samedi 5 mars 2022

la nature a-t-elle besoin d'être défendue?


 "Longtemps, la nature n’a été considérée que comme une ressource à exploiter, un objet extérieur à l'humanité". 
Yannick Jadot le 29/1/2022 ( https://twitter.com/yjadot/status/1487464907742355456 )

 Celle déclaration porte en creux un regret et il faut entendre que le candidat à la présidence souhaite d'une part reconsidérer la nature non plus seulement comme une ressource  d'autre part réintégrer l'idée que l'humanité fait partie de la nature. Devons nous le suivre sur ce terrain et quelle définition de la nature doit on adopter pour interpréter la pensée de Jadot ?

est-ce celle d'Aristote? :

 "[..] Sont par nature les animaux et leurs parties, les plantes et les corps simples comme la terre, le feu, l'air et l'eau; ce sont ceux là et ceux de cette sorte que nous disons par nature. Or,  tous les étants cités paraissent se distinguer des choses qui ne sont pas constituées par nature, car tous les étant par nature paraissent posséder en eux mêmes un principe de mouvement et de stabilité, les uns selon le lieu, les autres selon la croissance et la décroissance les autres encore selon l'altération[...] ( La Physique LII 192b)

Les êtres naturels portent en eux mêmes leur propre principe de mouvement, de production et de reproduction. Ils se meuvent, s'altèrent ou croissent de leur propre fait, sans autre principe extérieur. Voilà ce qui les distinguent selon Aristote, par opposition à un lit ou une chaise qui sont produits par un principe externe à leur être. L'homme étant clairement un animal  selon Aristote (mais un animal politique qui possède le logos), il fait donc bien partie des être naturels et de la nature.

ou bien celle de WhiteHead ?:

"La nature est ce que nous observons dans la perception par les sens. Dans cette perception nous avons conscience de quelque chose qui n'est pas la pensée et qui est autonome par rapport à la pensée" ( Le concept de nature -Vrin- p39 ). Par cette définition, l'homme ne fait pas partie de la nature puisqu'au contraire elle se définit par son extériorité même.


Une cascade de conséquences découlent de l'une ou l'autre des définitions. Prenons tout d'abord Aristote. La nature n'est effectivement pas pour lui "extérieure à l'humanité". Elle est tout sauf "un objet", puisqu'elle est un principe. L'homme possède "une nature" comme tous les animaux, telle qu'elle est définie plus haut. Sur ce sujet Jadot est en accord avec la pensée aristotélicienne. Mais au contraire de Jadot, pour Aristote la nature se prête parfaitement à l'exploitation par l'homme des ressources qu'elle propose qui paraissent providentiellement adéquates aux besoins humains. En effet le "telos", la fin, le but, le "ce en vue de quoi" est une des causes des êtres vivants aussi bien que des choses. 

 "Nous disons que 'ceci est en vue de cela' partout où se manifeste un but vers lequel tend le mouvement si rien ne l'empêche". De sorte qu'il est manifeste qu'il existe quelque chose de cette sorte, que précisément nous appelons 'nature'". ( Les Parties des animaux, L I 642a 25 )

 "La nature de fait a fourni ce qui est inférieur à ce qui est plus grand et supérieur" ( Ibid L 4 10 687 b).

 L'homme réside au sommet de cette échelle naturelle. Par cette vision finaliste Aristote en arrive logiquement à penser que puisque tout est conçu en fonction d'un but, s'il y a des animaux sur terre c'est bien afin que l'homme en profite pour son travail et sa nourriture. Les finalités locales qui conduisent les êtres vivants à leur forme achevée sont coiffés par une finalité globale pour maintenir un équilibre, ce qui pourrait être la définition antique d'un écosystème ... Nous sommes donc loin de la vision de Jadot.

