dimanche 3 mai 2020

Servitude et confinement

Nous sommes tous confinés, obligés par la loi, mais nous l'étions jusqu'ici , en ce qui concerne la majorité d'entre nous,   volontairement. Or nous pouvons nous demander à quelles conditions le confinement peut rester longtemps en place. Pour cela il n'est pas inutile de se remémorer le fameux  "Discours de la servitude volontaire", d'Etienne de la Boétie.
 
"Pas besoin que le pays se mette en peine de faire rien pour soi, pourvu qu’il ne fasse rien contre soi. Ce sont donc les peuples eux-mêmes qui se laissent, ou plutôt qui se font malmener, puisqu’ils en seraient quittes en cessant de servir. C’est le peuple qui s’asservit et qui se coupe la gorge ; qui, pouvant choisir d’être soumis ou d’être libre, repousse la liberté et prend le joug ; qui consent à son mal, ou plutôt qui le recherche... S’il lui coûtait quelque chose pour recouvrer sa liberté, je ne l’en presserais pas ; même si ce qu’il doit avoir le plus à cœur est de rentrer dans ses droits naturels et, pour ainsi dire, de bête redevenir homme. Mais je n’attends même pas de lui une si grande hardiesse ; j’admets qu’il aime mieux je ne sais quelle assurance de vivre misérablement qu’un espoir douteux de vivre comme il l’entend. Mais quoi ! Si pour avoir la liberté il suffit de la désirer, s’il n’est besoin que d’un simple vouloir, se trouvera-t-il une nation au monde qui croie la payer trop cher en l’acquérant par un simple souhait ? Et qui regretterait sa volonté de recouvrer un bien qu’on devrait racheter au prix du sang, et dont la perte rend à tout homme d’honneur la vie amère et la mort bienfaisante

La Boétie affirme qu'au fond les peuples restent responsables de leur asservissement. Souhaitant leur liberté il leur suffirait de la saisir. La liberté serait un droit naturel dont l'absence transformerait l'homme en bête.  Pourtant il accorde qu'un homme puisse se contenter de "vivre  misérablement", mais simplement parce qu'il doute de pouvoir "vivre comme il l'entend". Or La Boétie au contraire décrit la facilité d'abandonner la servitude comme résultant d'un simple choix. Des hommes nombreux assoiffés de liberté dominent naturellement une minorité qui ne serait motivée que par l'ordre. Sans liberté la vie est "amère et la mort bienfaisante". 
Chacun perçoit aujourd'hui plus intensément le sens de ces propos. Il se trouve que le confinement n'a tenu et n'a persisté de façon efficace que parce que les citoyens ont eu peur d'attraper le Covid-19, pas parce qu'ils ont craint le pouvoir ou les amendes. Le peuple a adhéré à la solution du confinement face au drame inondant et submergeant les hôpitaux et les EHPAD. Outre l'effroi, a joué aussi la compassion face au danger pour les anciens, les "séniors" qui sont aussi nos mères, nos pères, nos grands-peres et grands-mères. Ce fut aussi de l'empathie pour ceux qui souffriraient de cette maladie. Chacun comprenait que son action, ou plutôt son inaction encasernée, évitait au corps social une tragédie.
Depuis, une sorte de balance de la justice habite chacun, à l'image de celle de l'égypte antique qui pèse l'âme des défunts, la psychostasie.  D'un côté  de la balance le coeur du mort, qui doit nier ses crimes et de l'autre côté la plume de Mâat qui symbolise le  jugement qui permettra de passer dans l'autre monde. Comment passerons nous dans l'outremonde , celui du déconfinement? Notre cœur a penché vers le confinement. Mais d'ores et déjà sur les plateaux de la balance, d'un côté se trouvent les morts potentiels du Covid-19 et de l'autre les morts ou les maux des conséquences du confinement. Il faut aujourd'hui ajouter sur ce dernier plateau la difficulté de l'emprisonnement, l'absence de liberté d'agir, l'isolement social, la servitude volontaire. Nous vivons dans des refuges, transformés en bêtes traquées par plus petits que nous. Nous voilà revenus à La Boétie.
Alors que l'horizon s'éclaircit,  nous allons enfin trouver le courage d'affronter ce virus le 11 Mai, à l'aide de nos accessoires un peu ridicule pour guerroyer avec l’infiniment petit: des masques et du gel. Mais le pouvoir menace, il nous dit en substance:  je vous tiens en laisses (100km), attention! si vous n'êtes pas sage vous ne serez pas libérés. La volonté politique de contrôle  se comprend, la prudence est de mise, on sait gré au pouvoir de vouloir protéger ses ouailles. Mais ce pouvoir, qui infantilise maintenant les citoyens, va se heurter à une sorte d'impossibilité: l'homme ne peut maintenir une servitude volontaire très longtemps. Il va devoir y mettre fin, contre les injonctions du politique, pour se retrouver tel qu'en lui-même. La police devra retrouver son activité habituelle plutôt que de pourchasser les attestations. Hommes et femmes, tout en restant prudents au sens aristotélicien de la phronesis, vont se libérer, se revoir, se rencontrer, s'amuser, apprendre, travailler sans oublier ce qu'ils risquent. Le confinement mettait l'accent sur la définition négative de la liberté, comme absence d'empêchement. Nous allons retrouver sa version positive, dans le cadre des lois habituelles  et si possible loin de cette législation d'exception. Cette liberté va reprendre ainsi que,  de façon contrôlée, l'épidémie et l'économie. Il nous faudra du courage, pas de la témérité, de la passion, mais raisonnée.
Souhaitons juste que cela se passe à la française, rationnellement, d'en bas, en desserrant gentiment la bride et non comme dans les manifestations hideuses et armées du Michigan entretenues par le showman de la maison blanche.











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