jeudi 18 février 2016

Les pesticides et la norme

Le 2 février, sur France 2, Elise Lucet dans « Cash Investigation », révélait : « 97 % des aliments contiennent des résidus de pesticide. » , ce qui est une reformulation d'une déclaration de l'efsa (European Food Safety Authority): " Plus de 97 % des échantillons alimentaires évalués par l’Agence européenne de sécurité des aliments (EFSA) contiennent des concentrations de résidus de pesticides qui se situent dans les limites légales autorisées dont presque 55 % sans aucune trace détectable de ces produits chimiques. "
Les aliments contiennent donc quasiment tous des résidus de pesticides, même faibles, que la communauté politique conseillée par la communauté scientifique, qui n'est pas toujours à l'abri du lobbying, déclare à une époque donnée, "dans les limites légales" ce qui ne veut pas dire inoffensifs( cf une étude de l'INSERM de 2013). L'intrication de la production humaine dans tous les compartiments naturels a des conséquences incalculables.
Il y a deux problèmes :
- Tout d'abord celui de la validité de la norme. Comme Popper l'a démontré, à la suite de Hume, aucun énoncé de la science ne peut être démontré par induction ni affirmé "vrai". Popper recherchait un critère qui puisse démarquer les propositions scientifiques des propositions métaphysiques. Pour lui c'est la réfutabilité d'une proposition qui peut l'établir comme proposition scientifique.
Une proposition est réfutable lorsqu’il existe une possibilité de démontrer qu'elle peut être fausse, ce qui ne signifie pas qu'elle le soit en réalité, mais signifie que la science peut arriver à corroborer l'hypothèse en établissant une théorie et en expérimentant.
 L'hypothèse "les pesticides sont dangereux" est réfutable. Pour la réfuter il suffirait de prouver que personne n'est tombé malade ou mort à cause des pesticides, ce qui est possible puisque la médecine a pour objectif d'identifier l'étiologie des maladies ou la cause des décès et vérifier si les pesticides en sont la cause. Elle est donc une hypothèse scientifique valide.
 L'hypothèse "les pesticides ne sont pas dangereux en dessous de telle norme" pour être réfutée nécessiterait de faire absorber, en double aveugle, à des humains une quantité au dessus de la norme pendant toute leur vie, ce qui n'est pas possible dans notre cadre éthique, ni dans le cadre d'une étude en double aveugle dont la durée n'atteint jamais la vie entière, ce n'est donc pas une hypothèse scientifique valide.
En matière alimentaire, les normes d'aujourd'hui ne sont pas les normes de demain et elle varient d'un continent à l'autre, ce qui montre bien l'incertitude, selon le temps et l'espace, de leur détermination. Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au delà, comme disait Pascal. Comment expérimenter scientifiquement l’absorption de différentes doses de pesticides sur le corps humain sur une durée de vie complète, méthode utilisée pour autoriser les médicaments en phase I,II,III évidemment sur une durée moindre? Réponse : en prenant la population pour cobaye, sauf que les testeurs sont trop nombreux pour qu'on puissent évaluer leurs changements physiologiques. Les conséquences au long cours de cette absorption sont donc ignorées.
- On ignore largement les effets de la combinaison des milliers de substances chimiques qu'absorbent dorénavant chaque humain. L'UE s'en inquiète et a sorti la directive REACH pour les dénombrer. Le gouvernement lance des enquêtes pour mieux connaître la pollution par pesticides, aveu d'une ignorance http://www.developpement-durable.gouv.fr/-Prevention-des-risques-.html.  La combinaison des substances peut engendrer des effets que chacune, prise seule, ne fait pas apparaître. Cette vue holistique du danger chimique n'est pas considéré dans la définition des normes puisque largement ignoré. Les scientifiques , s'en inquiètent de plus en plus cf http://www.artac.info/fr/appel-de-paris/presentation_000074.html

