Nous avons vu ces derniers temps se développer une polémique provoquée par la stupeur de découvrir des terroristes provenant de notre propre sol. Pour y contribuer, un détour est nécessaire.
D'où vient le mal ?
Les phénomènes naturels extrêmes: tremblement de terre, tsunamis, inondations, incendies de forêts, éruptions volcaniques nous affectent directement mais peut-on en conclure que la nature nous veut du mal ? Aucune intentionnalité ne peut être déduite si l'on adopte un point de vue scientifique. Chacun de ces événements se traduit par une suite de causes et d'effets, par exemple un séisme provient de l'énergie libérée par un glissement de plaques en profondeur dans le sol. Mais pourquoi les plaques glissent-elles ? Sur le chemin de recherche des causes, nous trouvons deux réponses possibles :
-Première réponse: la cause première, par régression, restera inatteignable, car l'infini échappe à l'homme. La nature provoque des phénomènes qui nous atteignent durement, mais les maux sont en nous. Ni le mal, ni la justice, ni le bien, ni l'injustice ne se trouvent dans la nature. Un phénomène climatique sera avantageux pour une espèce, dramatique pour une autre. Manger une gazelle est un bien pour le lion, un mal pour la gazelle. Mais se pose alors la question d'où vient le mal, lorsqu'il est causé par l'homme ? Les sciences dures ne nous aident pas car il faut comprendre avant d'expliquer. Comme l'explique Dilthey "nous expliquons la nature et nous comprenons la vie psychique". Les réponses des sciences sociales sur l'origine du mal font le plus souvent appel au concept de déterminisme social, les idéologies politiques le considèrent plus ou moins inhérent à notre nature ou conséquences d'un mode de production.
- Seconde réponse: l'infini échappe à l'homme, mais pas à Dieu qui est la cause de toutes choses. Une autre question surgit : pourquoi Dieu, bon et tout puissant, a-t-il introduit la notion de mal sur terre? Chez les Dieux grecs, qui s'affrontaient durement, nul scrupule à faire le mal. L'affrontement des dieux mimait le combats des hommes, la question de l'origine du mal n'existait pas. Cette très ancienne question de la théodicée remonte à la fondation des monothéismes. Les stoïciens répondent que le mal n'existe tout simplement pas, Dieu est cosmos, ordre, il ne fait ni le bien ni le mal. Dieu est le monde, comme pour Spinoza plus tard et son "Deus sive natura"(*). Pour Saint Augustin il règne dans l'univers une perfection que nous n'appréhendons pas complètement, la présence du mal fait partie de cette perfection que nous n'arrivons pas à comprendre à cause de notre finitude. Il avance aussi l'idée que Dieu nous a donné le libre arbitre, pour choisir entre le bien et le mal. Pour Pascal, et pour les jansénistes, l'origine du mal vient de la chute. Adam a crée le pêché. Le mal vient d'un manque de grâce perdu à jamais. Chez Leibnitz, comme pour St Augustin, se trouve aussi l'idée que le mal appartient au tout, que notre point de vue n'est que parcellaire, qu'un mal peut entraîner ailleurs un bien.
Une toute autre perspective nous est amenée par Nietzsche. L'homme est plongé dans la nature, le bien comme le mal sont les conséquences d'une morale. "Il n’y a pas de phénomènes moraux rien qu’une interprétation morale des phénomènes" dira-t-il dans "Par delà le bien et le mal". Le bien et le mal sont absolutisés alors qu'ils sont relatifs à la culture. Inutile de vouloir identifier "souffrance" et "mal", on souffre lorsqu'on se casse une jambe, pour autant quel sens cela aurait-il de vouloir chercher dans ce cas d'où vient le mal ? Pour Nietzsche la souffrance fait partie de la vie et apparaît donc comme inévitable.
Pour certaines idéologies comme le marxisme, pour les sociologues comme Bernard Lahire ou certains philosophes comme Cynthia Fleury, nous portons une responsabilité dans le "mal" qui a atteint les terroristes français le 13 Novembre. Elle déclare dans l' écho republicain le 27/12/2015 : "Il ne s’agit pas de nier la gravité de l’heure,
de refuser d’interroger les manques de notre culture et de notre
justice qui n’ont pas su fournir les ressources nécessaires aux âmes,
nées sur notre territoire, pour résister à la tentation de haine, à la
volonté de vengeance, au désir de châtiment. Notre modèle républicain
n’a pas su offrir les armes intellectuelles et existentielles pour
résister à l’appel des aliénés terroristes." Ainsi le monde "devrait" être un monde heureux, sans haine et sans souffrance, car la souffrance appelle la vengeance et le mal. Lorsque le mal surgit la solution serait d'éradiquer la souffrance, et nous portons la responsabilité d'éradiquer la souffrance du monde ce que nous n'avons pas réussi à cause d'un manque dans notre culture et notre justice. Voici ce que répond Nietzsche dans "par delà du bien et du mal" en parlant des philosophes nouveaux : "la souffrance elle-même, à leurs yeux, est une chose qu’il convient d’abolir".
Quelle place laissée, dans cette contrition républicaine, à l'individu, à ses parents, à son histoire, ses choix, son libre arbitre, sa responsabilité ? Le modèle républicain, tout puissant pour Cynthia Fleury -comme si l'économie devenait accessoire-, doit il se charger d'interdire les angoisses métaphysiques humaines et donc la religion ? Doit il intervenir dans les familles pour éradiquer les carences affectives ? Interdire les divorces ? Supprimer les différences physiologiques ? car après tout naître de petite taille, comme toute différence physique engendre aussi de la souffrance ? Comment pourrions nous égaliser toutes les vies ?
Parmi les millions de musulmans qui vivent en France seuls quelques dizaines, qui avaient été scolarisés, dont certains possédant le bac et un travail, sont devenus des terroristes. Pourquoi ne pas se dire à l'inverse que pour ces millions d'autres citoyens que le modèle républicain a su "offrir les armes intellectuelles et existentielles pour résister à l'appel des terroristes", et s'en féliciter? Et que le terreau favorable de la réclusion économique, contre laquelle il faut lutter pas seulement comme motif possible de radicalisation, transformé en "cause" par quelques sociologues, n'a pas, pour la très grande majorité suffit à les précipiter dans les bras de l'ennemi. La ministre de l'éducation en fournit un excellent exemple, manifestement ignoré.
(*) Dieu ou la nature
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire