mercredi 30 décembre 2015

Peut on prévoir le futur ?


De prime abord nous répondrions non à cette question: par définition l'avenir est imprévisible. Nous ne savons pas ce qui va arriver dans une minute, une heure, ici dans la rue ou très loin là bas.
Pourtant à y regarder de plus près, à chaque instant nous effectuons des prédictions. Pourquoi prendre le sac pour les courses sinon parce que je sais qu'il y a un magasin, que je vais marcher dix minutes pour y arriver, que je prévois que je vais y trouver de quoi manger ? Pourquoi vais-je au cinéma à 20h, où passe le film z, sinon parce que je fais le calcul que je vais voir ce film z à 20h ? Comment puis je savoir qu'il sera 20h après 19h ?
Agir dans le monde c'est prévoir. Aucune action n'est possible sans imaginer le futur. Evidemment, il est impossible de TOUT prévoir,  et nous n'avons aucune garantie d'aucune sorte que ce que nous imaginons va réellement arriver mais nous faisons le pari des régularités de la nature et de ses productions, dont les hommes et leur comportement. Le jour se lève aujourd'hui, par conséquent il se lèvera demain. Le magasin se situait là hier, il sera à la même place demain, voilà comment nous raisonnons. Pourtant de multiples autres possibilités peuvent se présenter : si vous partez demain au cap nord, vous ne verrez pas le soleil se lever, un incendie peut ravager le magasin. La contingence vient mettre un bâton dans les roues de la prédiction, car nos vies sont basées sur l'idée que l'identique se reproduit nécessairement, que du passé nous pouvons dériver le futur. Comment lever ce doute sur nos prédictions, qui sont nécessaires pour agir, mais sont grevées par la contingence du monde ? c'est le travail de la science. Comme le dit Quine dans "Les deux dogmes de l'empirisme" en 1951:
"Etant empiriste, je continue à concevoir, en dernière instance, le schème conceptuel de la science comme un instrument destiné à prédire l'expérience future à partir de l'expérience passée."
Mais que fait-elle de différent de nous, la science ?
La science construit, comme nous, des théories pour modéliser des lois de la nature qu'elle suppose constantes et permanentes. Une fois élaborée, la théorie doit être à même d'être confirmée ou infirmée par une expérience. C'est ce que je fais en allant faire mes courses direz vous , avec la théorie implicite : un magasin ne change pas de place dans la nature. Sauf que comme on l'a vu le magasin peut disparaître, sa présence n'est pas nécessaire. Une théorie scientifique au contraire se veut universelle : valable en tout lieu et en tout temps et nécessaire. Ainsi les lois physiques offrent-elles un caractère de nécessité ( qui ne peut pas ne pas être), caractéristiques de la science. La loi d'attraction universelle serait fausse si quelquefois la pomme pouvait tomber vers le haut. Seulement il y a un problème : comment élaborer une théorie ? à partir de quoi ?

Il y a essentiellement deux réponses. Soit j'ai remarqué une régularité, un phénomène qui se répète, et je peux supposer qu'il va se répéter toujours pour construire ma théorie, c'est ce qu'on appelle un raisonnement par induction.
Soit je construis une hypothèse dans mon esprit par pure imagination et j'infère tous les effets qui pourraient advenir à partir de cette hypothèse dans la réalité si elle était vraie. C'est le raisonnement par déduction.
Dans son "enquête sur l'entendement humain" en 1748, David Hume a soulevé un problème fondamental. Il remarque que ce que nous appelons "cause" et "effet" ne provient que d'une conjonction dans le temps et dans l'espace de deux phénomènes. S'il fait froid et que je mets mon verre d'eau dehors, il gèle. le glaçon, qui est l'effet, a pour cause le froid. Notre perception des causes et des effets s'appuie uniquement sur l'habitude. Nous nommons cause et effet la conjonction habituelle que nous observons. Quand surgit la cause, nous attendons automatiquement l'effet. Voilà pourquoi l'induction est un problème, puisque le même procédé est en place, je vois une grenouille verte, puis deux je pense toutes les grenouilles vertes. Russel, mathématicien auteur des "principia mathématica" avec Whitehead a illustré l'erreur de raisonnement que provoque l'induction avec l'histoire de la dinde: cette dinde ravie de voir que jour après jour elle recevait sa pitance de la main du paysan était persuadée que cela durerait, durerait ... jusqu'à un certain 25 décembre. Pour être plus complet, le problème de l'induction pourrait faire l'objet d'un livre entier : car Hume a tort, nous ne nommons pas cause et effet toutes les conjonctions répétées. Si chaque fois que j'ouvre les volets je me trouve en face de mon voisin qui fait de même, je n'en suis pas la cause. Il manque donc quelque chose à son analyse.
La déduction semble une meilleure méthode pour affirmer des lois puisqu'elle ne s'appuie pas sur la répétition mais sur les inférences logiques. Mais peut on être sûr qu'une théorie scientifique est vraie ? Après tout on ne peut jamais créer autant d'expériences que possible, dans tout l'espace et toute l'éternité pour  vérifier si elle reste vérifiée ! La nécessité vient de l'esprit, pas de la nature. Pire il est des objets des sciences qui ne permettent pas de configurer les expériences voulues : alors je prend une planète, je la mets là... Alors comment vérifier la validité d'une théorie ?

La réponse est simple : c'est impossible. La seule possibilité qui nous est offerte consiste à vérifier, lorsqu'une expérience est possible, que les faits observés sont conformes à la théorie. Mais l'observerait-on mille fois qu'on retomberait dans l'induction pour dire : vous voyez cela s'est produit mille fois donc...En revanche, comme Karl Popper l'a montré dans "La logique des découvertes scientifiques" il est possible de prouver qu'une théorie est fausse. Popper va même plus loin : si une hypothèse n'est pas réfutable, c'est à dire qu'on ne pourra jamais par construction trouver des faits qui puissent l'invalider, alors ce n'est pas une théorie scientifique. C'est ce qu'il dira du Marxisme, dont la logique systémique fournira toujours une bonne réponse aux faits observés quels qu'ils soient.

Mais Popper sera lui aussi mis en question, par exemple par Thomas Kuhn dans "La structure des révolutions scientifiques" en 1962, dans lequel il démontre que les grandes révolutions scientifiques, comme celle de Copernic ou de Newton, ne se produisent jamais par réfutation, mais par un changement complet de paradigme chez les chercheurs.
Alors continuez de faire les courses, mais attention, un jour le magasin ne sera peut être plus là.



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