mercredi 23 décembre 2015

Deux droits


"Les trois angles sont égaux à deux droits". Théorème ressassé en philosophie. Il s'agit en clair d'énoncer que la somme des angles d'un triangle est égale à deux (angles) droits c'est à dire 180 degrés. Ce théorème , est mainte fois repris pour évoquer l'idée que l'esprit, face à une vérité de cette nature, doit s'incliner nécessairement. Ce jugement est apodictique, nécessaire, il ne peut pas ne pas être. Tous les hommes doivent  accepter cette vérité universelle de l'esprit. Ils peuvent se quereller pour estimer la couleur de cette fleur ou de ces feuilles, selon l'expérience qu'ils en ont, mais pas sur les démonstrations mathématiques.
Les idées "claires et distinctes" de Descartes ou les jugements a priori de Kant, comme les théorèmes mathématiques, ne proviennent pas, pour ces rationalistes, de l'expérience :  ils sont basés sur des capacités innées de notre esprit.

Pourtant angle, ligne, degré sont des mots de la langue. Langue apprise même si l'on affirme comme Chomsky que les structures du langage sont innées.
Aucune "vérité" complexe ne peut s'exprimer hors de la langue, et toute langue entretient un rapport avec la réalité. Les théorèmes mathématiques sont exprimés avec des symboles, une grammaire, un système formel, autant d'éléments partagés et qui ne surgissent pas de façon innée dans l'esprit.  Pour estimer le vrai ou le faux il nous faut donc une proposition, une pensée, dans un certain langage. Mais ce n'est pas la langue qui donne le critère du vrai ou du faux, ce qui nous apparaît comme "vrai" plutôt que "faux" provient bien de l'assentiment  que donne notre esprit à une proposition, un syllogisme ou bien à l'adéquation du concept et de l'objet. Il n'y a rien de faux dans la nature, donc rien de vrai. La vérité n'est pas un phénomène naturel.
Existe-t-il des propositions vraies de toute évidence ?

Le principe de non contradiction, énoncé par Aristote, il est impossible qu’une seule et même chose soit, et tout à la fois ne soit pas... ne se démontre pas rationnellement, il est axiomatique. Par ce principe, par exemple, une même chose ne peut être en même temps blanche et non blanche, ou exister et ne pas exister. Le contraire ne nous est pas concevable, cela heurterait notre sens logique,  et  ne s'accorderait pas avec ce que nous constatons de la réalité. Mais ce que nous constatons de la réalité provient de la manière dont traitons les sensations. Les sensations externes sont le "donné" que notre esprit catégorise a priori, selon Kant, via notre entendement pour produire des concepts se rapportant à la nature. Le monde nous est intelligible uniquement parce que nous lui donnons sens par l'intermédiaire des concepts d'effets et de causes, de permanence,  de possible et d'impossible etc. sans quoi le monde ne serait qu'un chaos de couleurs et de bruits. Autrement dit ce n'est pas la réalité qui nous impose le principe de non contradiction, mais nous sommes "cablés" pour considérer qu'une chose ne peut exister et ne pas exister en même temps, sans quoi aucune expérience ne serait possible. Nous sommes également "cablés" pour étiqueter comme "vraies" ou "fausses" nos pensées par la façon dont nous reconstruisons la réalité.

Pourquoi avons nous besoin des catégories "vrai" et "faux", puisqu'elles n'existent pas dans la réalité ?  Pour l'école pragmatique, la "vérité" exprime le rapport au monde qui  permet d'opérer sur lui utilement, inversement sera catalogué comme "faux" tout processus qui n'arrive pas à la fin visée.
Ainsi William James, philosophe pragmatique, déclare-t-il dans "Le pragmatisme" en 1907:

" Ce qui pour nous serait le meilleur à croire " : voilà qui ressemble assez à une définition de la vérité ! C’est à peu près comme si l’on disait : " Ce que nous devons croire ". Or, dans cette seconde définition personne ne verrait rien d’étrange. Aurions-nous jamais le devoir de ne pas croire ce qui est pour nous le meilleur à croire ? Et pouvons-nous maintenir éternellement séparées la notion de ce qui est pour nous le meilleur et la notion de ce qui est vrai pour nous ?
Non! — répond le pragmatisme; et je réponds de même."





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