samedi 2 janvier 2016

Le soleil se lève

Le langage viendrait comme un écran entre nous et la réalité, entend on souvent. Au lieu de percevoir le réel directement, nous y calquons nos catégories, nos mots, jetant sur le monde le voile de Maya . "Nous ne voyons pas les choses mêmes ; nous nous bornons, le plus souvent, à lire des étiquettes collées sur elles." dit Bergson dans "Le rire". Pourtant si nous ne possédions pas, bien avant d'avoir acquis une langue maternelle, de capacités de filtrer et contraster le réel, l'apprentissage de cette langue pourrait-elle aboutir?

Wilard Van Orman Quine, qui appartient au courant de la philosophie analytique, mais critique de l'empirisme logique, est auteur de "Le mot et la Chose" et de "Langage théorique et langage observationnel". Dans ce dernier texte il dénie qu'il soit possible de différencier, d'une part, un langage empirique pour constater des faits expérimentaux et d'autre part, un autre langage pour la théorie.
A propos d'un enfant qui doit apprendre le mot "rouge", avec l'aide de sa mère, il nous dit ceci : "[...] l'enfant doit être disposé à associer une balle rouge avec une balle rouge plutôt qu'avec une balle jaune, à associer une balle rouge avec un ruban rouge plutôt qu'avec un bleu, à dissocier la balle d'avec son environnement [...] Pour pouvoir apprendre le mot rouge il faut avoir une réceptivité aux 'espèces naturelles', en tout cas une tendance à répondre avec un intensité différente à des différences différentes. Au tout début, les mots sont donc appris grâce à des ressemblances et des contrastes qu'on peut percevoir sans recourir aux mots."
Mais cette première phase d'apprentissage: langage comme "copie" du monde, précède une deuxième phase dans laquelle le langage se développe par l'intermédiaire du langage lui même, où les mots sont définis par d'autre mots, où l'on ajoute des formes spécifiques comme le pluriel ou le féminin. Dire "une table" ne vient pas du fait que le genre de la table est femelle dans la réalité. Nommer "mécanisme génétique" ce qui ce passe dans les cellules, ne copie pas un objet "mécanisme" trouvé dans la nature. Pour Quine, le langage déborde largement la fonction "langage-copie" nécessaire pour démarrer le processus d'apprentissage d'une langue. Trouve-t-on les concepts dans la réalité ou dans la langue ? où trouver le concept vertébré ou le concept conifère dans la nature?

Oui, le langage nous éloigne de la réalité, d'où la tentative pour le scientifique de "choisir" son langage afin de diminuer les ambiguïtés, d'une part pour décrire les faits d'autre part pour énoncer les théories. Il faut alors trouver à exprimer l'expérience scientifique au plus près par des mots simples débarrassés de toutes les catégories surimposées du langage qui distancient du réel, se séparer des mots flous comme "ici" ou "maintenant" dans les comptes rendus d'expériences.
De même les théories doivent être exprimées le plus rationnellement possible pour toute science, avec la rigueur des mathématiques.
Ce raisonnement a conduit l'empirisme logique a vouloir prescrire tous les énoncés théoriques de la sciences à l'aide de la logique des prédicats.
Quine a montré, avec Duhem, qu'il n'était pas possible de créer des énoncés simples, que tout énoncé décrivant un phénomène embarquait avec lui une théorie, une vision du monde. Par exemple l'observation : ce matin le soleil s'est levé à 7h30, peut être vu comme une survivance de la théorie géocentrique pré-copernicienne dans la langue , alors que le soleil ne se "lève" pas, c'est la terre qui tourne autour et sur elle-même.


1 commentaire:

Unknown a dit…

Je ne suis pas une scientifique, pourtant l'expression du soleil qui se lève, ou se couche m'a toujours surprise.
Magnifique peinture !