le conseil scientifique à propos du covid, ou le GIEC à propos du climat). Puis apparaît un troisième larron, le politique, qui doit en fonction du contexte national ou international choisir parmi les solutions proposées. Apparaît même une quatrième figure, celle de l'industriel qui doit construire les moyens attachés à ces solutions ( le vaccin, ou la voiture à hydrogène, l'hydrolienne etc..), adoubé ou non par le politique. Il serait intéressant de retrouver ces quatre figures replacées dans la philosophie de la Grèce antique. 

La sagesse ou la science
 
Dans l'antiquité grecque, la personne qui aperçoit les formes pures de la connaissance c'est le sage. Platon considère qu'elles forment un monde à part, le monde des Idées, qui n'a rien à voir avec le monde matériel d'ici-bas. Les objets façonnés dans cette matière ne représentent qu'une vulgaire mise en forme des ces Idées dans un univers plongé dans l'indétermination. Ces Idées ou connaissances, immortelles et transcendantes ne peuvent pas être altérées ou souillées par le monde mortel. Le sage n'a donc que faire de l'art ( entendu comme production). Sa vie est contemplative,  désintéressée, il admire les Idées, mais la vie matérielle ne le concerne pas. Seul la cité le motive car il a le savoir pour la diriger. Il sait reconnaître le Bien en soi ou le Beau en soi , et le regarder en face suffit à son bonheur. Il possède les quatre vertus cardinales : la sagesse/prudence, la tempérance, le courage, la justice. Notre scientifique d'aujourd'hui , s'il étudie la recherche fondamentale, a des points commun avec le sage platonicien, il vit dans un monde de connaissances éthérées sans aucune finalité déclarée.

La prudence antique aux multiples sens

Aristote , qui ne croyait pas à la théorie des Idées, a repris la définition des vertus cardinales de Platon. Mais s'il reprend leur énoncé, il change totalement le sens attaché à l'une d'elle: la prudence, comme l'explique Pierre Aubenque(*), qui pour Platon est synonyme de sagesse ou de sagacité. A cette époque la prudence n'est pas du tout entendue comme  "précaution" ni pour Platon ni pour Aristote. La prudence chez Platon, comme la sagesse, est une vertu qui consiste à savoir séparer l'idée du Bien de l'Idée du Mal. Elle n'est pas une vertu morale car nous sommes toujours dans le domaine de la connaissance non de l'agir. Toute la philosophie grecque est traversée par cette dichotomie : le savoir opposé au faire. Le savoir est rapporté au domaine du nécessaire, le faire se rapporte au domaine du contingent. Le premier est porté par la raison spéculative, le second par la raison pratique et instaure le concept d'éthique. Connaître le Bien en tant qu'Idée ne revient pas du tout à savoir agir conformément au bien, cela reste un savoir désintéressé.
Au contraire la prudence,   comme Aristote la dépeint dans L'"Éthique à Nicomaque", se présente comme une disposition pratique  même si elle entretient un rapport avec l'intellection. La prudence est alors une disposition qui "calcule", une puissance de délibération sur le contingent (ce qui peut ne pas être, par exemple l'émergence d'un virus ou l'émission du CO2 par l'activité humaine ), tandis que la sagesse ne délibère pas puisqu'elle est attachée au nécessaire ( ce qui ne peut pas ne pas être, par exemple les lois physiques découvertes par la science: on ne délibère pas sur la chute d'un corps: sans obstacle il chute). La prudence est requise dès lors que l'aléatoire s'insère dans le monde, l'homme a alors un rôle à jouer, son action implique le choix des fins et des moyens.
 La prudence d'Aristote concerne "ce qui est bon ou mauvais pour l'homme", c'est  une norme de l'agir dans un monde contingent au futur indéterminé. Elle a donc un aspect moral, celui d'appliquer la règle du bien, mais qui décide de cette norme ? c'est le "phronimos"(*) , l'homme prudent, le héros qui sert de référence( Périclès au temps d'Aristote). Pour Aristote sagesse et prudence sont donc deux vertus tout à fait différentes. Plus encore la prudence ne concerne que la délibération sur les moyens qui permettent d'arriver à une fin, il n'est pas question d'agir avec précaution ou hésitation mais au contraire avec efficacité. Mais si elle n'était que cela, la prudence grecque se résumerait à une habileté ignorante de la moralité de la fin, tout comme l'assassin qui choisit au mieux l'arme, le moment du crime et l'élaboration d'un alibi. Lorsqu'on se veut prudent, les moyens doivent être choisis suivant "la droite règle" par quelqu'un de vertueux pour aller vers le bien.
 