En France la charte de l'environnement de 2004 définit le principe de précaution comme un principe de l'action.
Nous ne sommes pas censés rester passifs face à un envahissement des substances chimiques, qui ne servent pas en priorité la population mais des intérêts particuliers ( on sait aujourd'hui obtenir des rendements similaires sans pesticides), les pesticides sont des produits dangereux pour les humains, il est donc heureux que des journalistes pointent l'information importante qu'ils se retrouvent dans tous les organismes, il faut interdire les pesticides par principe de précaution. Longtemps on a pensé qu'un paquet de cigarette par jour ou plusieurs verres de vins ou encore manger gras n'avait pas de graves conséquences (je bois du vin, mange parfois gras et j'ai été fumeur, mais au moins je l'ai choisi). La norme n'établit pas la vérité absolue et doit être considérée dans son contexte historico-socio-culturel comme l'a montré Georges Canguilhem dans "le normal et le pathologique"

lundi 15 février 2016

La personne, la démocratie et l'aéroport

Le mot personne étymologiquement provient du latin "persona" qui signifie masque. L'acteur de théâtre, qui porte un masque, joue un rôle dissimulé derrière ce masque. Thomas Hobbes, dans le Léviathan, nous propose une théorie de la représentation, non théâtrale mais politique, basée sur cette notion.
Il distingue la personne "artificielle", comme le rôle représenté par l'acteur avec son masque, de la personne "naturelle" qui se trouve sous le masque. Lorsque le peuple souhaite que sa volonté plurielle devienne commune, il désigne une personne naturelle, l'élu, qui le représente et unifie toutes les volontés en une seule. Deux personnes se retrouvent alors dans l'élu : la personne artificielle du peuple représenté et la personne naturelle chargée de cette représentation.
L'élu devient l'acteur au service du peuple, ce qui signifie que ses actions portent comme auteur le peuple qui l'a mandaté. Le peuple ne peut ainsi renier les actions commises en son nom, dans le cadre du mandat qu'il a défini, puisqu'il en est l'auteur.
Dans les démocraties dont la population trop nombreuse empêche le scrutin direct pour les élections, c'est à dire aujourd'hui toutes, ce système de représentation intervient à plusieurs étages : national, régional, local. Ainsi peuvent être décidées localement les actions qui ne dépendent que du local, au plus proche des besoins des citoyens. Lorsqu'il s'agit de construire un équipement qui traverse plusieurs régions, d'enjeu national, comme une autoroute ou une ligne TGV, les élus locaux, régionaux prennent les avis de la population directement concernée par le biais d'une enquête publique, ce qui permet de recueillir directement les desiderata des citoyens. Ces mêmes élus locaux donnent leur sentiment et peuvent infléchir les projets mais au final c'est l'exécutif, en respectant les lois votées par les élus nationaux, qui décide de la viabilité et du tracé de tels équipement en fonction de l'intérêt général.
Nécessairement le jeu de la démocratie induit que ceux qui n'appartiennent pas à la majorité peuvent ne pas voir leurs souhaits se réaliser, mais ils sont malgré tout "auteurs" des décisions prises, puisque même les minoritaires donnent mandat au représentant. Même lorsque le scrutin est direct, comme un référendum local qui concerne strictement et uniquement les gens d'un même territoire, tous doivent se conformer au résultat.
Si, par confusion, les référendums locaux devaient se tenir pour des équipements relatifs à l'aménagement du territoire, donc qui impliquent la dimension nationale comme les aéroports, ils n'auraient valeur que d'enquête publique, car au final l'intérêt général impose soit une décision de l'exécutif avec consultation des élus, soit un référendum national. Au contraire si le référendum local s'imposait comme légitime pour les questions nationales, nous obtiendrions une tyrannie des terroirs, totalement sclérosante pour tout projet global. L'intérêt général, par définition, ne jaillit pas des urnes locales.
Chacun connaît le syndrome "nimby" ( not in my backyard). Si nous avions opté pour des référendums locaux à Roissy, Orly ou d'autres aéroports, ils n'existeraient tout simplement pas. Si nous avions recueillis l'avis des habitants concernés par la construction des grands barrages hydroélectriques dont on s'enorgueillit aujourd'hui pour leur production d'énergie verte, ils n'auraient simplement pas été érigés. De même pour les autoroutes. Nous habiterions un tout autre pays, plus souhaitable pensera une minorité, mais sans projet collectif, serait-ce même un pays ? Le politique disparaît quand on pense l'intérêt particulier être le plus légitime et  qu'on le place au dessus de l'intérêt général. La revendication d'un petit nombre peut être audible et transformer nos vies, mais elle ne peut s'imposer que si tous l'acceptent quand tous sont concernés.
Que le projet d'aéroport de Notre Dame des Landes soit justifié ou non, ce qui n'est pas le sujet débattu ici, un référendum local ne peut démocratiquement décider de sa construction, ni les électeurs concernés être les seuls auteurs de la décision.

