dimanche 10 janvier 2016

A la recherche de l'intensité perdue


L'intensité recherchée par le spectateur au cinéma se retrouve rarement dans le quotidien. Nous aimerions vivre intensément chaque instant de la vie ordinaire, comme lorsque nous sommes assis devant l'écran. Le cinéma fait vibrer des cordes de notre être que le quotidien ne permet pas de pincer. Amours romantiques, rires en cascade ou affrontements guerriers, le cinéma nous propose virtuellement une existence dont nous sommes le plus souvent privés. Tel un rêve dont nous choisirions le déroulement par avance, le film nous emmène là où nous souhaitons nous rendre, sans changer de place mais en changeant de présent. Magie du projecteur, nous nous rendons en terre inconnue à l'abri de tout danger réel et de conséquences futures. Nulle part ailleurs il n'est possible de sentir une telle intersubjectivité : tous dans la salle nous vibrons à l'unisson et participons de la même expérience.
Du pain et des jeux, et de l'illusion pourrait on rajouter : voilà ce que demande le peuple. Et des jeux, les réseaux et les consoles en regorgent. Certains "adulescents" passent des heures dans un monde virtuel procurant parfois plus de sensations que le monde réel, soit parce qu'il est possible de s'exercer aux pires pulsions : meurtres, vols, deal de drogue, soit qu'on affirme une puissance démultipliée qui conforte l'estime de soi . Le monde virtuel permet aussi l'oubli de soi-même, par des jeux simplistes qui transforment le corps en automate produisant des actions réduites et peu variées. Vivre virtuellement, en héros ou en machine, voilà leur nouveau destin. Leur liberté se résume à choisir la bonne vidéo. Leur projet à trouver le meilleur jeu. Nul besoin de changer le monde, il suffit de plonger dans les mondes virtuels proposés sur Internet. Mais l'"adulescent" ne vit pas cette expérience d'intersubjectivité appréciée dans les salles de cinéma, il reste seul devant son écran, hors de portée physique de ses pairs. La fraternité lui manque sans qu'il le sache.

Les événements de Janvier et novembre, en prenant des vies, ont rendu les nôtres plus intenses. Le rouge du drapeau est devenu plus rouge, le bleu plus bleu. Découvrir ses ennemis a permis de retrouver ses amis. Le mot France a pris de la densité. La monotonie du quotidien, le manque de sens de nos vies, ont été précipités dans la forge d’Héphaïstos et sont ressortis rougeoyants d'histoire et de fraternité retrouvée. Les drames nous ont pris une part de nous mêmes mais au même instant ces quelques moments d'exception vécus nous procurent un supplément d'être. Quelques uns ont cru que les mondes nouveaux vantés sur l'Internet existaient vraiment et qu'ils pouvaient les rejoindre en abandonnant ici leur sentiment de relégation comme un serpent fait sa mue. Ce besoin d'intensité, cette rage de vivre "plus" et le sentiment de maîtriser son destin n'aboutit pour eux qu'à terminer leur vie précocement tout en étant manipulés.

Ce conflit en même temps qu'il répand la mort nous apprend que ni la vie, ni la vérité, ne sortent des écrans. Cette existence densifiée que nous expérimentons n'advient que dans des période graves. Ce que nous recherchons au cinéma se trouve maintenant en nous, cela nous effraie et nous stimule parallèlement. Cette nécessaire intensité et cette fraternité qui manquent à nos vies ordinaires peut nous conduire vers l'erreur et l'horreur de Daesh, ou  bien vers une société qui retrouve ses liens et ses fondements.
Ce bouillonnement ne sera positif que si nous surmontons les terribles clivages en train de naître et si la jeunesse se fabrique d'authentiques projets d'avenir porteurs de vie pour changer le monde.



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