mardi 15 mars 2022

l'incommensurable et la guerre de Poutine

  "Incommensurable":
ses significations diverses donnent cet adjectif des emplois assez différents. Mais toutes peuvent s'appliquer à la situation actuelle en Ukraine.

     Dans un premier sens incommensurable signifie pour le Larousse "d'une grandeur si considérable qu'elle ne peut être mesurée". Il vient justement à l'esprit que cette offensive de la Russie contre l'Ukraine peut être incommensurable à plusieurs titres.

    Au titre de l'action de guerre Russe tout d'abord. Très peu de commentateurs, d'experts, ou citoyens imaginaient la mesure de l'offensive. L'opinion restait partagée entre l'idée d'une forte pression militaire aux frontières pour négocier ou une d'invasion de type "Crimée" pour prendre possession du Donbass. Très peu pensaient que Poutine voudrait mettre la main sur l'Ukraine en totalité et la détruire en partie. Aujourd'hui beaucoup pensent que la menace s'applique à tous les pays de l'ex pacte de Varsovie. Or dans son hubris le dictateur brandit même le spectre nucléaire. Il n'y a plus aucune mesure dans l'action du Kremlin tenté de provoquer l'OTAN et une troisième guerre mondiale. Poutine a envoyé en Ukraine près d'un quart de l'armée russe, c'est considérable.

    Au titre des conséquences ensuite: cette guerre en effet aura des implications dans le monde  impossible à mesurer aujourd'hui. Nous savons qu'elle va charrier son lot d'êtres brisés et traumatisés, de blessés et de cadavres, civils et militaires, en Ukraine aujourd'hui et peut-être ailleurs demain. Elle induit déjà de très importantes conséquences économiques pour la Russie et le peuple russe dont personne ne sait si elles seront suffisantes pour changer la donne politique. La fourniture d'énergie et de denrées sera considérablement affectée avec des répercutions en Europe mais aussi dans le monde entier, avec des famines à la clef. Les dépenses de défense vont terriblement augmenter chez les voisins proches et lointains de la Russie. Les alliances géopolitiques risquent d'être chamboulées. Bref nous vivrons dans un monde bouleversé mais personne ne sait dans quelles mesures se produiront ces phénomènes. 


    Au titre de la haine et de la cruauté: tout d'abord arguant que les ukrainiens et les russes "forment un seul peuple" les russes n'ont de cesse maintenant de transformer en ruine des villes entières comme Marioupol ( aujourd'hui plus de 2000 morts civils)  de prendre pour objectif des habitations ou des hôpitaux, de laisser partir les civils au compte goutte et de terroriser ceux qui restent, qui croupissent avec des enfants et des vieillards dans les caves. Alors que la force russe suffirait à prendre possession des villes grâce à sa puissance militaire disproportionnée, elle s'acharne à détruire, en plus des hommes, le patrimoine. A ce jour trois millions d'Ukrainiens ont quitté le pays et tout laissé sur place, les familles sont séparées et déchirées car les hommes sont requis par la loi martiale.  La férocité de Poutine dépasse toute mesure. Plusieurs accusations de crime de guerre se constituent aujourd'hui contre lui (1) .

    Au titre du ressentiment: comme le décrit Cynthia Fleury dans "Ci gît l'amer, guérir du ressentiment",  le ressentiment est un poison pour l'âme. Poutine cultive un ressentiment incommensurable et rumine  depuis 1991, ou avant,  sa haine de l'occident et son sentiment d'échec et d'humiliation.

    Incommensurable peut prendre aussi un autre sens:

"se dit d'une grandeur sans commune mesure avec une autre, d'une chose étrangère à une autre."

 

    Là encore cette guerre peut se voir appliquer cet adjectif à plusieurs titres.

    Incommensurable les forces en présence et la taille des territoires. Voilà un pays doté du plus grand arsenal nucléaire, qui possède la seconde force militaire de la planète, le pays le plus étendu du monde, qui pose ses bottes sur un pays grand comme la France doté d'une petite armée. Cependant la défense des ukrainiens est héroïque, aujourd'hui 15 Mars Kiev tient toujours.

