A défaut de pouvoir utiliser un véhicule propre, nous pouvons éviter de multiplier les voitures polluantes sur un même trajet via les plateformes telle que "BlaBlaCar". Ce choix de regrouper des passagers par unité de transport présente des vertus écologiques et économiques. En effet, les rejets de gaz à effet de serre sont moindre, ainsi que le coût du déplacement à la fois pour le conducteur et pour les passagers. Mais aussi , comme l'occasion fait le larron, cela rend possible des voyages ou des parcours qui n'auraient sinon pas vu le jour.
Internet a rendu possible la mise en relation des besoins des voyageurs, et a permis de transformer certains voyageurs en transporteurs, en embarquant dans leur véhicule ceux qui partagent la même destination. Ce type de mise en relation peut illustrer ce qu'on appelle le capitalisme cognitif.
Quel type de produit ou de marchandise fabrique BlaBlaCar ? aucun. Cette entreprise vit par une idée et ne fournit aucun travail productif. L'idée consiste à mettre en relation une offre de transport et un besoin d'être transporté. Vous me direz mais c'est ce que fait la SCNF ! non pas du tout car d'une part la SNCF vend du transport appuyé sur une base considérable d'infrastructure de matériel qui lui appartient, d'autre part la mise en relation avec l'offre de transport est très rigoureusement définie dans l'espace et dans le temps : départ de telle gare, à telle heure pour telle destination, enfin elle gère un nombre très important de salarié qui y travaillent pour faire fonctionner cet ensemble.
Au contraire BlaBlaCar n'utilise comme matériel que quelques serveurs informatiques, dont elle loue les services. La valeur qu'elle fait émerger réside toute entière dans la mise en relation, rendue possible par les TIC( technologies de l'information). Mais que vend-elle alors ? justement cette idée, cette mise en relation par le site web ou l'application BlaBlaCar, qui lui permet de percevoir un pourcentage sur chaque transport.
Où sont ses clients ? n'importe où sur le globe du moment qu'ils puissent se retrouver pour un trajet commun. Quel sont ses horaires ? aucun en particulier, les conducteurs proposent, les voyageurs disposent.
L'investissement ne consiste pas à acheter de lourdes machines, de l'énergie pour les faire fonctionner ou des matières premières, mais à concevoir un logiciel: soit un produit "immatériel" dans lequel est concentrée toute la valeur d'usage et d'échange.
La valeur travail
Les économistes classiques comme Ricardo avaient défini la valeur d'un bien par la notion de valeur-travail déterminée par le temps de travail cumulé ( directement et indirectement) pour la fabrication d'un produit. Marx articulait la notion de plus-value , de profit, et d'exploitation sur la valeur-travail. Valeur-travail sur laquelle reposait aussi la valeur d'échange.
Quid pour BlaBlaCar ? Dans cet exemple nous voyons bien que la valeur de l'immatériel produit ne peut se mesurer sur la base de la valeur-travail.
Nous avons quelques ingénieurs qui produisent puis maintiennent un
logiciel, qui travaillent peut être le jour, ou la nuit, de chez eux,
d'un autre pays, et quelques administratifs au siège. Une fois développé, seul un très petit nombre d'ingénieurs devront simplement le maintenir. Admettons qu'on puisse calculer le cumul des heures travaillées pour développer ce logiciel, cette métrique reste incommensurable avec le montant perçu sur les transactions de chaque voyage, une fois le logiciel écrit. Car il n'y a aucune quantité travail "logiciel" à mettre en regard de la quantité des transactions de transport.
Pour les participants, le montant payé pour le service de mise en relation n'a rien à voir avec la qualité du logiciel, sa conformité avec les règles de l'art, ni avec le temps mis à le développer. Ils payent simplement pour un service immatériel: la possibilité de contacter quelqu'un dont le besoin est complémentaire. La conduite du véhicule ne peut être assimilée à un "travail" qui serait rémunéré comme tel. Il s'agit plutôt d'une sorte de retour à une économie basée sur le besoin et l'opportunité, qui repose sur un étrange objet : "l'application".
Utilité et finalité
L'objet "application" n'atteint pas un état d'achèvement via sa matière puisque le logiciel est forme pure (ou énergie). L'utilité se déploie donc de façon extrinsèque à la forme, il n'y a ainsi pas coïncidence entre achèvement technique de l'application, mise en service et utilité maximale. La valeur d'usage n'existe qu'en puissance, elle est actualisée par la
montée en nombre des utilisateurs, avec lesquelles elle se démultiplie alors que les multiples acheteurs d'un marteau n'augmenteront pas sa valeur d'usage, qui restera la même pour chacun.
La finalité, cristallisée dans l'application, consiste à mettre en relation. Mais d'autres finalités se superposent qui lui sont conditionnées. Le programme, pour le conducteur, a comme fin de lui procurer du revenu, pour le passager celle d'économiser sur un transport , pour les deux celle d'atteindre une destination, pour l'entreprise celle de faire du profit.
Au carrefour d'autres finalités, la finalité cristallisée devient une condition de possibilité d'autres finalités, ce qui fonde le paradigme du site de rencontre: facebook, meetic, tinder etc.
Alors que la survaleur cristallisée captée sur le travail vivant, chez Marx , s'accumulait en nouveaux moyens de production, en capital fixe, nous avons ici un modèle totalement nouveau. La valeur captée par l'entreprise vient de ce qu'elle s'érige en condition de possibilité de la satisfaction d'un besoin de connaissance, et ceci de façon économiquement décorrélée d'une valeur travail. Une entreprise transcendantale en somme .
Et l’État dans tout ça ?
Et si l'Etat captait, tout comme le privé capte les connaissances communes, les idées développées dans le privé, en renversant le processus du capitalisme cognitif. Pourquoi l’État ne pourrait-il jouer ce rôle de mise en relation des citoyens ? un BlaBlaEtat qui, avec peu d'investissement pourrait fournir ces finalités cristallisées, qui permettent à l'interdépendance de s'exprimer. En remplacement des bals de campagne de la mairie, l'état pourrait fournir des espaces de rencontres, d'annonces, d'échanges, de corrélation des besoins au niveau national. Les bénéfices obtenus pourraient être réinjectés par exemple dans une politique industrielle de production de véhicules propres ou un financement de la recherche en énergie renouvelable...
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