jeudi 7 janvier 2016

nouveaux animaux machines : quelle liberté ?


Dans cette sidérante vidéo, un robot cafard sert de plateforme de lancement à un drone libellule. Jean de La Fontaine, anthropomorphe, donnait au XVIIe la parole aux animaux, et leur faisait manger du camembert. De nos jours les animaux sont pris plus au sérieux. Les ingénieurs habillent les formes animales de technologie et produisent de l'art, de l'image poétique. Regardez au ralenti s'envoler cette chimère électronique diaphane chevauchant son destroyer mécanique, s'agit-il d'un rêve ou d' une image virtuelle?
Non il s'agit bien d'animaux mécaniques. Descartes, citant les automates fabriqués par l'homme, leur comparait "les animaux machines" créé par Dieu comme étant plus complexes et plus parfaits:
"...sachant combien de divers automates, ou machines mouvantes, l'industrie des hommes peut faire, sans y employer que fort peu de pièces, à comparaison de la grande multitude des os, des muscles, des nerfs, des artères, des veines, et de toutes les autres parties qui sont dans le corps de chaque animal, considéreront ce corps comme une machine qui, ayant été faite des mains de Dieu, est incomparablement mieux ordonnée et a en soi des mouvements plus admirables qu'aucune de celles qui peuvent être inventées par les hommes." Descartes, discours de la méthode.
L'aéronef, oiseau de métal, donne tort à Descartes, au moins sur la vitesse atteinte en comparaison de l'oiseau le plus rapide. Épiméthée, dans la mythologie grecque créateur des animaux, et Prométhée, créateur de l'homme et voleur du savoir des dieux, ont donc réussi par leur alliance dans le monde contemporain à engendrer ces nouveaux animaux machines affublés d'étonnantes propriétés. Mais il ne s'agit pas seulement d'art et de poésie.
Dans cette autre video (à 3mn36), ce robot passe d'une progression sur un plan horizontal, à une progression sur un plan vertical. Peu d'animaux en sont capables à une telle vitesse. Nous pouvons suivre ici des drones construisant un pont de cordes, ce dont sont incapables les oiseaux, sauf dans blanche neige. L'avenir leur appartient dans cette course à l'autonomie jusqu'au jour de leur pleine liberté.
Mais un robot peut il être dit libre ? Est il seulement sujet ?
 Au sens de Jacob von Uexküll, un sujet perçoit des événements dans son monde propre ( umwelt)  et leur attribue des significations qui lui permettent d'agir. En ce sens un robot peut être appelé "sujet", il perçoit à l'aide de caméras et de capteurs puis agit en fonction de ce qu'il interprète dans un contexte. Se pose alors la question de sa liberté. Il peut être dit libre au sens de la liberté négative : en l'absence d'obstacle, lorsqu'il n'est pas empêché d'agir. Mais il n'est pas qu'un automate car il sait agir en fonction de l’événement qui survient. Son cerveau digital sait traiter plus ou moins d'actions en fonction des signaux reçus. La liberté positive d'agir de l'animal est limité par la connaissance du monde qui se limite à son monde propre, parfois très étroit. Comme l'homme, sa liberté varierait donc en fonction du degré de ses connaissances, ce qu'affirmait Descartes pour la liberté humaine.
Mais alors que la lumière de la vérité, pour Descartes, nous est fournie par Dieu, celle des robots se forge par la programmation informatique issue par l'homme, inspirant un sentiment rassurant de contrôle de l'humain sur la machine.
Pourtant la vérité insufflée programmatiquement aux robots, s'ils doivent être utiles, ne peut être que la vérité définie par le pragmatisme : agir adéquatement sur la réalité, ce qui limite nécessairement le contrôle que nous avons sur eux.

Alors que la connaissance, suppléant notre physique déficient sans griffes ni crocs, nous avait permis de venir à bout du danger animal, nous fabriquons de nouveaux dangers avérés(cf  "la société du risque" , Ulrich Beck) et potentiels par des inventions calquées sur les animaux. L'homme prométhéen retrouve son frère épiméthéen pour créer de nouveaux animaux-machines, non mortels,  à son service. On ne sait pas encore où nous conduit l'hubris technologique, mais il faut se rappeler qu' Epiméthée a épousé Pandore et que la liberté d'un robot augmente en fonction de ses connaissances toujours plus nombreuses...




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