La démocratie, gouvernement du peuple, amène théoriquement le peuple à se déterminer sur tous les sujets qui le concerne et sur lesquels il peut agir. Les "sujets" dont il est question, sont en fait des problèmes. Pour l'ordinaire, les lois doivent s'appliquer. Comme la vie ne se répète jamais à l'identique, la contingence aidant, de nouveaux problèmes surgissent , sur lesquels les lois ne peuvent s'appliquer qui amènent le peuple à se déterminer, par la voix de ses représentants, dont la fonction, précisément consiste à agir à la place du peuple et en son nom. Ces nouveaux problèmes appellent de nouvelles lois ou des modifications des lois existantes. Les lois sont votées par la représentation nationale, c'est à dire une représentation de chaque partie géographique du pays dont la somme des habitants constitue le peuple.
Pour certains problèmes qui ne concernent que l'échelon local, les maires peuvent prendre des arrêtés municipaux ou bien les département ou les régions arrêter des décisions affectant la géographie dont ils ont la charge, mais les questions d'ordre national ne peuvent être prise en charge que par l'exécutif national . A l'échelon local il est possible d'organiser des enquêtes d'utilité publiques, consultatives, ou des référendums locaux pour tout projet relevant de la collectivité .
Lorsque le gouvernement envisage de résoudre un problème nouveau ou persistant tel qu'il engage la nation pour plusieurs années et affectera profondément le pays, son économie, son aménagement, la vie des habitants, il peut décider d'un référendum national où la majorité décide.
Mais la démocratie ne se définit pas uniquement par les procédures publiques. Elle s’immisce dans d'autres secteurs, par exemple dans le monde du travail ou un sous ensemble du peuple, les salariés, se voit offert la possibilité d'être représenté face à l'employeur, pour les problèmes spécifiques autour du travail. Ces représentants, délégués du personnel , peuvent appartenir ou non à un syndicat et dans les entreprises de plus de 10 salariés doivent être élus, pour 4 ans . Il ne s'agit plus de "gouvernement du peuple", puisque le dirigeant n'est pas élu par les salarié, mais d'une procédure élective organisant la représentation.
Pour les entreprises de plus de 50 salariés, un syndicat peut nommer un délégué syndical, qui assure l'interface entre son syndicat et l'employeur et les salariés. Le cadre spécifique de l'entreprise est alors débordée puisque le syndicat peut présenter des revendications d'ordre national. Le syndicat, lorsqu'il abrite sous son aile de nombreux salariés de nombreuses entreprises d'un métier, peut s'allier dans une fédération avec des syndicats du même métier puis ensuite former une confédération représentant les travailleurs de différents corps professionnels. Ses interlocuteurs ne se situent alors plus à l'échelle de l'entreprise mais au niveau national se trouvent être les représentant patronaux d'une part et l'exécutif national d'autre part. Les dirigeants des confédérations sont élus, par exemple à la CGT le secrétaire général est élu par un bureau confédéral national lui même désigné par le Comité Confédéral National qui est l'assemblée des secrétaires généraux des fédérations . Toute cette configuration "démocratique" à plusieurs niveaux, publiques et privés, ne suffit pas à conférer au monde du travail calme et équilibre.
La nouvelle loi travail, pour passer un nouvel accord d'entreprise, prévoit de pouvoir organiser un référendum s'il est demandé par des syndicats représentant au moins 30% des salariés aux élections professionnelles ( délégués du personnel et Comité d'entreprise). L'accord est adopté si la majorité des salarié se déclarent pour. Les syndicats qui potentiellement représentent les 70% restant des délégués des salariés ne peuvent alors s'y opposer. Comme dans le cas de l'échelon local pour le public, le référendum pourrait donc s'appliquer pour le domaine privé de l'entreprise.
D'un côté un vote direct des salariés après une demande de représentants qui peuvent être minoritaires, de l'autre ignorance possible de représentants peut-être majoritaires. On peut comparer ce vote local privé au cas du référendum national de l'article 11 dans le public : le vote direct du peuple prime sur l'avis de la représentation nationale qui n'est consultée que pour un débat. Mais cette analogie n'est pas parfaite car dans la loi travail il s'agit du niveau local, de problèmes locaux spécifiques d'organisation ou de durée du travail qu'on ne retrouve pas dans toutes les entreprises de façon identique, on ne pourrait pas porter ce type de référendum au niveau global des salariés, cela n'aurait pas de sens.
Appliquer des lois nationales d'organisation du travail peut contrevenir au choix des salariés compte tenu de la diversité des situations dans les entreprises, on l'a vu pour l'hôpital lors de la réforme des 35h. Mais inversement appliquer des règles locales peut poser de nouvelles questions d'ordre national.
