mardi 2 septembre 2025

Corps interne et corps externe






Le cerveau, ou l’âme, ou encore notre hêgemonicon ( partie directrice de l’âme pour les Stoïciens) reçoit les informations du corps. Elles proviennent principalement des cinq sens qui rapportent chacun des données différentes sur que nous voyons, touchons, sentons etc. Il s’agit d’informations essentielles sur l’environnement extérieur, qui nous permettent de nous orienter dans le monde. La peau, surface du corps, est immergée dans cet univers et en ressent le chaud, le froid, le piquant, le doux etc. Elle sert d’enveloppe pour tout le reste. L’identité passe par elle, sa forme sa couleur, sa taille : un être humain est d’abord une peau, pour les autres mais aussi pour soi-même. De soi, lorsqu’on regarde son propre corps n’apparaît que la peau, étendue sur un sous-ensemble du corps : le torse, le ventre et les membres, impossible d’en voir plus sans un miroir. Le regard porté sur les autres s’enrichit en revanche d’éléments supplémentaires: d’autrui peut-on apercevoir les cheveux, les yeux, le nez, les oreilles, la forme des épaules, du visage, du crâne, éventuellement le dos, autant de caractéristiques qui permettent de les reconnaître.

Pourtant la peau ne constitue qu’une minuscule partie du corps humain. Pensez à ces réseaux de sang, de lymphe, de nerfs, à ces muscles, tendons, cartilages, à ces organes qui entretiennent la vie comme le cœur, les poumons, le foie, l’estomac, les reins, la vessie, les intestins, à toutes ces humeurs qui nous traversent, la bile, la salive, les sucs de digestions. Tout cela est ignoré le plus clair du temps. Les humains s’identifient par leur apparence, par leur corps externe, par leur peau et non par leur corps interne. Et pour cause puisqu’il est invisible. Il faut ajouter qu’il maintient un fonctionnement vital silencieux la plupart du temps.

Aucune information ne remonte au cerveau, aucun bruit ne sourd du sang parcourant les artères et les veines, de la vessie qui se remplit, du rein qui filtre, de la rate qui engrange les globules, du foie qui fabrique le cholestérol, du pancréas qui produit des enzymes etc. Seuls, battements de cœur, borborygmes intestinaux ou poitrine qui se soulève au rythme de la respiration nous rappellent le corps intérieur. Il faut y ajouter la pensée, reflet de l'activité du cerveau, que l'on peut assimiler à une perception.
Familier mais malgré tout étranger, inconnu, non maîtrisé, le corps interne reste cantonné dans une pseudo altérité. Pourtant il commande des besoins impérieux: faim, sommeil, excrétion, etc. Il se manifeste également par des douleurs internes imprécises : courbature, migraine, inflammations, contusions dont la localisation reste floue à l’image de la considération que nous lui portons.

Nous lui faisons confiance à cette machinerie intérieure, elle est censée exécuter toute ses tâches parfaitement, sans que nous en ayons conscience, car en fait la conscience provient de lui, de cette infrastructure qui la pilote. Le « Je » ou le « nous » n’est que le sommet, qui s’illusionne de son pouvoir, de cette pyramide cellulaire.

Pourtant ce corps interne primordial, essentiel, auquel elle doit tout, l'ingrate conscience  le méprise. Dans la société les viscères ne font pas non plus recettes: dans les tabloïds, seules comptent les apparences, le corps externe.

Descartes illustre bien ce déni total, lui qui en fermant les yeux devant un poële médite et s’imagine n’avoir aucun corps, alors que c’est son corps qui lui dicte ses pensées.

Tout le dualisme est établi sur la dichotomie corps externe / corps interne. Descartes ne se croit esprit que parce qu’il ne reconnaît pas la pensée comme une sensation du corps.



« Je n’admets maintenant rien qui ne soit nécessairement vrai : je ne suis donc, précisément parlant, qu’une chose qui pense, c’est-à-dire un esprit, un entendement ou une raison, qui sont des termes dont la signification m’était auparavant inconnue.

Or je suis une chose vraie, et vraiment existante ; mais quelle chose ? Je l’ai dit : une chose qui pense. »


René Descartes. Méditations métaphysiques. Méditation seconde.





Ayant supposé que le corps est une illusion Descartes s’acharne à croire que seul l’esprit subsiste, établissant un dualisme radical, une séparation, une sorte d'occlusion . Nous ne sommes pourtant que des corps, avec viscères et cerveau, mais sans esprit. D’ailleurs même les viscères ont des neurones(1) . 




(1) https://www.inserm.fr/c-est-quoi/une-info-a-digerer-cest-quoi-le-systeme-nerveux-enterique/ 
(*)  Photo d'intestin grêle

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