samedi 13 février 2016

Le consommateur impérial

Le consommateur agit comme un véritable agent de sélection naturelle envers les entreprises, pour autant qu'il est possible de considérer une entreprise comme un organisme vivant. Son choix se porte en général vers le meilleur rapport qualité prix, mais d'autres comportements se distinguent selon la catégorie économique de l'acheteur: choix des produits au prix le plus bas, ou bien des produits qui augmentent l'estime de soi et permettent de se distinguer de la masse et de se reconnaître dans un groupe etc. L'entreprise dont les produits ne sont pas sélectionnés risque la mort, dans un monde libéral elle doit s'adapter en baissant les prix et/ou en recherchant l'amélioration et l'innovation.
Le travail, qui selon Marx, crée l'homme, crée aussi le consommateur. Chacun possède ainsi une double identité travailleur/consommateur. Lorsqu'il est salarié dans  la sphère productive, le travailleur dont l'entreprise réussit peut éventuellement voir ses gains s'améliorer mais le profit a pour destination naturelle la poche des actionnaires. En revanche si l'entreprise est en difficulté, il en subira à tous coups les conséquences délétères, suppression des primes, ralentissement de carrière, jusqu'à la perte de son emploi, mais le contrat de travail lui offre une certaine protection sur son salaire. Lorsque le travailleur/consommateur possède sa propre entreprise comme artisan, petit commerçant ou agriculteur,  possibilité lui est donnée de diminuer de lui même ses revenus pour amortir la fluctuation à la baisse de son activité. Il peut donc continuer son terrible calvaire en pariant sur une éclaircie miraculeuse mais en réalité en s'appauvrissant jusqu'à l'ultime fin de son activité. Comme il ne peut pas agir efficacement sur les concurrents, qui recueillent l'assentiment des consommateurs, il va tenter d'influer tous les autres paramètres qui gouvernent son revenu, comme la marge du distributeur ou la fiscalité, qu'il va finir par tenir responsables et même causes finales de sa situation. Son désespoir ira jusqu'à détruire des biens communs et reporter sur d'autres travailleurs les coûts de réparation. Cette réaction pour échapper à la mort  ignore le fait que comme consommateur, ce travailleur engendre les mêmes problèmes de survie dans d'autres filières d'activité, lorsqu'il achète vêtements, voiture, électroménager et tous biens de consommation. Ainsi chaque consommateur élimine par son comportement d'acheteur des entreprises et des emplois. Impérial, le pouce levé ou abaissé dans les Colisée suburbains encombrés d'étals rutilants , il envoie parfois en enfer son double, le travailleur.

mardi 9 février 2016

Les organes invisibles ou l'état oublié

Lorsque nous vaquons à notre ordinaire, marchons dans la rue, sirotons un café, ou discutons, peu nous importe que nos poumons s'oxygènent, inspirent et expirent, que notre cœur pompe et distribue le sang ou que notre cerveau transmette des impulsions électriques et des messages chimiques . En permanence l'estomac, le foie, l'intestin, assurent le fonctionnement de ce qu'il est convenu de nommer le corps. Les nerfs et les muscles participent à déplacer ce squelette articulé, spécialisé par des millénaires d'évolution. Des milliards de cellules vivent silencieusement en bonne intelligence  parallèlement à la connaissance réflexive que cette organisation détermine. Cette complexité interne nous échappe, et seul nous est tangible ce qu'elle laisse filtrer de l'individu qu'elle constitue: une conscience des idées qui nous traverse et une perception limitée sur le corps et le monde.
Nous apprenons vite à faire abstraction de cette analyse qui décompose le corps humain en différentes unités fonctionnelles, ou systèmes, d'autant plus qu'une importante part nous en est dissimulée, les organes internes habitent un monde inaccessible : l'intérieur mystérieux et effrayant du corps. Pourtant cette étrange mécanique invisible à laquelle nous sommes soumis, bien que la volonté qui en provient s'illusionne sur sa puissance, pulse sempiternellement, engendrant "l'appétit" selon Hobbes ou le "conatus" selon Spinoza.  L'estime de son propre corps ne se porte jamais sur ces territoires oubliés, l'identification de l'individu concerne  l'enveloppe charnelle  seule. Le monde phénoménal du corps, lorsqu'il s'agit d'amour de soi ou d'amour de l'autre se restreint à son extérieur physiologique, son apparence. Plus encore, la reconnaissance d'un corps se concentre sur un sous ensemble de cette apparence : le visage.

