lundi 12 décembre 2016

Le langage, les doigts et l'amour

Quel rapport il y a-t-il entre le langage et les doigts, entre le langage et le toucher?
Alors que communément le langage est associé à la voix et à l’ouïe pour une langue parlée, il n'en est pas moins lié à la vue et au toucher pour l'écriture ou au toucher seulement pour le Braille.
Nous écrivons habituellement par deux moyens assez différents. Le stylo d'un côté qui ne nécessite que des mouvements d'une main et de quelques doigts qui pressent la plume ou la bille sur la papier. Le clavier de l'autre, qui implique l'agitation des dix doigts des deux mains, qui frappent chacun des touches. Le pouvoir de communication de ces dix doigts n'est pas exactement analogue à celui de la langue parlée. Celle ci surajoute à l'idée communiquée une intonation, une passion, un timbre, un volume, une rapidité, une scansion qui ne peuvent être rendus par de simples points de ponctuation dans l'écriture. L'écoute de cette sensualité du message à son tour engendre des effets sensibles. L'écriture manuscrite, bien que dépassée, n'est pas non plus dénuée de sensualité, et les graphologues rapprochent une manière d'écrire et certains traits de personnalité. Mais, alors que les paroles s'envolent dans l'instant, la matérialité de l'écriture incorpore en elle-même sa mémoire.
Les doigts qui s'agitent laissent des traces potentielles pour tous les yeux et tous les temps, alors que les sons propagées par les cordes vocales qui vibrent ne sont destinées qu'à certains tympans immédiatement sauf à posséder un dispositif d'enregistrement.
Mais la grande différence ne se trouve pas là. Le message écrit agit avant tout en différé, et le récepteur n'est pas présent quand l'émetteur le compose. Les hésitations ou les corrections effectuées pendant la composition d'un message ne sont pas perçues du destinataire. Même si l'on tourne sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler, la concoction d'une phrase ou d'une idée n'a pas le même temps à sa disposition sous les doigts que sur les lèvres. Une langue réfléchie, maître du temps, est rendue propice par les doigts. S'en suit une pratique de la langue différente, une lente investigation de l'esprit qui s'interroge, imagine, pense, compose, exprime, dans les deux sens du verbe.

Mais cela c'était avant.  Avant le chat ou les SMS. La technologie a aboli cet atout de l'écriture, ce délai entre l'émission et la réception. Il est aujourd'hui possible de taper un message et d'être lu quasiment simultanément par d'autres.
Les doigts sont tenus de s'accoupler instantanément aux pensées émises, sur le mode du parlé, de l'immédiateté. Pire, la pensée s'en voit doublement raccourcie, dans la forme et dans le fond. Dans la forme, car dans ce culte à la vitesse, le nombre de lettres des mots devient un handicap, et la phonétique supplante l'orthographe au détriment du sens. Dans le fond, car la technique encore embryonnaire limite la longueur du message ( twitter, sms ), et raccourcit aussi donc la pensée. Les doigts ne sont donc plus ce qu'ils étaient et ont perdu leurs avantages... Comment les retrouver ?

L'idée de communiquer avec les doigts évoque une certaine étrangeté. Transmettre des idées ou des formules mathématiques par simple application des phalanges semble pourtant en soi impossible. Cette faculté n'advient que par l'adjonction d'un tiers matériel. Imaginons qu'un corps humain prenne la place de ce tiers matériel , que les doigts tapent directement sur la peau de l'autre et que celui ci associe une lettre à chaque emplacement de sa peau. Nous pourrions alors, grâce aux doigts, alterner caresses et phrases et rendre l'amour aussi tangible qu'audible.






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