Une personnification des rôles
 
 Que trouvons nous dans le monde d'aujourd'hui de commun avec cette conception? Tout d'abord remarquons que  le "scientifique", comparé au sage grec, est devenu un professionnel. Le savoir s'est terriblement accru et répandu au point que la science s'est partitionnée et que les hommes qui y sont plongés se spécialisent dans des domaines très particuliers.  La physique n'est pas la biologie et chacune comprend de nombreuses subdivisions et de nombreux profils de métiers différents, et il en est ainsi pour chaque science. Science et Philosophie recouvraient en Grèce le même concept : celui de la recherche de la vérité, et le philosophe était l'homme de science. Dans le chapitre V de "La République" Platon présente même le philosophe comme devant  entrer en politique puisqu'il a toutes les qualités pour devenir roi et prendre avec prudence les bonnes décisions.  Le philosophe cumulait donc les trois figures : ami de la sagesse, scientifique, politique. 
Aujourd'hui ces fonctions sont portées par des personnes distinctes. Le scientifique gagne sa vie par la science et en a fait son métier. Le politique lui aussi s'est spécialisé et très souvent consacre sa vie à la cité. Le philosophe n'a plus beaucoup d'audience et le héros prudent qui décide a été remplacé dans les crises par des structures, des groupements. Ainsi le conseil scientifique ou le GIEC ont la charge de l'attitude du prudent qui délibère sur les moyens. Périclès serait aujourd'hui coupé en deux : d'un côté ces groupes nous indiquent les  moyens d'arriver au bien ( ie l'éradication du virus ou du CO2), de l'autre à charge des politiques de choisir parmi ceux ci les meilleurs ( les moins chers, les plus acceptables, ceux qui permettent de se faire réélire etc.) et le temps pour y parvenir. L'homme de science lui devient triple : celui des laboratoires attaché à la recherche, celui des comités de conseils, celui qui officie dans les entreprises privées de production. Nous avons perdu en route le philosophe qui traçait l'horizon du bonheur et considérait la vertu comme moyen d'y parvenir. 
La prudence est devenue une attitude frileuse qui est jugée souvent négativement, le glissement sémantique s'est produit au profit de la valorisation du risque, les proverbes en témoignent : "celui qui ne risque rien n'a rien". Le vrai héros de nos jours sera applaudi à l'aune des risques qu'il prend, le web fourmille d'exploits gratuits comme chevaucher la crête de hauts sommets à toute vitesse sur un VTT, sans autre but que le nombre de vue de la vidéo. Au contraire celui qui délibère pour s'assurer l'efficacité de la fin qu'il a choisie, sans risquer l'échec, sera considéré comme frileux ou sans mérite et sans vertu. Il faut se demander si la prise de risque de l'humanité face à son futur ne participe pas de ce changement d'attitude face à la notion de prudence. Le risque caractérise d'ailleurs nos sociétés modernes: pour Ulrich Bech dans "La société du risque", nous sommes passé d'un monde dans lequel la nature nous mettait en danger à celui où nous mettons la nature en danger (Tchernobyl, Fukushima).
De nos jours la connaissance scientifique s'est considérablement disséminée et alors que le philosophe a disparu de la scène ce sont parfois des groupes de scientifiques qui se chargent de rechercher le chemin qui permet d'arriver au bonheur individuel et collectif. 

