mercredi 18 mai 2022

Réfugiés et Egalité

   Près de six millions d'Ukrainiens ont quitté leur lieu d'habitation à cause de l'agression sauvage de la Russie. Quelques millions vivent à l'étranger, dont quelques milliers sont accueillis en France. L'Europe a très vite pris des mesures pour faciliter l'accueil de ces réfugiés qui bénéficient d'une protection temporaire à la seule condition d'avoir fuit les combats à partir de Février 2022. Cette protection leur donne accès pour six mois à l'ADA , l'allocation pour demandeur d'asile qui se monte à 6,80 euros par jour et par personne, ainsi qu'aux droits à l'assurance maladie.

  Certains, comme Sandrine Rousseau de EELV, au lieu de se réjouir, ont réagi par la critique. En effet elle émet le tweet suivant le 1er Mars, alors que les troupes russes tentent de prendre la capitale Kiev:

"Petit rappel matinal : Un-e réfugiésyrien-ne = un-e réfugié-e afghan-ne = un-e réfugié-e ukrainien-ne = un réfugié-e tout court ..."

 On  passera sur l'illisibilité de la forme pour s'attacher au fond, qui transforme la pensée en équation. C'est  au final montrer du mépris que d' essentialiser les humains à leur condition de réfugié, se retrouvant par là tous identiques,  et  les réduire au statut d'êtres mathématiques qui plus est équivalents les uns aux autres. Au moins Spinoza dans l'Ethique, qui voulait dérouler des pensées à la manière des démonstrations géométriques, posait-il des axiomes et des théorèmes pour soutenir ses déductions.

  Le signe égal est ici le fond le l'affaire. Sandrine Rousseau comme d'autres dénonce l'inégalité de statut entre le sort accordé aux réfugiés ukrainiens, et celui des autres réfugiés, syriens ou afghans, qui n'ont pas bénéficié de la protection temporaire immédiate. En effet la politique au niveau européen lors de la crise syrienne fut de cantonner ceux qui fuyaient la Syrie dans les pays limitrophes pour éviter l’afflux de réfugiés en Europe. Mais le message subliminal sous-jacent, que l'on a constaté chez certains à EELV ou LFI invoque tout simplement le racisme comme la profonde raison de cette différence de traitement.

  Ce tweet a été émis alors que beaucoup se réjouissaient de cette mesure européenne alors que l'EU par ailleurs initiait une politique de sanctions économique vis à vis de la Russie, connectait les réseaux électriques pour suppléer aux destructions,  fournissait des armes à l'Ukraine.

  Pourquoi cette réaction immédiate de soutien aux Ukrainiens de la part de l'EU? On peut y voir uniquement un réflexe  humanitaire, ce qui est le cas de l'élue écologiste.


Un réflexe humanitaire?

   Considérer que la France peut, au même titre, accueillir de la même façon des réfugiés du monde entier, implique de nier la notion de distance.  Pourquoi S.R. n'a-t-elle pas aussi cité les Rohingyas chassés de Birmanie? ou les Yéménites ? La guerre déplace des gens qui veulent souvent rester au plus près de l'habitat qu'ils ont quitté et qui recherchent à s'abriter dans un pays voisin en paix. Ce que font d'ailleurs les Ukrainiens qui sont majoritairement dans les pays limitrophes, en particulier la Pologne. Les Ukrainiens sont nos voisins et nous sont culturellement proches, ils sont indubitablement victimes de l'agression d'un autre état et non d'un conflit intérieur comme la Syrie d'Assad ( au début tout au moins) ou comme l'Afghanistan des talibans. Les Ukrainiens souhaitent rapidement rentrer chez eux dès que les conditions seront plus sûres, alors que d'autres migrants souhaitent faire leur vie en Europe et sont candidats à une intégration, ce qui change totalement la donne.

 Cet accueil "équation" véhicule l'idée qu'accueillir doit se faire inconditionnellement de façon aveugle. Or si l'Europe existe c'est bien parce qu'il y a une vraie communauté, une proximité géographique et culturelle et une histoire commune. Si l'espace Schengen existe c'est parce qu'il délimite un espace de confiance. 

