lundi 4 janvier 2016

Esprit es tu là ?

"La plupart de ceux qui ont écrit sur les affects et sur les principes de la conduite semblent traiter non de choses naturelles qui suivent des lois générales de la nature, mais de choses qui sont en dehors de cette Nature. Il semble même qu'ils conçoivent l'homme dans la Nature comme un empire dans un empire." nous dit Spinoza dans "l'Ethique" publiée en 1677.
L'homme prendrait ses décisions librement, en dehors des règles physiques, chimiques ou biologiques, qui affectent tout corps naturel. Il formerait en quelque sorte un empire indépendant dans l'empire des choses de la nature, ce que conteste Spinoza.
Nous revendiquons appartenir à la nature, mais nous nous définissons par la culture : tout ce que l'homme produit se définit comme culturel. Nous serions donc le seul animal sur terre dont les productions ne sont pas naturelles. Cette fiction implique un dualisme : notre corps est naturel, mais notre esprit, que nous distinguons de notre corps, ne le serait pas. Notre enveloppe corporelle obéirait aux lois de la physique, et à la nécessité , mais pas notre esprit. Notre empire intérieur pourrait décider d’obéir ou non aux appétits , il pourrait soumettre le corps à son dictat.
Mais si nous conservons un point de vue matérialiste, qu'est ce que l'esprit ? Comment connaitre l'empire intérieur de l'autre ? par ses pleurs, ses rires, ses expressions par le langage, ou par ses actes... donc dans tous les cas par son corps. Mais le corps de l'autre reste inconnu : Il existe des pensées ou des sentiments que le corps l'autre n'exprime pas.

Comment connaître mon propre esprit ? par la pensée réflexive, par la conscience dira-t-on, mais la pensée elle même passe par l'intermédiaire du langage et la langue est parlée par un corps. Je peux penser en silence, de même que je peux chanter en silence, me réjouir ou m'attrister silencieusement, sans manifestation corporelle visible. Mais de ce silence et de cette invisibilité pourquoi inférer qu'il ne s'agit pas de mon corps ? Pourquoi appeler "esprit" ce que je perçois de mon corps ?
Pourquoi rattacher les pensées à un "esprit" plutôt qu'au corps?

L'esprit n'existe pas, le corps a inventé cette fiction. Le corps a des facultés : la conscience, la volonté. La conscience permet au corps d'être informé de ses propres processus "internes", un peu comme l'ordinateur peut connaître la taille de sa mémoire, quelle application il exécute etc. Nul besoin d'un esprit pour commander le corps. La volonté ? c'est simplement le corps conscient de ses actes.  La plupart du temps nous sommes conscients du corps, mais il fonctionne parfaitement sans la conscience : le sang coule dans nos veines sans que nous l'apercevions, nombre de processus biologiques adviennent sans qu'ils soient notifiés à la conscience, le corps marche tout seul chez les somnambules inconscients de leurs actes donc sans leur volonté. Inversement donnez beaucoup d'alcool à un prix nobel de physique et vous verrez le résultat sur sa volonté ou sa conscience de lui même. Donnez un joint au philosophe et il vous racontera que l'esprit n'existe pas ( non là je plaisante). Tout corps fatigué ou drogué pense moins clairement. La volonté faiblit inexorablement lors d'un épuisement corporel, tout participant à une dure épreuve physique a pu le constater.
Les fonction attribuées à "l'esprit" proviennent du corps, de ses atomes, de sa chimie, de son électricité. Cette chimère "l'esprit", empire dans un empire, nous fait croire à notre libre arbitre, et à notre séparation de la nature, dont nous serions englobés par elle tout en l'excluant.
Lorsque Karl Marx nous dit dans la préface de "Contribution à la critique de l'économie politique" que "Ce n'est pas la conscience des hommes qui détermine leur être; c'est inversement leur être social qui détermine leur conscience." Il énonce une tautologie, leur conscience c'est leur corps, tout comme leur être, et leur être social c'est la même chose que leur conscience puisque c'est leur corps. S'il veut dire par là qu'un corps trouve des motifs à agir, soit lorsqu'il souffre pour diminuer cette souffrance, soit lorsqu'il prend du plaisir pour continuer ou augmenter ce plaisir, alors nul besoin de faire précéder la conscience par l'être.
Hegel, dont Marx a hérité du concept de dialectique, montre que la réalité est un processus dialectique pour la conscience qui partant de l'erreur s’élève vers la vérité. Il aurait pu lui aussi élaborer la même phénoménologie en remplaçant "Esprit" par corps.
La religion, invoquant la fiction de "l'esprit" de Dieu, soumet en fait les corps des fidèles. Les extrémistes ont beau jeu de les transformer en somnambules.







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