L'association Negawatt

Cette association spécialiste des questions énergétique suggère, comme beaucoup d'écologistes, de renouer avec la vertu, en l'occurence une des vertus cardinales : la tempérance renommée "sobriété". Nous citons cette association à titre d'exemple car elle est constituée historiquement par des scientifiques. Portée par une prudence toute aristotélicienne elle tente également d'en tirer des conclusions politiques. Elle délibère avant de prédire. RTE propose une approche uniquement techniciste pour évaluer l'énergie dont nous aurons besoin dans les prochaines années et défend très mollement l'idée de sobriété. Plutôt qu'extrapoler les quantités d'énergie requises dans le futur sur la base des consommations d'aujourd'hui, comme le fait RTE, Negawatt propose de raisonner à partir des besoins réels. Aussi peut-t-elle poser les questions suivantes, (un peu transformées pour les besoins de cet article) pour y impliquer chacune des vertus cardinales:
 Sommes nous prudents ( au sens d'Aristote) en consommant chaque année plus que ce que la planète peut renouveler? Consommer toujours plus conduit-il au bonheur? Pouvons nous être heureux en restant tempérants (sobre) énergétiquement ?  Est-il juste que certains pays épuisent plus la planète que d'autres qui en subissent en premier les conséquences? Aurons nous le courage d'agir autrement et de changer notre mode de consommation?
A partir des réponses, évidentes, sauf pour la dernière question, il devient possible d'élaborer un scénario très différent de RTE. Ce scénario prépare une sortie totale du nucléaire et décrit une transition vers la neutralité carbone avec 100% d'énergie renouvelable pour 2050. Il intègre l'idée de justice énergétique, dans laquelle chaque pays ne peut bénéficier de l'import d'énergie ou de matériaux que proportionnellement à son nombre d'habitant. La présentation live du scenario 2022 est visible en ligne.
Il permet de bien comprendre que si nous atteignons les objectifs fixés par le GIEC, nos vies vont changer considérablement...








 
 
 
 
 
 

"La prudence chez Aristote" - Pierre Aubenque- PUF

 










 

mardi 16 novembre 2021

La grande histoire


 La chaîne Arte a diffusé en Septembre 2021 "La grande histoire des peuples d'Amériques" , un documentaire en quatre volets de 52 minutes. Cette histoire concerne aussi bien les peuples d'Amérique du sud que du nord, elle met l'accent sur les cultures spécifiques et les traditions que tentent aujourd'hui de faire survivre leurs descendants.

Les premiers peuples indiens d'Amérique du nord, et maintenant du sud, ont au XXe siècle été reconnus comme des victimes de la colonisation et de la civilisation moderne, et les occidentaux se sont à peu de frais refait une virginité en valorisant en retour leur culture ancestrale et leur mode de vie respectueux de la nature.

Grâce à des chercheurs comme Marcel Mauss, Claude Lévi-Strauss ou Philippe Descola qui soutenu sa thèse face à l'auteur de "Tristes tropiques", les "sauvages" ont acquis le statut d'êtres dont les traditions et le mode de vie sont admirables, ou en tous cas dont les croyances ne sont plus considérées comme simplistes ou ridicules mais au contraire témoignent d'une symbiose avec leur environnement. La complexité des mythes, des échanges, des systèmes de parenté, des cérémonies, les relations établies avec les animaux ou les végétaux recueillent maintenant notre admiration et notre regard bienveillant pour ceux qui ont su qui ont vécu si différemment et si loin de nous.

La même sympathie est adressée à leurs descendants qui ont su garder un trait caractéristique de ces civilisations: le maintien de la tradition et l'amour des ancêtres. Ce documentaire d'Arte illustre à foison ces liens puissants qui lient les générations chez les peuples d'Amérique du Nord, et met en scène cette récente admiration. 

Extraits:

"La culture amérindienne est bien vivante, ses racines remontent à plus de treize mille ans"

"Ces peuples éloignés partageaient la même croyance en leurs liens profonds avec la terre, le ciel, l'eau, et tous les êtres vivants."

"Ce profond respect pour la nature a engendré de grandes nations."

"Regardez cette ceinture wampum, c'est notre façon de préserver la mémoire, c'est notre livre d'histoire", dit un Iroquois , peuple dont le documentaire avance qu'il a inventé la démocratie et a inspiré les pères fondateurs de la constitution des Etats Unis. Cette ceinture date de l'aube de la création de ce peuple.

Nous voyons défiler les actuels Iroquois devant la ceinture et la toucher comme une relique sacrée.

