dimanche 6 septembre 2020

Masques et libertés


Alors que les tribunaux viennent de déclarer contraire aux libertés un décret concernant le port du masque à Strasbourg à certains horaires, il peut être intéressant de relire Benjamin Constant et Isaiah Berlin et leurs définitions de la liberté.

Benjamin Constant dans "De la liberté des anciens comparée à celle des modernes" présente deux formes de liberté, celle des pays modernes et celle dont jouissaient les cités états antiques:

"Demandez-vous d’abord, Messieurs, ce que, de nos jours un Anglais, un Français, un habitant des États-Unis de l’Amérique, entendent par le mot de liberté ? C’est pour chacun le droit de n’être soumis qu’aux lois, de ne pouvoir être ni arrêté, ni détenu, ni mis à mort, ni maltraité d’aucune manière, par l’effet de la volonté arbitraire d’un ou de plusieurs individus. C’est pour chacun le droit de dire son opinion, de choisir son industrie et de l’exercer ; de disposer de sa propriété, d’en abuser même ; d’aller, de venir, sans en obtenir la permission, et sans rendre compte de ses motifs ou de ses démarches. C’est, pour chacun, le droit de se réunir à d’autres individus, soit pour conférer sur ses intérêts, soit pour professer le culte que lui et ses associés préfèrent, soit simplement pour remplir ses jours ou ses heures d’une manière plus conforme à ses inclinations, à ses fantaisies. Enfin, c’est le droit, pour chacun, d’influer sur l’administration du gouvernement, soit par la nomination de tous ou de certains fonctionnaires, soit par des représentations, des pétitions, des demandes, que l’autorité est plus ou moins obligée de prendre en considération. Comparez maintenant à cette liberté celle des anciens.

Celle-ci consistait à exercer collectivement, mais directement, plusieurs parties de la souveraineté tout entière, à délibérer, sur la place publique, de la guerre et de la paix, à conclure avec les étrangers des traités d’alliance, à voter les lois, à prononcer les jugements, à examiner les comptes, les actes, la gestion des magistrats, à les faire comparaître devant tout le peuple, à les mettre en accusation, à les condamner ou à les absoudre ; mais en même temps que c’était là ce que les anciens nommaient liberté, ils admettaient, comme compatible avec cette liberté collective, l’assujettissement complet de l’individu à l’autorité de l’ensemble. Vous ne trouvez chez eux presque aucune des jouissances que nous venons de voir faisant partie de la liberté chez les modernes. Toutes les actions privées sont soumises à une surveillance sévère. Rien n’est accordé à l’indépendance individuelle, ni sous le rapport des opinions, ni sous celui de l’industrie, ni surtout sous le rapport de la religion. La faculté de choisir son culte, faculté que nous regardons comme l’un de nos droits les plus précieux, aurait paru aux anciens un crime et un sacrilège."

Benjamin Constant conclut clairement en déterminant sa préférence pour la liberté moderne:

"La liberté individuelle, je le répète, voilà la véritable liberté moderne. La liberté politique en est la garantie ; la liberté politique est par conséquent indispensable. Mais demander aux peuples de nos jours de sacrifier comme ceux d’autrefois la totalité de leur liberté individuelle à leur liberté politique, c’est le plus sûr moyen de les détacher de l’une et quand on y serait parvenu, on ne tarderait pas à leur ravir l’autre."

Dans cette conception la liberté politique permet la liberté individuelle qui, sans loi et sans puissance publique, ne serait que la liberté du plus fort, comme le remarque Isaiah Berlin dans sa fameuse conférence "Deux conceptions de la liberté". Plutôt que de liberté d'anciens ou modernes, Berlin choisit de séparer les concepts de liberté "positive" et de liberté "négative". 

La liberté "négative" est définie en terme d'empêchement, d'entrave aux désirs individuels : je ne suis pas libre si quelque chose ou quelqu’un se met en travers des actions:

"Il y a oppression dans la mesure où d’autres, directement ou non, déli­bérément ou non, frustrent mes désirs. Être libre, en ce sens, signifie être libre de toute immixtion extérieure. Plus vaste est cette aire de non-ingérence, plus étendue est ma liberté."

Cette conception, libérale, est répandue dans le monde anglo-saxon et I.Berlin rappelle qu'elle a été défendue par Locke ou Stuart-Mill. Il en découle pour eux que l’État, nécessaire pour garantir les libertés, doit interférer au minimum dans la vie du peuple.  Ce n'est pas l'avis de Hobbes, pourtant partageant la même définition négative de la liberté, pour qui l’État, Le Léviathan, doit étendre le plus possible son influence pour garantir un noyau minimal de liberté y compris par la censure pour contrôler les idées.

La liberté "positive" doit son nom à sa relation, non à l'idée d'empêchement, mais à l'idée de maîtrise ou de choix. Si je suis maître de mes décisions alors je suis libre. Nous nous rapprochons alors de la liberté des "anciens" de Constant ou de celle de Rousseau. Si j'obéis à l'Etat qui applique les lois que j'ai choisi conformément à la volonté générale ( l'intérêt commun) alors je suis libre. Mais Berlin insiste sur la difficulté à exprimer la pureté de ce "moi" qui prétend à la maîtrise. Ne suis je pas influencé ou sous emprise ? Nombreuses sont les théories qui expliquent que la pensée est "hétéronome", initiée en dehors de l'individu. Marx dans l'Idéologie Allemande parle de "camera obscura", de monde vu à l'envers. Bourdieu d'habitus qui façonne les catégories de pensée, Freud d'inconscient qui agit à notre insu...

Il est facile de comprendre le danger qu'il y a à vouloir expliquer que les gens ne pensent pas par eux mêmes, qu'ils vont contre leur intérêt, et qu'il faut donc  imposer leur bonheur malgré eux, puisqu'ils sont incapables de le trouver seul à cause de leur aveuglement. Berlin l'exprime ainsi :

"Mais ce qui donne sa vraisemblance à ce genre de discours tient au fait que nous admettons qu’il est possible, et parfois légitime, de contraindre des hommes au nom d’une fin (disons la justice ou la santé publique) qu’eux-mêmes, s’ils avaient été plus éclairés, auraient poursuivie, mais qu’ils ne poursuivent pas parce qu’ils sont aveugles, ignorants ou corrompus."

 

Nous nous rapprochons maintenant de notre sujet à propos du masque. La liberté négative n'est pas infinie, elle peut être limitée lorsqu'elle menace le bien de tous. Isaiah Berlin nomme "légitime" une contrainte au nom d'une fin de santé publique. Porter le masque est le moyen d'une telle fin.

Mais, en creux, en ce qui concerne la liberté positive, I.Berlin trouverait illégitime de penser à la place des gens, les déclarant incapables de comprendre à quoi sert le masque, et de leur imposer sous ce prétexte. Les anti-masques surfent sur cette idée : la vérité est cachée, il faut faire partie d'une minorité éclairée pour l'apercevoir. De ce doute face à l'autonomie du moi surgissent les théories complotistes : le masque est une manière de domestiquer les foules par la peur pour leur imposer un système politique tyrannique. La Covid n'est pas dangereuse, mais Bill Gates veut s'enrichir ( ! ) en rendant le vaccin obligatoire. Le peuple aveugle, incapable de discerner le vrai du faux tomberait dans le panneau. Incapables donc de concevoir une liberté positive, les anti-masques méprisent ce peuple moutonnier, obéissant, le doigt sur la couture du pantalon. Dans un contexte de doute scientifique, il ne leur vient pas à l'idée que le "peuple" a très bien compris les enjeux d'une mesure de précaution.

