Bac 2025 : La vérité est-elle toujours convaincante ?
Notons tout d’abord que la langue et tout particulièrement la philosophie distingue convaincre de persuader. « Convaincre » nécessite l’utilisation d’ une raison qui argumente et d’une raison qui écoute, tandis que « persuader » mobilise les sentiments ou tout autre moyen pour arriver à ses fins y compris le mensonge. Aussi nous nous limiterons à étudier « convaincre » comme signifiant une argumentation conduite par la raison, ce qui place l’information et la science comme domaines de choix pour notre réflexion et élimine par exemple la politique ou la passion que nous avons évoquées plus haut qui souvent se contentent d’utiliser la persuasion.
Les vérités de fait peuvent ou non être convaincantes, suivant la probabilité d’un évènement et selon la confiance qu’inspire le medium et l’informateur, ainsi que sa compétence et la cohérence de son récit.
Mais si les vérités nécessaires, celles de l’esprit, sont démontrables logiquement, elles devraient toujours être convaincantes. Est ce vraiment le cas ? Demandons-nous si la logique, la raison, la démonstration ou la confiance suffisent à elles seules à convaincre d’une vérité scientifiquement établie? Derrière la raison n’y a-t-il pas des processus sous-jacents qui influent sur elle et la dominent? Nous examinerons par exemple dans l’histoire des sciences quel a été le sort réservé aux nouvelles grandes théories.
Par ailleurs la raison suffit-elle pour rendre acceptables les vérités de faits lorsqu’elles heurtent le sens commun, la tradition ou les habitudes?
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Le discours de la science
La philosophie si elle est l’amie de la sagesse en Grèce antique, se caractérise aussi par la recherche de la vérité.
Socrate, pour conduire son interlocuteur à découvrir de lui-même une nouvelle idée ou un nouveau concept, procédait par une suite de questions auxquelles son vis-à-vis répondait. Le dialogue, dirigé par le philosophe, construisait un raisonnement souvent mené par l’absurde et se terminait par la réponse attendue donnée par celui même qui en doutait. Cette méthode, comparée à un accouchement dans lequel la progéniture serait la vérité, fut nommée maïeutique. Platon de même a fondé sa dialectique sur des dialogues ayant pour but d’aller plus loin que l’apparence des choses ici-bas pour atteindre le vrai des Idées par un échange d’arguments. Aristote, fut le premier à défini les règles de la logique formelle, mais a aussi mis l’accent sur la forme du langage. Il remarqua que le discours ( logos qui signifie en grec ancien à la fois discours et raison) pouvait être plus convaincant encore grâce à une technique d’élocution qu’il déclina dans son ouvrage « La Rhétorique ».
Pourtant faire appel à la logique pour convaincre n’est pas non plus toujours gage d’atteindre la vérité, une démonstration peut être mal menée ou bien un axiome ou une prémisse peuvent être erronés. Et dans toute théorie scientifique les prémisses supposent un rapport à la réalité des faits, qui sont contingents comme l’a vu Leibniz, et par conséquent indémontrables et sujets à erreur.
Mais même lorsque le raisonnement ou la démonstration sont bien conduits l’interlocuteur ou les auditeurs peuvent refuser de donner leur assentiment, à cause de leurs croyances, de leurs préjugés ou bien par ignorance et peur du sujet.
L’histoire de Galilée a servi de base en philosophie des sciences pour invalider le popperisme. Alors que Karl Popper, inventeur du falsificationnisme, déclarait qu’il suffisait qu’un élément d’une théorie soit faux, ou d’une expérience non concluante, pour invalider l’ensemble, l’histoire de Galilée montre que malgré l’incomplétude de ce qu’il expliquait et certaines erreurs sa théorie était valide. Ainsi la vérité de Galilée n’apparaissait pas du tout convaincante à son époque, ni à ses pairs, ni aux dignitaires religieux, parce que qu’elle entrait en contradiction avec leurs croyances. Popper l’aurait donc rejetée, commentant une erreur.
La croyance est un phénomène très profond de la psychologie humaine, qui met en jeu des sentiments très forts. Elle est une sorte d’auto-persuasion. Lorsqu’elle se heurte avec une réalité qui ne s’accorde pas avec elle, soit elle finit par succomber avec beaucoup de souffrance et cette croyance disparaît, soit elle subsiste et refuse la réalité malgré toutes les preuves dont elle dispose. C’est le mécanisme du déni. La raison fait alors peu de poids face cette résistance à la réalité et à la vérité. Les contemporains de Galilée et Copernic et toute la scolastique avaient enseigné la physique d’Aristote depuis des années, ils n’étaient pas prêts à entendre que la Terre tournait sur elle-même et autour du soleil, ce qui remettait en cause toute leur vision du monde et celle de dieu. Il en est de même pour le changement de climat.
Ici encore l’expérience individuelle est déterminante. Il est impossible pour tout un chacun de mesurer l’évolution du climat qui dépasse de beaucoup le temps d’une vie et concerne la surface du globe entier. Les statistiques du GIEC sont difficiles à trouver ou à lire, il nous faut donc faire confiance au discours de la science même lorsque notre expérience directe ne le confirme pas. Mais la vérité scientifique dérange et implique de profondes remises en question. Le déni permet alors de refuser une vérité aux conséquences politiques et individuelles terribles. Pourtant le déni conduit parfois à la mort.