  L'Afghanistan a été la base de formation des terroristes d'Al Qaïda, où a séjourné Ben Laden qui y a monté des camps d'entraînement militaires. Pays dont l'influence islamiste des talibans est indéniable, et dont les valeurs sont assez éloignées de la culture européenne en particulier les rapports homme femme, tout comme le Pakistan voisin. Nous accordons l'asile aux personnes dont la vie est danger, aux Afghans comme aux Syriens, comme à toute autre nationalité. Mais accueillir par millions en Europe et en urgence par procédure spéciale des migrants de culture si différente de la nôtre créerait des tensions difficilement gérables en France et un danger en ce qui concerne les terroristes importés. Il est en revanche scandaleux que la France n'aie pas sauvé et emmené ses assistants et traducteurs locaux avec les derniers militaires quittant l'Afghanistan. Par ailleurs l'Afghanistan est en situation de guerre civile, nous ne sommes pas dans un cas de guerre régionale mais de lutte interne, ce qui rend plus compliquée la prise de parti dans les conflits.

 La Syrie a condensé un théâtre d'opération où s'affrontaient de multiples oppositions. On y trouvait les combattants de plusieurs obédiences islamistes terroristes, dont Daesh qui voulait, à cheval sur la frontière irakienne, établir un califat. Il faut se rappeler que Abdelhamid Abaaoud, le tueur organisateur de la tuerie des terrasses et du Bataclan, a pris la route des migrants de Syrie pour venir en Europe. Là aussi la Turquie a été soutenue par l'UE, comme la Pologne pour les Ukrainiens, pour accueillir les Syriens voisins qui partagent une culture commune, l'Islam.

 Si l'Allemagne de Merkel a tenu à accueillir un million de réfugiés syriens il est de notoriété publique qu'il ne s'agit pas d'une motivation humanitaire mais d'une nécessité démographique et économique. Nous aurons à observer dans quelques années dans quel mesure l'intégration est réussie, alors que la première ministre de Suède vient de déclarer que son pays avait échoué dans ce registre.

 Mais on peut voir aussi dans la décision de l'EU une décision politique.


Une mesure politique

   La mesure de la protection temporaire est une mesure décidée au niveau européen. Elle résulte donc des sensibilités diverses des pays qui la composent.

   Elle intervient dans un contexte où la Russie a elle aussi de sérieux problèmes démographiques qui menacent son avenir. Certains chercheurs expliquent que mettre la main sur l'Ukraine et les Ukrainiens permettrait à Poutine d'adoucir la crise de dénatalité et de rééquilibrer les ethnies. En Crimée annexée les tatares ont fuit, et dans le Dombas l'épuration ethnique continue. En échange de couloirs humanitaires Poutine a russifié les civils qu'il prétendait sauver. Poutine pensait qu'une crise humanitaire suite à la guerre diviserait les Européens, que les migrants seraient refoulés, il n'en a rien été . L'Europe a réagit d'une seule voix avec ce nouveau statut, qui est aussi une manière de réagir aux pièges tendus par la Russie.

 Elle survient aussi dans un contexte de plein soutien à l'Ukraine, en tant que pays candidat à l'OTAN et à l'UE que la Russie tente de faire basculer dans son giron. L'UE, les US et la Russie s'affronte sur les valeurs et sur un modèle de société. Dictatures contre démocraties sera le nouveau challenge. La Russie et la Chine font cause commune pour expliquer que leur rapprochement autorise la fondation d'un nouvel ordre mondial ( dont l'Organisation de Coopération de Shanghai est un élément) qui concurrence l'occident , celui où les droits de l'homme ne comptent pas devant l'intérêt des états, cet intérêt étant décidé par un seul homme : le dictateur. Crimée, Donbass, bientôt Taïwan, peu importe le nombre de morts ou d'atrocités dès qu'il est possible de récupérer des territoires dits "historiques". La Chine et la Russie ne veulent pas de la démocratie et d'une opinion librement informée, elles veulent rendre leur modèle hégémonique ce qui constitue une terrible menace.

 L'aide apportée aux Ukrainiens, humanitaire, financière, militaire résulte donc d'une décision politique dans le cadre géo-stratégique d'un affrontement avec les dictatures russo-chinoise.

 S.Rousseau a donc tort. Sur un plan humanitaire non les réfugiés d'où qu'ils viennent ne peuvent être accueillis en grand nombre de manière égale , les conditions de la possibilité d'une l'intégration comptent. Par ailleurs elle, dont c'est le métier, oublie complètement la politique, l'intérêt des états, l'analyse des conflits pour un jugement moral déconnecté, comme si la politique se résumait à la parole chrétienne. Le monde est un peu plus complexe que mettre le racisme à toutes les sauces ou identifier la politique à la parabole du bon samaritain. La politique s'appuie sur la morale, mais la morale n'est pas la politique (ni une équation simpliste).











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