mardi 7 juin 2016

Comment concilier l'admiration pour la figure de l'athlète et celle de l'idée d'homme nouveau ?

La figure de l'athlète apparaît dans la Grèce antique, ainsi que les jeux Olympiques au VIIIe siècle avant JC. La compétition sportive honore et couvre de gloire le meilleur. La mythologie grecque regorge de récits d'exploits de héros: Héraklès, Persée, Jason qui représentent autant de personnalités dont les activités sortent du lot et leur valent l'admiration de tous. D'une autre façon sont arrivés jusqu'à nous la réputation des grands mathématiciens et philosophes, pré ou post socratiques, Pythagore, Thalès, Héraclite, Aristote, Platon. Sont admirés aussi les artistes, sculpteurs inconnus ou auteurs de grands récits mythiques comme Homère, auteur de l'Iliade et de l'Odyssée. La morale antique se base sur la vertu individuelle que l'on doit toujours perfectionner pour atteindre une vie bonne. Depuis toujours notre civilisation met en avant celui qui se distingue, soit par des qualités physiques, soit par des qualités d'intelligence, soit par le courage. La société moderne fournit de nombreux moyens, dans tous les champs sociaux, de désigner le meilleur. Dans le sport par les compétitions, jeux olympiques, championnat, tour de france... qui attribuent des coupes, médailles etc., dans les sciences et la littérature par des prix: Goncourt, Nobel , médaille field, etc.,  la culture propose également ses trophées: prix de festivals : Cannes, mostra de Venise...cérémonies annuelles: oscars, césars etc... Dans les écoles ou les concours d'accès aux administrations, les compétiteurs sont classés par note. Les détenteurs des meilleures notes ont le privilège du choix des meilleurs postes. La vie sociale toute entière constitue une hiérarchie issue d'une compétition pour les postes. Le médecin occupe une position plus enviée que le balayeur, le professeur est plus admiré et respecté que le manœuvre, la grande star attire même l'amour de tous contrairement à la femme de ménage. Le médecin a le formidable pouvoir de sauver des vie par ses connaissance scientifiques et de faire durer les corps, le professeur a celui d'augmenter les connaissance de celui qui l'écoute et de transformer son être, la star peut l'espace d'un instant faire éprouver des émotions plus fortes que dans la vie courante. Même les régimes communistes, adoptant l'idée de Marx que les hiérarchies sociales sont issues des conflits de classe, encouragent la compétition. Le héros soviétique, Stakanov est porté au nue parce qu'il est le meilleur producteur. Gagarine atteint le panthéon car il a battu les américains dans la course à l'espace. Les sportifs des pays de l'Est ont été l'objet d'intenses programmes médicaux de dopage pour vaincre leurs compétiteurs occidentaux y compris récemment à Sotchi. La Chine s'est battue âprement pour pouvoir organiser les jeux Olympiques. Notre société est traversée de part en part par l'idée que le premier a plus de valeur que le dernier. Même les petits enfants se disputent, chacun croyant son père "le meilleur". Dans toute éducation la figure du héros s'impose comme nécessaire pour l'exemplarité: qui copier sinon le meilleur ? Marx aurait du mal à nous convaincre qu'Hercule ou Achille sont le produit de la domination d'une classe sur une autre.
Mais se trouver en haut de la hiérarchie attire aussi quelques désagréments. L'énorme effort d'éducation réalisé pour délivrer aux jeunes sportifs l'idée que le perdant doit respecter le gagnant, que "l'important c'est de participer", masque mal une contradiction majeure. Puisque tout l'esprit du compétiteur est tendu au maximum vers l'idée de gagner, que parfois tout son être en dépend, que tout le monde autour de lui répète qu'il est le meilleur, l'échec ne peut que se vivre comme un drame. Naturellement, celui qui perd hait celui qui gagne, celui qui lui ravit son trophée, cette place qu'il avait tant espéré. C'est pourquoi les éducateurs insistent tellement sur l'idée qu'il faut serrer la main du vainqueur quelque soient les sentiments bouillonnants au plus profond de soi: il faut préserver les apparences, conserver les règles de bienséance pour éviter les guerres. Mais dans les gradins, les spectateurs n'ont pas subi le même dressage, quand leurs poulains échouent, il se déchaînent. 
Dans la vie sociale, nous vivons les mêmes expériences. Celui qui est arrivé premier, qui a réussi, subit la jalousie, l'envie. Le premier de classe se voit souvent détesté par les derniers, sans quoi ils se détestent eux mêmes. Celui qui sera nommé chef d'équipe, de groupe, de rubrique, de département subira la vindicte de ceux qui espéraient la place. Dans le foot, les faits divers décrivent à profusion la haine qui surgit lorsqu'un joueur n'est pas sélectionné.  En politique, la démocratie impose aux votants dont le candidat perd l'élection d'obéir à un gouvernement qu'ils détestent. Le remède ? l'idéal d'égalité.
D’où vient l'exigence d'égalité ? aucune société ne supporte l'inégalité, qui pourtant est structurelle, native à la nature humaine, certains sont beaux, forts ou intelligents, d'autres laids, faibles ou idiots. Cette demande d'égalité ne surgit que pour rendre possible la politique, pour lutter contre ce qui reste premier : la jalousie, pour que les hommes vivent ensemble sans se battre. Offrir un égal accès aux postes et aux chances selon Rawls et sa théorie de la justice ne va pas transformer chaque humain comme un équivalent de son voisin, ni annihiler son sentiment d'envie . Celui qui aura une assistance en math n'atteindra pas le niveau du surdoué en algèbre. Faire du foot tous les jours en forcené ne vous transformera pas en Messi.
Nous vivons dans une "insociable sociabilité" selon la formule de Kant, et le ressentiment reste l'émotion la mieux partagée, comme l'a décrit Nietszche dans la "généalogie de la morale". Marx a réussi l'exploit de faire croire que ce ressentiment provenait d'une seule et unique cause: la domination des capitalistes,  tout en masquant qu'il est également inhérent à la nature humaine qui à la fois sélectionne les meilleurs et leur en veux de l'être. Si il n'existait pas de nature humaine, comment le capitalisme existerait-il ? le désir d'accumulation du profit n'appartiendrait-il qu'aux entreprises, entités inertes ? Non la nature humaine s'exprime depuis des millénaires, et c'est pourquoi toutes les expériences communistes ont échoué à créer un "homme nouveau".

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