Nous sommes
assaillis de questions.
La première qui me
vient à l'esprit, comme à beaucoup d'autres : pourquoi ces
assassinats collectifs du 13 Novembre à Paris?
Tout d'abord
considérons les exécutants de ces assassinats. Comment peut on
accumuler tant de haine envers des inconnus, qui ne vous ont jamais
rencontré ni fait de mal, jusqu'à les vouloir les tuer de sang
froid, alors qu'ils crient, saignent, se sauvent, souffrent, tombent,
rampent pour s'échapper. Le premier réflexe après l'émotion
consiste à vouloir comprendre cette situation hallucinante. Ces
tueurs ne sont pas nés avec ces idées de meurtre en tête, ils ont
tété leur mère, aimé leur père, joué, couru, dormi, souri,
pleuré. Ils ont appris à haïr, ou à transformer leur ressentiment
en haine. Nés en France pour certains, donc français, ils ont été
scolarisés, ils ont comme tout écolier eu droit à des cours de
musique, d'histoire, de français, de calcul. Peut être même ont
ils poursuivis leurs études à l'université. Puis un jour la parole
de leur instituteur, de leur professeur devient suspecte, une autre
vérité, plus forte, leur apparaît.
Cette vérité,
transmise par un mentor qu'ils rencontrent sur Internet ou ailleurs,
ou bien par la lecture d'un livre, leur apporte un éclairage
nouveau, une grille d'interprétation du monde, un sens à leur
existence. Pourquoi pas ? Cette révélation pourrait déboucher
sur une volonté de changer le monde ici et maintenant, un combat
politique pour rendre la vie meilleure. Mais qu'entendons nous par
vie meilleure ? Du temps et des moyens pour faire des
rencontres, aller au concert , au restaurant, flâner , rire avec des
amis, réaliser des projets, acquérir des connaissances etc ... ce
qu'on pourrait résumer par jouir de la vie.
Mais la mise en
cause est beaucoup plus radicale. Le tueur ne veux pas de notre vie
«meilleure», il n'est pas eudémoniste, il ne veut pas jouir de la
vie hic et nunc, il doit tout d'abord vivre en conformité avec le
Coran ( sa version littérale) et croire en Dieu. Sa vie bascule, ce
pays dans lequel ils se sent différent n'est habité que de
mécréants, de pervers qui boivent de l'alcool et écoutent de la
musique, ses murs sont recouverts de publicités de femmes en
dessous: abomination. Il exècre même les musulmans de france, les
apostats, qui vivent comme les « français ». Le tueur
pourrait devenir un ascète, qui vit selon les prescriptions
rigoristes wahhabites, il pourrait quitter ce pays dans lequel les
femmes ne peuvent pas rester voilées à l'école, et doivent se
baigner dans la même piscine que les hommes. D'ailleurs il quitte le
pays, non pas pour vivre sa foi, mais pour tuer , dans le cadre
géographique de « l’État Islamique », ou revient sur
sa terre natale pour tuer ceux qui n'ont pas les mêmes valeurs que
lui.
Imaginons que la vie
des Amish me fascine. La modernité me dégoûte, je ne veux pas
d'électricité, d'ordinateurs ni de vaccins, alors oui je suis tenté
de rejoindre la communauté qui partage mon idéal de vie et partir
au pays des Amish s'impose. Je pourrai aller jusqu'à détester
l'homme occidental qui court à sa perte en détruisant la planète
par le « progrès ». Mais jamais je ne pourrais tuer un
semblable innocent, « l'homme occidental » n'est pas un
individu vivant, c'est une catégorie, un nom, on n'assassine pas un
nom.
Mais notre tueur n'a
que faire du nominalisme. C'est écrit ( il y a 14 siècle …) , sa
lecture littérale l'amène à pourfendre les mécréants, le
mécréant ne mérite pas de vivre. Le mécréant boit un verre en
terrasse, le mécréant écoute de la musique au Bataclan. Notre
tueur a trouvé des règles de vie écrites ( du moins
l'interprète-il ainsi) qui lui permettent d'imposer sa force,
d'effacer son humiliation, de retrouver une estime de soi tout en
obéissant et en passant pour un héros. Mais en payant un lourd
tribu : il doit donner sa vie s'il veut jouir dans l'au delà,
devenir un martyr. Si le tueur ne se résout pas simplement à vivre
sa nouvelle foi tranquillement, c'est parce ce qu'il rêve de
puissance, il veut en découdre, et prendre la vie constitue la plus
forte manifestation de puissance qu'il soit pour un individu, comme
un état, islamique en l’occurrence, constitue la puissance
maximale pour un ensemble d'individus selon Hobbes. Mais il veut
aussi obéir, donner à un autre le choix de ses actions. Il ne veut
pas la liberté, pour le tueur la liberté est effrayante comme dans
les romans de Dostoïevski. La seule manifestation de liberté qu'il
opère est son ralliement à l'EI et à Dieu, voilà son contrat
social. Le tueur appartient au troupeau des combattants qui donnent
leur vie pour Dieu, Il sait que sa nouvelle communauté jugera son
acte héroïque et que dans l'au delà il pourra enfin jouir.