 Que pourrait être alors une nature qui ne serait plus considérée comme une "nature à exploiter"? comme le désire l'écologiste. Que faut-il entendre dans ce souhait,  dans ce dessein d'une nature réconciliée avec l'humanité? Peut être s'agit-il de cesser de "dégrader" la nature, "d'épuiser" les sols, de "polluer" les airs et les eaux? Qu'il conviendrait d'envisager la nature comme un être à respecter, à contempler , sans le maltraiter? Une nature champêtre et synonyme du Bien. Mais être amoureux de la nature en la considérant uniquement comme bénéfique et source de vie c'est oublier qu'elle est pourvoyeuse de mort: tout ce qui vit, indistinctement, va mourir par un processus naturel.

 La nature qu'évoque Jadot rappelle plutôt l'environnement dans lequel vit l'homme, qui n'est pas assimilable comme chez Aristote à un principe, un mouvement, mais qui serait définie par tout ce qui n'est pas humain, par ce dans quoi nous baignons. Nous tombons alors dans la définition de Whitehead, une nature vue comme extériorité, cause de notre perception. Cet "environnement" s'incarne dans ce discours moral écologiste en tant qu'être à "sauver" pour lui même. Dans un formidable élan de bonté, mais surtout d'hypocrisie, nous voudrions redescendre l'échelle de la nature par pure humilité et nous ranger près des insectes pour prendre soin de tous les êtres vivants. Mais si nous devons sauver l'environnement ce n'est pas pour son propre bénéfice mais bien pour le nôtre. 

Cette "nature" nous importe car notre vie en dépend. Si nous devons lutter contre le réchauffement climatique c'est dans le but d'éviter des catastrophes pour l'homme et pour assurer sa reproduction. "Mais aussi pour la diversité des espèces" répondra-t-on. Or pourquoi voudrait-on préserver la diversité des espèces sinon en dernière instance pour satisfaire l'homme? A quelle occasion préserve-t-on des espèces autrement que pour le plaisir humain ou pour son intérêt? Réintroduisons nous des bactéries, des scorpions ou des mygales dans la nature? va-t-on multiplier les méduses au bord des plages? Luttons nous pour la préservation du désert? certes non, plutôt contre son expansion  car ce milieu nous est hostile. "L'homme est la mesure de toutes choses" disait Protagoras, et l'homme est la finalité de toutes ses actions pourrait-on ajouter.

Pourquoi faut-il diminuer la pollution des airs ou des eaux? Il s'agit en priorité de nous préserver en tant qu'humains qui respirons et buvons. Puis en second venir au secours des espèces inférieures de la 'scala naturae", que par hypocrisie et bonne conscience, nous prétendons aider alors que notre intérêt, que ce soit dans la nourriture ou dans la contemplation,  prime toujours. L'homme juge merveilleux les paysages terrestres, mais pourquoi veut-il les préserver? le paysage n'est pas un sujet, il ne souffre pas de sa propre disparition. Pourquoi nous lamentons nous de la disparition des glaciers? L'homme veut diminuer le CO2, se préoccupe-t-on des espèces qui tirent partie de l'augmentation de ce gaz?

Il n'y a pas de justice dans la nature, et ce que l'homme estime juste dans la lutte pour l'environnement se résume à ce qui lui est avantageux. La nature n'a aucun besoin d'être défendue, l'humanité au contraire, elle qui cause sa propre perte, a besoin des services d'un très bon avocat. Le problème ne réside pas dans l'exploitation de la nature ou dans le fait de la dominer, mais plutôt de le faire d'une manière durable sans scier la branche sur laquelle est assise l'humanité, et de gérer au mieux nos intérêts d'espèce.

 

 

 

 

 

 

 


1 commentaire:

sabine a dit…

Intéressant ! Et justement, cet écrit m'a évoqué à plusieurs reprises la relation équilibrée avec la nature qu'ont des ethnies indiennes qui se battent aujourd'hui pour préserver leur vision, quand leurs territoires sont dévorés par les pipelines ou le déboisement. Cette vision est celle d'une nature déifiée, s'incarnant dans divers personnages, lesquels sont tantôt magnanimes et autorisent la ponction de nourriture et de ressources dans la nature, tantôt malfaisants, punissant l'homme de trop grands appétits. C'est encore une autre approche du statut de la nature : ni extérieure donc inférieure, ni n'englobant l'humain.