Depuis la naissance par fécondation in vitro de Louise Brown en 1978 , la science permet de féconder un ovule par un spermatozoïde hors rapport sexuel et d'engendrer un humain sans rapprochement d'un homme et d'une femme. Qu'est ce qu'un humain ? André Comte-Sponville, dans son "Dictionnaire de la philosophie" en donne la définition récursive suivante: "un humain c'est la progéniture de deux parents humains".
La procréation médicale assistée ( La PMA) dans le cas de la FIV ne change pas cette définition, mais introduit trois grande nouveautés dans la génération des humains :
1) elle dissocie la procréation de l'acte sexuel
2) elle dissocie la parenté de la généalogie lorsque le sperme ne provient pas du conjoint
3) elle introduit également la possibilité technique de choisir les gamètes en fonction des qualités du donneurs, physiques ou autres.
Elle conduit aussi à une autre définition de la médecine : une médecine qui ne se contente pas de soigner les corps, d'aider les malades, mais qui intervient pour combler les souhaits des patients dans leurs projets de vie.
L'acte sexuel provient d'un désir naturel, entre deux partenaires amoureux ou non. Cet acte entre partenaires hétérosexuels ne conduit pas automatiquement à la procréation, puisque la femme n'est fertile que 5 à 8 jours par mois, et que la fécondation peut être bloquée par la contraception mais entre partenaire homosexuels aucune fertilité n'est naturellement possible. L'enfant n'est donc pas le fruit de l'amour mais il est celui de la nature.
La contraception a fourni un premier moyen de s'éloigner du processus naturel de génération. Les couples hétérosexuels ont trouvé une solution pour laisser libre cours à leur désir tout en gardant leur corps d'engendrer. La contraception a été massivement adoptée car la naissance d'un enfant implique une responsabilité morale et juridique lourde qui transforme massivement la vie, surtout si le couple ne subsiste pas et un seul garde l'enfant. Pour les couples homosexuels la contraception n'a pas eu le même effet de détachement du processus naturel, l'homosexualité reste purement naturelle non attachée à un quelconque dispositif technique.
Le naturel, qu'est ce que c'est ?
Mais qu'entend on par l'adjectif "naturel" ? Pour Aristote, dans la Physique, Livre 2, chapitre premier : "Les êtres naturels portent tous en eux mêmes un principe de mouvement et de repos". L'homme, selon cette définition, est un être naturel, ainsi qu'un arbre. Mais non une chaise ou une table, tirés de l'arbre. Il faut aussi , lorsque Aristote parle de "mouvement" entendre "changement". Ainsi la chaise ou la table n'ont aucune vocation à changer par eux mêmes, "l'art" c'est à dire l'intervention humaine peut seule leur donner une nouvelle nature, hormis leur corruption naturelle, leur pourrissement. Un ovule ou un spermatozoïde posés dans la nature, seuls ou rassemblés, ne pourront donner lieu à un embryon. Un embryon formé hors du corps féminin requiert donc "l'art" humain, en l’occurrence l'art médical, et si l'embryon résultant peut être dit"naturel" puisqu'il évolue de par ses propres lois, il est le résultat d'un processus artificiel humain. La PMA ne peut donc être assimilée à un processus naturel mais plutôt à un processus de génération artificielle d'un être humain.
La nature est-elle le Bien ?