    Ensuite la bellicosité d'un côté et de l'autre est également incommensurable, d'un côté la Russie a annexé la Crimée ukrainienne et soutenu, sinon initié par des hommes et du matériel, le conflit du Donbass sur le sol Ukrainien ( *) comme le démontre les photos de la "Special Monitoring Mission" de l'OSCE.  De l'autre les ukrainiens n'ont fait que défendre leur territoire face aux séparatistes armés par Moscou et n'ont jamais menacé ni le territoire russe, ni aucun autre pays depuis l'indépendance. Au contraire pourrait-on dire ils ont subi, mourant par millions, l'holodomor, la famine résultant de la captation par Staline dans les années 1930 de toute la production agricole.

    Les cultures des deux pays sont historiquement liées mais leurs espoirs sont incommensurables. Les russes apprécient les pouvoirs forts,  se flattent de leur puissance passée ou future et font en majorité confiance à leurs dirigeants (Il y a bien sûr des exception comme les courageuses journalistes Marina Ovsiannikova, Anna Politkovskaïa, et bien d'autres mais le soutien à Poutine est important). La majorité des ukrainiens désirent la démocratie, ils renversent tout pouvoir non conforme à leurs aspirations ( révolution orange, Maïdan) et souhaitent s'éloigner du voisin russe en lorgnant vers l'OTAN qui jusqu'ici leur a opposé une fin de non recevoir.

 

 Mais  encore plus incommensurables avec  le martyr Ukrainien apparaissent les arguments, en Russie mais aussi chez nous,  qui font état d'une sorte de symétrie dans les raisons de cette guerre, une responsabilité à 50/50... D'un côté les cadavres, de l'autre le babil. Il y aurait il une seule raison valable qui vaudrait qu'on martyrise tout un peuple? Chacun organise sa petite causalité de comptoir répartissant les responsabilité comme si l'Histoire ressortait de la même science que la physique. "il faut comprendre que la Russie se sent humiliée ", l'argument semble porter la même nécessité que: "puisqu'il fait moins de zéro degré l'eau gèle". L'humiliation autorise-t-elle à tuer? est-elle un principe plus haut que le droit international et que la simple morale? D'ailleurs les Allemands de l'Est ont voté avec leur pied, sans les chars de l'Ouest, voilà la réalité qui a plongé Poutine dans l'humiliation. "L'OTAN avance", mais sont-ils obligés, contraints, qui leur tord le poignet à tous ces pays qui rejoignent l'OTAN? ou bien ont-ils peur de la Russie, veulent-ils agresser ou se défendre? "Les ukrainiens n'ont pas respectés les accords de Minsk", entend-on alors que le cesser le feu a été violé des deux côtés. Mais pourquoi donc la Russie est-elle signataire d'un accord qui ne concerne que l'Ukraine et des villes ukrainiennes Louhansk et Donetsk? Par esprit de paix d'un pompier pyromane?  Que l'on tourne ces arguments dans tous les sens, rien ne peut justifier d'apporter la mort dans une population civile.

Incommensurable avec la logique et la vérité que les motifs officiels : "dénazifier et cesser le génocide". Les Nazis voulaient épurer la "race" Allemande et éradiquer les juifs, est ce le cas de l'Ukraine dont le président est Juif? Un génocide la guerre dans le Donbass? alors qu'il s'agit d'un séparatisme politique ( 14000 morts des deux camps **  alors qu'il y a eu entre 100000 et 300000 morts en Tchétchénie ***)

  Il n'y a aucune mesure entre les pseudos explications qui tenteraient de rendre responsable l'Ukraine de son propre envahissement et l'annexion sanglante, meurtrière, contre le droit international que tente aujourd'hui, comme hier pour les Sudètes avec les mêmes arguments, le successeur d'Hitler. 

Qu'il étouffe de son propre ressentiment.





 (1)

https://www.lemonde.fr/international/article/2022/03/15/crimes-de-guerre-en-ukraine-la-traque-des-preuves_6117599_3210.html

(*)

https://www.dw.com/en/russian-court-says-countrys-soldiers-stationed-in-ukraine/a-60153034

 https://ilovaisk.forensic-architecture.org/ 

https://www.bbc.com/news/world-europe-31794523

https://informnapalm.org/en/osce-spots-15-newest-russian-uaz-esaul-armored-vehicles-in-donbas-drone-photo/

 (**)

https://tass.com/world/1289095

(***)

https://www.franceculture.fr/geopolitique/tchetchenie-vingt-ans-apres-la-guerre-un-etat-dans-letat

 

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