Ce continent enfoui des organes oubliés réapparaît lorsqu'on plonge dans le corps social et qu'on analyse L’État. Dans l'introduction du "Léviathan", Thomas Hobbes file la métaphore :"[...] ETAT qui n'est autre chose qu'un homme artificiel, quoique de stature et de force plus grandes que celles de l'homme naturel pour la défense et la protection duquel il a été conçu. En lui la souveraineté est une âme artificielle car elle donne vie et mouvement au corps tout entier; les magistrats et les autres officiers judiciaires et d'exécution sont les articulations; la récompense et le châtiment par où la souveraineté, attachant à son service chaque articulation et chaque membre, met ceux ci en mouvement pour accomplir leur devoir, ce sont les nerfs; [...] la guerre civile sa mort". 

Aujourd'hui nous avons totalement oublié les bienfaits de L’État et de ses organes. Sa première mission consiste à assurer la paix, que nous connaissons depuis 70 ans, l'ordre et la justice. Toute notre vie est scandée par cette organisation translucide, que nous menions les enfants en classe via les routes nationales -sûres grâce aux panneaux de signalisation-, ou via les transports publics; que nous appelions les pompiers ou nous nous rendions en hôpital; que nous faisions appel à un avocat pour un divorce ou une succession etc.
Tout ces bienfaits de tous les jours dont nous bénéficions organisent la cité conventionnellement alors que nous les pensons naturels. Ces organes étatiques produisent leur effets à notre insu et permettent à la société de "persévérer dans son être" comme dit Spinoza. Aucun individu ne songerait à donner une quelconque reconnaissance à ses propres organes internes pour la bonne vie qu'ils lui donnent et par la même ingratitude il ignore superbement le bénéfice d'une police, d'une justice ou d'une éducation qui lui apparaissent comme un dû. Seul ceux qui connaissent la guerre civile, la peur panique et la destruction féroce du quotidien, valorisent L’État à son juste rôle et souhaitent ardemment son retour.

Alors que nous sommes attaqués, telle une maladie qui tue des cellules, le rôle de L’État consiste à renforcer les défenses. Beaucoup le critiquent, mimant le rôle du malade qui refuse qu'on le soigne, détestant plus le médecin que sa maladie, pensant qu'il va guérir tout seul s'il est nourri correctement. Pis que cela certains, pour toute éternité vissés sur une morale de conviction puisqu'ils ne prendront jamais aucune responsabilité politique gouvernementale, le mal c'est L’État, et honni soit son visage, quel qu'il soit.

dimanche 7 février 2016

L'écrivain, l'élève et l'éboueur

Dans le numéro 92 de Le 1Hebdo de février 2016 intitulé "L'antisémitisme des cages d'escalier"  , Tahar Ben Jelloun, écrivain reconnu retrace son expérience de visite dans les écoles: "Ce fut ainsi qu’en novembre 2009, Kader, 14 ans et encore en classe de sixième, se leva et me dit sur un ton rapide : « Pourquoi les éboueurs sont tous des Noirs ou des Arabes, jamais des Juifs ? »". Puis : "il poursuivit en récitant les clichés de l’antisémitisme de base (l’argent, les banques, les médias, les complots)". L'écrivain raconte qu'il rencontre souvent un antisémitisme de base dans les écoles.
Cette question, qui reste sans réponse dans l'article, mérite qu'on s'y arrête. Cet élève revendique, en creux, que les Juifs se retrouvent dans les métiers les moins estimés, comme le ramassage des ordures, disons à parité avec les Arabes et les noirs. Il prétend de surcroît que les Juifs ont capté le monopole dans certains secteurs comme la banque ou les médias, puis qu'un complot vise sa communauté d'origine. Mettons de côté une première erreur qui consiste à comparer une couleur et des ethnies ou des cultures.

