Il y a quelques années, en Corse, des nudistes avaient colonisé une partie de la plage contigüe au village de vacances où nous nous trouvions en famille. Mes enfants étaient petits et cette situation nous dérangeait, la plage n'était pas réservée pour les nudistes mais ils s'imposaient, estimant que leur liberté valait bien la nôtre. Or se présenter nu aux yeux de tout un chacun dans l'espace public est interdit. La motivation de cette interdiction doit être cherchée dans la place que tient le sexe dans la vie individuelle et collective. La plupart des humains adultes sur terre cachent leur sexe avec un bout de tissu, pagne ou vêtement plus couvrant. Pourquoi ? parce que le sexe est le facteur du désir. Et désirer un rapport sexuel avec une autre personne déclenche des forces profondes et mystérieuses pour réaliser ce désir. Levi-Strauss a montré et détaillé, dans "Les structures élémentaires de la parenté", l'extraordinaire effort que les sociétés ont développé pour élaborer des règles dans la constitution des familles et du mariage, en vue de l'engendrement et de la perpétuation de l'espèce... Pour respecter ces règles, fruits de la culture, malgré le désir , produit de la nature, difficile à maîtriser, un petit bout de tissu tente de voiler, donc de diminuer l'objet du désir. Le sexe attise potentiellement les conflits car l'objet du désir est convoité par plusieurs prétendants, qui peuvent se combattre, situation que l'on retrouve dans tout le règne animal.
Dans l'histoire de l'occident ce bout de tissu tend à rétrécir. De la robe panier, nous sommes passé à la mini jupe ou au short, du costume de bain couvrant le corps de haut en bas du début du siècle, au bikini puis au string. Il se trouve que dans le même temps, la science a permis de contrôler la procréation en produisant des techniques de plus en plus efficaces de contraception ou en simplifiant l'avortement. La constitution d'une famille devient un acte réfléchi, où la raison prend sa place, sans effacer la passion qui seule joignait auparavant les couples pour procréer. Le désir sexuel apparaît moins dangereux pour la cohésion de la société, et les corps peuvent se débarrasser de leur armure en dissociant plaisir sexuel, génération et mariage.
Mais nos traditions et habitudes sont tenaces, nous avons considéré longtemps le corps nu comme un danger libérant le désir, et cet état d'esprit perdure. La norme sociale, qui défini le vêtement acceptable, s'est relâchée en occident depuis le début du siècle dernier mais n'a pas disparu. Parallèlement à l'explication causale qui vient d'en être donné, on associe cette transformation à progrès, à une "liberté". Liberté du désir, liberté de montrer son corps, liberté de la vie sexuelle, qui ne sont que des conséquences des découvertes liées à la contraception. L'homme se rapproche ainsi de l'animal, et souhaite vivre son désir comme il surgit en dénouant les liens forgés par la collectivité pour maintenir son équilibre en un temps ou rapport sexuel signifiait quasiment enfantement. Ce qu'on appelle donc progrès peut se traduire comme un retour à l'animalité, ce qui peut être vu comme un progrès ... ou une régression, considérant tous les efforts déployés par les philosophes, d'Aristote à Descartes, pour positionner l'homme comme supérieur à l'animal.
La norme sociale du vêtement provient ainsi d'une histoire, d'une culture. Vouloir porter des vêtements du siècle précédent, pour revenir au rapport que la société entretenait avec le corps et son désir menaçant, c'est retrouver cette pensée que le corps est facteur de trouble. Que celui ou celle qui montre ses cuisses, ou son entrejambe moulé dans un tissu étroit, ou ses fesses, et maintenant ses seins sur la plage , se positionne explicitement comme un objet sexuel ouvert à la copulation. Or cette possibilité n'enlève pas l'hypothèse que celui ou celle qui se conforme à cette nouvelle norme plus dénudée le fait pour un autre plaisir : celui de fondre son corps dans les éléments, celui de prendre du plaisir à sentir le soleil chauffer la peau et à sentir l'odeur suave de cette peau réchauffée, celui de jouir du contact de l'eau de mer sur la peau nue, celui de frissonner sous les assauts du vent et du sel, celui de regarder de beaux corps évoluer gracieusement dans le sable brûlant sans automatiquement se projeter dans la relation sexuelle.
Ainsi l'adepte du burkini, endosse une pensée contraire à cette évolution, considère que le plaisir sexuel n'est destiné qu'à la procréation, que le désir doit être refréné par tous les moyens possibles, sauf pour le conjoint. Il consent à transpirer dans son costume, à réprimer sa sensualité, il compose avec la nature un rapport de souffrance, de répression, de distanciation de l'animal. L'Autre n'est considéré que comme un abîme de plaisir coupable, et soi-même comme vivant une perpétuelle tentation. Il ignore que la société peut rester stable malgré des rapports sexuels indépendants d'une union durable et considère les gens qui se déshabillent et se désirent comme des bêtes et des mécréants. Il s'agit d'une vision non seulement morale mais politique qui consiste à organiser la société toute entière et ses institutions sous des règles religieuses du fond des âges.
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