La pétition en ligne est à la mode. Le réseau des réseaux a donné un coup de fouet à ce mode d'expression qui dorénavant se déclenche et se signe de chez soi, au travail ou depuis tout autre endroit pourvu que l'Internet soit accessible. Les réseaux sociaux amplifient tout dépôt de pétition en ligne qui sinon resterait bouteille à la mer et lettre morte. Loi travail, Brexit, candidature Balkany, les pétitions se multiplient et se propagent via twitter et facebook. La pétition prétend, par un texte court, résumer objectivement un problème et poser une revendication.
Le mode épistolaire, comme pour la lettre ouverte, rappelle le scribe, ou l'écrivain public, l'écriture se trouve déléguée à un ou quelques sachants qui rédigent pour tous. Mais cet écrit n'attend aucune réponse par la même voie. Il demande, déclare, et le plus souvent, exige des actes en retour. Le texte ne peut être amendé, il est autoritairement proposé, il ne résulte pas d'actions de concertation, de contributions ou de votes, il attend une réaction d'affiliation, une adoption, un assentiment, une signature.
Dans l'arsenal des possibilités de protestation, grèves et manifestations, qui demandent un engagement physique et induisent parfois une sanction financière, se mettent en place plus difficilement et demandent plus de courage qu'une simple demande de signature via un navigateur. Son aspect "light" fait le succès de la pétition sur Internet. Pour celui qui signe, aucune conséquence, laisser un email créé dans l'heure n'exige pas une immense témérité. Il est même possible d'imaginer un nom d'emprunt, qui garantit un anonymat parfait. La pétition proteste, refuse, réclame et brandit le nombre de signataires
comme une force que le pouvoir doit respecter. Sans un nombre
significatif de pétitionnaires elle ne signifie rien, alors qu'une multitude de signataires témoigne d'une réaction importante. Mais une foule d'anonymes ne pèse pas forcément plus qu'une poignée d'intellectuels, de célébrités ou d'individus identifiés qui s'engagent courageusement. Par exemple le "manifeste des 343 salopes" a fait prendre un risque important aux femmes qui se sont mises dans l'illégalité en le signant et il a compté dans la genèse de loi Veil votée peu après. D'ailleurs le nombre, en dehors de multiplier les moulinets de bras et de gonfler les biceps, ne donne pas raison, raison à propos de laquelle Péguy déclare: "Elle ne procède pas par votation. Elle n’est pas soumise à la loi de
majorité. Elle n’est pas proportionnelle au nombre. Beaucoup peuvent se
tromper. Il se peut qu’un seul ait raison. Même il se peut que pas un
n’ait raison. La raison ne varie pas avec le nombre." . La pétition sur Internet repose sur la grégarité, elle agrège aisément et crée un effet de buzz.
Sur Internet l'absence de vérification de l'identité amène aussi la possibilité de fraude, une même personne munie de plusieurs emails peut arriver à signer plusieurs fois. La simplicité de l'acte de signature et le peu d'engagement qu'elle induit vont de pair avec la possibilité d'un manque de véracité du texte. N'importe qui, sans contrôle, peut présenter une histoire inventée de toute pièce, ou plus simplement contenant des faits erronés et demander l'assentiment de milliers ou de millions d'internautes qui tous ne vérifieront pas l'exactitude du contenu soumis, comme pour les hoax qui se répandent sur le réseau.
La pétition fonctionne sur un mode binaire et limite la pensée à nier ou affirmer comme disait Descartes. Je signe ou je ne signe pas, voilà comment manifester son intellect et sa volonté. Au moins le manifestant dispose-t-il de quelques slogans, qui ne sont pourtant pas déjà des modèles d'expression fine de la pensée mais plutôt une façon de contraindre au chausse pied un problème à se résumer en une phrase .
Le signataire anonyme sur Internet ne redoute aucune conséquence de son acte car une pétition n'a aucune valeur juridique contrairement à tout engagement solidaire légal, ou à un référendum pour lequel le vote expose à des répercussions importantes. Le résultat final somme le nombre de signataires mais ne donne jamais, et pour cause, le nombre de ceux qui n'ont pas signé, à la différence du référendum ou du sondage. Compter les mécontents en ignorant l'avis des gens opposés, voilà le rôle de la pétition, pour cela la pétition n'a rien d'un outil démocratique, mais elle permet aux pétitionnaires de se sentir moins seuls, leur donne un porte-voix, l'espoir de peser, de se faire entendre, ou plutôt de se faire lire.
Elle est devenue un business, comme l'explique cet article de rue89 . Change.org propose en effet à des ONG de payer pour soumettre des pétitions via le site. Certaines sont suivies d'effet, mais ne sont-elles pas comme autant de lobbies ? Comme des groupes de pressions qui se montent subitement pour régler un problème au détriment d'un autre? La politique doit être l'expression de l'intérêt général, lequel mérite pour être déterminé, des débats, des dialogues, de l'éducation. Une pétition sur Internet c'est un peu le contraire de la politique, une caisse de résonance pour des avis simplistes trop facilement recueillis.
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