Considérons ensuite
les donneurs d'ordre. Si nous prêtons écoute au message de
revendication, il s'agit de s'en prendre à la France en représailles
à ses frappes en Syrie « leurs avions qui ne leur ont profité
en rien dans les rues malodorantes de Paris ». Accessoirement
il s'agit aussi de frapper « la capitale des abominations et de
la perversion ». il ont réalisé une « attaque bénie
dont Allah a facilité les causes ». Ils s'en prennent donc à
la France pour une double raison : pour ce qu'elle a fait et
pour ce qu'elle est. Notons qu'Allah laisse aux décisionnaires leur
libre arbitre et ne détermine pas entièrement leur action, il
« facilite » simplement . Mais s'il facilite les causes,
les causes premières étant les raids aériens de la France en
Syrie, il faudrait comprendre qu'Allah a facilité les raids.
Passons. Le communiqué référence la sourate 59 verset 2, comme
analogie avec la situation du peuple parisien. Dans ce raisonnement
le simple habitant de Paris porte la responsabilité de la décision
des responsables gouvernementaux, il doit donc mourir. Peu importe si
au Bataclan ou dans les restaurants figuraient des étrangers non
votant en France ou des français qui n'ont pas voté pour François
Hollande, la logique haineuse des fans du califat n'est pas à ça
près. Si Mohamed Merah ou les frères Kouachi avaient bu un thé au
petit Cambodge ils auraient subi la même violence aveugle avec les
mêmes arguments stupides prétendant punir les apostats . Ce qui
caractérise les donneurs d'ordre c'est donc la haine d'un peuple
tout entier pas seulement celle de son gouvernement. L'individu,
l'être humain ne compte pas, ni la victime, ni l'exécutant. Pire,
l'Autre ne compte pas, et soi-même ne compte pas . Ce fantasme
de créer un califat ne correspond qu'à l'impossibilité qu'ont ces
êtres de vivre dans le temps présent. Mais alors pourquoi
tuer ?
Jean Pierre Roman,
ce faux médecin a tué toute sa famille le jour où elle ne pouvait
plus trouver place dans sa fiction une fois la supercherie
découverte, ce n'est pas l'histoire factice qu'il fallait faire
disparaître, c'est le réel, ce sont les personnages de la pièce.
De même Daesh est elle prête à éliminer tout ce qui remet en
cause son fantasme de revenir au 6 ème siècle, prête à supprimer
14 siècle d'évolution humaine, détruisant entre autre la cité
antique de Palmyre. Le discours lui même semble un mélange entre
histoire moyenâgeuse sortie du film les visiteurs : « 200
croisés tués » et style biblique mal traduit : « Paris
a tremblé sous leur pied et ses rues sont devenue étroites pour
elle », il y aurait de quoi rire si les atrocités ne nous en
empêchaient. Cette « revendication », les cibles
choisies, établissent un lien transitif entre des événements sans
rapports nécessaires : se trouver physiquement sur le
territoire français dans un restaurant, être de nationalité
française, donner son accord aux les frappes françaises en Syrie,
faire décoller son rafale et larguer une bombe, tuer des combattants
de Daesh. Nous sommes au carrefour de l'injustice, de la haine et de
l'horreur. L'équation « être physiquement dans un restaurant
français» égale « tuer des combattants de Daesh »
illustre la pensée schématique de cette organisation, elle
s'identifie à celle d'Al Qaïda : « être dans une tour à
New York » égale « être un ennemi de la Palestine».
La deuxième
question serait : comment venir à bout de ce cauchemar ?
Leur guerre en Syrie et en Irak pour le califat s'exporte sur notre
territoire, leurs combattants en France ne sont pas nombreux mais
leur faculté de nuire grandit de jour en jour. Il s'agit donc d'une
véritable guerre dans laquelle nous sommes versés : des
combattants équipés d'armes lourdes tuent chez nous des militaires,
des juifs dans un magasin, des dessinateurs , puis plus d'une
centaines de personnes, civiles et innocentes, dans les bars et
salles de spectacle. Ils contestent nos valeurs et notre mode de vie.