Nous devons donc :

- analyser ce que représente la contrainte du masque eu égard à l'objectif de santé

-vérifier si cette loi ne prétend pas rechercher le bonheur des gens malgré eux en niant leurs libertés fondamentale et leur vie privée et  s'assurer qu'ils comprennent l'enjeu du débat.

Au regard de la liberté positive ou négative toute contrainte n'est pas ennemie de liberté. Les libéraux peuvent donc admettre des contraintes, singulièrement en matière de santé. En particulier la loi vous empêche de "transmettre une substance nuisible à autrui" comme l'exprime ce jugement relatif au sida , ou vous enjoint de faire vacciner vos enfants. Quelle contrainte représente donc le port du masque dans les rues ? Celle d'appliquer une barrière textile sur le visage qui freine la reconnaissance  des visages et, disent les opposants, interdit "d'aller et venir" en toute liberté. Ne pas reconnaître les visages dans la rue peut poser des problèmes de sécurité mais ne nuit pas directement aux libertés. Quand au reste, il est prohibé d'aller et venir sans masque, mais pas d'aller et venir tout court... Or porter un masque n'empêche pas de marcher. Le véritable empêchement ne concerne que les déplacements plus "sportif" : vélo, footing lorsque la respiration exige un volume d'air plus important...

Si nous pensons comme B.Constant nous pourrions dire comme les anti-masques ou comme ceux qui ont invoqué les tribunaux qu'il est contraire aux libertés individuelles ( ou modernes)   d'imposer aux piétons le port du masque dans les rues, face à une liberté "supérieure" qui est celle d'aller et venir. Mais la liberté "d'aller et venir" , qui en l’occurrence n'est pas supprimée puisque le masque n'empêche pas de marcher, s'affronte elle-aussi à la loi qui prescrit l'empêchement d'empoisonner. Si vous êtes asymptomatique porteur du SARS-co-V2 et que vous vous déplacez sans masque vous devenez empoisonneur potentiel de ceux qui seront en contact avec vos excrétions buccales, par l'air ou les objets touchés. Tout comme dans le cas de la grippe, sauf qu'il n'y a pas de vaccin et que le virus est bien plus mortel. Le problème se complique de la grande contagiosité du virus. Chaque contagion, on l'a vu lors du rassemblement de Mulhouse, peut être à l'origine d'une propagation exponentielle du virus, mortel pour les plus âgés et donnant potentiellement des séquelles d'autres. La contagion, initialement unique, devient rapidement multiple ( ou mondiale à partir du patient 0 ), chaque personne responsable doit le prendre en compte.

L'anti-masque oppose aux médecins l'argument que les experts médicaux ne peuvent s'arroger le pouvoir de décider ce que doit être le Bien pour sa propre vie.  Tandis que l'anti-masque déteste les prescriptions d'un État qu'il abhorre, il prétend savoir ce qui est le mieux pour lui : ne pas porter le masque.  Il n'ignore pas l'état des recherches, il exige qu'on lui prouve scientifiquement l'efficacité du port du masque dans la rue.  Il semble qu'il s'agisse ici d'un biais de confirmation: puisqu'il refuse le masque il lui faut arguer qu'il est inutile. Parce que son égoïsme est plus fort que tout, il le nomme liberté et ignore l'exigence de santé des autres qu'il met en péril, donc leur propre liberté. Après la chute des nouveaux cas en Avril, il crie "mais vous voyez bien c'est fini", tout en niant l'utilité du confinement qui a drastiquement ralenti l'épidémie. Lorsque les contaminations reprennent cet été, il prétexte que le nombre de mort reste stable face à la croissance des contamination. Là encore il s'agit d'un biais de confirmation: en ignorant que les morts surviennent un mois après la croissance des nouveaux cas il veut se persuader que la pandémie est derrière nous.  Par ailleurs il veut ignorer que ce n'est pas d'abord son bien qui est recherché au moyen du masque, mais que c'est celui d'autrui. Il refuse de considérer que le bien commun soit aussi le sien, que le port généralisé du masque deviennent une protection pour tous. Pourtant le consensus scientifique a déterminé que le port du masque n'est pas dangereux et qu'il limite considérablement l’excrétion et donc la contamination de ceux qui s'approchent de l'individu masqué, même si les études ne démontrent pas de clusters initié à l'extérieur ( ce qui ne prouve pas leur inexistence) . L'anti masque s'empare avidement de ce doute qui justifie sa rébellion. L'anti-masque délaisse l' éthique de responsabilité et le principe de précaution qui dicte de tout faire pour évite de contaminer autrui, et en reste à l'éthique de conviction, qui privilégie sa liberté individuelle, et surtout son propre confort. Bien sûr une personne seule dans la rue ne contaminera personne, toute mesure générale présente son lot d'incongruité, mais même si il n'y a aucune voiture sur la route vous devez vous arrêter au feu rouge ou mettre votre clignotant... La généralisation des règles est la garantie de leur efficacité. Ma liberté positive consiste à décider d'appliquer le code de la route qui garantit rationnellement la circulation de tous dans les meilleures conditions de sécurité, se contenter d'une liberté négative sur la route sur le thème "les règles m'ennuient, je suis libre de prendre l'autoroute la nuit à contresens parce qu'il n'y a personne" serait stupide et dangereux. En tirer la conclusion que le code de la route serait liberticide confinerait à la stupidité.

Afin de préserver la liberté des gens qui, en grande majorité,  souhaitent la préservation de la santé des autres (particulièrement celle de leurs aînés: nous en sommes à près de 900000 décès dans le monde) , la contrainte du port du masque pour tous parait ainsi un objectif de santé publique admissible aussi bien dans une définition positive que négative de la liberté. Cette contrainte est assise sur une expertise scientifique. Elle apparaît comme une décision censée prise dans un cadre démocratique. Son inconfort temporaire mais réel, jusqu'à un vaccin, montre notre solidarité avec les plus fragiles, et surtout qu'il nous reste encore, malgré la progression forcenée de l'individualisme, un fragile sentiment du collectif, un minuscule héritage des "anciens".





 

 

 

 

 

lundi 4 mai 2020

Le risque



Après le déconfinement la question du risque de contamination revient au premier plan alors que les français reprennent bientôt le travail et que leurs enfants peuvent reprendre l'école.
A cet égard, le bilan des professions de santé, le plus lourd, effraie. Comment pouvons nous estimer le risque de reprise d'activité par profession? Par quels critères ?

Les professions de santé 

En France au 21 Avril, 9 médecins sont morts du coronavirus. Des infirmières, cadres de santé, aide-soignants et agents hospitaliers sont aussi décédés.  Comme le relève le Monde connaître le nombre de décès de soignants relève du "parcours du combattant", à la date du 12 Avril l'APHP dénombre 3800 professionnels de santé qui "ont été ou sont atteints" par la maladie. Il faut au moins doubler ce nombre pour avoir une idée de la totalité : selon le Figaro du 10 Avril, Santé Publique France rapporte 6019 cas dans les professions de santé . A l'étranger les nombres sont tout aussi difficiles à trouver, selon le Huffington Post du 25 Mars, 24 médecins seraient morts en Italie.
Par définition ce risque accru existe pour ces métiers par la confrontation directe et proche avec les malades du Covid-19. Mais quels risques doivent affronter les autres professions si elles reprennent le travail ? La question du risque devient cruciale à un moment de bascule où les conséquences du confinement sur l'économie dépassent celles de l'atteinte du virus sur les corps. Le risque dépend de la létalité ( case-fatality ratio), de la sévérité de la maladie lorsqu'elle n'est pas létale, et du taux de reproduction de la maladie le R0, c'est à dire à quelle vitesse elle se propage.