En effet, tandis que la mortalité a considérablement diminué depuis l’apport des vaccins, beaucoup ne sont toujours pas convaincus de la réalité des théories vaccinales et des faits. La peur est mauvaise conseillère et toute nouvelle technologie, comme les vaccins à ARN lors du Covid, engendre des attitudes irrationnelles comme préférer risquer la maladie plutôt que l’injection salvatrice. La vérité scientifique, qui dans ce cas est hors de portée des non initiés, doit alors s’imposer en partie par la confiance dans les autorités de santé. Car une argumentation détaillée et savante des processus de blocage du SARS-CoV-2 par le vaccin ne peut convaincre des novices en biologie. En revanche l’argumentation des chiffres sur l’histoire des vaccins et sur les résultats positifs des essais en double aveugle devrait rationnellement emporter la conviction. Ce qui pour beaucoup n’a pas été le cas, ils ont préféré jouer aux dés et compter sur le hasard pour espérer ne pas attraper la maladie. Rappelons aussi que les statistiques sur la réussite des vaccins, et toute l’épidémiologie, se rapportent à des faits et comme nous l’avons vu il est impossible de démontrer logiquement des vérités de fait.
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Des faits hors de la sensation
Nous affrontons donc d’un côté des théories scientifiques pointues qui restent incompréhensibles au commun des mortels, de l’autre des faits qui portent sur des nombres, des durées, des lieux hors de portée de l’expérience individuelle. Ces théories pour être utiles débouchent sur des prédictions dans la réalité, donc sur des faits.
Or, nous l’avons vu, les vérités de faits ne sont pas adoptées grâce un raisonnement, mais reposent pour partie sur la confiance en une parole reconnue comme fiable, et pour partie sur l’expérience individuelle, sur la sensation. Même si beaucoup de philosophes ont décrit les sensations comme trompeuses ( le bâton brisé dans l’eau, la tour circulaire qui paraît rectangulaire au loin, etc), nous croyons d’ordinaire ce que nous voyons, sentons, touchons.
Lorsqu’un évènement qui nous est rapporté se produit hors de notre présence donc de nos sensations et qu’il est tellement extraordinaire qu’on peine à y croire, le doute s’installe. Seule une voix qui porte un discours de raison, comme une institution, un gouvernement, un organe de presse fiable peuvent convaincre d’un tel fait. La majorité de nos connaissances ne sont pas l’objet de notre expérience personnelle mais proviennent de la confiance que nous portons aux sources qui nous les révèlent parce que nous les jugeons compétentes.
Malheureusement certains reportent leur confiance dans des relais dépourvus de compétence, dans lesquels règne l’opinion plutôt que le savoir. Ainsi plutôt qu’être convaincus par le discours officiel sur une vérité surprenante, désagréable, gênante, et dépassés par le discours scientifique ou explicatif des médias ils préféreront adopter une opinion imaginant un mensonge volontaire du pouvoir, un complot. Par ailleurs aujourd’hui les outils modernes de l’informatique, liés à la présence toute puissante de l’image et du son dans les réseaux sociaux, permettent de rendre plus convaincants des faits inventés de toutes pièces que des évènements réels rapportés par les agence de presse officielles. Car les sens ne sont plus suffisants pour discriminer une video réelle d’un montage virtuel.
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Ces exemples rappellent qu’il n’y a pas unanimité face à la vérité et qu’elle peut parfois n’être pas convaincante. Il y a trois raisons à cela.
Premièrement certaines pseudo vérités sont enkystées et fossilisées dans notre esprit et sont le soubassement de notre personnalité. Ôtez les et tout s’écroule, alors le déni s’installe refusant le rationnel quelle que soit la force de conviction qu’on leur oppose y compris des théories scientifiques implacables. Nietzsche l’avait déjà énoncé mais Freud a prouvé que l’esprit humain ne se résumait pas à une raison libre capable de distinguer ce qui est, mais reste l’objet de passions inconscientes ou de traditions et de préjugés qui viennent obscurcir sa vue et orienter sa vie. Beaucoup n'acceptent pas la vérité simplement parce qu’elle provient d’un pouvoir qu’ils honnissent, s’opposant à sa domination ils refusent d’être « vaincus » et par conséquent convaincus.
Deuxièmement la vérité paraît de plus en plus souvent non-intuitive et non convaincante parce que loin de notre expertise, or plus la science progresse et plus la distance à la vérité des théories scientifiques pour le plus grand nombre augmente sans possibilité de convaincre, c’est-à-dire de démontrer techniquement.
Troisièmement la vérité des évènements de ce monde rapportée par les organes d’information, indémontrable logiquement parce que portant sur des faits contingents, entre en compétition avec une réalité virtuelle plus facile à accepter, plus convaincante car flattant l’opinion regroupée en tribus plutôt qu’appelant à l’intelligence ou au raisonnement individuel.
Mais dans notre « monde désenchanté » par la science, comme le décrit Max Weber, il est beaucoup plus sûr pour guider sa vie de se baser sur les avis des experts officiels que sur son expérience personnelle ou celle de gourous ou de complotiste. Le futur de l’humanité en dépend.