Chez
Platon, dans La République (441a) l'âme est ordonnée et partitionnée
en trois domaines hiérarchisés, au plus haut duquel se trouve la raison,
le noos, qui veille sur les deux autres parties, puis vient le thumos,
d'où vient l'ardeur morale soutenue par la colère, le courage ou
l'ambition , enfin au plus bas se trouve le désir. L'âme raison se
trouve dans la tête, l'âme courage se trouve dans le coeur, et l'âme
désir dans le ventre .
Sa vision
politique, dans "la République", s'accorde avec cette description,
l'individu et l'Etat partageant la même structure. Les philosophes, bien
éduqués, qui ont développé leur raison, s'occuperont de prendre des
décisions et de gérer la cité. Les soldats, qui ont cultivé leur
courage, devront la défendre. Enfin ceux qui sont proches des désirs,
commerceront. La vertu platonicienne place au plus haut les Idées,
celles du Bien , de Dieu, ou de la Justice, et au plus bas ce qui
provient de l'ordre corporel. L'idée de justice s'appliquant à
l'individu et à la société, s'appuie sur cette structure de l'âme. N'est
juste que le respect de cette hiérarchie et que chaque partie de l'âme
prenne en charge ce qui lui revient. Pour que l'individu atteigne une
vie juste, il doit user de sa raison pour se diriger vers le Bien et la
contemplation des idées, utiliser son courage pour lui permettre
d'affronter les vicissitudes de la vie, et contrôler les désirs
nécessaires du corps, manger, boire. La cité n'est juste que si les
philosophes œuvrent au bien des citoyens, si l'armée les défend contre
l'ennemi, et si les commerçants et artisans fournissent le nécessaire
pour se loger, se nourrir etc... donc la justice advient quand chacun
œuvre à sa tâche de manière harmonieuse sans chercher à sortir de sa
classe.
Chez Pascal l'homme corrompu voit son corps dominer sa volonté, sa
volonté dominer son entendement. Il est tout entier soumis à ses désirs,
à sa concupiscence. La chute, dans le jardin d'Eden a inversé l'ordre
naturel que Dieu avait placé en lui: l'entendement dirigeait la volonté
qui elle-même maîtrisait le corps. Ce renversement a des conséquences
innombrables. En particulier en politique, Pascal conteste l'idée que par la raison seule nous puissions découvrir le droit ou
les lois naturelles. Cette idée qui soutient pourtant les théories du
pacte social, chez Hobbes ou Rousseau, est impossible dans
l'anthropologie Pascalienne. La naissance de l'Etat, ne vient pas d'un
accord réfléchi passé entre les hommes, d'un contrat, et ne peut donc provenir que de
la primauté qu'a pris le corps sur les autres ordres, de l'imposition de
la force, et la loi sera celle du plus fort.
Ainsi
penser que la justice est dans la loi découle simplement de l'habitude
puisque la véritable essence de justice n'est pas atteignable par la
raison de l'homme corrompu. La coutume laisse penser que ce qui existe
depuis des lustres est juste. Mais il suffit de franchir une frontière
pour comprendre que la justice n'est pas universelle car les lois
diffèrent partout: "Plaisante justice qu’une rivière borne ! Vérité en
deça des pyrénées, erreur au delà". Comme la justice n'a pas les moyens
de s'imposer par elle-même elle nécessite l'adjonction de la force: "Et ainsi ne pouvant faire que ce qui est juste fût fort, on a fait que ce qui est fort fût juste".
Dans
la démocratie athénienne, les "auxiliaires" c'est à dire les soldats,
sont tournés principalement vers l'ennemi. L'individu doit être tout
entier dirigé vers un idéal vertueux pour conserver la cohésion sociale.
Mais si l'âme est immortelle, pourquoi être vertueux ici bas ? Platon
introduit dans la République l'idée de l'Enfer, d'une souffrance
éternelle pire que la mort comme moyen de réguler, par la crainte, les
passions des vivants. Idée reprise par la chrétienneté, qui rend le
chrétien docile, mais dont le politique n'a pas besoin, puisqu'il
dirige, nous dit Pascal, par la force. Force que se refuse à employer la
démocratie qui cherche l'assentiment du citoyen.