La létalité

Celui que nous voulons tous éviter, le risque mortel, reste très difficile à évaluer. Il dépend du taux de létalité, résultat d'une division: au numérateur le nombre de personnes décédées à cause du coronavirus  et au dénominateur  le nombre de personnes qui ont été infectées. Seuls les experts, les épidémiologistes peuvent déterminer à bon droit la létalité. Mais ni le numérateur, ni le dénominateur ne sont connus aujourd'hui exactement. Nous connaissons en France assez bien le nombre de morts par Covid-19,  mais pas le nombre de ceux qui ont été infectées: les personnes sans symptômes ( toux, fièvre etc.) dites asymptomatiques ne sont pas testées et ne sont pas dans leur grande majorité pas connues et donc pas dénombrées. Le dénominateur, le nombre de personnes testées, est donc sous-évalué ce qui augmente le taux apparent de létalité. Pour ceux qui ont des difficultés avec les fractions, un exemple imaginaire chiffré le fait comprendre:
- nombre de personnes décédées: 10
- nombre de personnes infectées( testées) : 100
- taux de létalité : 10/100 *100= 10%
Cela signifie donc que 10% des personnes infectées vont mourir.
Si en réalité le nombre de personnes qui ont été infectées par le virus est le double ( simple hypothèse), parce qu'on y ajoute les asymptomatiques non testés qui ne meurent pas, alors le taux de létalité est deux fois moindre  :
- nombre de personnes décédées: 10
- nombre de personnes infectées
( testées+asymptomatiques) : 100+100 = 200
- taux de létalité : 10/200 * 100= 5%

 Ainsi plus il y a d'asymptomatiques non connus ( non testés) et plus le taux de létalité diminue. Cela fait comprendre que dans les pays où le test est répandu massivement le taux de létalité doit être plus faible ( à démographie comparable), mais aussi qu'on ne connaîtra réellement ce taux qu'à la fin de la pandémie. D'après l'université John Hopkins qui agrège les statistiques du monde entier ce taux varie actuellement entre 0.5% et 15%, et variera encore. 
Or la peur de ce virus est directement liée au taux de létalité. Si vous attrapez la maladie et que le taux de létalité monte à 100% vous pouvez être terrorisé par la mort certaine, mais s'il est de 0.1 % vous pouvez voir l'avenir avec plus de sérénité.
 D'autres critères interviennent qui augmentent ou diminuent le taux de létalité et le risque:

- le système de santé
- la pyramide des âges

Malgré les critiques, il vaut mieux tomber malade en France qu'ailleurs, et être hospitalisé dans notre pays ne conduit pas à un risque supplémentaire comparé à d'autre pays.  En revanche la létalité est fonction de la démographie. Un pays plus âgé pourra donc présenter une létalité plus élevée. 
Le Dr Fauci, spécialiste des maladies infectieuses aux Etats-Unis, dans un article du 26 Mars du "New England journal of medecine" estime la létalité moyenne réelle dans le monde probablement entre 1 et 2% .
Considérons maintenant la mortalité due au Covid-19 par tranche d'âge.

La mortalité


La définition du taux de mortalité par Covid-19 peut varier selon qu'on le rapporte à la population d'un pays entier, à un sous-ensemble ( celui des malades hospitalisé par exemple) ou bien qu'on le segmente par tranche d'âge.
  Considérons les tranches d'âges. Le taux de mortalité sera défini par le nombre de morts dans une tranche d'âge divisé par le nombre de morts total. La mortalité affecte considérablement plus les sujets les plus âgés, 80% des victimes en France  du Sars-Co V2 ont plus de 70 ans .  Il faut bien comprendre que le taux de mortalité défini ainsi est un rapport où n'intervient que des  morts au numérateur et au dénominateur, alors que la létalité est caractérisée par une comparaison entre les morts et les infectés.
La tranche d'âge 60 à 69 ans représente 12% de la mortalité due au coronavirus, les 50 à 59 comptent pour 5%, 40 à 49 pour 2%, le 20 à 39 à 2%. Les morts parmi la classe d'âge qui travaille (de 20 à 62 ans) représente environ 20% du total. Il s'agit bien de pourcentage parmi tout ceux qui sont morts du Covid et non de pourcentage rapporté à la population totale bien heureusement. Si les séniors meurent plus, relativement, c'est que le virus est plus dangereux pour leur organisme. Mais ils meurent plus aussi, en absolu, car dans les EHPAD  ils habitent ensemble et se contaminent.
Si nous croisons la mortalité par âge avec la létalité, estimée  à 2% par Fauci, les morts des contaminés de la classe d'âge qui travaille,  représenteraient donc relativement au nombre total des contaminés , un taux de 2% x 20% soit 4/1000. Notons bien que ces 1000 ne sont pas ceux qui travaillent mais, parmi ceux qui travaillent, ceux qui âgés de 20 à 62 ans sont contaminés, dont on ne peut en réalité connaître le nombre absolu par avance.
Mais là encore, il s'agit d'une approximation concernant le monde du travail à partir de l'âge, le chiffre doit être apprécié en fonction de  la pyramide d'âge dans chaque profession et du risque de contagion spécifique à chaque profession. Si l'on confine ensemble des gens du même âge il est évident qu'il y a un effet de stratification, comme dans les EHPAD.

 Les enseignants

En France dans le premier et le second degré public les enseignants en 2017 sont au nombre de 736 997.
Dans le second degré en 2010 8% des enseignants ont plus de 60 ans et 19% sont entre 50 et 60 ans. Nous focaliserons notre intérêt sur ces populations les plus à risque. Soit pour ces deux groupes, si les pourcentages n'ont pas changé depuis 2010, un total absolu de

 736997 x (8+19) /100 = 198989

Comme nous l'avons vu les plus de 60ans sont dans la tranche d'âge des 12% de mortalité due au virus, alors que les 50-59 sont la tranche des 5%, mais évidemment on ne meurt, possiblement, que si on est contaminé. Il faut donc de nouveau croiser la mortalité avec la létalité. On suppose que la létalité chez les enseignants est similaire au reste de la population. La létalité nous donne le taux de morts potentiel, et parmi celui-ci nous cherchons celui d'une catégorie d'âge spécifique. Chez les enseignants, comme dans la population, pour ces deux tranches les plus affectées (12+5=17% ) on obtient théoriquement alors: 2% x 17% = 3,4/1000. Ce qui rapporté au chiffre absolu, en assumant que tous dans ces tranches soient contaminés, cela donne: 

198989 x 3,4/1000 = 676

Un chiffre énorme. Mais ce chiffre ne donne que le nombre de morts potentiels si tous sont contaminés, sans protection particulière ni gestes barrières, avec lesquels on peut diminuer justement drastiquement la contamination . Si on ne contrôle pas la létalité du virus, tant qu'on a pas de vaccins ni de médicaments efficaces, il est en revanche possible de contrôler la contamination donc la mortalité.
A titre indicatif et  arbitraire si on projette un ratio de contamination d'une classe sur trois, et une contamination dans ces classes de seulement un enseignant sur trois , grâce aux masques dans ces écoles atteintes, alors le taux précédemment calculé pour cette classe d'âge devient :

2%x17%x 1/3x 1/3 = 0.37 / 1000 
 soit en absolu
198989 x 0.56 / 1000 = 73

Evidemment si la létalité se révèle égale à 1% au lieu de 2 ce chiffre diminuera de moitié.
Ce qui représente tout de même une quantité considérable de morts potentiels, mais moins d' un par département, parmi les enseignants d'un âge supérieur à 50 ans. Mais en même temps il révèle une probabilité faible de décès par rapport au nombre d'enseignants.

La transmission à l'école

Il reste une grande inconnue: alors qu'au début de l'épidémie les enfants étaient réputés comme étants de grands transmetteurs de la maladie, aujourd'hui cette analyse semble remise en question. En particulier par une étude du Lancet qui montre que les taux de contamination des 5-14 ans sont très faibles.



