mardi 29 mars 2016

L'acteur et la politique


Souriants, menaçants, effondrés, jovials, terrorisés, Ils appartiennent au petit cercle des visages que nous reconnaissons d'emblée lorsqu'ils nous apparaissent sur les affiches, écrans, revues. Toute la palette des sentiments humains passent de leurs traits vers nos regards fascinés. Nous les avons élus, sélectionnés. Ils   déclenchent les passions, sont nos héros, nos amis, nos amours. Pourtant jamais nous ne les avons rencontrés en chair et en os, ces créatures sont désincarnées, virtuelles, de papier, projetées sur un écran, silhouettes éclairées sur une scène, malgré leur métier qui consiste à précisément à incarner.
Acteurs et actrices vivent de notre sang, tels des vampires. Ils interviennent dans dans des fictions que l'on peut assimiler à des rêves forcés et volent les sentiments des spectateurs passifs. Ils capturent nos émotions, sont des déversoirs collectifs de passion: pitié, tristesse, joie, révolte, désir, admiration.  Leur enveloppe charnelle attise et dérobe ce que nous extirpons au plus profond de nous mêmes. Le spectateur ligoté, en pleine servitude volontaire, se condamne à ne pas agir, pire, à ne pas bouger et abandonne pour un temps sa liberté. Un être fictif, né dans l'imagination d'un écrivain ou d'un auteur de théâtre ou de film, prend chair ( accessoirement prend cher pour exercer son métier)  et s'insère dans un récit. Un être réel s'empare de cet être fictif et, tel  un corps investi par un démon qui l'anime avec une âme de substitution, va "jouer", mimer, représenter celui qu'il n'est pas. Platon n'avait que mépris pour l'art utilisant le simulacre. Simuler, voilà pourtant l'essence de l'acteur.
Comment est-on passé de la conception classique platonicienne qui néglige la "copie de la copie" à l'admiration sans borne dont bénéficient aujourd'hui les "stars" qui brillent dans le firmament ?
Walter Benjamin, dans "l’œuvre d'art à l'ère de sa reproductibilité technique", montre que la valeur cultuelle, historique, de l’œuvre art , qui n'avait pas vocation a être dupliquée, s'est transformée en valeur d'exposition alors que la technique permettait sa duplication industrielle. Dans le même temps, son aura, son caractère sacré, s'est déplacée sur l'auteur et les acteurs au fur et à mesure sa reproductibilité et de son entrée dans le secteur marchand. Sont maintenant des demi dieux Mozart ou Picasso,  aujourd'hui Brad Pitt ou Angelina Jolie. Les seuls à pouvoir leur ravir la vedette sont les hommes politiques. A mesure que la politique s'esthétisait, l'art s'est politisé. Au point que les hommes politiques passent beaucoup de temps au maquillage, font appels à des professionnels de la communication, acceptent des dépenses somptuaires pour mettre en scène des meetings, participent à l'infotainment télévisuel, alors que les films ont une fonction politique, ils présentent des thèses politiques ou de nouveaux lendemains qui chantent ou captent tout simplement l'attention du public avec le message majoritaire que sélectionne la logique économique de rentabilité.
L'illusion cinématographique accapare tant l'esprit, qu'elle se poursuit longtemps après la fin du film. La croyance dans les qualités du personnage survit dans le corps de l'acteur. Il devient pour le spectateur la somme des caractères qu'il a joué et  restent attachées à sa personne les passions qu'il a déclenchées. La passion vécue collectivement dans la salle initie l'admiration grégaire qui subsistera dans le public, entretenue par la presse qui en tire partie. L'acteur s'illusionne tout autant et imagine qu'il possède en propre les caractéristiques héroïques des rôles qu'il a incarné. Il pense que l'amour qu'il reçoit provient de son être propre, de son aura naturelle, ou de son talent. Mais pourquoi n'être pas soi pourrait être admirable, de quel talent s'agit-il? l'acteur, défroque d'un rêve éveillé, ne crée pas et revendique l'art du mensonge. Au service d'un auteur le temps d'un film, il imagine ensuite intéresser les foules sur les plateaux de télé, spectateur de lui même, assigné au rôle de penseur dont l'avis sur le monde compte. Si Georges Clooney avait joué le rôle de Marc Dutrou, pédophile meurtrier, verrait-on des jeunes filles hystériques hurler sur son passage ? s'intéresserait-on à l'endroit où il passe ses vacances ? l'inviterait-on à donner son avis sur tout à dans les média ? L'acteur acquiert un capital symbolique comme dirait Bourdieu qui lui ouvre des portes. Ce capital lui permet de passer en politique. Ronald Reagan est devenu sénateur puis président des Etats-Unis, Donald Trump fait son show, les films et séries américains inondent la planète de culture obligatoire, illustration de l'esthétisation de la politique et de la politisation de l'art ou du soft power.



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