vendredi 20 novembre 2015

13 Novembre


Nous sommes assaillis de questions.
La première qui me vient à l'esprit, comme à beaucoup d'autres : pourquoi ces assassinats collectifs du 13 Novembre à Paris?
Tout d'abord considérons les exécutants de ces assassinats. Comment peut on accumuler tant de haine envers des inconnus, qui ne vous ont jamais rencontré ni fait de mal, jusqu'à les vouloir les tuer de sang froid, alors qu'ils crient, saignent, se sauvent, souffrent, tombent, rampent pour s'échapper. Le premier réflexe après l'émotion consiste à vouloir comprendre cette situation hallucinante. Ces tueurs ne sont pas nés avec ces idées de meurtre en tête, ils ont tété leur mère, aimé leur père, joué, couru, dormi, souri, pleuré. Ils ont appris à haïr, ou à transformer leur ressentiment en haine. Nés en France pour certains, donc français, ils ont été scolarisés, ils ont comme tout écolier eu droit à des cours de musique, d'histoire, de français, de calcul. Peut être même ont ils poursuivis leurs études à l'université. Puis un jour la parole de leur instituteur, de leur professeur devient suspecte, une autre vérité, plus forte, leur apparaît.
Cette vérité, transmise par un mentor qu'ils rencontrent sur Internet ou ailleurs, ou bien par la lecture d'un livre, leur apporte un éclairage nouveau, une grille d'interprétation du monde, un sens à leur existence. Pourquoi pas ? Cette révélation pourrait déboucher sur une volonté de changer le monde ici et maintenant, un combat politique pour rendre la vie meilleure. Mais qu'entendons nous par vie meilleure ? Du temps et des moyens pour faire des rencontres, aller au concert , au restaurant, flâner , rire avec des amis, réaliser des projets, acquérir des connaissances etc ... ce qu'on pourrait résumer par jouir de la vie.
Mais la mise en cause est beaucoup plus radicale. Le tueur ne veux pas de notre vie «meilleure», il n'est pas eudémoniste, il ne veut pas jouir de la vie hic et nunc, il doit tout d'abord vivre en conformité avec le Coran ( sa version littérale) et croire en Dieu. Sa vie bascule, ce pays dans lequel ils se sent différent n'est habité que de mécréants, de pervers qui boivent de l'alcool et écoutent de la musique, ses murs sont recouverts de publicités de femmes en dessous: abomination. Il exècre même les musulmans de france, les apostats, qui vivent comme les « français ». Le tueur pourrait devenir un ascète, qui vit selon les prescriptions rigoristes wahhabites, il pourrait quitter ce pays dans lequel les femmes ne peuvent pas rester voilées à l'école, et doivent se baigner dans la même piscine que les hommes. D'ailleurs il quitte le pays, non pas pour vivre sa foi, mais pour tuer , dans le cadre géographique de « l’État Islamique », ou revient sur sa terre natale pour tuer ceux qui n'ont pas les mêmes valeurs que lui.
Imaginons que la vie des Amish me fascine. La modernité me dégoûte, je ne veux pas d'électricité, d'ordinateurs ni de vaccins, alors oui je suis tenté de rejoindre la communauté qui partage mon idéal de vie et partir au pays des Amish s'impose. Je pourrai aller jusqu'à détester l'homme occidental qui court à sa perte en détruisant la planète par le « progrès ». Mais jamais je ne pourrais tuer un semblable innocent, « l'homme occidental » n'est pas un individu vivant, c'est une catégorie, un nom, on n'assassine pas un nom.
Mais notre tueur n'a que faire du nominalisme. C'est écrit ( il y a 14 siècle …) , sa lecture littérale l'amène à pourfendre les mécréants, le mécréant ne mérite pas de vivre. Le mécréant boit un verre en terrasse, le mécréant écoute de la musique au Bataclan. Notre tueur a trouvé des règles de vie écrites ( du moins l'interprète-il ainsi) qui lui permettent d'imposer sa force, d'effacer son humiliation, de retrouver une estime de soi tout en obéissant et en passant pour un héros. Mais en payant un lourd tribu : il doit donner sa vie s'il veut jouir dans l'au delà, devenir un martyr. Si le tueur ne se résout pas simplement à vivre sa nouvelle foi tranquillement, c'est parce ce qu'il rêve de puissance, il veut en découdre, et prendre la vie constitue la plus forte manifestation de puissance qu'il soit pour un individu, comme un état, islamique en l’occurrence, constitue la puissance maximale pour un ensemble d'individus selon Hobbes. Mais il veut aussi obéir, donner à un autre le choix de ses actions. Il ne veut pas la liberté, pour le tueur la liberté est effrayante comme dans les romans de Dostoïevski. La seule manifestation de liberté qu'il opère est son ralliement à l'EI et à Dieu, voilà son contrat social. Le tueur appartient au troupeau des combattants qui donnent leur vie pour Dieu, Il sait que sa nouvelle communauté jugera son acte héroïque et que dans l'au delà il pourra enfin jouir.