Sa demande semble s'approcher des deux principes de justice qu'établit le philosophe John Rawls dans sa "théorie de la justice", en particulier le 2b.
1- "chaque personne doit avoir un droit égal au système total le plus étendu de libertés de base égales pour tous, compatible avec un même système pour tous."
2- "les inégalités économiques et sociales doivent être telles qu'elles soient : (a) au plus grand bénéfice des plus désavantagés et (b) attachées à des fonctions et des positions ouvertes à tous, conformément au principe de la juste égalité des chances."
Rawls établit ces principes par opposition avec la morale utilitariste de Jeremy Bentham et John Stuart Mill. Ces derniers admettent comme principe de justice " le plus grand bonheur pour le plus grand nombre" , même si pour cela certains groupe minoritaires restent laissés-pour-compte . Rawls admet les inégalités économiques et sociales comme inévitables puisqu'il y a lutte pour les postes et fonctions et que ceux ci sont limités, mais estime qu'elles doivent être compensées pour les plus désavantagés, par exemple avec une attention accrue pour les plus faibles à l'école pour conserver l'égalité des chances. C'est ce qu'il appelle "le principe de différence".

Mais avançant l'argument de la parité et de l'égalité dans les postes et fonctions , cet élève commet une seconde erreur et devrait aussi réclamer que des français non issus de l'immigration, des femmes, des asiatiques etc. participent aussi au ramassage des ordures. Or sa focalisation sur les Juifs ne lui permet pas d'atteindre cette logique. Mais l'argument lui même de la parité ne tient pas et constitue une troisième erreur. L'égalité parfaite des chances pour les postes, n'implique pas comme résultat une répartition égalitaire parfaite des communautés ou des sexes dans ces mêmes postes. Pourquoi ?
En premier lieu parce que chaque minorité ne peut être représentée dans les fonctions qu'en proportion de son importance dans la population. Il y a environ six millions de personnes issus de l'immigration maghrébine en France( ce qu'il nomme les Arabes), deux millions en provenance de l'Afrique noire et cinq cent mille Juifs. Si donc hypothétiquement il était possible de trouver, non l'égalité, mais l'équité, c'est à dire la proportionnalité, dans la répartition des postes nous trouverions plus d'Arabes que de noirs ou de Juifs, mais aussi une majorité de français "d'origine".
En second lieu les deux sexes ne se répartiraient pas dans les métiers à parité, parce que certains métiers nécessitent une force physique que l'on trouve plus souvent dans un sexe que dans l'autre, comme pompier, bûcheron, manœuvre, crs, éboueurs etc.
En troisième lieu, la maîtrise parfaite de la langue du pays d'accueil, pour occuper un emploi où ce critère est décisif, peut avoir comme résultat une sur-représentation des natifs par rapport à des personnes qui ont une autre langue maternelle.
En quatrième lieu parce qu'il se peut que dans une communauté donnée, certains postes soient plus considérés que d'autres ou bien que l'on ne l'on admet pas qu'il soit normal que les femmes et les hommes puissent occuper les mêmes postes.
En cinquième lieu parce que les immigrants n'offrent pas forcément une répartition homogène de leur société d'origine. Il se peut que soient sur-représentés dans telle ou telle vague d'immigration ceux qui étaient d'origine paysanne ou ceux qui étaient cadres. En conséquence ils ne pourront pas obtenir des postes très différents dans la société d'accueil.
En sixième lieu, il existe d'autres clivages qui interviennent dans la répartition des postes. Les immigrés de seconde ou troisième génération devraient se retrouver avec les mêmes chances que les autres, délestés du problème de la langue puisque nés en France. Or ce qui favorise les "héritiers" bourdieusiens, n'est pas à la portée de ceux qui sont arrivés en France depuis deux ou trois générations. De ce point de vue, les enfants des ouvriers de l'automobile ont peu d'espoir d'atteindre les classes préparatoires, qu'ils soient issus de familles françaises traditionnelles athées, juives ou catholiques ou issus de famille d'immigrés. Ils rencontrent les mêmes difficultés à savoir que le milieu familial, favorise ou non la progression de l'enfant. Le regroupement communautaire dans des banlieues ou des quartiers défavorisés est un facteur aggravant pour les résultats scolaires. Ces difficultés scolaires sont déjà détaillées dans un rapport de la cour des comptes de novembre 2004 concernant l'immigration : http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/044000576.pdf.  La qualification des immigrés augmente depuis 30ans comme le montre l'étude "Trajectoire et Origines", ou TeO, de l'INED http://bit.ly/1MYYnaA, mais les résultats scolaires des enfants descendants des immigrés ne sont toujours pas à la hauteur. " Les risques de ne posséder aucun diplôme du secondaire sont ainsi plus élevés pour les descendants de migrants originaires du Maghreb, de Turquie ou d’Afrique subsaharienne" nous explique cette étude, et "les immigrés et leurs enfants d’origine extra-européenne sont particulièrement concentrés dans les zones urbaines sensibles et l’habitat social." . L'étude TeO pointe un fait troublant :" Au contraire, les écarts par origine disparaissent pour les filles. Tout se passe comme si l’institution scolaire ne produisait pas de désavantages liés à l’origine pour les filles, mais en créait pour les garçons ou se montrait dans l’incapacité de les juguler."