"Quand on touche cette ceinture, on salue ses ancêtres" explique un patriarche. Le culte du chef est par ailleurs fondamental, et les grands chefs sont vénérés.

Nous sommes ainsi passé assez rapidement à l'image d' indiens cruels et sanguinaires, amateurs de whisky, tels qu'ils étaient dépeints dans les westerns hollywoodiens des années 30, à de sages philosophes dont la haute civilisation nous inspire. Ces amérindiens qui nous fascinent sont terriblement attachés à leur territoire, leurs frontières, leur identité, jusqu'à faire la guerre pour les défendre.

 Qui dit peuple, identité, culture forte , territoire délimité, culte du chef et tradition inamovible n'a pourtant pas bonne presse aujourd'hui en occident. Au contraire, les valeurs en vogue seraient plutôt multiculturalisme plutôt qu'identité figée,  rejet des générations passées ( "ok boomer") plutôt que respect des anciens, consumérisme et objets jetables plutôt que sacralisation des reliques, valorisation de tout ce qui apparaît comme nouveau plutôt que conservation et transmission, village mondial plutôt que territoire à défendre. Jusqu'à l'idée de peuple qui tend à perdre sa polysémie: jusqu'ici "peuple" se déclinait à la fois en ethnos et demos, mais se réduit maintenant à ce dernier, ensemble de citoyens unis dans un système politique commun. Quant au culte du chef, voyez ce qu'on penserait des gens qui se mettraient à genou devant le képi du général de Gaulle.

D'où vient cette schizophrénie ? Tout se passe comme si nous célébrions ailleurs, dans la figure des amérindiens, ce dont nous ne voulons plus ici. Nous valorisons là bas ce que nous haïssons chez nous.

Mais le regard que nous posons si loin est muni d’œillères. Ces valeurs dont parlent les Iroquois actuels dans le documentaire ont déclenché d’innombrables guerres entre les Mohawks et les Oneida entre autres. La cruauté des Aztèques et des Mayas est bien connue, eux qui sacrifiaient horriblement leurs prisonniers. Aussi bien en Amérique du Nord qu'au sud on pratiquait l'anthropophagie, on ouvrait la poitrine des sacrifiés pour manger leur cœur battant. Nous filtrons les aspects qui nous hérissent pour ne garder que les objets qui nous valorisons.

Lévi-Strauss explique dans "Race et Histoire" en 1952 puis dans  "Race et culture" en 1971 que pour exister une culture doit être défendue pied à pied sur un territoire sous peine de voir disparaître ses traits caractéristiques. Nous adhérons à cette pensée  lorsqu'elle ne nous concerne pas, par exemple chez les amérindiens d'origine, mais elle rentre aujourd'hui chez nous en conflit avec une autre érigée en dogme qui est celle du relativisme culturel : toute culture a sa propre valeur qui est la même que toute autre (pensée inexistante chez les indiens). Voici ce qu'en disait Lévi-Strauss :

" Cette attitude de pensée, au nom de laquelle on rejette les « sauvages » (ou tous ceux qu’on choisit de consi­dérer comme tels) hors de l’humanité, est justement l’attitude la plus marquante et la plus distinctive de ces sauvages mêmes". 

"En refusant l’humanité à ceux qui apparaissent comme les plus « sauvages » ou « barbares » de ses représentants, on ne fait que leur emprunter une de leurs attitudes typiques. Le barbare, c’est d’abord l’homme qui croit à la barbarie »

Pourtant ce débat semble dépassé. Nous n'en sommes plus à opposer nature et culture, et nous reconnaissons à toutes les tribus et sociétés d'élaborer des cultures passionnantes et leurs représentants ne sont plus depuis longtemps considérés comme des animaux.   Mais défendre sa culture, ce qui, dit Lévi-Strauss, est le trait primitif de toute société, devient curieusement en Europe une idée de droite ou même d’extrême droite, alors que soutenir les indiens, qui défendent mordicus leur identité et leur conservatisme, s'inscrirait plutôt dans la lutte anti-colonialiste, donc se classerait plutôt à gauche , gauche qui se revendique progressiste.

