dimanche 26 mars 2017

Le retraité, l'infirmière et le politique : retour à Rousseau

Liberté, Egalité, Fraternité. Cette belle devise fonde l'espoir de tous d'une vie meilleure, d'un horizon d'où s'écartent les nuages qui stagnent parfois sur un parcours, une trajectoire. Certains retraités cherchent les bonnes affaires dans les supermarchés, gardent religieusement les tickets promotionnels qui vont leur permettre d'économiser un euro. Ils aimaient l'huile d'olive, ils achètent aujourd'hui de l'huile d'arachide. Ils ne font plus de cadeaux à tous à Noël, trop de monde et trop cher, et puis il faut mettre de côté pour les impôts. Le thermostat a été baissé pour économiser sur la facture de chauffage. Le coiffeur n'est plus qu'un souvenir, l'appareil auditif ne marche plus mais le renouveler s'avère trop coûteux. Alors on s'isole car on ne peut plus suivre une conversation. La vie ne vous fait alors aucun cadeau.
"Ca va Monsieur, vous avez mal ? combien de 0 à 10 ? n'hésitez pas on peut vous soulager". L'infirmière de nuit vient d'allumer la lumière. Elle travaille de 21h à 6h, elle alternera ensuite avec des horaires de jours. Seuls des organismes jeunes peuvent supporter ces changements de rythme exténuants. Métier physique où il faut parfois redresser des patients lourds, côtoyer leur sang, leurs selles, leur vomi. Avec 1700 euros bruts mensuels après trois ans d'études supérieures, elle doit payer son loyer et son essence qui prend  une place importante dans son budget car l'hôpital se trouve à 30mn de son petit logement. Le service est en sous effectif et  l'empêche de prendre ses RTT, elle a accumulé 20 jours qu'elle ne peut pas prendre, et que l'hôpital ne peut pas lui payer. Auparavant elle travaillait en réanimation. Le stress la submergeait, toutes ces machines qui bipaient dont il fallait apprendre le fonctionnement. Chaque jour, la responsabilité énorme de la vie des patients et la confrontation inévitable avec la mort pour un salaire de misère. La vie ne vous fait alors aucun cadeau.

Puis le retraité et l'infirmière apprennent que certains hommes politiques reçoivent des cadeaux de leurs amis, d'une valeur de 10000, 20000, 30000 euros. Ils se disent alors que l'égalité dans les faits, c'est un vain mot. Eux quand ils reçoivent un cadeau, c'est 20 ou 30 euros c'est à dire mille fois moins. 30000 euros changeraient leur vie. Mais après tout en droit, chacun est libre de faire un don, et libre de le recevoir. L'infirmière et le retraité ne voudraient pas d'un monde totalement égalitaire où chacun aurait exactement la même vie, sans possibilité de la choisir, sans prendre de risques, sans mériter de ses actions, ils souhaitent simplement une vie où chacun a les mêmes chances. Recevoir un don peut être vu comme de la contingence, mais alors posons nous la question : pourraient-ils eux aussi bénéficier de cette contingence, de cette chance? Après tout, ils ont des points communs: le retraité, l'infirmière et l'homme politique dépendent tout trois de l’Etat, qui les rémunère. Ils sont soumis aux mêmes lois, ils ont les mêmes droits. Oui mais ils ne gravitent pas dans le même monde, aucune chance que les amis de l'infirmière et du retraité leur offre des cadeaux de ce montant. L'inégalité ne consiste pas entre le fait que celui ci ait reçu des dons et les autres pas, mais en ce que ceux ci n'ont aucune chance un jour de recevoir des dons de cette valeur.
Dans ce monde commun mais clivé, vous pouvez recevoir un cadeau utile, de votre famille ou vos amis à 30 euros si vous êtes retraité,  ou bien une montre et des costumes, inutiles, mille fois plus cher. Lorsque l'homme politique explique alors que l'Etat, qui les rémunère tout trois, est endetté, qu'il faut faire des économies, se serrer la ceinture, travailler plus longtemps, il ne s'applique pas ce discours à lui-même. Sa famille a très bien vécu de l'Etat, sa femme a perçu 6000 euros mensuel comme assistante parlementaire, pour un travail bien moins utile socialement, et bien moins spécialisé, que celui d'une infirmière et trois fois mieux rémunéré. Infirmière ou assistante, nous ne sommes pas dans le secteur concurrentiel, il ne s'agit pas des lois de l'économie libérale, de l'offre et de la demande. Nous sommes dans le secteur public, ou l'utilité et le service au citoyen priment. Son épouse ne s'est pas serrée la ceinture, elle a été fortement augmentée. Il y a une sorte de faille morale dans le raisonnement. 

Ce n'est pas en percevant simplement un don, mais en proposant cette politique au petit retraité, à l'infirmière,  que cet homme politique devient immoral, il s'oppose à l'impératif catégorique de Kant:
< "Agis de telle sorte que la maxime de ton action puisse être érigée par ta volonté en une loi universelle ; agis de telle sorte que tu traites toujours l'humanité en toi-même et en autrui comme une fin et jamais comme un moyen ; agis comme si tu étais à la fois législateur et sujet dans la république des volontés libres et raisonnables."
il est même possible, avec Rousseau, de dire qu'il agit contre nature:
...puisqu'il est manifestement contre la loi de nature, de quelque manière qu'on la définisse, qu'un enfant commande à un vieillard, qu'un imbécile conduise un homme sage et qu'une poignée de gens regorge de superfluités, tandis que la multitude affamée manque du nécessaire."

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