mercredi 30 décembre 2015

Les dessous de la déchéance

La future révision constitutionnelle vise, entre autre, à modifier l'article 34 de la constitution. Il s'agit d'ajouter une mesure de déchéance de nationalité étendue à ceux qui commettent des actes "terroristes" nés français de parents étrangers en France. Elle n'aura que des conséquences négatives et j'espère qu'elle ne sera pas votée. Pourquoi ?
Tombent sous le coup de la nouvelle mesure les auteurs d' actes terroristes :
-  qui ont acquis la nationalité française depuis moins de quinze ans, ou qui ont commis l'acte avant cette acquisition.
-  dont la nationalité française a été attribuée à leur naissance, donc nés français, parce que l'un de leurs parents étrangers est né en France.
Ce projet de loi est en effet discriminatoire, comme l'est déjà l'article 25 du code civil,  car seuls ces deux catégories sont susceptibles, à crime égal, de se voir retirer leur nationalité française, alors qu'il est impossible de la retirer à un français d'origine (né d'un parent français ), qui sinon deviendrait apatride. L'article 23 de la loi 98-170 du 16 Mars 1998, ou loi Guigou, qui précise l'article 25, empêche la déchéance quand elle crée des apatrides.
Mais ce projet ne peut être qualifié d'injuste qu'à cause de cette discrimination, discrimination qui existe déjà dans l'article 25 du code civil, pour les naturalisés qui peuvent être déchus de leur nationalité française. D'où l'argument du gouvernement qui veut rétablir une "égalité" pour la déchéance parmi les bénéficiaires du droit du sol, entre nés français et naturalisés, créant en même temps une nouvelle inégalité, entre français d'origine et les autres.

Pourquoi n'est-il pas injuste, dans l'absolu, de renier l'appartenance à une communauté politique ?

 Qu'est ce que l'appartenance à une communauté politique ? L'appartenance fait partie des biens, mais elle constitue un bien particulier, puisque tous les membres de la communauté possèdent ce bien par définition. (Sphere of justice, Michael Walzer, chap. 2) . Elle suppose l'adhésion aux valeurs de cette communauté, le respect des liens qui l'unisse et une compréhension partagée de ce que sont les biens et leurs mécanismes de distribution. L'appartenance ne vient pas de critères génétiques, elle n'est pas attachée au corps. Si les enfants des membres en héritent, c'est moins par filiation que par nécessité de régénération. Le meilleur moyen de faire persévérer la communauté et ses valeurs c'est de profiter d'une "tabula rasa", pour y imprimer le sceau du lien communautaire qui existe chez les parents et les autres membres. Inversement si un des membres de la communauté prend pour objectif la destruction de celle ci et la disparition de ses membres, tout en adhérant à une autre communauté ennemie alors l'individu rompt le contrat social, de la manière la plus violente qui soit. Il ne remplit plus les critères d'appartenance, il ne peut plus faire partie de la communauté politique.La déchéance de nationalité serait donc une conséquence logique pour celui qui retourne les armes contre les siens pour le compte d'une armée étrangère. La première justification d'un état se trouve dans la nécessité de se regrouper pour unir ses forces et se défendre, ce qu'illustrait il y a peu l'existence d'un service national pour apprendre aux jeunes d'une classe d' âge à défendre le pays. On ne devrait pouvoir obtenir ni conserver la nationalité associée à tel un état si l'on s'engage dans l'armée adverse d'un état en guerre dans le but de tuer ses compatriotes.

Mais cette mesure ne serait juste que si elle concernait tous les citoyens, ce qui n'est pas possible à cause de la loi de 1998 sus-citée, elle même conforme à la déclaration universelle des droits de l'homme. En d'autre temps ce crime était encore plus lourdement sanctionné, puisque le traître à la nation était fusillé. Après avoir déclaré le pays en guerre, il semble que l'on ne soit pas parvenu jusqu' à l'idée qu'il faille des tribunaux militaires. Autre temps, autre moeurs.

Outre la discrimination et donc l'injustice, une des conséquences possibles de cette modification de la constitution pourrait être le retour sur notre territoire de terroristes français déchus de leur seconde nationalité et renvoyés par des pays qui adopteraient le même genre de lois par une sorte d'esprit de revanche. Cela irait à l'exact opposé de l'effet prévu par la loi.Une autre conséquence,  c'est le sentiment de stigmatisation pour les populations concernées, d'être des français de seconde catégorie, ce qu'elles éprouvent déjà sur le marché du travail, comme l'indique ce graphique de l'Institut Montaigne :
Il faut aussi imaginer, la situation où un terroriste, français d'origine, est capturé avec un autre terroriste, français par acquisition, qui auraient commis exactement le même crime et qui, français tous deux, auraient des sentences divergentes, qui contrevient au droit français. Mais ce dilemme peut exister aujourd'hui indépendamment de la révision constitutionnelle, simplement à cause de l'article 25.

Si les récents sondages montrent que les français adhèrent dans une large majorité à ce projet, c'est parce qu'ils estiment que ce bien : l'appartenance à la communauté, doit être ôté à ceux qui font acte de terrorisme et pour qui la loi le permet. Ils estiment que le droit du sol continue de s'appliquer, puisque personne n'est "obligé" de devenir terroriste. Ils considèrent que l'article 25 du code civil jusqu'ici n'a posé de problème à personne, et que l'étendre à quelques uns n'en pose pas plus. Mais ils pensent certainement aussi que devenir français quand on est né de parent étranger n'est pas équivalent à devenir français lorsqu'on naît de parent français. Voilà le non-dit qui court derrière tous les arguments "politiquement corrects", le sujet qui n'est pas abordé. Dans le droit c'est équivalent, dans les faits il faudrait tout au moins le souhaiter.  Il faudrait également être aveugle ou angélique pour ne pas constater les problèmes d'intégration posés aujourd'hui, de la minute de silence aux victimes de Janvier refusée, à l'insulte pour celle qui porte une jupe dans les cités ou pour celui qui est un "sale blanc", jusqu'aux progrès du radicalisme dans la communauté musulmane et l'augmentation régulière de l'antisémitisme. Ne pas voir la ségrégation, ce serait également faire injure à celui qui s'appelle Mohammed et qui doit envoyer trois fois plus de CV que celui qui s'appelle Michel pour obtenir un emploi, ou celui qui se voit contrôlé dix fois par jour à cause de son lieu d'habitation. La nationalité ne donne malheureusement pas les clefs pour l'appartenance, c'est pourquoi le communautarisme se développe.
Il faudrait comprendre que ce n'est pas en révisant la constitution que ces problèmes vont disparaître, au contraire...


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