Préserver

Comment alors préserver les populations d'enseignants dans cette incertitude? Mettre de côté 17% des enseignants n'est pas envisageable dans le système éducatif vu le nombre déjà élevé d'élèves par classe qu'il faut de plus restreindre à cause de la distanciation. Il faut alors pouvoir diminuer les chiffres des hypothèses ci-dessus et faire en sorte que bien moins d'écoles voient un début de contamination survenir, et fermer l'école dès la détection d'un positif. Cela  implique de tester les symptomatiques, puis de tester systématiquement tous les autres élèves de l'école avant de réouvrir.  Il faut aussi rendre très difficile la possibilité de contamination d'un enseignant en classe. Non seulement pour les préserver du décès mais aussi parce que cette maladie, encore mal connue, peut laisser des séquelles. La fourniture de masques efficaces, de visières transparentes et de gants semble un moyen efficace de les préserver, ainsi que la distanciation physique en classe ou dans les couloirs. Des plans de circulation, comme l'entrée et la sortie des élèves séparément de l'enseignant devraient aussi être mis en place. On comprend que dans cet environnement incertain une reprise progressive, peut être par département pourrait être riche d'indications utiles.

 











dimanche 3 mai 2020

Servitude et confinement

Nous sommes tous confinés, obligés par la loi, mais nous l'étions jusqu'ici , en ce qui concerne la majorité d'entre nous,   volontairement. Or nous pouvons nous demander à quelles conditions le confinement peut rester longtemps en place. Pour cela il n'est pas inutile de se remémorer le fameux  "Discours de la servitude volontaire", d'Etienne de la Boétie.
 
"Pas besoin que le pays se mette en peine de faire rien pour soi, pourvu qu’il ne fasse rien contre soi. Ce sont donc les peuples eux-mêmes qui se laissent, ou plutôt qui se font malmener, puisqu’ils en seraient quittes en cessant de servir. C’est le peuple qui s’asservit et qui se coupe la gorge ; qui, pouvant choisir d’être soumis ou d’être libre, repousse la liberté et prend le joug ; qui consent à son mal, ou plutôt qui le recherche... S’il lui coûtait quelque chose pour recouvrer sa liberté, je ne l’en presserais pas ; même si ce qu’il doit avoir le plus à cœur est de rentrer dans ses droits naturels et, pour ainsi dire, de bête redevenir homme. Mais je n’attends même pas de lui une si grande hardiesse ; j’admets qu’il aime mieux je ne sais quelle assurance de vivre misérablement qu’un espoir douteux de vivre comme il l’entend. Mais quoi ! Si pour avoir la liberté il suffit de la désirer, s’il n’est besoin que d’un simple vouloir, se trouvera-t-il une nation au monde qui croie la payer trop cher en l’acquérant par un simple souhait ? Et qui regretterait sa volonté de recouvrer un bien qu’on devrait racheter au prix du sang, et dont la perte rend à tout homme d’honneur la vie amère et la mort bienfaisante

La Boétie affirme qu'au fond les peuples restent responsables de leur asservissement. Souhaitant leur liberté il leur suffirait de la saisir. La liberté serait un droit naturel dont l'absence transformerait l'homme en bête.  Pourtant il accorde qu'un homme puisse se contenter de "vivre  misérablement", mais simplement parce qu'il doute de pouvoir "vivre comme il l'entend". Or La Boétie au contraire décrit la facilité d'abandonner la servitude comme résultant d'un simple choix. Des hommes nombreux assoiffés de liberté dominent naturellement une minorité qui ne serait motivée que par l'ordre. Sans liberté la vie est "amère et la mort bienfaisante". 
Chacun perçoit aujourd'hui plus intensément le sens de ces propos. Il se trouve que le confinement n'a tenu et n'a persisté de façon efficace que parce que les citoyens ont eu peur d'attraper le Covid-19, pas parce qu'ils ont craint le pouvoir ou les amendes. Le peuple a adhéré à la solution du confinement face au drame inondant et submergeant les hôpitaux et les EHPAD. Outre l'effroi, a joué aussi la compassion face au danger pour les anciens, les "séniors" qui sont aussi nos mères, nos pères, nos grands-peres et grands-mères. Ce fut aussi de l'empathie pour ceux qui souffriraient de cette maladie. Chacun comprenait que son action, ou plutôt son inaction encasernée, évitait au corps social une tragédie.
Depuis, une sorte de balance de la justice habite chacun, à l'image de celle de l'égypte antique qui pèse l'âme des défunts, la psychostasie.  D'un côté  de la balance le coeur du mort, qui doit nier ses crimes et de l'autre côté la plume de Mâat qui symbolise le  jugement qui permettra de passer dans l'autre monde. Comment passerons nous dans l'outremonde , celui du déconfinement? Notre cœur a penché vers le confinement. Mais d'ores et déjà sur les plateaux de la balance, d'un côté se trouvent les morts potentiels du Covid-19 et de l'autre les morts ou les maux des conséquences du confinement. Il faut aujourd'hui ajouter sur ce dernier plateau la difficulté de l'emprisonnement, l'absence de liberté d'agir, l'isolement social, la servitude volontaire. Nous vivons dans des refuges, transformés en bêtes traquées par plus petits que nous. Nous voilà revenus à La Boétie.
Alors que l'horizon s'éclaircit,  nous allons enfin trouver le courage d'affronter ce virus le 11 Mai, à l'aide de nos accessoires un peu ridicule pour guerroyer avec l’infiniment petit: des masques et du gel. Mais le pouvoir menace, il nous dit en substance:  je vous tiens en laisses (100km), attention! si vous n'êtes pas sage vous ne serez pas libérés. La volonté politique de contrôle  se comprend, la prudence est de mise, on sait gré au pouvoir de vouloir protéger ses ouailles. Mais ce pouvoir, qui infantilise maintenant les citoyens, va se heurter à une sorte d'impossibilité: l'homme ne peut maintenir une servitude volontaire très longtemps. Il va devoir y mettre fin, contre les injonctions du politique, pour se retrouver tel qu'en lui-même. La police devra retrouver son activité habituelle plutôt que de pourchasser les attestations. Hommes et femmes, tout en restant prudents au sens aristotélicien de la phronesis, vont se libérer, se revoir, se rencontrer, s'amuser, apprendre, travailler sans oublier ce qu'ils risquent. Le confinement mettait l'accent sur la définition négative de la liberté, comme absence d'empêchement. Nous allons retrouver sa version positive, dans le cadre des lois habituelles  et si possible loin de cette législation d'exception. Cette liberté va reprendre ainsi que,  de façon contrôlée, l'épidémie et l'économie. Il nous faudra du courage, pas de la témérité, de la passion, mais raisonnée.
Souhaitons juste que cela se passe à la française, rationnellement, d'en bas, en desserrant gentiment la bride et non comme dans les manifestations hideuses et armées du Michigan entretenues par le showman de la maison blanche.











lundi 20 avril 2020

Que va devenir le baiser?