Pour autant l'homme passe son temps à modifier, transformer, utiliser la nature pour sa convenance. Ce qui est "par nature" ne peut être assimilé automatiquement au Bien et ce qui est artificiel au Mal. La morsure d'une vipère est naturelle, de même que l'attaque d'un grizzly ou l'éruption d'un volcan, inventer des antidotes aux animaux venimeux ou prévenir les éruption fait partie des parades nécessaires que la science doit apporter. Comment alors reconnaître ce que l'on doit conserver de la nature d'une part, et ce que l'on doit changer d'autre part ? Ce qu'on doit garder de la technique et ce que l'on doit rejeter ? Nous pourrions naturellement manger de la chair humaine, sans risquer de maladie, ou de disparition de l'espèce. Pourtant nous ne le faisons pas, et cela n'a aucun rapport avec l'affrontement nature/artifice. Certaines pratiques naturelles, c'est à dire sans l'intervention d'artifice,comme la nécrophagie ou la pédophilie sont prohibées dans certaines sociétés. Certaines pratiques artificielles sont tout aussi interdites, comme l'exercice de la médecine sans diplôme ou vendre des médicaments de contrefaçon. Nous sommes ici dans la question morale, qui concerne les pratiques naturelles et artificielles, dont dérive le droit. Respirer n'est pas un droit, manger n'est pas un droit, dormir n'est pas un droit, engendrer n'est pas un droit. Ce sont des processus naturels. Le droit provient d'une convention , même les théoriciens du droit naturel n'ont jamais incorporé les processus naturels du corps comme des "droits". Pour Grotius ou Hobbes, la seule loi de nature consiste à tout faire pour assurer sa propre conservation.
La PMA , lorsqu'elle est ouverte aux couples homosexuels, nous pose une question morale. Pourquoi ? Parce que c'est une pratique artificielle nouvelle qui, étendue, peut avoir de nombreuses conséquences pour l'espèce humaine. La PMA se trouve à cheval sur la nature d'un côté ( l'évolution de l'embryon) et sur l'artifice de l'autre ( la création de l'embryon). Elle est aussi à cheval sur la nécessité pour la société de se reproduire par de nouveaux enfants et le désir individuel d'être parent. Elle est aussi à cheval sur la médecine d'un côté et la convenance de l'autre.
Alors qu'ont été déjà dissociés , par la contraception, l'acte sexuel et l'engendrement, pourquoi ne pourrait on pas concevoir que la médecine, qui est devenue omniprésente lors de l'accouchement, soit convoquée régulièrement pour fabriquer les embryons humains ?
La médecine
La médecine, lors qu'elle intervient par PMA pour des couples infertiles, joue son rôle traditionnel de réparation de la "maladie", c'est à dire du corps qui ne fonctionne pas en acte tel qu'il est défini "en puissance" comme dirait Aristote. C'est un dire un corps qui ne réalise pas les potentialités qu'il possède en lui. On pourrait dire, pour en rester dans le registre du droit naturel, que la médecine aide au droit à la conservation de chacun.
Lorsque la médecine intervient pour inséminer une femme qui ne veut pas d'acte sexuel avec un homme elle n'est plus dans le même registre. Le corps de cette femme, qui souhaite une PMA dans le cadre d'un couple homosexuel, fonctionne, mais elle requiert l'artifice par convenance: elle ne veut pas qu'un pénis éjacule en elle mais hors d'elle. S'occuper des convenances, après tout c'est ce que fait la chirurgie esthétique. Mais avec deux différences fondamentales : cela affecte un autre être: l'enfant à naître, et le processus de renouvellement de l'espèce. Se refaire le nez n'implique qu'un corps, qu'un être, son apparence, et n'implique pas les mêmes conséquences sociétales qu'une fabrique d'embryon.
L'avortement, qui n'est pas non plus la résolution d'une maladie peut aussi apparaître comme une convenance, mais n'implique pas un autre être à venir, qu'il faudra élever, instruire.
Le couple
Par la PMA nul n'est requis de vivre en couple : les couples ne sont devenus stables naturellement que lorsqu'on a compris que le père et la mère biologique étaient co-responsables de l'engendrement et que la famille nucléaire devenait une cellule économique viable dans une société rurale. Mais si la mère bioloqique peut accueillir un embryon grâce à une fabrique, alors le couple n'est plus une obligation, l'amour ou le désir d'un être pour un autre n'est plus une condition à la génération et le désir d'enfant peut aussi bien envahir une femme seule. D'ailleurs la volonté d'élever un enfant ensemble peut aussi être partagé par plus de deux personnes. Platon l'imagine dans "La République" puisqu'il suggère que tous les enfants de la cité doivent être élevés par tous, indistinctement. Chacun doit considérer n'importe quel enfant comme le sien. Dans ce cadre, les couples disparaissent au profit d'une communauté qui prime totalement sur l'individu. Nous sommes évidemment à l'opposé de Platon avec la procréation assistée: dans ce cas l'individu et ses désirs s'imposeront à l'enfant à naître.