Conformément au principe de différence de Rawls, certains  dispositifs de soutien sont mis en oeuvre en France pour diminuer les inégalités :
- les RASED : Réseaux d'Aides Spécialisées aux Elèves en Difficulté
- le dispositif "ouvrir l'école aux parents" https://www.ac-paris.fr/portail/jcms/p2_1231237/ouvrir-l-ecole-aux-parents
- les ZUS : Zones urbaines sensibles, avec exonérations fiscales et sociales.
Mais ces dispositifs sont inopérants à la sortie du système scolaire pour éviter une ségrégation à l'embauche et une différence dans les revenus, comme l'explique l'enquête TeO " Une fois pris en considération les effets des niveaux de qualification, les descendantes d’immigrées non européens restent en situation de surchômage et aussi de sur-inactivité en comparaison des femmes de la population majoritaire. Les descendants d’immigrés non européens sont, quant à eux, également en surchômage comparativement aux hommes de la population majoritaire mais l’écart est dans leur cas plus important que pour les femmes, laissant entendre que la force des discriminations liées à l’origine les affecte davantage que les femmes (chapitre 7). Une fois en emploi, lorsqu’on examine les niveaux de salaire horaire, la décote salariale liée à l’origine est peu prononcée pour les descendantes d’immigrés, tandis qu’elle s’avère importante pour leurs homologues masculin."

De son côté une grande partie de la communauté juive en france existe depuis des centaines d'années, elle n'est donc pas soumise aux restrictions spécifiques qu'on vient de décrire qui s'imposent aux récents immigrés , ses résultats scolaires ne font pas débat, ce qui explique qu'elle puisse espérer et obtenir les meilleurs postes et fonctions, contrairement aux descendants d'immigrés qui sortent du système scolaire sans diplôme.  Ce qui suffirait à expliquer qu'elle n'apparaissent pas chez les éboueurs, ce qui de toute façon ne peut se deviner, la judéité n'étant pas une caractéristique morphologique.
Quant à sa relation à l'argent il n'est que de constater que parmi les hommes les plus riches du monde figurent des émirs d'Arabie Saoudite, du quatar, des émirats etc. que l'arabie Saoudite finance des mosquées, que le qatar a racheté le PSG,  le sultan du Brunei l'hotel Meurice et le Plaza Athénée,   le prince Saoudien Al-Walid l'hotel Georges V,  le fils du roi d'Arabie Saoudite le Crillon , le qatar le Royal Monceau et le Majestic etc. ( http://www.slate.fr/story/39077/qatar-france), et des immeubles aux Champs Elysées . Le qatar, à lui seul, est le deuxième actionnaire du groupe Vinci, il possède 3% de Total la plus grosse capitalisation du CAC40, 5% de Véolia, 1% de LVMH, 2% de Vivendi, 12% de Lagardère, 86% de la marque Le Tanneur... Concernant les médias, Al jazeera, appartenant au qatar, a pris d'importantes part de marché  et son influence est reconnue mondialement, nous avons sur la FM les stations  : radio soleil, radio Orient.  Bref l'argent et les médias ne sont donc pas des monopoles Juifs.