Considérons ensuite les donneurs d'ordre. Si nous prêtons écoute au message de revendication, il s'agit de s'en prendre à la France en représailles à ses frappes en Syrie «  leurs avions qui ne leur ont profité en rien dans les rues malodorantes de Paris ». Accessoirement il s'agit aussi de frapper « la capitale des abominations et de la perversion ». il ont réalisé une « attaque bénie dont Allah a facilité les causes ». Ils s'en prennent donc à la France pour une double raison : pour ce qu'elle a fait et pour ce qu'elle est. Notons qu'Allah laisse aux décisionnaires leur libre arbitre et ne détermine pas entièrement leur action, il « facilite » simplement . Mais s'il facilite les causes, les causes premières étant les raids aériens de la France en Syrie, il faudrait comprendre qu'Allah a facilité les raids. Passons. Le communiqué référence la sourate 59 verset 2, comme analogie avec la situation du peuple parisien. Dans ce raisonnement le simple habitant de Paris porte la responsabilité de la décision des responsables gouvernementaux, il doit donc mourir. Peu importe si au Bataclan ou dans les restaurants figuraient des étrangers non votant en France ou des français qui n'ont pas voté pour François Hollande, la logique haineuse des fans du califat n'est pas à ça près. Si Mohamed Merah ou les frères Kouachi avaient bu un thé au petit Cambodge ils auraient subi la même violence aveugle avec les mêmes arguments stupides prétendant punir les apostats . Ce qui caractérise les donneurs d'ordre c'est donc la haine d'un peuple tout entier pas seulement celle de son gouvernement. L'individu, l'être humain ne compte pas, ni la victime, ni l'exécutant. Pire, l'Autre ne compte pas, et soi-même ne compte pas . Ce fantasme de créer un califat ne correspond qu'à l'impossibilité qu'ont ces êtres de vivre dans le temps présent. Mais alors  pourquoi tuer ?
Jean Pierre Roman, ce faux médecin a tué toute sa famille le jour où elle ne pouvait plus trouver place dans sa fiction une fois la supercherie découverte, ce n'est pas l'histoire factice qu'il fallait faire disparaître, c'est le réel, ce sont les personnages de la pièce. De même Daesh est elle prête à éliminer tout ce qui remet en cause son fantasme de revenir au 6 ème siècle, prête à supprimer 14 siècle d'évolution humaine, détruisant entre autre la cité antique de Palmyre. Le discours lui même semble un mélange entre histoire moyenâgeuse sortie du film les visiteurs : « 200 croisés tués » et style biblique mal traduit : « Paris a tremblé sous leur pied et ses rues sont devenue étroites pour elle », il y aurait de quoi rire si les atrocités ne nous en empêchaient. Cette « revendication », les cibles choisies, établissent un lien transitif entre des événements sans rapports nécessaires : se trouver physiquement sur le territoire français dans un restaurant, être de nationalité française, donner son accord aux les frappes françaises en Syrie, faire décoller son rafale et larguer une bombe, tuer des combattants de Daesh. Nous sommes au carrefour de l'injustice, de la haine et de l'horreur. L'équation « être physiquement dans un restaurant français» égale « tuer des combattants de Daesh » illustre la pensée schématique de cette organisation, elle s'identifie à celle d'Al Qaïda : « être dans une tour à New York » égale « être un ennemi de la Palestine».

