jeudi 24 mars 2016

Plaisir et reproduction

Nous sommes agis par la nature. Elle décide que nous devons vivre puis mourir. Entre ces deux jalons, pour perpétuer l'espèce, elle nous enjoint de procréer. Depuis l'aube de l'humanité, et depuis plus longtemps encore pour de nombreux animaux, l'union des corps conditionnait la reproduction, la fécondation se déroulait "in vivo" et déclenchait la multiplication cellulaire. Nous avons dissocié doublement sexualité et reproduction.
La technique permet depuis quelques dizaines d'années d'une part de  bloquer la fécondation lors d'un rapport sexuel au moyen de la contraception et d'autre part de concevoir un être humain sans rapport sexuel. Le 25 Juillet 1978 naquit Louise Brown dont l'embryon obtenu neuf mois avant cette date par fécondation in vitro (fusion d'un ovocyte et d'un spermatozoïde dans une éprouvette) pu se développer normalement après réimplantation dans l'utérus maternel.
On distingue pour la reproduction sexuée des animaux, la fécondation externe, dans laquelle les gamètes fusionnent à l'extérieur du corps de la femelle comme chez la truite, de la fécondation interne où elles fusionnent à l'intérieur, comme chez les humains. La FIV permet maintenant à notre espèce, un peu comme la truite, de déverser nos cellules germinales mâles et femelles dans un laboratoire pour déclencher leur rencontre à un moment choisi. La congélation de l'embryon permet de stopper la division cellulaire et de le mettre en réserve, dissociant ainsi totalement le moment de la conception de celui de la naissance.
Telle une graine de légume qu'on maintient au sec dans un sachet, et qu'on insère dans la terre humide pour déclencher la pousse, l'embryon ne recommencera à se diviser que lorsqu'il se retrouvera dans le milieu adéquat, l'utérus.
Les humains sont conduits par leurs désirs à se rencontrer sexuellement. Le plaisir qu'ils en tirent les incitent à renouveler l'expérience le plus souvent possible. Avant l'avènement de la contraception généralisée, ce plaisir peut être vu comme une ruse de la nature pour orchestrer la rencontre des corps et la perpétuation de l'espèce. Pourtant le plaisir sexuel existe aussi en dehors de toute possibilité de procréation, par exemple dans le cas de la masturbation, ou pour les rapports homosexuels. Faut-il alors considérer que le plaisir sexuel n'a en conséquence aucune relation avec l'idée d'une stimulation pour engendrer ? Il semble que qu'on ne puisse pas établir cette conclusion pour une raison simple: lors de l'orgasme masculin il y a éjaculation accompagnée de plaisir, pourquoi l'évolution aurait-elle amené le corps à éjecter les spermatozoïdes lors de l'orgasme si ce n'était pour la reproduction ? L'orgasme féminin n'est pas nécessaire pour la procréation, mais rechercher la jouissance peut amener à un rapport et en conséquence à une possible fécondation, il joue donc aussi son rôle pour la perpétuation de l'espèce.
Toute cette belle mécanique instinctive est modifiée. L'homme, agent de sa propre évolution ( cf variation ), chemine vers un changement considérable de son mode reproductif. Le découplage entre sexualité et engendrement peut se poursuivre et s'accélérer : la grossesse par FIV reste un processus complexe et qui échoue souvent, nul doute qu'il s'améliorera rapidement dans le futur. L'embryon pourra un jour se développer dans une couveuse avec les nutriments et sensations adéquats. Des chercheurs sont sur le point de créer des gamètes à partir de cellules souches. Lorsque spermatozoïdes et ovocytes seront fabriqués en laboratoire, à quoi servira cette rencontre intime venue du fond des âges ?
Dès lors "la ruse de la nature" n'aura plus d'objet.
Au fur et à mesure que la science s'empare de la reproduction humaine et remplace la fécondation naturelle, le petit d'homme est traité comme une fabrication donc susceptible de marchandisation. Ce produit doit répondre au désir du client et subi l'injonction de la qualité. Il faut donc vérifier la fabrication avant l'implantation. C'est l'objet du Diagnostic Pré Implantatoire ou DPI, qui doit éliminer l'embryon qui présente des défauts. Si la machine humaine fonctionne mal, il faut faire appel au remplacement des pièces défectueuses. Si les ovocytes sont inaptes ou absents, il faut puiser dans le stock de pièces détachées et faire appel au don d'ovocyte ou au don d'embryon congelé. Si les spermatozoïdes n'ont pas la qualité requise, une "banque" du sperme peut pouvoir au manque. Une seule règle : se soumettre à l'injonction du désir. Si des couples ont un désir d'enfant et ne peuvent y parvenir de manière naturelle, la science doit y remédier, sous couvert d'un "droit" à l'égalité. Ainsi la PMA dont l'indication fut d'abord l'infertilité doit maintenant s'élargir à des couples qui veulent un enfant sans passer par un rapport sexuel fécondant. La médecine, qui depuis Hippocrate avait pour but le traitement de la maladie, s'oriente vers la satisfaction scientifique des désirs.
Nous assistons à la réification du monde vivant, à l'ère de l'enfant sur étagère, à la disposition de tout couple ou célibataire désirant, pour lequel nous pourrons bientôt choisir la couleur des yeux et éliminer toute pathologie héréditaire, ce qui constitue bien ce que Jacques Testart, nomme un "eugénisme mou".




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