L’usage des sept notes de la gamme en constitue le premier. Tel un
alphabet, la suite des notes interprétées puise nécessairement
plusieurs fois dans cet ensemble réduit.
Le second se trouve à l’intérieur même du morceau où se
répètent des motifs, causes de jouissance renouvelées. Refrain
dans la musique populaire, ou thème dans la musique classique ou le
jazz, les séquences identiques ou ressemblantes structurent toute
partition. Répétition qui identifient le morceau, le refrain ou le thème
sont attendus par l’auditeur, comme un moment de vie radoté, et se
répète sans surprise lui renouvelant la jouissance d’une
habitude dont la monotonie même constitue la recette du plaisir.
Puis vient le le rythme, le tempo, à chaque fois particulier,
reproduction perpétuelle d’une séquence courte identifiable, qui
est donné comme l’essence même de la répétition . Toute
répétition possède un rythme, et tout rythme est fondé par la
répétition. Nous aimons tel ou tel style musical simplement sur la
base du rythme. Valse, rock, salsa, tango etc. s’identifient
immédiatement par leur tempo spécifique.
Le quatrième prend forme à l’occasion des rencontres successives
avec le même morceau de musique. Nous prenons plus de plaisir à
répéter son écoute, la seconde puis les fois suivantes, qu’à
l’entendre pour la première fois. Malgré tout, dès la première
rencontre, lorsqu’un air capte notre attention, quelque chose se
passe, qui se réitère avec plus de puissance et plus d’émotion
lors des occurrences suivantes. Lors de la répétition de chaque
écoute, Il y a le plaisir des notes et du rythme qui font vibrer le
corps, et donnent du plaisir, mais aussi la joie de retrouver avec
certitude une séquence connue, et de mieux en mieux connue au fur et
à mesure des répétitions. La séquence musicale, prévisible, se
double d’une séquence de réactions internes, prévisible
également, appariée aux variations acoustiques, un peu comme si
nous prenions le rôle du violon sous l’archet de l’interprétation.
Comme la madeleine de Proust, les notes rejouées, comme une éponge
qui aspire l’eau que l’on presse plus tard, nous restituent
l’indicible état interne qui fut le nôtre lors des premières
écoutes.
Ces quatre
« pattern » de répétition forment un rituel
indéfectible dans tout morceau de musique, uniquement pris en défaut
lors d’une improvisation, qui casse le flux des notes attendues.
Mais même les plus grands improvisateurs sont incapables d’aligner
des suites de notes sans qu’on y découvre des schémas, des
modèles répétés, et leurs créations s’insèrent toujours dans
un rythme et un thème donnés. Il est d’ailleurs fréquent, lors
d’une improvisation, de jouer un court rappel d’un standard très
connu. Cette référence à une œuvre fameuse à l’intérieur même
de l’inspiration improvisatrice n’a rien à voir avec du plagiat,
elle prend la valeur d’ un salut, d’une révérence admirative,
et témoigne, elle aussi, d’ un amour de la répétition.
L’enregistrement, qui a permis de rendre asynchrone le jeu musical
initial et son écoute, ôte à l’improvisation son caractère
unique. Par sa reproductibilité technique, le morceau improvisé est
recyclé comme une séquence à écouter maintes fois, donc
prédictible, qui possédera toutes les caractéristiques décrites
plus haut.
Il faut rappeler enfin que lorsque des musiciens s’apprêtent à se
produire en concert, ils se réunissent auparavant pour le préparer,
ce qu’ils nomment « une répétition ».