vendredi 4 juillet 2025





Bac 2025 : La vérité est-elle toujours convaincante ?


Convaincre, qui inclut « vaincre », implique de remporter une sorte de victoire sur l’auditoire ou l’interlocuteur et de surmonter une sorte de résistance. Le convaincu n’a pas le sentiment d’être vaincu à proprement parler mais de fait il donne son assentiment au message qui lui parvient. Il y a mille et une façon d’être convaincu et le langage en porte la trace : « j’ai été vraiment convaincu par ce film … par ce livre », où l’inverse : « cette pièce … cette improvisation ne m’a pas convaincu ». Ainsi ce verbe implique une relation. Relation entre un réalisateur, un auteur, un interprète et ses spectateurs, lecteurs ou auditeurs, qui porte une finalité. Elle peut consister à porter un message, proposer un voyage virtuel, ou de simplement de donner du plaisir. Mais la fin de l’art a peu à voir avec la recherche de la vérité. En revanche dans les domaines politiques, scientifiques ou en amour la vérité devient essentielle. Pour un homme politique ou un parti dire ce qu’il s’engage à faire engage sa crédibilité et surtout la vie future de ses concitoyens s’il parvient au pouvoir. Les théories scientifiques décrivent les lois du monde tel qu’il est , s’imposent de dire vrai et leurs théories sous le joug et le couperet de l’expérience. La passion amoureuse exige aussi la vérité : celle des sentiments. Et dans les relations établies dans ces domaines il s’agit souvent de convaincre : ses concitoyens, ses pairs, ou sa dulcinée.

Ainsi ce n’est pas la vérité par elle-même qui est convaincante ou non mais le couple qu’elle forme avec la personne, le discours, l’institution ou l’œuvre par lequel elle est médiatisée. La vérité, tout comme la justice, n’existent pas dans la nature : elles sont des création humaines. «Aletheia », vérité en grec, signifie littéralement dévoilement , car celle-ci souvent n’apparaît pas facilement (sauf face à la sensation, toujours vraie, comme le note Epicure). Communiquer cette vérité cachée, la dévoiler, l’élucider, implique de s’efforcer de convaincre ceux pour qui elle est opaque ou mal reflétée comme l’imagine Platon dans l’allégorie de la caverne dans « La République ». Le sujet de la vérité étant très large à traiter nous allons maintenant resserrer la question par deux remarques.

Remarquons tout d’abord que la langue et tout particulièrement la philosophie distingue convaincre de persuader. « convaincre » nécessite l’utilisation d’ une raison qui argumente et d’une raison qui écoute, tandis que « persuader » mobilise les sentiments ou tout autre moyen pour arriver à ses fins y compris le mensonge. Aussi nous nous limiterons à étudier « convaincre » comme signifiant une argumentation conduite par la raison, ce qui place l’information et la science comme domaines de choix pour notre réflexion et élimine par exemple la politique ou la passion que nous avons évoqué plus haut qui souvent se contentent d’utiliser la persuasion.

Ensuite observons qu’ il y a deux sortes de vérité, d’une essence différente. En effet Leibniz a distingué les vérités de raison et les vérités de fait. Les premières sont nécessaires c’est à dire qu’elle ne peuvent pas ne pas être, comme deux fois deux égale quatre. Les secondes sont contingentes. Il n’est pas possible d’affirmer logiquement une vérité de fait dans une réalité contingente affirme Leibniz, puisque qu’il s’agit d’une vérité qui peut être contredite : tel fait a eu lieu ou n’a pas eu lieu. Si un réseau social affirme : Paris FC a gagné contre Inter de Milan, ce n’est pas une vérité nécessaire (provenant du destin) puisque l’Inter pouvait aussi gagner et Paris perdre. Alors que la logique permet de démontrer une vérité de raison, comme dans un théorème mathématique, géométrique, ou de logique formelle, elle n’autorise pas par raisonnement à démontrer un fait qui, étant contingent, pourrait ne pas être. Les vérités de fait appartiennent au domaine ontologique ( de l’existence) alors que les vérités de raisons font partie du domaine logique. Dès lors convaincre qu’un fait a réellement eu lieu n’est pas réellement possible par un raisonnement logique, mais repose sur la crédibilité et la confiance.