Concernant le complot contre les Arabes, il évidemment impossible de prouver que quelque chose n'existe pas surtout si on l'imagine dans la tête de son ennemi, mais à cet aune on peut tout aussi bien délirer qu'il existe un complot contre les catholiques ou les Juifs. Remarquons tout de même qu'en peu d'années quatre françaises issues de l'émigration maghrébine sont devenues ministres: Fadela Amara, Rachida Dati, Najat Belkacem, Myriam El Khomri . On les imagine difficilement appartenir à un gouvernement ourdissant un complot anti-Arabe.

Lorsque ce jeune stigmatise le Juif qui ne travaille pas comme éboueur, il réclame au fond à l'Etat un même statut de déclassé pour les Juifs et les Arabes, sans y inclure les "chrétiens", et non pas de s'élever vers de plus hautes fonctions. Didier Lapeyronnie dans ce même numéro http://le1hebdo.fr/numero/92/le-terme-feuj-exprime-du-dgot-1442.html résume bien cette situation : " L’antisémitisme est un langage ordinaire qui est constitutif d’une sorte de « nous » opposé à « eux ». C’est un langage qui ne se joue pas entre les gens du quartier et les Juifs. Il interagit entre les Arabo-musulmans, les « normaux », les Blancs et les Juifs."

Alors qu'avec raison il pourrait prendre conscience des véritables raisons de la discrimination qui affecte les descendants d'immigrés à l'embauche et en tirer des conséquences politiques, alors qu'il pourrait s'évertuer à obtenir à l'école de meilleurs résultats comme ses soeurs, il reste bloqué sur cette haine du fond des âges.


vendredi 5 février 2016

Cannibalisme


Au mois d'Août sur l'autoroute A1, des "gens du voyage" coupent l'autoroute, dans les deux sens, en enflammant  des pneus pour protester contre la décision qui interdit à l'un des leurs, emprisonné, d'assister aux funérailles de son père.
Depuis peu les chauffeurs uberpop , les VTC (véhicule de transport avec chauffeur) et les LOTI ( Loi d'orientation sur les transports intérieurs) prennent le boulot qui était jusque là réservé aux taxis. En réaction, les taxis manifestent et bloquent le périphérique et les accès aux aéroports . Les passagers finissent à pied avec leur valise le trajet pour aller à Roissy. Quelque jours plus tard c'est l'inverse, les LOTI manifestent car le gouvernement a accru les contrôles sur leur activité. Ils bloquent à leur tour les accès aux aéroports.
Les agriculteurs manifestent à cause "des grandes surfaces accusées de casser les prix" et des charges qu'ils estiment trop lourdes. Ils déversent des tonnes de lisier devant les préfectures et les grandes surfaces. Ils bloquent la circulation sur les autoroutes, demandent la démission du ministre de l'agriculture.
Les chaînes d'hôtels protestent contre l'activité d' Airbnb qui capte de plus en plus de client et réclament de l'état une action correctrice. Le gouvernement promet plus de contrôle sur les loueurs qui ne déclarent pas leurs loyers et dépassent les revenus autorisés.
Les syndicats manifestent contre le jugement qui envoie des syndicalistes de GoodYear en prison pour 9 mois, après que ces derniers aient séquestré des cadres suite à l'annonce de licenciements. Le même jour une grève à la RATP entraîne une réduction de trafic d'un train sur deux dans les RER A et B affectant des millions de voyageurs.

Le collectif s'atomise, le commun n'est pas respecté, le politique s'efface. Chacun défend son job, sa tribu, sa corporation et prend en otage, qui des cadres, qui des usagers, qui des voyageurs, qui des monuments publics. On défend son droit en ignorant le droit des autres. On réclame justice en créant des injustices. Personne n'accepte que le monde change. Chacun est prêt à tout pour garder sa croûte, même à faire payer des innocents.  Tous demandent au gouvernement de réguler ce monde libéral mondialisé, dans lequel les nouvelles activités cannibalisent les emplois existants, mais l'échelon politique national n'est plus adapté pour corriger les ravages en occident de la globalisation, de la numérisation et de l'automatisation.
Nous sommes en pleine "Horreur économique" comme disait Viviane Forrester.