L'expression "Prendre langue" signifie s'informer. Chaque jour nous entendons se répéter cette supplique d'Antéchrist :   "éloignez vous les uns des autres". Mais "prendre langue" en pratique c'est aussi embrasser.
Alors qu'Avril inaugure les tenues légères et les regards furtifs, nous ne pensons qu'à nous éloigner de la forme qui s'avance vers vers nous que nous renonçons  à regarder, dont nous fuyons même le regard. Notre répulsion inconsciente de l'être qui passe ne permet à aucun désir de s'immiscer. L'Autre se résume à une silhouette évanescente qu'il faut éviter. Fermer les narines, les humains ne peuvent plus se sentir...  
Heureux, dans cette période incertaine, les couples installés... Même avec le VIH nous n'avions connu une telle défiance des corps. D'embrassades de rue il n'est évidemment plus question. Après l'hiver, l'amant se trouva fort dépourvu quand la bise eut disparu, mais consterné quand le baiser a fini par déserter.  Pour celles et ceux  avides de découvertes et de nouvelles aventures, il n'est plus question de baisers langoureux. Se protéger du VIH n'empêchait pas de s'aimer, il suffisait de se protéger. Mais comment pourra-t-on se rencontrer et s'aimer au temps du Sars-Co-V2 après le déconfinement? 
Comment se rencontrer sans tests généralisés? Et s'il y a des tests faudra-t-il exiger de l'autre son passeport santé?  Comment s'embrasser sans risque?
Faudra-t-il faire l'amour avec un masque et un préservatif? Outre le ridicule de la scène, cela ne permettrait sûrement pas d'éviter toute contamination dans le feu de l'action. Ou si l'on se débarrasse du masque, faudra-t-il éviter le contact des bouches, des langues et des yeux? Situation qui impliquerait de supprimer du Kamasutra la plupart des positions, sans garantie pour les figures restantes que les souffles ne contaminent tout de même les partenaires.
Alors il restera tout simplement la prise de risque et la peur, ou l'abstinence. La période des années 1968 au début 1980 restera comme la parenthèse enchantée de l'amour, où l'on a vu la généralisation de la contraception et la présence de traitement pour toutes  les MST.
Mars 2020 inaugure une année noire pour les rencontres. Même si le virus entraîne statistiquement moins de conséquence graves pour les moins de 50 ans, le Covid-19 n'est pas une partie de plaisir et le contracter ne s'envisage pas sans une certaine frayeur, sans compter la crainte ensuite de contaminer ses parents, ses amis.  Et si les conquérants avides malgré tout  prennent des risques, nous verrons  avant le vaccin plusieurs vagues de re-contamination, alimentant cet état d'esprit mêlant désir et appréhension.   
Le décompte quotidien mortifère chaque soir oublie manifestement une statistique importante: le nombre de baiser qui n'ont pu être échangés.

vendredi 10 avril 2020

Nous sommes tous dans la caverne de Platon.


Je cherchais un mot qui résumerait la situation. Mais rien dans la langue ne peut la décrire le présent: ahurissement, stupeur, ébahissement, étonnement, surprise, saisissement, effarement, consternation, ankylose, abasourdissement, épouvante, effroi, épatement, immobilisation, horreur, peur, aucun de ces termes n'est adéquat pour exprimer ce que nous vivons tous.
L'ensemble des humains réalise qu'il forme une espèce, soumis aux mêmes lois naturelles, affecté des mêmes menaces qui surgissent de l'infiniment petit. Mais aussi soumis aux mêmes lois rationnelles : les sociétés humaines réagissent aux quatre coins du monde de la même manière, par une mise à l'écart des individus. Nous sommes ostracisé, non à l'extérieur de nos cités mais à l'intérieur, bannis du monde, exclus de la joie de vivre, emprisonnés volontaires.
Cette situation monacale, tous les trappistes cloîtrés, tous les ascètes encavernés, tous les prisonniers emmurés, la connaissent. Elle ne donc revêt pas une totale originalité, mais à l'échelle du globe elle devient totalement inédite. Elle revêt la collectivité d'un linceul dont elle ne sait quand elle pourra le soulever pour contempler à nouveau la beauté du monde. Nous sommes entrés collectivement dans un tombeau, et attendrons la résurrection pour bien après le quatrième jour.
Nous nous confrontons soudain au réel, nous expérimentons l'inattendu, l'accident majeur, nous avons heurté de front un mur invisible au milieu de la route de notre progrès rapide, efficace et sûr de lui. Il ne reste plus qu'une certitude: nous connaîtrons de nouveau l'imprévu. La fin de l'Histoire était survenue, mais il y a une saison 2, une suite, des rebondissements, une Histoire 2.0 dans laquelle tous sont connectés à tous, où les relations sont numériques.
Nous avons perdu nos moyens, notre corps est dépourvu de protections, il est démuni et faible,  "sans chaussures et nu " comme le décrivait Aristote le comparant aux animaux dotés de sabots. Nous n'avons plus que notre corps, et il faut le cacher, le dissimuler , l'enfermer, le masquer. Comme si le masque pouvait tromper l'ennemi perfide et minuscule qui tente de nous dévisager telle la grande faucheuse désirant reconnaître et choisir les siens. 
La grande Armada technique est prise en défaut, quelques brins d'ARN peuvent nous défaire, nous et notre immense intelligence qui nous a conduit au sommet de la scala naturae. L'inquiétant amas de protéines a eu le dessus sur des siècles de pratiques, de théories, de théorèmes, de schémas, d'algorithmes, de connaissances accumulées.  Il bloque petit à petit la  machine, se reproduit grâce à nous, nous étouffe par notre propre capacité à le multiplier, il nous nous colonise, nous domine, nous tue. Sans volonté, sans vie, il parvient à nous utiliser à son profit, nous sommes son usine, sa fabrique et son esclave. L'homme est né dans la poussière inerte, il étouffera par la poussière organique.

Notre fragilité est révélée au grand jour, la mort rebat les cartes. Nous sommes défaits, cela incite à l'humilité. Pourront nous nous "refaire" un jour, nous reconstruire, mais aussi effacer nos pertes pour repartir de plus belle en dégradant la biodiversité, la terre, l'eau et le ciel? Ou bien faut-il reconsidérer notre mode de vie et nos "valeurs"?
Nous apercevons depuis notre caverne les ombres tremblantes du monde réel projetées sur nos écrans Netflix. Quand nous sortirons vers le soleil, affronterons nous la vérité ? Comprendrons nous les besoins réels ? Serons nous prêt à abandonner la dictature du moindre coût? Deviendrons nous tous philosophes pour réclamer le retour à la prudence comme vertu? Pour extraire de la sphère marchande le bien commun? Celui qui aura aperçu la lumineuse vérité des besoins et prêchera pour une autre hiérarchie des valeurs ne sera-t-il honni par la horde des consommateurs invétérés dominée par l'addiction à la matière ?
Dans l'allégorie de la caverne de Platon le sort de celui qui redescend de la lumière est pire encore:

"Quant à celui qui entreprendrait de les détacher et de les conduire en haut, s'ils avaient le pouvoir de s'emparer de lui de quelque façon, de le tuer, ne le tueraient-ils pas ?
-Si, absolument dit-il "(*)

Finalement le mot cherché est peut-être caverne. Nous sortirons du confinement, peut-être pas de la caverne.

(*) Platon, La République, VII, 517a







mardi 24 mars 2020

Nous avons tous failli

" Fière de son « progrès » systématique, de son ordre, la société bourgeoise proclamait que la modération et la tranquillité étaient les seules vertus humaines efficaces" Stephan Zweig, Le Monde d'Hier.