Les vérités de fait peuvent ou non être convaincantes, suivant la probabilité d’un évènement et selon la confiance qu’inspire le medium et l’informateur, ainsi que sa compétence et la cohérence de son récit.

Mais si les vérités nécessaires, celles de l’esprit, sont démontrables logiquement, elles devraient toujours être convaincantes. Est ce vraiment le cas ? Demandons nous si la logique, la raison, la démonstration ou la confiance suffisent à elles seules à convaincre d’une vérité scientifiquement établie? Derrière la raison n’y a-t-il pas des processus sous-jacents qui influent sur elle et la dominent? Nous examinerons par exemple dans l’histoire des sciences quel a été le sort réservé aux nouvelles grandes théories.

Par ailleurs la raison suffit-elle pour rendre acceptable les vérités de faits lorsqu’elles heurtent le sens commun, la tradition ou les habitudes? 

                                        **** 

Le discours de la science


La philosophie si elle est l’amie de la sagesse en Grèce antique, se caractérise aussi par la recherche de la vérité.

Socrate, pour conduire son interlocuteur à découvrir de lui même une nouvelle idée ou un nouveau concept, procédait par une suite de questions auxquelles son vis à vis répondait. Le dialogue, dirigé par le philosophe, construisait un raisonnement souvent mené par l’absurde et se terminait par la réponse attendue donnée par celui même qui en doutait. Cette méthode, comparée à un accouchement dans lequel la progéniture serait la vérité fut nommée maïeutique. Platon de même a fondé sa dialectique sur des dialogues ayant pour but d’aller plus loin que l’apparence des choses ici bas pour atteindre le vrai des Idées par un échange d’arguments. Aristote, fut le premier à défini les règles de la logique formelle, mais a aussi mis l’accent sur la forme du langage. Il remarqua que le discours ( logos qui signifie en grec ancien à la fois discours et raison) pouvait être plus convaincant encore grâce à une technique d’élocution qu’il déclina dans son ouvrage « La Rhétorique ».

Pourtant faire appel à la logique pour convaincre n’est pas non plus toujours gage d’atteindre la vérité, une démonstration peut être mal menée ou bien un axiome ou une prémisse peuvent être erronés. Et dans toute théorie scientifique les prémisses supposent un rapport à la réalité des faits, qui sont contingents comme l’a vu Leibniz, et par conséquent indémontrables et sujets à erreur.

Mais même quand lorsque le raisonnement ou la démonstration sont bien conduits l’interlocuteur ou les auditeurs peuvent refuser de donner leur assentiment, à cause de leurs croyances, de leurs préjugés ou bien par ignorance et peur du sujet.


Lorsque Galilée, par une suite d’expériences réelles ou de pensée, mis à mal la physique d’Aristote, ce fut une révolution. Lorsqu’il vit les taches de la Lune avec le télescope qu’il avait inventé, il put prouver qu’elle était un astre sphérique imparfait tout comme la terre, ruinant l’idée du ciel parfait éternel et géométrique qu’évoquait Aristote. Puis quand l’Italien vint à avancer la théorie d’une Terre qui tourne autour de son centre et autour du soleil, il fut considéré comme un hérétique. Il disait la vérité, apportait des arguments valables à l’appui de sa thèse, mais entrait en opposition avec le dogme et les physiciens de son temps. Avant lui Copernic qui réfuta l’idée d’un univers géocentrique lui aussi ne put convaincre ses pairs qu’il disait la vérité. Mais Galilée comme Copernic faisaient face à deux difficultés : l’une a été vue, ce sont les résistances de l’époque, l’autre vient du fait que leur théorie naissante n’avait pas encore réponse à toutes les objections. Il fallut attendre Newton et une nouvelle physique complète sur l’attraction des masses pour éclaircir toutes les question restées dans l’ombre. Comme l’a écrit Thomas Kuhn dans « La structure des révolutions scientifiques » la science évolue aussi par de petits pas mais aussi de grands bonds en avant, qui impliquent des théories imparfaites et des changements de paradigmes qui sont longs à opérer. Notons qu’aujourd’hui encore les « platistes » nient que la terre soient un globe. A part les astronautes et les navigateurs du Vendée Globe il est vrai qu’il est difficile d’en faire l’expérience soi-même, et en ce qui concerne la démonstration de la rotondité beaucoup de platistes n’ont pas le niveau scolaire pour en comprendre les démonstrations. Le principe d’inertie découvert par Galilée, qu’un objet en mouvement continue sa trajectoire sans aucune force nécessaire, est tout à fait contre-intuitif. Il donne pourtant les bases pour comprendre pourquoi les objets célestes sont en rotation. Voilà une théorie physique, une vérité, qui n’est pourtant pas convaincante car elle contredit l’intuition qui donne à penser que le soleil « se couche » plutôt qu’imaginer que c’est la Terre qui tourne.