Aujourd'hui
ces idées nous paraissent étranges. Que pense-t-on juste ? que croit-on
être la justice ? Comment la société est-elle gouvernée ? par la force
ou la persuasion ? Il y a longtemps que l'idée de l'âme a disparu, ainsi
que la peur de l'enfer. La justice platonicienne ne reste plus qu'une
idée philosophique évanescente. Le fidéisme Pascalien n'est plus non
plus à l'ordre du jour dans nos sociétés sécularisées, ni son idée de la
justice, au contraire la justice est conçue, du point de vue de
l'occident, comme une valeur universelle. Il y aurait-il un opposant ou
un journaliste emprisonné dans quelque coin lointain sur terre que
s'imposerait de droit en Europe ou aux Etats-Unis une campagne pour leur
libération. Corriger les injustices ailleurs fonde souvent, ou sert de
prétexte, aux politiques étrangères des pays puissants. Alors que notre
siècle semble se distinguer par la mondialisation des échanges
commerciaux, nous voudrions de même non pas échanger mais évangéliser
nos valeurs universellement. Mais qu'en est-il de la justice dans notre
communauté, la société française, ici et maintenant? Qui souffre le
plus d'injustice ? Doit-on uniquement considérer la justice à l'aune de
l'égalité? Pourquoi l'égalité passe-t-elle avant le bonheur dans les
revendications?
Celui ou celle
qui a œuvré pour la collectivité toute sa vie, qui a élevé une famille,
s'est sacrifié pour elle, qui voit son univers limité dans ses
mouvements et son possible se rétrécir, celui qui souffre dans son
corps, celui qui vivote avec une retraite minimale ne se trouve-t-il pas
dans une position injuste? il n'a pas démérité, peut-être même a-t-il
défendu son pays? Donner comme horizon aux jeunes une fin de vie
misérable, déconsidérée, n'est ce pas un facteur de désordre ? de
dysharmonie ? Ne devrait-on pas avoir pour tâche de rétablir le respect
de ceux qui connaissent le monde, qui ont vécus plus d'expériences que
tout autre âge? L'enfant à qui l'on n'offre pas des conditions décentes
d'apprentissage de la lecture et de l'écriture, ou les moyens de
compenser un environnement familial défavorable, ne souffre t-il pas
d'une injustice terrible ?
Au
temps de Platon ou plus tard Pascal, l'Etat n'avait pas pour fonction
de donner du travail au peuple. La recherche du bonheur impliquait la
responsabilité de l'individu, soit à travers une démarche vertueuse,
soit par la foi. La compétition individuelle acharnée pour les postes et
les fonctions aujourd'hui fait office de condition pour le bonheur. La
vertu, ou son synonyme moderne la morale, figure en moins bonne place
dans l'éducation parentale, que les notes en classe, celui qui parle de
morale n'est qu'un vieux grincheux dépassé, un beauf. L'amitié, valeur
principale du temps d'Epicure ou d'Aristote, passe loin derrière le
développement personnel. Les "amis" se déclarent par dizaines sur
facebook, lieu de l'égo mis en scène qui rend aussi accessoirement le
harcèlement des plus faibles plus efficace. L'idée même de communauté a
disparu, hormis l'utilisation du mot par sa pâle copie virtuelle, ou
s'est dissoute dans un ensemble trop vaste, beaucoup se sentent
citoyens du monde, ou de l'Europe. Les idées de nation ou de patrie
deviennent presque incorrectes politiquement. L'idée marxiste de
révolution internationale a œuvré pour ne voir dans les nations que des
subsistances d'un monde perdu puis le vichysme a laissé une tâche
indélébile sur ces mots. Le marxisme, en valorisant les travailleurs et
leur lutte, a délaissé les enfants et les vieillards puisqu'ils ne
comptent pas dans l'histoire. Il sont pourtant les plus criantes
victimes des injustices.
Ne pas
pouvoir s'acheter des Nike, ce n'est pas injuste, n'avoir pas appris à
s'extasier sur le mystère d'un gland qui devient un chêne ou sur
l'univers qui nous entoure, oui c'est injuste. Ne pas connaître un aîné
qui vous introduit aux bonheurs et souffrances du monde, oui c'est
injuste. Être amené à croire que pour exister heureux il faut briller
individuellement en accumulant le plus de choses possibles qui rendent
les autres envieux et admiratifs en ignorant le bonheur de la
connaissance et de l'amitié, oui c'est injuste.
Le politique se confond aujourd'hui avec l'économique. Tous les politiques ne parlent que d'ouverture sur le monde, comme si elle se résumait aux accords transatlantiques.
La première chose qu'on demande aux politiques c'est de résoudre le
chômage alors qu'ils en sont bien incapables, quand va-t-on refaire de
la politique ?
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