Issus de générations qui n'ont pas connu la guerre, nous sommes persuadés que le monde suit une sorte de loi qui décrète un progrès continu, une société hors de tous dangers sinon ceux causés par les hommes eux-mêmes. Kant dénigre les philosophes qui pensent que " le monde progresse, du mal vers le mieux, sans arrêt ". Nous ressentons pourtant jour après jour la stabilité de notre monde, mais aussi son caractère de producteur fiable de choses "bonnes" : sa fiabilité à nous nourrir, à fournir profusion d'objets qui aussitôt deviennent nécessaires, ainsi va l'économie. Nous vivons dans l'habitude de considérer notre univers technologique comme capable de dominer l'univers, de l'inerte au vivant, de l'amibe à l'éléphant. Le rêve de Descartes serait donc devenu réalité : "devenir comme maître et possesseur de la nature". Ceci pour toujours en vertu du biais cognitif que dénonçait David Hume :
"Nous sommes déterminés par la coutume à transposer le passé dans le futur dans toutes nos inférences, de sorte que, quand ce passé a toujours été régulier et uniforme nous attendons l'évènement avec la plus grande assurance et ne laissons place à aucune supposition contraire".
Mais le raisonnement de Hume peut s'appliquer au delà de l' "évènement" au "non évènement" c'est à dire à la pensée que notre pouvoir est permanent, que notre domination sur la nature, grâce au savoir, est éternelle. Ainsi cela a été, ainsi cela sera. Gaïa  doit rester notre esclave éternellement.
Mais quand l'éternelle répétition des choses échoue et s'étrangle, quand le savoir n'est plus à même de démontrer sa domination, le précipice s'ouvre, et nous sommes engloutis dans les abîmes d'une nouvelle réalité. Lorsque le Mal survient, il est jugé comme un phénomène anormal, un dysfonctionnement, une erreur de civilisation, un bug. Il révèle que nous vivons dans la nature derrière un voile qui rehausse sa beauté. Elle est devenue muse, champ de blé, mimosas odorants, neiges éternelles, mer "aux reflets changeants".  Le voile de Maya dans l'Indouisme, c'est le voile de l'illusion qui recouvre la vérité des choses. Mettez une famille occidentale avec quelques réserves de nourriture au cœur de la forêt amazonienne, elle y périra rapidement. La nature n'a pas d'ami, la justice n'y existe pas. Arrogants, nous pensions seuls évoluer alors qu'elle resterait identique, en réalité la vie est une création continue, une lutte du plus apte, pas toujours à notre avantage.
Nous avons tous failli parce que nous l'avions oublié.
Mais nous avons aussi failli parce que seule reste la raison instrumentale décrite par Adorno après l'effondrement des valeurs collectives. Consommer constitue notre seul horizon de valeur commun. Production ou services sont soumis à la productivité maximale. La santé est devenue un coût, donc une valeur négative, et la prudence un archaïsme. 






lundi 25 novembre 2019

La grève



Être sur la grève, entendre le ressac, voir briller le soleil dans les multiples brisures de l'onde émeraude. Flâner sur le sable mouvant et s'enfouir  comme les coquillages. Craindre d'être avalé par ces bouches roulantes et baveuses , aspiré vers le néant. Se retrouver comme au matin du monde devant l'infinie simplicité plate et houleuse, rythmée et chaotique, bruyante et chuchotante, grouillante et frémissante de vies étranges et menaçantes. Humer le vent, crier, planer et toucher l'écume du bout des plumes.

Être dans la grève,  rompre la belle mécanique du corps social par la panne programmée, révéler la dynamique invisible par la pause. Par l'arrêt provoqué, faire apparaître les rouages dissimulés.  Arrêter la machine, l'ouvrir et exposer les engrenages immobiles qui fument encore. Menacer par l'inaction. Faire la guerre par l'immobilité. Souffrir à cause du corps figé, de la désolidarisation organique, de la dissociation des fonctions.  Détacher les corps des machines  pour  défier, scander et hurler. Provoquer le chaos, faire souffrir pour ne plus souffrir. Tout arrêter pour arrêter le changement. La grève, lieu de toutes les contradictions.

mercredi 19 juin 2019

L'anti-spécisme ou la dangereuse pensée de Peter SInger


"Le spécisme est un préjugé ou une attitude de parti pris en faveur des intérêts des membres de sa propre espèce et à l'encontre des intérêts des membres des autres espèces".
Ainsi Peter Singer définit-il le spécisme en 1975 dans son livre "La libération animale". Élever les poulets en batterie, les veaux en stabulation ou plus généralement industrialiser la nutrition en traitant l'animal comme une chose ou une machine à viande, sans considérer ses souffrances, revient donc à être spéciste. Spéciste également l'idée que la recherche médicale ou cosmétique peut légitimement torturer des animaux dans le but d'en tirer des produits intéressant pour l'humanité.
Jusqu'ici il est assez facile de suivre Singer dans son raisonnement, puisqu'en effet aujourd'hui personne, depuis Descartes et sa théorie de "l'animal machine", ne refuse d'admettre que les animaux connaissent la souffrance, et qu'il faut absolument leur éviter.
Singer suit l'idée que tout animal a droit à une égalité de considération avec les humains dès lors qu'il peut ressentir une souffrance. S'il est justifié moralement de juger égaux en droits tous les humains quelque soit leur race, alors dit-il nous devons moralement admettre une égalité de considération, mais non de traitement, pour tous les animaux susceptibles de souffrir.
Il en arrive donc rapidement par ce raisonnement au chapitre V à dénier aux humains le droit de manger la chair des animaux, tout comme le professait déjà Pythagore ou  Plutarque dans son "Sur l'usage des viandes" (993a):
"je vous demande avec étonnement quel motif ou plutôt quel courage eut celui qui le premier approcha de sa bouche une chair meurtrie, qui toucha de ses lèvres les membres sanglants d'une bête expirante, qui fit servir sur sa table des corps morts et des cadavres, et dévora des membres qui, le moment d'auparavant, bêlaient, mugissaient, marchaient et voyaient? Comment ses yeux purent-ils soutenir l'aspect d'un meurtre? comment put-il voir égorger, écorcher, déchirer un faible animal? comment put-il en supporter l'odeur? comment ne fut-il pas dégoûté et saisi d'horreur quand il vint à manier l'ordure de ces plaies, à nettoyer le sang noir qui les couvrait ?"

 "Meurtre",  le mot normalement s'applique à un humain.  Plutarque établit donc un rapprochement d'espèce, et utilise le vocabulaire dédié à l'acte de tuer un humain pour décrire l'abattage d'un animal en vue de le servir à table. Singer raisonne identiquement en trouvant des similitudes, des points communs entre humains et non-humains, en particulier la souffrance, qui justifie de cesser de les manger.
Mais s'il est possible ressentir de l'empathie pour certains animaux, il ne va pas de soi que faire souffrir une espèce animale pour l' intérêt des humains peut offrir un parallèle quelconque avec le racisme. Car "spéciste" est tiré de "raciste".
Le raciste considère un sous-ensemble humain comme une espèce étrangère inférieure, comme un animal, qui peut être utilisée à sa guise. Le spéciste considère un sous-ensemble animal , bien sûr comme une espèce étrangère par définition puisque non-humain, qu'il utilise comme il l'entend.
Positionner l'animal comme équivalent à un humain, raisonner comme si humain et chimpanzés appartenaient à la même espèce, peut alors permettre de comparer alors racisme et spécisme. Puisque la victime, du genre "primate" est alors "exclue" des droits du "genre" qui réunit tous les primates par exemple, tout comme le "racisé" l'est de l'espèce humaine. Le niveau de l'empathie remonterait d'un cran dans l'arbre phylogénétique.
Singer va donc beaucoup plus loin que Plutarque. Le "spéciste", donc l'humain dans la bouche de Singer, a "une attitude de parti pris en faveur des intérêts des membres de sa propre espèce et à l'encontre des intérêts des membres des autres espèces". Il faut comprendre qu'il faut abandonner cette idée pour garder une attitude morale.
Mais quel organisme évolué dans le monde vivant n'a-t-il pas cet instinct ? Les fourmis se font la guerre, élèvent des pucerons et dévorent d'autres insectes, les frelons tuent les abeilles, les oiseaux mangent des vers, le chat est un tueur redoutable, les fauves se partagent des gazelles, etc. Tous les animaux sont donc "spécistes". Bref il n'y aurait donc que l'homme qui devrait abandonner cette caractéristique de voir dans les animaux des moyens pour ses fins. 
Toute l'argumentation de Singer : "il sont comme nous", tombe alors. Puisque ne pas être spéciste, serait au fond de ne pas se conduire comme un animal. Respecter la création, la nature, les êtres vivants, se traduirait alors par ne pas se comporter comme tous les êtres vivants qui se combattent. L'être humain n'a pu subsister que par empathie particulière pour son espèce, tout comme d'autres organismes évolués. La lutte pour vie fut son lot comme tous les animaux qui voulaient le dévorer. Sa domination  a permis à son espèce de persévérer. S'il cessait de privilégier son espèce, il devrait alors tuer ses semblables, trop nombreux et affectant négativement la biosphère, pour faire augmenter la bio-diversité...