L’histoire de Galilée a servi de base en philosophie des sciences pour invalider le popperisme. Alors que Karl Popper, inventeur du falsificationnisme, déclarait qu’il suffisait qu’un élément d’une théorie soit faux, ou d’une expérience non concluante, pour invalider l’ensemble, l’histoire de Galilée montre que malgré l’incomplétude de ce qu’il expliquait et certaines erreurs sa théorie était valide. Ainsi la vérité de Galilée n’apparaissait pas du tout convaincante à son époque, ni à ses pairs, ni aux dignitaires religieux, parce que qu’elle entrait en contradiction avec leurs croyances. Popper l’aurait donc rejetée.

La croyance est un phénomène très profond de la psychologie humaine, qui met en jeu des sentiments très forts. Elle est une sorte d’auto persuasion. Lorsqu’elle se heurte avec une réalité qui ne s’accorde pas avec elle, soit fini par succomber avec beaucoup de souffrance et cette croyance disparaît, soit elle subsiste et refuse la réalité malgré toutes les preuves dont elle dispose. C’est le mécanisme du déni. La raison fait alors peu de poids face cette résistance à la réalité et à la vérité. Les contemporains de Galilée et Copernic et toute la scolastique avaient enseigné la physique d’Aristote depuis des années, ils n’étaient pas près à entendre que la Terre tournait sur elle-même et autour du soleil, ce qui remettait en cause toute leur vision du monde et celle de dieu. Il en est de même pour le changement de climat.


Alors que les centaines de scientifiques du GIEC ont depuis des années conclut que le changement du climat a une origine anthropologique, il se trouve toujours beaucoup de citoyens qui campent sur leur opinion elle même basée sur leur expérience personnelle et leur ressenti. Pour certain le fait du réchauffement global n’existe pas, pour d’autres il y a effectivement un réchauffement mais il n’est pas d’origine humaine.

Ici encore l’expérience individuelle est déterminante. Il est impossible pour tout un chacun de mesurer l’évolution du climat qui dépasse de beaucoup le temps d’une vie et concerne la surface du globe entier. Les statistiques du GIEC sont difficiles à trouver ou à lire, il nous faut donc faire confiance au discours de la science même lorsque notre expérience directe ne le confirme pas. Mais la vérité scientifique dérange et implique de profondes remises en question. Le déni permet alors de refuser une vérité aux conséquences politiques et individuelles terribles. Pourtant le déni conduit parfois à la mort.

En effet, tandis que la mortalité a considérablement diminué depuis l’apport des vaccins, beaucoup ne sont toujours pas convaincus de la réalité des théories vaccinales et des faits. La peur est mauvaise conseillère et toute nouvelle technologie, comme les vaccins à ARN lors du Covid, engendre des attitudes irrationnelles comme préférer risquer la maladie plutôt que l’injection salvatrice. La vérité scientifique, qui dans ce cas est hors de portée des non initiés, doit alors s’imposer en partie par la confiance dans les autorités de santé. Car une argumentation détaillée et savante des processus de blocage du SARS-CoV-2 par le vaccin ne peut convaincre des novices en biologie. En revanche l’argumentation des chiffres sur l’histoire des vaccins et sur les résultats positifs des essais en double aveugle devrait rationnellement emporter la conviction. Ce qui pour beaucoup n’a pas été le cas, ils ont préféré jouer aux dés et compter sur le hasard pour espérer ne pas attraper la maladie. Rappelons aussi que les statistiques sur la réussite des vaccins, et toute l’épidémiologie, se rapportent à des faits et comme nous l’avons vu il est impossible de démontrer logiquement des vérités de fait.