La deuxième question serait : comment venir à bout de ce cauchemar ? Leur guerre en Syrie et en Irak pour le califat s'exporte sur notre territoire, leurs combattants en France ne sont pas nombreux mais leur faculté de nuire grandit de jour en jour. Il s'agit donc d'une véritable guerre dans laquelle nous sommes versés : des combattants équipés d'armes lourdes tuent chez nous des militaires, des juifs dans un magasin, des dessinateurs , puis plus d'une centaines de personnes, civiles et innocentes, dans les bars et salles de spectacle. Ils contestent nos valeurs et notre mode de vie. Certains sont français et nés en France. Après l'explication sociologique : le terreau de la ghettoïsation, le chômage, la perte d'identité, puis après l'explication psychologique : le besoin d'exaltation, le manque d'estime de soi, il faut passer à l'étape supérieure. En effet si les explications donnent une origine sociale à ce problème et si une politique doit être engagée pour casser cet urbanisme de ghetto, principalement du à la ségrégation économique, pour diminuer les effets de communautarisme, augmenter la mixité sociale à l'école, rétablir le service militaire etc. il faut aussi combattre.
Combattre la gangrène des idées salafistes dans les mosquées, combattre la propagation des idées rétrogrades comme celle de la burka qui ne serait qu'un vêtement comme un autre, celle de l'inégalité de l'homme et de la femme, celle que la religion doit être enseignée à l'école, celle que la laïcité doit être abandonnée. Affirmer la supériorité de la science, qui n'est pas une croyance. On ne marche pas sur la Lune en priant très fort son Dieu. L'évolution des espèces est un processus décrit scientifiquement par Darwin et enseigné dans les écoles de la république. Combattre aussi l'individualisme et l'effondrement des valeurs citoyennes. La culture des années soixante dix abhorrait l'idée d'état et désirait l'effacement des frontières. La culture devenait mondiale, la nation ringarde. Pourtant il y a bien une culture spécifiquement française, un art de vivre à la française, tout simplement due à son histoire et à ses brassages de population. D'ailleurs Daesh ne s'y trompe pas et s'attaque à la capitale parisienne : « abomination et perversion ».La france est le pays des lumières et de sa devise liberté-égalité-fraternité, de la méthode cartésienne, de l'instruction publique pour tous, de la laïcité, de la bonne chair, de l'amour courtois... de Zola, d'Hugo, c'est notre héritage.
Rien ne l'empêche d'évoluer, mais certains éléments sont constitutifs : la langue par exemple. La langue française est une des bases de notre culture, ce qui n'est pas contradictoire avec le fait que d'autres locuteurs parlent notre langue dans d'autres pays.
Autre élément de principe : l'état doit défendre la liberté du culte, et le culte ne pas intervenir dans l'état, c'est la loi de 1905 de la séparation de l'église et de l'état. La loi de 2004, l'interdiction des signes religieux ostentatoires à l'école entre dans ce cadre. Ce n'est pas la loi qui définit une culture, mais c'est une culture spécifique qui engendre des lois. L'état est né en occident sur fond de guerres religieuses, le principe de laïcité est central.
« Vérité en deça des Pyrénées, erreur au-delà » disait Pascal, ce que tout le monde peut constater à loisir : pas un pays n'a les mêmes lois que son voisin. Jusqu'à quel point une culture peut elle être perméable à des influences externes?Au vingtième siècle Nous intégrons jusque dans les foyers des recettes asiatiques : nems, riz cantonnais, ou maghrébines : couscous, merguez, méchoui, ou encore turques ou greques: kebab . Certains quartiers concentrent des magasins asiatiques , Paris 13e, ou arabes. Les supermarchés proposent des rayons halal ou kasher. Des artistes ont apporté de nouvelles sonorités, ou des œuvres littéraires ou cinématographiques, des femmes vont au hammam etc. Mais quand des femmes demandent à aller à la piscine à des horaires réservés, ou se faire examiner par un médecin femme, on atteint une remise en question des rapports hommes femmes dans notre société qui dépasse l'admissible. Il n'est pas inscrit dans la loi que les femmes doivent ou ne doivent pas se mélanger aux hommes dans les piscines, c'est un fait de culture qui résiste au changement car il est au coeur des valeurs de la République.

Combattre aussi physiquement l'armée de Daesh, sur le front intérieur et extérieur. La aussi des questions majeures sont posées : Devons nous pour cela instaurer l'équivalent du patriot act ? C'est à dire des lois d'exception, une surveillance de toute la population ? Une écoute généralisée des communications téléphoniques mobile, un archivage des méta datas des emails ? Comment devons nous traiter les prisonniers ? Puisque nous sommes en guerre, ce ne sont pas les tribunaux civils qui doivent juger les combattants capturés, accepterons nous les tribunaux de guerre, dirigés par les militaires ? Rappelons nous que Guantanamo qui n'a rien rapporté aux Etats Unis, seulement un problème insoluble.
Chaque individu qui cède aux thèses terroristes, qu'il soit fragile psychologiquement ou non, devra répondre de ses actes.

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