samedi 3 décembre 2016

Le signe et la causalité

Quel rapport peut on trouver entre l'idée de signe et celle de causalité ?
Pour Charles Sanders Peirce, considéré comme un des fondateurs de la sémiologie, le signe est "quelque chose qui tient lieu pour quelqu’un de quelque chose sous quelque rapport et à quelque titre ”. Le signe fonctionne donc comme un renvoi nécessaire. Le feu rouge renvoie à l'idée d'arrêter. Une idée semblable se retrouve chez Saussure, où le signe lie nécessairement un signifiant et un signifié: le son "stop" est associé au concept d'arrêter l'action en cours. Mais précisons que chez Saussure, pour le signe émis par la parole, c'est le signifiant : image acoustique, provoqué par le son, qui est apparié au signifié: concept de l'esprit. La double face du signe est donc d'ordre psychologique même si son origine et sa portée sont sociales. David Hume, en 1739, décrit aussi le même phénomène, dans le Traité de la Nature Humaine, I,III,VI:
"Ainsi parce que telle idée particulière est ordinairement adjointe à tel mot particulier, il ne faut rien d'autre, pour produire l'idée correspondante, que l'audition de ce mot, et c'est à peine s'il sera possible à l'esprit, au prix de ses plus grands efforts, d'empêcher cette transition."
Mais Hume ici n'analyse pas la question du signe, mais celle de la causalité. Un effet est lié à une cause dans l'esprit de manière comparable à celle du son d'un mot à l'idée qu'il évoque. De même il défend la thèse que nous associons plus généralement un effet à une cause sur la base d'une conjonction constante de deux objets contigus qui se succèdent, le feu et la chaleur, autrement dit par habitude de percevoir le même phénomène se reproduire entre les même objets. Dès lors quel serait la différence entre signe et principe de causalité ? 
La première différence provient de ce que si tout signe peut être considéré comme un signifiant qui cause un signifié, donc une cause et un effet, l'inverse ne semble pas vrai. Une cause qui induit un effet ne porte pas forcément le nom de signe. Le signe a une portée sociale et s'insère dans l'idée plus large de communication. N'importe quel couple cause/effet n'est pas couple de signifiant/signifié partagé socialement. Le signe implique un partage de sens dans une culture donnée.
L'arbitraire du signe, révélé par Saussure, délimite une deuxième différence. le mot "petit" et le mot "small"  n'ont aucun rapport possible, et la différence entre les langues le prouve, avec leur concept. A travers le temps ou les cultures les signifiants peuvent changer pour évoquer les même idées, ou l'inverse. Au contraire si vous changez la cause vous changez l'effet, et si vous partez d'un autre effet vous obtiendrez une autre cause. 
Mais si l'on examine plus avant ces deux différences, il est possible d'y opposer des objections. Lorsqu'on apprend par l'expérience individuelle que le feu brûle, où que l'aimant attire le fer, ne faut il pas considérer pour chacun  que le feu "est signe" de chaleur, et que l'aimant "est signe" d'attraction? Le caractère nécessaire des lois de la nature que nous apprenons par nos sens n'oblige -t-il pas à ces croyances , relatives au monde, obligatoires pour tous ? dès lors que ces croyances sont obligatoirement partagées, ne deviennent elles pas sociales ? Parallèlement à un système de signes naturels préexistant, nous aurions alors postérieurement des signes culturels.
Considérant l'arbitraire du signe, Hume justement nous apprend que ce ne sont pas les qualités particulières de tel objet, que nous ne pouvons appréhender par nos sens, qui fondent notre croyance en une relation de cause à effet, mais l'habitude de constater une conjonction de phénomène. Autrement dit cette relation n'a rien a voir pour nous avec les propriétés de l'objet correspondant à la cause, seule son apparence nous est déterminante. Un aimant peut bien prendre n'importe quelle forme ou couleur, nous lui associerons un effet d'attraction si par expériences répétées nous constatons son effet sur un morceau de fer. Tout se passe alors comme si la nature avait choisi arbitrairement les objets qu'elle nous propose, et qui deviennent des signifiants.
Ultime différence: le signe sert à communiquer entre deux sujets, alors que le rapport de causalité n'implique pas de transmettre un message. Mais quand nous interprétons un effet comme provenant d'une cause, ne sommes nous pas à l'écoute de la nature ? à comprendre ce qu'elle nous dit et nous montre ? "la nature" n'a-t-elle pas le statut de sujet communiquant ? Evidemment la culture crée ses signes, appris par une communauté, et par là les empêche d'atteindre l'universalité de ceux de la nature, mais cela n'enlève pas  à cette dernière son caractère de pourvoyeuse de signes.

Plus avant nous pouvons constater que la fonction symbolique surcharge les signes nécessaires à notre survie, que la nature nous communique. Si la fumée est une conséquence, un effet du feu, elle peut aussi être l'esprit d'un ancêtre. Si la pluie est une conséquence des nuages, elle peut être en plus un présage de fertilité pour les femmes du village. Ce métalangage est également utilisé par la pensée mythologique si bien décrite par Levi-Strauss.
Alors voilà, je cause, et je signe.

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