Dans le premier livre de la République, Platon par la voix de Socrate cherche a définir la justice, le juste et l'injuste. Il se rend avec d'autres chez Cephale et engage avec lui un dialogue. Cephale explique qu'en vieillissant il craint la mort et les récits qu'on raconte sur l'Hadès, royaume et Dieu des enfers. Il faudrait rendre compte "des injustices commises ici-bas", il s'inquiète alors de savoir si sa vie durant il n'a pas été parfois injuste. Notons la parenté grecque de la notion chrétienne de jugement dernier, assez proche. Reste alors à définir ce qui est juste ou injuste. Simonide, par la voix de Polémarque, propose la définition suivante: "il est juste de rendre à chacun ce qu'on lui doit." Après réflexion, Socrate précise cette déclaration et remplace "ce qu'on doit" par "ce qui convient". Ce qui, lorsqu'on décompose ce "chacun" en amis ou ennemis, consiste à rendre ce qui convient : du bien à ses amis et du mal à ses ennemis. Mais comme l'homme de bien ne peut nuire et que l'homme juste est homme de bien, alors l'homme juste ne peut pas faire du mal, ni à ses amis ni à ses ennemis. Socrate en conclut que Polémarque s'est trompé et que cette définition n'est pas de Simonide qui n'aurait pas pu commettre pareille erreur. Thrasymaque met alors au défit Socrate de proposer lui même la réponse à la question "qu'est ce que le juste", plutôt que de corriger les définitions des autres. Puis sans attendre Thrasymaque propose la suivante : "le juste n'est rien d'autre que l'intérêt du plus fort". Pascal s'approchera bien plus tard de cette définition lorsqu'il écrira:"Et ainsi ne pouvant faire que ce qui est juste fût fort, on a fait que ce qui est fort fût juste". Le rapport entre la justice et la force va de soit, pour faire appliquer la première, la seconde est nécessaire. Mais à partir du moment où elle apparaissent mêlées, et leur chronologie indistincte, faire passer l'une pour l'autre devient possible. Thrasymaque traduit sa pensée: "Dans toutes les cités le juste c'est l'intérêt du gouvernement en place", car le gouvernement publie les lois qu'il a choisies et que devront respecter les citoyens. Suit une démonstration dans laquelle il expose diverses situations dans lesquelles le juste se trouve défavorisé face à l'injuste, comme dans le cas d'un contrat privé qui ne s'est pas déroulé équitablement. En général, l'injuste tirera plus de profits que le juste qui sera sa victime. Du point de vue de l'intérêt l'injustice sera plus rémunératrice pour son auteur, et elle est rejetée par peur de la subir et d'en être l'objet, non pour le bénéfice concret qu'elle peut apporter. Thrasymaque change quelque peu le problème posé, puisqu'il ne cherche plus une définition mais évalue le bénéfice supérieur que permet l'injustice. Mais la situation de déséquilibre, où l'un reçoit plus que ce qu'il ne devrait et l'autre moins, détermine précisément l'injustice. Dire, comme Thrasymaque, que l'injustice est profitable pour l'un et non pour l'autre tient donc du sophisme puisque c'est le fait que l'un profite plus qui fait l'injustice et non l'inverse.
Socrate déploie alors l'argument de la justice comme règlement de conflit :" Ce sont en effet les dissensions que l'injustice engendre parmi eux...alors que la justice engendre la concorde et l'amitié". Voilà pourquoi les hommes ont besoin de la justice : elle règle les conflits.
Dans le second livre de la République, Glaucon poursuit sur l'idée de justice comme convention ou accord entre les hommes pour ne plus subir l'injustice du plus fort. Mais, rappelle-t-il, cet accord ne constitue qu'un pis-aller. Si les hommes, justes ou injustes, pouvaient commettre l'injustice sans menace en retour, comment se conduiraient-ils ?
Pour répondre à cette question Platon nous présente le mythe de Gygès , berger lydien ancêtre de Gygès qui découvre un anneau magique qui lui permet de se rendre invisible. Grâce à cela il séduit la reine et tue le roi. Glaucon propose alors l'expérience de pensée suivante : glisser un semblable anneau au doigt du juste et de l'injuste pour observer la façon dont ils se conduisent. Pour Glaucon, chacun serait emporté par ses passions à profiter de la situation et adopterait le même comportement immoral que Gygès, l'invisibilité garantissant son impunité. Autrement dit "personne n'est juste de son plein gré", relâchez la bête sommeillant en chacun de nous et adieu la justice. Donnez l'invisibilité, et le juste et l'injuste se révéleront voleurs et assassins.
La numérisation des données, privées et publiques, donne la possibilité technique nouvelle de rassembler, sur un petit disque dur de la taille d'un paquet de cigarettes, plusieurs tera octets de données, ou bien de pénétrer par effraction dans un réseau et de pomper les informations. Elle rend possible les affaires wikileaks, snowden ou panama papers. Tout le monde se réjouit de ce qu'elles révèlent à la connaissance du public et l'on juge Assange ou Snowden des "justes", appelé "lanceurs d'alerte". Mais imaginez que l'effraction virtuelle anonyme( l'anneau de Gygès), qui donne une invisibilité temporaire dans un réseau numérique, tombe aux mains de l'injuste, par exemple ISIS, ou l'"état" islamique, "lanceurs de bombes" qui captureraient des données secrètes d'une centrale nucléaire, d'une entreprise classée Seveso, ou de données de l'armée ou de la police française. Alors nous pourrons commencer à mesurer les dangers intrinsèques à la numérisation des données sensibles.
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