jeudi 18 février 2016

Les pesticides et la norme

Le 2 février, sur France 2, Elise Lucet dans « Cash Investigation », révélait : « 97 % des aliments contiennent des résidus de pesticide. » , ce qui est une reformulation d'une déclaration de l'efsa (European Food Safety Authority): " Plus de 97 % des échantillons alimentaires évalués par l’Agence européenne de sécurité des aliments (EFSA) contiennent des concentrations de résidus de pesticides qui se situent dans les limites légales autorisées dont presque 55 % sans aucune trace détectable de ces produits chimiques. "
Les aliments contiennent donc quasiment tous des résidus de pesticides, même faibles, que la communauté politique conseillée par la communauté scientifique, qui n'est pas toujours à l'abri du lobbying, déclare à une époque donnée, "dans les limites légales" ce qui ne veut pas dire inoffensifs( cf une étude de l'INSERM de 2013). L'intrication de la production humaine dans tous les compartiments naturels a des conséquences incalculables.
Il y a deux problèmes :
- Tout d'abord celui de la validité de la norme. Comme Popper l'a démontré, à la suite de Hume, aucun énoncé de la science ne peut être démontré par induction ni affirmé "vrai". Popper recherchait un critère qui puisse démarquer les propositions scientifiques des propositions métaphysiques. Pour lui c'est la réfutabilité d'une proposition qui peut l'établir comme proposition scientifique.
Une proposition est réfutable lorsqu’il existe une possibilité de démontrer qu'elle peut être fausse, ce qui ne signifie pas qu'elle le soit en réalité, mais signifie que la science peut arriver à corroborer l'hypothèse en établissant une théorie et en expérimentant.
 L'hypothèse "les pesticides sont dangereux" est réfutable. Pour la réfuter il suffirait de prouver que personne n'est tombé malade ou mort à cause des pesticides, ce qui est possible puisque la médecine a pour objectif d'identifier l'étiologie des maladies ou la cause des décès et vérifier si les pesticides en sont la cause. Elle est donc une hypothèse scientifique valide.
 L'hypothèse "les pesticides ne sont pas dangereux en dessous de telle norme" pour être réfutée nécessiterait de faire absorber, en double aveugle, à des humains une quantité au dessus de la norme pendant toute leur vie, ce qui n'est pas possible dans notre cadre éthique, ni dans le cadre d'une étude en double aveugle dont la durée n'atteint jamais la vie entière, ce n'est donc pas une hypothèse scientifique valide.
En matière alimentaire, les normes d'aujourd'hui ne sont pas les normes de demain et elle varient d'un continent à l'autre, ce qui montre bien l'incertitude, selon le temps et l'espace, de leur détermination. Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au delà, comme disait Pascal. Comment expérimenter scientifiquement l’absorption de différentes doses de pesticides sur le corps humain sur une durée de vie complète, méthode utilisée pour autoriser les médicaments en phase I,II,III évidemment sur une durée moindre? Réponse : en prenant la population pour cobaye, sauf que les testeurs sont trop nombreux pour qu'on puissent évaluer leurs changements physiologiques. Les conséquences au long cours de cette absorption sont donc ignorées.
- On ignore largement les effets de la combinaison des milliers de substances chimiques qu'absorbent dorénavant chaque humain. L'UE s'en inquiète et a sorti la directive REACH pour les dénombrer. Le gouvernement lance des enquêtes pour mieux connaître la pollution par pesticides, aveu d'une ignorance http://www.developpement-durable.gouv.fr/-Prevention-des-risques-.html.  La combinaison des substances peut engendrer des effets que chacune, prise seule, ne fait pas apparaître. Cette vue holistique du danger chimique n'est pas considéré dans la définition des normes puisque largement ignoré. Les scientifiques , s'en inquiètent de plus en plus cf http://www.artac.info/fr/appel-de-paris/presentation_000074.html

En France la charte de l'environnement de 2004 définit le principe de précaution comme un principe de l'action.
Nous ne sommes pas censés rester passifs face à un envahissement des substances chimiques, qui ne servent pas en priorité la population mais des intérêts particuliers ( on sait aujourd'hui obtenir des rendements similaires sans pesticides), les pesticides sont des produits dangereux pour les humains, il est donc heureux que des journalistes pointent l'information importante qu'ils se retrouvent dans tous les organismes, il faut interdire les pesticides par principe de précaution. Longtemps on a pensé qu'un paquet de cigarette par jour ou plusieurs verres de vins ou encore manger gras n'avait pas de graves conséquences (je bois du vin, mange parfois gras et j'ai été fumeur, mais au moins je l'ai choisi). La norme n'établit pas la vérité absolue et doit être considérée dans son contexte historico-socio-culturel comme l'a montré Georges Canguilhem dans "le normal et le pathologique"

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