D'où viennent l'empathie ou la pitié, que Rousseau mettait au fondement de tout sentiment politique, sinon d'un instinct ? D'après Spinoza ( Ethique III,XXVII) nous ressentons naturellement les sentiments d'autrui:

"Si nous imaginons qu'une chose semblable à nous et pour laquelle nous n'avons éprouvé aucun sentiment est affectée de quelque sentiment, nous somme par cela même affectés d'un sentiment semblable"
"Cette imitation de sentiment, quand elle concerne la Tristesse, s'appelle Pitié" ( scolie )
  
Or effectivement nous ressentons aussi parfois ce sentiment devant la souffrance animale. Mais qui pleure en voyant des poissons mourir lorsque les pêcheurs remontent les filets? Cette "sympathie" semble alors dictée par le sentiment du semblable comme l'explique Spinoza. Autrement dit elle ne semble pas résulter pas d'un choix. Les mouvements végétariens, le refus de la viande, progressent en même temps que l'humanité constate que l'élevage, par son empreinte écologique, ne peut être soutenable. Cette inclination "vegan" provient-elle alors d'un choix raisonné ou d'un sentiment d'effroi au regard de l'avenir de l'espèce humaine ? Ce soucis accru de l'animal n'est-il pas inféré de l'intérêt à garantir la vie de l'espèce humaine? Cette générosité apparente n'est-elle pas conduite par un égoïsme sous-jacent? Cette pitié pour l'animal ne serait-elle pas masquée d'une pitié plus forte pour notre espèce ?  Car il s'agit autant de faire cesser la souffrance que de cesser l'alimentation carnée.

Il ne faut pas confondre l'idée d'éviter la souffrance animale, avec celle d'effacement des frontières d'espèces, erreur que commet Singer. Poursuivie à l'extrême cette idée conduit certains "Vegan" à brûler restaurant ou abattoir, risquant des morts, au nom de la morale anti-spéciste. Elle peut aussi conduire à qualifier de "spéciste" le refus de l'euthanasie pour des handicapés profonds:
"spécistes[...]ceux qui adhèrent à la thèse du caractère sacré de la vie, parce qu'ils font une distinction marquée entre les êtres humains et les autres animaux, tout en admettant pas que l'on fasse de distinction quelle qu'elle soit au sein de notre propre espèce, s'opposant au fait de tuer les débiles profonds et les séniles incurables aussi vigoureusement qu'au fait de tuer les adultes normaux" ( page 92)

Mais encore une fois Singer est pris en pleine contradiction puis qu'il affirme en page 71:
"Le principe de l'égalité des êtres humains n'est pas la description d'une hypothétique égalité de fait parmi les humains , c'est une prescription sur la manière dont nous devons traiter tous les humains".
Par conséquent le droit à la vie ne peut être relatif à la qualité intellectuelle ou à la maladie. Pourtant Singer enfonce le clou de la contradiction en page 95:
"La préférence donnée , dans les cas normaux, quand il faut faire un choix , à la vie d'un humain sur celle d'un animal, est une préférence donnée sur les caractéristiques que possèdent les humains normaux, et non sur la simple appartenance à la même espèce que nous"

Cette préférence "sur les caractéristiques" représente bien une inégalité de fait, qu'il récusait au nom du principe de l'égalité de tous les humains.
Reste encore à savoir ce que pour Singer signifie la "les cas normaux" chez les humains, puisque "l'anormalité" donnerait la préférence à l'animal...









mercredi 8 mai 2019

L'obscurité et la relativité

Einstein fait un peu peur à tout le monde , lorsqu'il s'agit de suivre ses raisonnements. En effet un tel génie peut sembler de prime abord difficilement compréhensible. Mais, il faut revenir sur cette idée fausse, Einstein peut expliquer simplement des phénomènes compliqués.

Le talus et le train

Comment décririez vous la simultanéité ? demande finement Einstein à ses lecteurs, dans son petit livre "La relativité" publié en 1916 pour vulgariser la théorie de la relativité restreinte. Facile comme question se dit le lecteur, quand doit on dire que deux faits, ou deux évènements, sont simultanés ? la réponse intuitive, et tautologique, qui vient à l'esprit serait "quand ils surviennent en même temps". Puisque par définition la notion de simultanéité implique la notion de temps identique. Mais Einstein  ne se satisfait pas de la simple définition habituelle qui implique déjà le temps et cherche à monter une expérience de pensée dans laquelle il faudrait déduire expérimentalement que deux évènements qui se produisent sont simultanés.
Alors il imagine que lors d'un orage,  tombent à deux endroits du sol  A et B très éloignés l'un de l'autre deux éclairs simultanés. Comment constater qu'ils tombent simultanément ? Einstein propose de poser au milieu de AB, au point M,  un observateur muni de deux miroirs qui permettent de voir à la fois le point A et le point B. Si l'observateur constate via les miroirs que les deux points A et B sont frappés en même temps par l'éclair, alors il faut conclure à leur simultanéité. Fastoche me direz vous !
 Oui mais là où tout se complique c'est quand Einstein veut positionner un autre observateur qui lui circule dans un train sur une voie parallèle à la droite qui relie le point A au point B, et dans le sens de A vers B. Mettons que ce voyageur, au moment des éclairs passe exactement en face de son collègue qui se trouve au point M.
A ______________________ M ____________________B ( au sol )
A'⟶⟶⟶⟶⟶⟶⟶⟶M'⟶⟶⟶⟶⟶⟶⟶B ( dans le train )

Nous pourrions alors supposer, s'il a les même miroirs qu'il verra les deux éclairs de façon tout à fait simultanée lui aussi. Eh bien non ! car la lumière venant de l'éclair B va arriver plus rapidement jusqu'à lui étant donné qu'il se déplace vers elle. Inversement comme il s'éloigne de A, la lumière de l'éclair met plus longtemps à venir à lui. Donc il ne voit pas les deux éclairs simultanément. Il faut bien admettre qu'il s'agit d'une différence infime de temps, mais tout de même, cette différence fonde la théorie de la relativité du temps et de l'espace. Le temps et l'espace du train ne sont pas le même que le temps et l'espace du talus.

Je n'irai pas plus loin dans la théorie de la relativité, juste pour vous signaler que la transformation de Lorentz, qui permet justement de calculer les différences entre le temps de l'observateur au sol et celui de l'observateur dans le train, fait référence à une constante : la vitesse de la lumière.

Voilà justement où je veux en venir. Ne peux t-on s'étonner que la lumière ait quoi que ce soit à voir avec la simultanéité ? Doit-on déduire que sans lumière il ne peut pas y avoir simultanéité ? Que dans un monde sans lumière deux phénomènes ne peuvent avoir lieu au même moment ? Est ce que cette expérience n'établit pas une relation entre temps et lumière?
 Autre question, comment faire dépendre un phénomène physique d'un ou de plusieurs observateurs ? Car dans le livre d'Einstein, l'observateur FAIT PARTIE de la définition de la simultanéité. Un peu comme si en mécanique classique nous énoncions le principe d'inertie comme "un corps regardé par un observateur qui garde le repos ou un mouvement rectiligne". N'est ce pas exprimer des lois physiques sous la dépendance de la sensation humaine ?

