samedi 30 janvier 2016

habit et habitus

Peut on dans l'espace public , en France, de nos jours se vêtir à sa guise ? De prime abord il semble que le choix des vêtements ne soit conditionné par aucun article de loi, hormis celui de 2010 sur le voile intégral . 
Constatons en premier lieu qu'il s'agit d'un besoin primaire. Nous devons nous couvrir pour affronter les frimas d'une part et pour cacher certaines parties de notre corps d'autre part. Cette dissimulation sert de métaphore quant à la vérité "toute nue" qui serait "voilée", ce qui invite inversement le vêtement à basculer du côté du mensonge, du non dit ou du flou apposé sur la réalité comme lorsqu'on parle du "voile de Maya".
Hormis cela libre à chacun de s'affubler comme il l'entend, ensemble monotone ou diversité bariolée, costume moulant ou manches bouffantes, toile de bure terne ou chemise à paillette, pantalons au milieu des fesses ou short de sport. D'aucuns affectionnent le coton ou  le lin pour leur naturel et leur douceur, d'autres préfèrent le synthétique pour son prix, certains choisissent la soie et beaucoup n'ont cure de la matière qu'ils portent. Chez les couturiers le vêtement est le lieu de la création, l'audace devient la norme, l'art le but. Aucune barrière n'est infranchissable, la transgression guide nos génies des défilés.

Mais ce que le silence de la loi autorise, le poids des conventions l'empêche. Très souvent le costume de chacun s'impose. Nombre d'institutions , le mariage, les funérailles ne peuvent être conçues sans les tenues idoines, blanc dans un cas, noir dans l'autre. Les pompiers, les policiers, les soldats n'ont pas le choix de leur tenues.
Tentez d'arriver dans la banque où vous travaillez comme conseiller clientèle en sandalettes, marcel, et short en dessous du genou, vous risquez fort de subir quelques remontrances, à la fois de la part de la hiérarchie et de celle des clients. Participez avec la même tenue à une conférence de développeurs Apple à San Francisco et personne ne vous remarquera. Ainsi certains emplois s'attachent un code vestimentaire implicite, et même quelquefois explicite : un maître nageur sauveteur en piscine ou sur la plage ne peut pas choisir de garder ses chaussures de ville. La natation implique une contrainte forte sur le vêtement, mais dans d'autres cas le code vestimentaire provient simplement de l'usage : il est prohibé de s' habiller tout en noir pour travailler en hôpital , ou en blanc immaculé pour le travail dans une mine, pourtant rien n'indique que cette contravention à l'habitude puisse altérer la qualité des gestes effectués, seule une conformation à la coutume définit comment s'habiller en fonction du métier. Mais la conformité, la norme, débordent largement le cadre de la profession. Pour un homme porter un tutu et une couronne de laurier pour aller faire son marché peut au mieux attirer les rires et les quolibets, au pire entraîner un internement. Pour une femme sortir le torse nu en ville serait interprété comme une manifestation d'un problème psychique ou une déficience mentale. Intervertir les codes vestimentaires masculins et féminins ne peut advenir dans la vie courante que dans le cadre d'une coutume établie, tel un carnaval, ou sinon doit être considéré comme un signe pathologique. La norme peut simplement provenir de la raison commune. Tout écart sera interprété comme déviance : mettre un anorak avec une capuche poilue en pleine canicule ou se promener en short et tee-shirt en plein hiver risque de vous conduire directement à Saint Anne.
Essayez de louer un costume de gardien de la paix pour vous promener gaiement en ville en chantant à tue-tête, ceci indépendamment de la saison. Vous risquez fort de passer au tribunal pour vous être fait passer pour un agent de la force publique. La norme, la coutume vous impose négativement de ne pas sélectionner tel ou tel type de vêtement.
Chacun par ses choix vestimentaires, adhère positivement à une tribu, un esprit, une tendance, une époque et même une nation. L'habit fait le moine. Il désigne l'appartenance à une communauté. Tel le mot à qui on associe une signification, l'apparence doit signifier l'être. Je m'habille donc je suis. Mes vêtements m'assignent une place : "se faire tailler un costard" équivaut justement se faire remettre à sa place. L'habit fait partie littéralement et sémantiquement de l'habitus. Lors d'une guerre, le soldat revêt un uniforme qui le classe dans un camp,  et l'autorise à tuer celui qui ne porte pas le même uniforme que lui. Ce simple tissu symbolise alors la mort qui rode. Le ( la) salafiste  porte une sorte d'uniforme qui manifeste son adhésion aux respect des règles strictes qui encadrent sa vie. Il illustre aussi la fonction cache sexe du vêtement qui peut à l'inverse attiser le désir. Le choix du vêtement laisse une certaine part de liberté, mais son absence totale, la nudité, est interdite.
Bien que l'homme soit né nu, il a cet avantage sur l'animal de pouvoir changer de "peau". Comme le dit Aristote "l'animal dort chaussé" alors que l'homme peut retirer ses chaussures pour dormir. Nous pouvons au gré des saisons et des climats adapter nos habits, modifier notre apparence, alors que l'ours, le sanglier ou le chien doivent suer sous la chaleur à cause de leur toison épaisse. Mais cet avantage disparaît lorsque la norme sociale contraint le corps par le port du corset ou de la cravate indépendamment des températures.

Étendard, masque, signe distinctif, œuvre d'art, catalyseur sexuel, le vêtement oscille entre liberté et conformité, imagination et affiliation.

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