Puisque, avec la PMA, la femme devient seule décideuse de sa grossesse, qu'elle ne dépend que de son corps, elle n'a pas de besoin physiologique d'être en couple. Pourquoi refuserait-on une PMA à une femme seule alors qu'on l'autoriserait pour un couple de femme ?
La parenté
La parenté généalogique ne provient que du désir hétérosexuel, sauf incapacité médicale. Lors d'une PMA, la décision est prise pour l'enfant à venir qu'il n'aura pas de père biologique, que sa lignée généalogique paternelle lui sera inconnue puisque le don de sperme est anonyme. De nombreux enfants adoptés sont dans ce cas, qui aiment autant leurs parents adoptants que s'ils étaient des parents biologiques. Mais nombreux aussi ceux qui se posent la question des origines, des ancêtres , des lignées, des clans. La structure de la société, même moderne, avec ses liens de parentés, donne sens à nos échanges, comme l'explique Levi-Strauss dans "Les règles élémentaires de la parenté". La position dans la structure, ou dans la généalogie, permet de remplir un rôle, de tenir sa place. Se reconnaître physiquement dans un ancêtre, contre ou pour ses valeurs , aide à construire l'identité.
Avoir deux parents du même sexe, ou du même genre, ne représente t-il pas un appauvrissement, une réduction de la diversité du monde pour celui qui le découvre? Pour un petit garçon, à qui va-t-il s'identifier ? Élever un garçon pour un couple de femme implique-t-il une vision ou les genres sont totalement équivalents? Où les valeurs féminines et masculines sont totalement interchangeables ? Si la réponse est non, le petit garçon ira s'identifier à un père à l'extérieur. Mais ce père sera en grande partie absent, ne pourra pas construire pas ce lien très privilégié qui existe entre un père et son fils au foyer familial.
La GPA
Si l'on découple par la technique la parentalité biologique de la parenté juridique, et la procréation de l'acte sexuel, il est logique de pouvoir inséminer une femme qui donnera ( ou vendra) sa progéniture à des parents qui n'en sont pas l'origine. Ce peut être pour des couples d'hommes ou de femme. Si la raison pour autoriser ces pratiques repose uniquement sur "l'amour " ou le "désir d'enfant" des demandeurs, la loi les reconnaîtra un jour légales. Pour le moment cela reste indécis puisque cela va à l'encontre d'une autre loi, celle qui interdit la marchandisation du corps et de ses organes. Mais la réification pourra continuer si la science progresse dans la fabrique...
La fabrique
Fabriquer, avec des moyens techniques, un embryon humain, n'est pas anodin. Nous avons pour l'instant encore besoin, pour que cet embryon soit viable, que l'utérus d'une femme l'accueille. Mais la science sait déjà maintenir en vie des grands prématurés, et progressera. Le moment où l'embryon pourra être nourri en couveuse n'est pas inatteignable. Et, comme la contraception a permis d'éviter la fécondation, il est permis de penser que les couveuses éviteront la grossesse, longue et pénible, écueil pour une carrière professionnelle. La fabrique pourra alors évoluer et permettre une sélection automatique des embryons par DPI ( diagnostic pré implantatoire ). Techniquement il sera possible de sélectionner les embryons aux yeux verts ou provenant de QI++. La GPA ne sera plus nécessaire et chacun pourra commander son enfant sur étagère.
Ainsi sortir du hasard et de la nécessité, pour ne garder que la nécessité ne nous proposera pas une société très enviable. Nous n'en sommes pas si loin.
S'écarter de la nature, lorsqu'elle ne nous met pas en danger, semble une mauvaise philosophie, elle reste une force qui nous écrase et nous domine tous. Zénon, Chrysippe et les stoïciens avaient pour règle de s'inspirer de l'ordre du cosmos et en tiraient une éthique qui subsista 500 ans . La nouvelle éthique : jouer avec le vivant pour les désirs individuels, elle est possible techniquement, mais personne ne connait le résultat du jeu.