Imaginons que les deux éclairs en même temps qu'ils frappent les points A et B, carbonisent sur un trait vertical les wagons en A' et B' avec des marques visibles jusqu'à l'intérieur. L'observateur du wagon en M' serait bien au milieu du segment A'B' par hypothèse. Nous comprenons qu'il y a correspondance parfaite entre A et A', B et B', M et M' quelque soit la vitesse du train, et ceci dans dépendre de la vitesse de propagation de la lumière, puisque ce sont les hypothèses posées par Einstein. Imaginons qu'il ait les yeux fermés lors des éclairs. Mais si l'observateur du train ensuite, bien plus tard, mesure depuis le train et depuis son emplacement les marques engendrées par la foudre dans le wagon, il va bien trouver une égalité entre A'M' et B'M', ce qui rapporté au segments AM et BM qui leur sont égaux au sol prouvent bien que les deux éclairs étaient simultanés?
Oui j'ai menti au début du billet, c'est un peu compliqué...










lundi 18 février 2019

Les ronds points et les étoiles.

Depuis le 1er Octobre 2008 il est obligatoire de disposer dans chaque véhicule, de dispositif de haute visibilité ( cf http://www.securite-routiere.gouv.fr/connaitre-les-regles/le-vehicule/le-triangle-et-le-gilet).
Il s'agit pour le gilet d' un équipement de sécurité à revêtir en cas d'arrêt d'urgence, autrement dit de panne.
Aujourd'hui toute une partie de la société française est en panne. Les manifestants ne disposent pas au long de leurs parcours de triangles de signalisation, mais portent des gilets jaunes réfléchissants. Un peu comme le signe d'une fraternité des conducteurs vivant simultanément un dysfonctionnement de la technique.
Une fraternité qui veut faire signe. Qui veut faire signe de sa fraternité.
Le gilet jaune représente celui que l'Etat contraint à porter un certain vêtement dans des circonstances exceptionnelles d'urgence. Le retournement s'effectue lorsque, portant tous ce vêtement, les gilets jaunes font signe à l'Etat que les circonstances représentent une urgence et une exception pour plus d'un. A leur tour ils veulent contraindre l'Etat à faire disparaître cette situation d'urgence.
Nous sommes en panne, nous ne pouvons pas aller plus loin, nous ne pouvons pas réparer nous mêmes disent-ils !
Il ne nous reste plus qu'à marcher ensemble pensent-ils. Vers les Champs-Elysées, c'est à dire étymologiquement vers les enfers.
Et occuper des ronds points.
Quelle drôle d'idée. Ce ne sont pas des points ronds, car un point constitue difficilement un rond, sauf lorsque les adolescentes ponctuent leur prose d'un vrai petit cercle en lieu et place de la ponctuation qui termine une phrase. Non les points ne sont pas des ronds, mais en quoi les ronds sont ils des points? ou des ronds points ? Nous aurions pu les appeler "carrefours circulaires" mais là c'est un oxymore, dans carrefour il y a "carré", donc pas de cercle possible. Alors c'est un point géométrique, mais pour donner rendez vous, autour duquel est dessiné un cercle, un rond, un point de rendez vous puisque plusieurs routes s'y terminent. Les gilets jaunes s'y retrouvent pour faire le point au rond point ( le gilet reste fidèle aux concepts relatifs à l' automobile ). Puis y tournent en rond. Pourquoi n'a t-on pas appelé les ronds points  "étoiles" ? Comme les géoglyphes de Nazca au Pérou, les routes et les ronds points dessinent vue de haut des géographies surprenantes. Mais de haut nous pourrions appeler ces croisements de routes des "étoiles", tout comme se nommait en haut des Champs Elysées la place de l'Etoile qui a fut dégradée en rond point, avant d'être dégradée tout court. Et si nous éclairions très puissamment depuis le ciel les ronds points et les gilets jaunes réfléchissants alors nul doute que nous pourrions admirer, sur ce ciel inversé, de scintillantes étoiles .
Mais certains gilets jaunes ne réfléchissent pas du tout, sont irascibles et allergiques à la lumière, aux Lumières même, et n'aiment pas les étoiles. Surtout à cinq branches.










samedi 16 février 2019

Leibniz, Dieu comme cause de la nature

Dans ses "Confessio naturae contra athéistas", Leibniz s'offusque de ce que certains, Descartes plus que tout autre, aient conçu une physique d'où Dieu est absent. Même s'il ne considère pas Descartes comme un athée, il considère sa physique comme plongée dans l' athéisme qui progresse au XVIIe siècle. Dans la physique cartésienne, le mouvement prend la part principale et les corps y sont réduits à leur grandeur, leur étendue, leur figure. Leibniz veut réintroduire Dieu, l'incorporel dans la physique. Pour cela il lui faut saper les bases de la métaphysique cartésienne qui voit dans l'étendue  l'essence du corps et la pensée comme l'essence de l'âme.
Sa démonstration va comporter trois arguments principaux.
Argument de la figure
Pour Leibniz, on appelle corps quelque chose qui se trouve dans l'espace. Un corps se défini par le fait  qu'il existe  dans l'espace. Et s'il a une étendue, une dimension, c'est justement celle de l'espace dont il prend la place. Mais ce corps a une certaine figure, une apparence, une forme. Pourquoi celle ci plutôt qu'une autre ? Pourquoi telle grandeur ? Soit il l'a toujours eue, soit elle a une histoire. Mais si sa figure n'a jamais changé, cela pose toujours la question du : pourquoi telle figure ? Si elle a une histoire, on peut se demander, par régression, quelle figure avait ce corps précédemment avant tout ses changements qui ont formé son histoire? et l'on est ramené au : pourquoi cette figure ? Dans ce raisonnement Leibniz met en oeuvre son principe de raison suffisante: il y a toujours une raison suffisante à toute chose, rien n'arrive sans raison. Il tire donc la conclusion que ce n'est pas de la nature des corps que provient leur figure ou leur grandeur
Argument du mouvement
 S'un corps existe dans un lieu puis dans un autre, cela définit précisément l'essence du mouvement: le changement de lieu d'un corps. Mais du point de vue du corps seul, il s'agit seulement de mobilité, car le corps ne peut être la cause de son  changement de lieu, une force extrinsèque doit intervenir pour agir dans le déplacement, argument tiré d'Aristote : "tout ce qui ce meut a la cause de son mouvement en dehors de soi". Le mouvement ne provient donc pas de la nature des corps, conclut Leibniz.
Argument de la cohésion
Les corps offrent une consistance plus ou moins dure. Ils résistent, ils sont renvoyés lors d'un choc, cela grâce à une certaine cohésion. Leibniz accepte l'idée des atomistes que les plus petites parties d'un corps sont des atomes insécables. Mais il n'incluent pas dans la définition des atomes la raison qui assure leur cohésion ni celle de leur insécabilité. Pour Leibniz la conclusion d'impose: il faut avoir recours à Dieu pour "garantir la solidité de ces fondements ultimes des choses".

Mais dans la lettre à Foucher, Leibniz va plus loin. Concernant l'esprit, nous pouvons constater qu'il y a de la pensée "et de la variété" dans nos pensées, dit-il, ce qui prouve l'existence de choses hors de nous, car une chose ne peut être la cause de ses propres changements. Mais cela permet simplement de constater qu'il y a des phénomènes, et que ces phénomènes nous permettent de prédire des phénomènes futurs, au moyen de l'expérience. En effet il reprend l'argument du rêve, les phénomènes liés dans nos pensées et par les expériences ne sont peut être qu'un grand rêve dont nous ne sortons jamais, les phénomènes ne sont pas la preuve fidèle de ce qui se passe dans la réalité, mais offrent une similarité de rapports.