Elles sont imprimées sur nos vêtements, chaussures, chaussettes, sous-vêtements, pulls, sur les articles de sports, sur les appareils photos, sur les voitures, les mouchoirs, les aliments, les bateaux, les ordinateurs, les médicaments, les savons, les télévisions, les lampes, les journaux, les sacs, les jouets, le mobilier urbain, les murs, les films, les machines, les portes clefs, les meubles, les pages web... Les marques nous assaillent et envahissent notre espace vital. La publicité hurle leurs noms et scande ou placarde leurs progénitures. Elles crient le plus fort possible, s'affichent sur et tout autour de nous. Elles s'insèrent même dans notre être, certains s'identifient à elles et s'enorgueillissent de les exhiber comme emblème.
Peut-on même aujourd'hui imaginer un temps dans lequel les objets n'y étaient pas soumis ?
Dans la cité d'Aristote les murs ne portaient pas d'affiches, les hommes sandwichs n'existaient pas, la nourriture n'était pas emballée dans un papier portant des inscriptions. Les tuniques ou manteaux restaient vierges de tout écrit. Les besoins n'étaient pas appris, ils étaient ressentis, ils n'étaient pas suggérés, ils coulaient de source. La vie, en grande partie, était empreinte de nécessité. Le profit des marchands se construisait sur des produits dont on ne pouvait se passer ou qui correspondaient à des besoins persistants. Mais les hommes ne vivent pas seulement en fonction de leurs besoins, matériels ou spirituels, ils veulent s'éloigner de la souffrance et sont soumis au principe de plaisir. Les aliments ne nécessitent pas d'épices pour être ingérés, pourtant
elles provoquent un plaisir accru à la nourriture. Alors que rationnellement ils ont la liberté de choisir les moyens et d'agir pour arriver à leurs fin, émotionnellement les hommes sont soumis passivement à une toute autre logique. L'homme grec comme tout autre subissait le principe mimétique ou
grégaire, et les passions s'imposaient à lui tout autant qu'aujourd'hui. La satisfaction des
besoins essentiels a toujours cohabité avec la recherche du plaisir. La vie bonne des philosophes étaient centrée sur la recherche de la perfection vertueuse mais plaisir ne rime pas toujours avec vertu. La nécessité de couvrir les besoins primaires et la recherche du plaisir constituent deux des moteurs principaux des actions humaines. Mais il en existe un troisième que Pascal mettait au tout premier plan : la recherche de l'estime de soi, qui amène l'homme à vouloir tout à la fois être conforme à ses semblables et à s'en distinguer. L'homme moderne est-il différent ? Comment la publicité a-t-elle profité des passions humaines ?
Ses besoins primaires: s'abriter, se nourrir, se soigner ne demandent plus autant d'efforts que dans les siècles précédent mais ses besoins spirituels restent inassouvis. En Europe occidentale, nous vivons aujourd'hui plus que jamais sous le règne du superflu, au jour le jour, sans grand dessein collectif. La machine capitaliste a pourvu le monde d'un monceau d'objets qui, jusqu'à un certain point, ont amélioré notre vie matérielle. Les entreprises, ces drôles d'êtres, doivent persuader pour exister, convaincre pour vendre, sous peine de mourir. Kant nommait "l'insociable sociabilité des hommes" la relation qu'ils entretiennent en société, composée de coopération et de compétition. Par un effet miroir les entreprises vivent entre elles de manière associée ou concurrentielle. Elles doivent lutter d'autant plus pour subsister que la demande est faible ou pléthorique ou que le nombre de concurrents est important. Elles souffrent de boulimie, nom médical pour l'accumulation capitalistique et parfois, comme les cannibales, absorbent leurs semblables. Les produits doivent s'écouler coûte que coûte. La décision d'achat doit être provoquée par tous les moyens, dont la publicité constitue le moyen central.
Elle doit créer le besoin s'il n'existe, se répéter à l'envi pour provoquer l'envie, nous submerger, nous inonder, nous gaver, nous enfouir, nous encercler, s’insérer en force dans tous les espaces, dans les boites aux lettres, dans les rues, dans le métro, dans les stades, dans les émissions de télévision, dans les sites web, au téléphone, dans les courses sportives. Nous inciter à croire que les produits vantés procurent du plaisir, qu'ils sont nécessaires pour être distingué ou bien au contraire pour être comme tout le monde.
L'effort de survie, le conatus dirait Spinoza, de l'entreprise se traduit par l'omniprésence de la publicité qui envahit tout. La marchandise devient le centre de la vie sociale et notre seul horizon, comme Marx l'avait prédit dans sa théorie de la fétichisation. Le navigateur solitaire pose fièrement pour avoir mis sa performance et sa voile au service de BNP Paribas, William Saurin ou Fleury Michon. Il s'excusera en prétendant que, sans la sponsorisation, son activité ne pourrait exister. Mais précisément voilà où réside le drame, la publicité devient la condition de nos activités. Un jeune doit porter de la marque sous peine de perdre son estime de soi, mettre des Nike revêt une importance capitale pour paraître, aujourd'hui synonyme d'être. Mais l'adulte n'est pas en reste qui affiche un crocodile vert sur son polo pour signifier son élévation sociale. L'Avoir devient une règle de vie imposée par cette logique qui efface le spirituel, l'individualisme règne en maître. La publicité s'érige en prescriptrice de vie, en détentrice de la future norme. Ce que possède l'un, devient nécessaire à l'autre qui sinon risque de diminuer son estime de soi qui dépend essentiellement de la conformité de son apparence ou de son comportement. La publicité met en scène des corps suggestifs, fait appel à l'inconscient, à la psychologie, elle s'insère dans les pensées les plus intimes, nous transformant en auxiliaires passifs de consommation. Le désir doit être suscité, suggéré, soufflé, répété.
Produire plus devient nécessaire pour ne pas sombrer, en conséquence il faut consommer plus pour absorber cette production. L'agriculteur en butte à la concurrence sur les prix, augmente ses capacités pour vendre plus et augmenter son revenu, sans considérer si les besoins des consommateurs existent, en pure logique productive. Il aggrave ainsi la surproduction qui à son tour écroule les prix. Ce cercle vicieux construit un écosystème d'accumulation capitalistique où seuls les plus gros subsistent. Dans les fermes de milliers de vaches, l'animal n'est plus un être vivant mais une marchandise à transformer. La politique, à cette aune, n'a plus qu'un but : la croissance. Consommer devient la clef qui permettra d'augmenter la croissance qui permettra de consommer. Travailler permet d'acheter une voiture qui nous transportera au travail. Consommer devient la condition pour augmenter la croissance et fournir du travail à ceux qui ne consomment plus. Mais depuis les trente glorieuses, avec les besoins pourvus, la productivité accrue par l'automatisation, et bientôt les robots, le chômage devient structurel. A courir après une croissance chimérique, à rechercher le bien être matériel, à subir le diktat de la consommation, nos vies se sont appauvries. Nous avons oublié que discuter, réfléchir, apprendre, croire, penser, espérer conditionne aussi le bonheur. Charles Péguy, dans "Notre Jeunesse" regrettait que la mystique ne supporte plus la politique "Tout parti vit de sa mystique et meurt de sa politique". Aujourd'hui la politique repose sur une nouvelle mystique soutenue par la publicité : la consommation à outrance comme chemin vers le souverain Bien. Une autre mystique bien pire, car délétère et soutenant une politique guerrière, s'insère dans les esprits de la jeunesse, insatisfaite des valeurs occidentales qui priment la course à l'objet : la mort au combat en Syrie comme chemin vers le paradis d'Allah.
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