                                             ****

Des faits hors de la sensation


Nous affrontons donc d’un côté des théories scientifiques pointues qui restent incompréhensibles par le commun des mortels, de l’autre des faits qui portent sur des nombres, des durées, des lieux hors de portée de l’expérience individuelle. Or les théories pour être utiles débouchent sur des prédictions dans la réalité, donc sur des faits.

Or, nous l’avons vu, les vérités de faits ne sont pas adoptées grâce un raisonnement, mais reposent pour partie sur la confiance en une parole reconnue comme fiable, et pour partie sur l’expérience individuelle, sur la sensation. Même si beaucoup de philosophes ont décrits les sensation comme trompeuses ( le bâton brisé dans l’eau, la tour circulaire qui paraît rectangulaire au loin, etc), nous croyons d’ordinaire ce que nous voyons, sentons, touchons.

Lorsqu’un évènement qui nous est rapporté se produit hors de notre présence donc de nos sensations et qu’il est tellement extraordinaire qu’on peine à y croire, le doute s’installe. Seule une voix qui porte un discours de raison, comme une institution, un gouvernement, un organe de presse fiable peuvent convaincre d’un tel fait. La majorité de nos connaissances ne sont pas l’objet de notre expérience personnelle mais proviennent de la confiance que nous portons aux sources qui nous les révèlent parce que nous les jugeons compétentes.

Malheureusement certains reportent leur confiance dans des relais dépourvus de compétence, dans lesquels règne l’opinion plutôt que le savoir. Ainsi plutôt qu’être convaincus par le discours officiel sur une vérité surprenante, désagréable, gênante, et dépassés par le discours scientifique ou explicatif des médias ils préféreront adopter une opinion imaginant un mensonge volontaire du pouvoir, un complot. Par ailleurs aujourd’hui les outils modernes de l’informatique, liés à la présence toute puissante de l’image et du son dans les réseaux sociaux, permettent de rendre plus convaincants des faits inventés de toute pièces que des évènements réels rapportés par les agence de presse officielles. Car les sens ne sont plus suffisants pour discriminer une video réelle d’un montage virtuel.

                                               ****

Ces exemples rappellent qu’il n’y a pas unanimité face à la vérité et qu’elle peut parfois n’être pas convaincante. Il y a trois raisons pour cela.

Premièrement certaines pseudo vérités sont enkystées et fossilisées dans notre esprit et sont le soubassement de notre personnalité. Ôtez les et tout s’écroule, alors le déni s’installe refusant le rationnel quelque soit la force de conviction qu’on leur oppose y compris des théories scientifiques implacables. Nietzsche l’avait déjà énoncé mais Freud a prouvé que l’esprit humain ne se résumait pas à une raison libre capable de distinguer ce qui est, mais reste l’objet de passions inconscientes ou de traditions et de préjugés qui viennent obscurcir sa vue et orienter sa vie. Beaucoup  n'acceptent pas la vérité simplement parce qu’elle provient d’un pouvoir qu’ils honnissent, s’opposant à sa domination ils refusent d’être « vaincus » et par conséquent convaincus.

Deuxièmement la vérité paraît de plus en plus souvent non intuitive et non convaincante parce que loin de notre expertise, or plus la science progresse et plus la distance à la vérité des théories scientifiques pour le plus grand nombre augmente sans possibilité de convaincre, c’est à dire de démontrer techniquement.

Troisièmement la vérité des évènements de ce monde rapportée par les organes d’information, indémontrable logiquement parce que portant sur des faits contingents, rentre en compétition avec une réalité virtuelle plus facile à accepter, plus convaincante car flattant l’opinion regroupée en tribus plutôt qu’appelant à l’intelligence ou au raisonnement individuel.

Mais dans notre « monde désenchanté » par la science, comme le décrit Max Weber, il est beaucoup plus sûr pour guider sa vie de se baser sur les avis des experts officiels que sur son expérience personnelle ou celle de gourous ou de complotiste. Le futur de l’humanité en dépend.