Nous sommes ainsi contraints moralement de rejeter toute hiérarchisation des cultures mais regrettons inconsciemment de ne pouvoir le faire. Le relativisme culturel devient un point aveugle de la pensée. Nous pouvons pourtant parfaitement admettre des visions différentes du monde, apprécier de loin certains peuples mais également admettre que certaines valeurs et pratiques rentrent en opposition avec les nôtres. Par exemple en Europe le corps de l'autre revêt une certaine sacralité: manger de la chair humaine ou mutiler les organes génitaux des petites filles nous horrifie. De même marier un adulte avec un enfant, ou considérer la femme comme inférieure, etc. Il faut alors mettre de côté tout ces aspects pour nous négatifs afin de pouvoir commencer à apprécier d'autres civilisations. En revanche vivre côte à côte chacun avec des valeurs civilisationnelles tellement différentes constitue un pari beaucoup plus difficile que garder l'esprit curieux à propos d'une culture étrangère. De nos jours revendiquer et préférer des valeurs associées à la culture européenne et à son histoire vous catalogue comme conservateur ou  bien pire. Vous êtes sommé d'accepter que les us et coutumes du monde se mixent à votre univers,  sous peine d'être accusé d'étroitesse d'esprit ou même d'être tancé de raciste.

Curieusement dans le cas des amérindiens nous considérons  non pas négativement mais positivement leur attachement fondamental aux traditions, leur façon de garder intact un paradis originel en parlant au ciel ou au oiseaux, en s'excusant de tuer un animal lorsqu'il doivent le manger. Mais dans le même temps sur notre territoire nous industrialisons la fabrique de la viande , pas si loin de "Tintin en Amérique" lorsque les bœufs rentrent par un côté du bâtiment alors que les saucisses et les steak ressortent de l'autre. Ces pratiques se trouvent à l'opposé du respect animal que nous admirons tant chez les peuplades primitives.  A se demander si la globalisation, à l'image de l'usine de viande, à sa sortie ne fabrique pas des méli mélo de cultures indéterminées , fruits de la cohabitation imposée par le village planétaire et tendant vers une culture mondialisée elle aussi ( junk food , world music, séries Netflix planétaires). Finalement tout se passe comme si notre mode de vie était déconnecté de nos souhaits les plus chers, comme si nous regrettions cette puissance affirmation de soi qu'émettent ces cultures qui veulent rester elle-mêmes, sentiment que nous avons pour toujours banni. Mais pourquoi ?

 Sans doute à cause de l'horreur de la période nazie. Nous craignons comme automatique un retour à la barbarie et au nationalisme si nous osons manifester nos "préférences nationales" : un syntagme qui devient connoté, employer ces mots revient à se voir encarté au Rassemblement National. Longtemps la gauche a laissé les couleurs du drapeau monopolisés par la droite et l’extrême droite, aujourd'hui on continue d'abhorrer ce beau symbole et de le considérer comme un témoignage d'une possibilité de guerre, imaginez la ceinture "wampun" rejetée par les indiens, eux qui l'adorent aujourd'hui .  Il n'y a rien de plus effrayant pour la gauche que le fascisme, et préférer sa culture c'est déjà pour elle du fascisme.  Pour elle, seul existe le peuple comme "demos", elle reprend pour elle la définition de  la nation par Ronan  en tant que '" plébiscite renouvelé chaque jour", c'est à dire un peuple  sans origine. Pour elle le peuple en tant qu'"etnos" doit disparaître et n’être plus un enjeu politique (ce qui ne va pas sans contradiction: les Kurdes ou les saharaouis ne sont donc plus un peuple...) . Donc tous les problèmes autour de l'immigration ou de la multiculturalité doivent apparaître comme "instrumentalisés" par l'extrême droite, et n'être qu'une invention, une vue de l'esprit, une manifestation de haine. Tout le débat que Levi Strauss avait fait naître autour de la question des cultures menacées par la démographie galopante, initiée dans "Tristes Tropiques" et complétée dans la conférence "Race et Culture" est devenue pour la gauche un non-problème. Ceux qui pensent que fondre les cultures du monde, sur une terre de plus en plus petite pour ses milliards d'habitants, engendre d'énormes problèmes sont qualifiés aujourd'hui d'inadaptés. Circulez il n'y a rien à voir... sauf peut être, en versant une larme, les Iroquois.