J'ai entendu, hier dans l'émission téléviséede Guillaume Durand, les arguments suivants à propos du fameux match France-Irlande:
- s'il fallait rejouer tous les matchs avec des erreurs d'arbitrage, ce serait sans fin au regard de la quantité de fautes assimilables à la main d'Henry.
- Le football n'a rien à voir avec la morale.
- La france n'a pas à s'excuser, l'état , le gouvernement n'ont rien à voir avec les règles footballistiques.
- Ce n'est qu'un jeu, ce n'est pas si important.
Reprenons maintenant les arguments entendus un par un :
- Ce n'est qu'un jeu, ce n'est pas si important.
Il faut reconnaitre le football comme un fait de société .
Il donne lieu, lors de la retransmission de la finale de coupe du monde à une sorte de communion de plusieurs milliard d'individus. Un sixième des habitants de cette planète regarde la même chose, au même moment, et espère la victoire d'une équipe sur l'autre. Des républiques s'enflamment et les citoyens régressent dans des comportements tribaux comme se peindre les couleurs nationales sur le visage. Les drapeaux ressortent ainsi que le vocabulaire guerrier. Les hymnes nationaux sont repris en coeur, la voix tremblante. L'équipe championne du monde est reçue par les plus hautes instances politiques, elle défile dans les lieux symboliques du pays.
La presse reconnait même au football, comme en 1998, à l'image de la mixité de l'équipe, des vertus d'intégration.
Ce "jeu" véhicule des sentiments intenses: amour , haine, violence, enthousiasme, joie, tristesse. Des gens sont morts dans, ou en dehors, des stades à cause de ce torrent d'affects. Un drame planétaire se joue dans une finale de coupe du monde.
Il constitue une économie à part entière: un marché de joueurs lors des transferts, des produits dérivés, vêtements, mascottes, gadgets, des places de stade survendues, un spectacle planétaire et des droits télévisuels de plusieurs centaines de millions d'euros pour les grands évènements. Des clubs sont côtés en bourse.
Les grands joueurs sont idolâtrés, leurs photos parsèment les murs des chambres d'adolescents, les plus petits s'échangent des cartes à leur effigie, des chansons sont composés pour eux. Comme de nouveaux dieux, leur icône apparait dans tous les magazines, ils posent nus, ils deviennent chanteurs, acteurs, sex symbols, modèles pour la jeunesse. Leurs membres inférieurs, tels des joyaux, sont assurés pour des sommes considérables.
Un jeu ? oui mais aussi beaucoup plus.
- s'il fallait rejouer tous les matchs entachés d'erreurs d'arbitrage, ce serait sans fin au regard de la quantité de fautes assimilables à la main d'Henry.
La qualification en Coupe du Monde intronise un pays dans la cour des grands.
Une élimination dans de nombreux pays est considérée comme une honte nationale.
Le problème dont nous parlons concerne l'équipe de "France".
La population s'identifie à une équipe, l'équipe représente la nation. L'Equipe de football fait partie de l'identité nationale.
Le président de la République assiste au match et délivre un message en fin de partie. Il s'affiche avec les joueurs en cas de succès.
Il n'est donc pas possible de comparer le football du dimanche joué dans toutes les villes de province, y compris les plus petites, sans autre enjeu qu'un classement dans une lointaine division , qui déjà invoque "l'honneur", avec le grand cirque de l'évenement mondial qui a lieu tous les quatre ans, où les pays de la planète s'affrontent dans la passion. Les enjeux ne peuvent être comparés.
S'il fallait rejouer des matchs qualificatifs leur nombre ne représenterait pas un obstacle.
- Le football n'a rien à voir avec la morale.
La morale permet de répondre à la question "que dois-je faire" ? Elle permet de mettre en oeuvre la liberté de choisir le bien contre le mal, le juste contre l'injuste, et délimite comme chacun aimerait que l'autre se conduise. Elle implique le désintéressement, une action ne doit pas être motivée par une récompense pour être morale.
Respecter les lois et les règlements ne va pas de pair avec une conduite morale.
Un individu respectant toutes les règles pourrait tout à fait être "un salaud légaliste", respectueux des lois mais passant son chemin en voyant une veille femme tombée par terre, ou trichant au jeu entre amis.
Les règles ou lois morales ne valent pas sanction officielle lorsqu'elles ne sont pas respectées.
Or, au football, que trouve-t-on ? Des humains, un "jeu", des règles. Nous sommes donc en présence des ingrédients avec lesquels la morale peut s'exercer. Le joueur peut se conduire "bien" ou "mal", de manière juste ou injuste, en respectant les règles ou non. Sa conduite peut s'inspirer de celle qu'il souhaiterait voir chez les autres, telle l'impératif catégorique énoncé par Kant.
Et ceci même s'il est, comme l'histoire de l'anneau de Gygès rapporté par Platon, invisible. La conduite morale doit s'éprouver dans l'hypothèse de l'invisibilité: que fais-je, invisible, dans un magasin ? est-ce que je vole et m'enfuit? est-ce que je m'abstiens de voler uniquement parce que c'est interdit par la loi ?
Le joueur qui n'est pas vu de l'arbitre se retrouve dans les mêmes conditions que Gygès, lui seul peut délibérer sachant qu'il ne sera, peut-être, pas vu et sanctionné.
Mais la télévision démultiplie cet effet: des millions de personnes regardent Gygès qui se croit invisible ou l'espère, et assistent à une tricherie, la fin justifiant les moyens, une main justifiant la qualification.
Une main volontaire, non sifflée, n'est pas juste, même si le résultat du match est légal, elle disqualifie l'adversaire honteusement. Peut-on souhaiter que tous les joueurs de Coupe du Monde s'efforçent de se conduire ainsi ? Evidemment non.
Le football a donc à voir avec la morale sous deux aspects,un aspect individuel: la délibération intérieure de chaque joueur quant au choix de ses actes, et collectif : l'exemplarité sur de jeunes esprits du choix du joueur, de sa morale , des commentaires des entraîneurs, des responsables du football et des politiques.
- La france n'a pas à s'excuser, l'état , le gouvernement n'ont rien à voir avec les règles footballistiques.
Les règles du football ne sont pas les lois du pays. Elles sont énoncées par des instances sportives internationales comme la FIFA.
Pourquoi l'état, le gouvernement, les hommes politiques s'en mêleraient-ils ?
D'une part par ce qu'ils sont manifestement concernés par le jeu et le résultat :
lourds investissements d'état pour organiser la Coupe du Monde, forces de police pour maintenir la sécurité, présence à la tribune "d'honneur" du Président, interview de celui-ci en fin de match, l'Elysée en cas de succès.
D'autre part parce qu'ils organisent la cité, la justice, l'égalité, si des jeux d'une telle importance mènent à l'injustice, à la colère, à la honte, peut être même à la violence, il doivent réagir.
D'autre part encore parce qu'il y a identification entre la nation et son équipe. L'image du pays, ses valeurs, peuvent être mise en cause.
Enfin parce que l'état, l'éducation nationale, positionne dans toutes les écoles le sport, et le football, comme formation de l'esprit, le courage, le fair-play, le respect de l'adversaire, comme autant de comportements à acquérir pour vivre dans ce pays.
Les hommes politiques ne peuvent pas changer les règles du football. Mais ils peuvent demander qu'elles changent, à défaut de s'excuser, au lieu de s'abriter, immoralement, derrière elles.
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