lundi 15 février 2016

La personne, la démocratie et l'aéroport

Le mot personne étymologiquement provient du latin "persona" qui signifie masque. L'acteur de théâtre, qui porte un masque, joue un rôle dissimulé derrière ce masque. Thomas Hobbes, dans le Léviathan, nous propose une théorie de la représentation, non théâtrale mais politique, basée sur cette notion.
Il distingue la personne "artificielle", comme le rôle représenté par l'acteur avec son masque, de la personne "naturelle" qui se trouve sous le masque. Lorsque le peuple souhaite que sa volonté plurielle devienne commune, il désigne une personne naturelle, l'élu, qui le représente et unifie toutes les volontés en une seule. Deux personnes se retrouvent alors dans l'élu : la personne artificielle du peuple représenté et la personne naturelle chargée de cette représentation.
L'élu devient l'acteur au service du peuple, ce qui signifie que ses actions portent comme auteur le peuple qui l'a mandaté. Le peuple ne peut ainsi renier les actions commises en son nom, dans le cadre du mandat qu'il a défini, puisqu'il en est l'auteur.
Dans les démocraties dont la population trop nombreuse empêche le scrutin direct pour les élections, c'est à dire aujourd'hui toutes, ce système de représentation intervient à plusieurs étages : national, régional, local. Ainsi peuvent être décidées localement les actions qui ne dépendent que du local, au plus proche des besoins des citoyens. Lorsqu'il s'agit de construire un équipement qui traverse plusieurs régions, d'enjeu national, comme une autoroute ou une ligne TGV, les élus locaux, régionaux prennent les avis de la population directement concernée par le biais d'une enquête publique, ce qui permet de recueillir directement les desiderata des citoyens. Ces mêmes élus locaux donnent leur sentiment et peuvent infléchir les projets mais au final c'est l'exécutif, en respectant les lois votées par les élus nationaux, qui décide de la viabilité et du tracé de tels équipement en fonction de l'intérêt général.
Nécessairement le jeu de la démocratie induit que ceux qui n'appartiennent pas à la majorité peuvent ne pas voir leurs souhaits se réaliser, mais ils sont malgré tout "auteurs" des décisions prises, puisque même les minoritaires donnent mandat au représentant. Même lorsque le scrutin est direct, comme un référendum local qui concerne strictement et uniquement les gens d'un même territoire, tous doivent se conformer au résultat.
Si, par confusion, les référendums locaux devaient se tenir pour des équipements relatifs à l'aménagement du territoire, donc qui impliquent la dimension nationale comme les aéroports, ils n'auraient valeur que d'enquête publique, car au final l'intérêt général impose soit une décision de l'exécutif avec consultation des élus, soit un référendum national. Au contraire si le référendum local s'imposait comme légitime pour les questions nationales, nous obtiendrions une tyrannie des terroirs, totalement sclérosante pour tout projet global. L'intérêt général, par définition, ne jaillit pas des urnes locales.
Chacun connaît le syndrome "nimby" ( not in my backyard). Si nous avions opté pour des référendums locaux à Roissy, Orly ou d'autres aéroports, ils n'existeraient tout simplement pas. Si nous avions recueillis l'avis des habitants concernés par la construction des grands barrages hydroélectriques dont on s'enorgueillit aujourd'hui pour leur production d'énergie verte, ils n'auraient simplement pas été érigés. De même pour les autoroutes. Nous habiterions un tout autre pays, plus souhaitable pensera une minorité, mais sans projet collectif, serait-ce même un pays ? Le politique disparaît quand on pense l'intérêt particulier être le plus légitime et  qu'on le place au dessus de l'intérêt général. La revendication d'un petit nombre peut être audible et transformer nos vies, mais elle ne peut s'imposer que si tous l'acceptent quand tous sont concernés.
Que le projet d'aéroport de Notre Dame des Landes soit justifié ou non, ce qui n'est pas le sujet débattu ici, un référendum local ne peut démocratiquement décider de sa construction, ni les électeurs concernés être les seuls auteurs de la décision.

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