- Faut-il que l'avis des syndicats prime sur l'avis des salariés contrairement au projet de loi? Faut-il que l'avis des représentants prime sur l'avis des représentés ? Dans ce cas, les représentés ne sont plus représentés, puisque le mandat du représentant consiste à émettre l'avis de celui qui confie le mandat. Le représentant n'est que l'acteur, le représenté doit rester l'auteur sous peine que soit rompu le contrat de représentation.
- Peut-on étendre ce type de démocratie en entreprise ? Si chaque entreprise devait vivre sous des lois locales déterminées par référendums locaux, il est clair que le code du travail deviendrait une coquille vide. La question principale revient donc à délimiter ce qui relève du droit du travail pour l'ensemble des entreprises et ce qui peut être aménagé localement. Le problème de savoir s'il est possible potentiellement d'ignorer l'avis des syndicats majoritaires n'en est pas un, l'avis des représentés étant finalement le plus important en ce qui concerne leur propre vie.
- L'employeur peut-il faire pression sur ses salariés pour qu'ils votent dans son sens ? Lorsque ce sont les syndicats, qui passent ou refusent un accord sur la base d'une politique nationale , il le font en ignorant les conséquences locales particulières, comme l'a expliqué Max Weber, dans "le savant et le politique". L'éthique de conviction est mise à l’œuvre. Il s'agit d'un point de vue utilitariste: il faut conforter la situation du plus grand nombre au détriment possible de quelques uns. Les salariés, si l'employeur explique qu'une nouvelle mesure d'organisation conditionne la survie de l'entreprise, offriront une écoute plus intéressée que les syndicats arc-boutés sur une position de principe, suivant la ligne de conduite nationale. Pourrait-il en abuser ? Il faut reconnaître que l'entreprise est le siège d'un rapport de force, l'employé se trouve en position de faiblesse, surtout dans une période de chômage très importante. Le syndicat, d'ordinaire vise à offrir l'union, une force supplémentaire pour le salarié atomisé. Mais le référendum ne présente pas le salarié seul face au patron, il s'agit d'un vote majoritaire anonyme, porté par un soucis des conséquences locales, dans lequel l'électeur est porté par une éthique de responsabilité.
- Va-t-on vers des accords régressifs ? La loi prévoit une "inversion des normes", l'accord d'entreprise supplantant l'accord de branche. Les salariés seront ils amenés à signer des accords moins disant par rapport à ce que les luttes sociales avaient permis de conquérir ? Encore une fois tout dépend de la portée de l'accord soumis à référendum. Si les salaires ou les conditions de licenciement étaient dans la portée de ce nouvel article, il s'agirait d'une régression potentielle et d'un démantèlement du droit du travail, s'il est question de tenir compte du métier spécifique pour aménager des conditions temporaires permettant un fonctionnement amélioré , il s'agit d'une souplesse dont il ne faut pas se priver si la majorité l'adopte.
La CGT vient de crée un site pour organiser une votation citoyenne sur le nouveau projet de loi afin de se déterminer pour ou contre. Le vote aura lieu sur les lieux d'étude, de travail, d'administration, et lieux publics. Eu égard au métier de la CGT, il semble acquis que les bureaux de vote apparaîtront en majorité dans les entreprises et les administrations, plus précisément dans les lieux où la CGT est fortement représentée. S'il s'agit de mimer un référendum national, il apparaît immédiatement qu'il sera biaisé. Les catégories de population votantes seront essentiellement issues du monde du travail et contre le projet. Nous sommes en présence d'une sorte de pétition bis, on ne recueille que l'avis des mécontents. Or le code du travail n’intéresse pas que le monde du travail , à cette aune le débat sur la peine de mort n’intéresserait que les condamnés. Cette stratégie consistant à élaborer un vote cohabite difficilement avec celle qui entreprend de bloquer l'économie. Un glacis démocratique fait briller légèrement un vote citoyen, tandis que la force pure s'exprime dans le blocage des trains, du métro, des avions, de l'énergie... Rappelons que les salariés syndiqués représentent 8% de la population salariée et que CGT et FO obtiennent aux élections professionnelles 27% et 16%, la CFDT 26%. Leur sphère d'influence va bien au delà des encartés, mais rien ne dit qu'une majorité de salariés soit prêtes à se mettre en grève. Un petit nombre de grévistes dans une activité centrale comme le transport suffit à bloquer l'ensemble du service. En proposant qu'un référendum "citoyen" de portée bien moindre qu'un référendum national prime sur la loi, le syndicat cherche à établir en quelque sorte une inversion des normes qu'il conteste par ailleurs.
Un référendum national sur cette loi travail contestée serait souhaitable pour sortir de la tyrannie d'une minorité.
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