Certains sont français et nés en France. Après l'explication
sociologique : le terreau de la ghettoïsation, le chômage, la
perte d'identité, puis après l'explication psychologique : le
besoin d'exaltation, le manque d'estime de soi, il faut passer à
l'étape supérieure. En effet si les explications donnent une
origine sociale à ce problème et si une politique doit être
engagée pour casser cet urbanisme de ghetto, principalement du à la
ségrégation économique, pour diminuer les effets de
communautarisme, augmenter la mixité sociale à l'école, rétablir
le service militaire etc. il faut aussi combattre.
Combattre la
gangrène des idées salafistes dans les mosquées, combattre la
propagation des idées rétrogrades comme celle de la burka qui ne
serait qu'un vêtement comme un autre, celle de l'inégalité de
l'homme et de la femme, celle que la religion doit être enseignée à
l'école, celle que la laïcité doit être abandonnée. Affirmer la
supériorité de la science, qui n'est pas une croyance. On ne marche
pas sur la Lune en priant très fort son Dieu. L'évolution des
espèces est un processus décrit scientifiquement par Darwin et
enseigné dans les écoles de la république. Combattre aussi
l'individualisme et l'effondrement des valeurs citoyennes. La culture
des années soixante dix abhorrait l'idée d'état et désirait
l'effacement des frontières. La culture devenait mondiale, la nation
ringarde. Pourtant il y a bien une culture spécifiquement française,
un art de vivre à la française, tout simplement due à son histoire
et à ses brassages de population. D'ailleurs Daesh ne s'y trompe pas
et s'attaque à la capitale parisienne : « abomination et
perversion ».La france est le pays des lumières et de sa
devise liberté-égalité-fraternité, de la méthode cartésienne,
de l'instruction publique pour tous, de la laïcité, de la bonne
chair, de l'amour courtois... de Zola, d'Hugo, c'est notre héritage.
Rien ne l'empêche
d'évoluer, mais certains éléments sont constitutifs : la
langue par exemple. La langue française est une des bases de notre
culture, ce qui n'est pas contradictoire avec le fait que d'autres
locuteurs parlent notre langue dans d'autres pays.
Autre élément de
principe : l'état doit défendre la liberté du culte, et le
culte ne pas intervenir dans l'état, c'est la loi de 1905 de la
séparation de l'église et de l'état. La loi de 2004,
l'interdiction des signes religieux ostentatoires à l'école entre
dans ce cadre. Ce n'est pas la loi qui définit une culture, mais
c'est une culture spécifique qui engendre des lois. L'état est né
en occident sur fond de guerres religieuses, le principe de laïcité
est central.
« Vérité en
deça des Pyrénées, erreur au-delà » disait Pascal, ce que
tout le monde peut constater à loisir : pas un pays n'a les
mêmes lois que son voisin. Jusqu'à quel point une culture peut elle
être perméable à des influences externes?Au vingtième siècle
Nous intégrons jusque dans les foyers des recettes asiatiques :
nems, riz cantonnais, ou maghrébines : couscous, merguez,
méchoui, ou encore turques ou greques: kebab . Certains quartiers
concentrent des magasins asiatiques , Paris 13e, ou
arabes. Les supermarchés proposent des rayons halal ou kasher. Des
artistes ont apporté de nouvelles sonorités, ou des œuvres
littéraires ou cinématographiques, des femmes vont au hammam etc.
Mais quand des femmes demandent à aller à la piscine à des
horaires réservés, ou se faire examiner par un médecin femme, on
atteint une remise en question des rapports hommes femmes dans notre
société qui dépasse l'admissible. Il n'est pas inscrit dans la loi
que les femmes doivent ou ne doivent pas se mélanger aux hommes dans
les piscines, c'est un fait de culture qui résiste au changement car
il est au coeur des valeurs de la République.
Combattre aussi
physiquement l'armée de Daesh, sur le front intérieur et extérieur.
La aussi des questions majeures sont posées : Devons nous pour
cela instaurer l'équivalent du patriot act ? C'est à dire des
lois d'exception, une surveillance de toute la population ? Une
écoute généralisée des communications téléphoniques mobile, un
archivage des méta datas des emails ? Comment devons nous
traiter les prisonniers ? Puisque nous sommes en guerre, ce ne
sont pas les tribunaux civils qui doivent juger les combattants
capturés, accepterons nous les tribunaux de guerre, dirigés par les
militaires ? Rappelons nous que Guantanamo qui n'a rien rapporté
aux Etats Unis, seulement un problème insoluble.
Chaque individu qui
cède aux thèses terroristes, qu'il soit fragile psychologiquement
ou non, devra répondre de ses actes.
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