dimanche 31 janvier 2016

Orchestre

Devenir musicien classique professionnel tient de la vocation. Très tôt il faut s'astreindre à une pratique, au moins au début, ingrate. Souffrir à répéter des exercices sans en pressentir les bénéfices futurs. Apprendre un nouveau langage, le solfège,  sans pouvoir le parler à personne. Recommencer encore et toujours pendant des années. Puis un jour atteindre le plaisir que donne une technique oubliée au bénéfice de la musique pure. Avant d'assouvir sa passion totalement le virtuose doit grandir avec son instrument, sacrifier des plaisirs immédiats à des succès futurs. Plus que n'importe quel art la musique nécessite pour être délivrée un apprentissage de haut vol. L'effort persévérant au long cours qui atteint son but entraîne toujours l'admiration.
Écouter un concert classique dans lequel des professionnels de la musique réunis délivrent ensemble l' œuvre d'un compositeur procure une expérience sans équivalence. Aucun métier, aucune œuvre collective n'arrive à ce degré d'intégration. Cet entrelacs d'une centaine de vies laborieuses et talentueuses qui se réunissent en demi cercle pour synthétiser la création d'un artiste me stupéfie. Tout se passe comme si le condensé de ces vies d'apprentissage nous était restitué en une heure. Un immense respect leur est du : ils illustrent durant un cours moment l'idéal du lien que nous aimerions trouver en société. Une collaboration idéale enchevêtre le jeu de chacun avec les autres. Le chef d'orchestre veille au respect du plan, la partition, souvent conçue des années auparavant dans une toute autre société ou culture, et scande le travail de chacun au bénéfice de tous. Mais la magie du concert ne réside pas seulement dans ce miracle de savoir faire et de coordination. 
La musique relève de la passion, elle touche au plus profond de l'être. Le concert symphonique combine une multiplicité de timbres, de rythmes , de modulations, d'intensités, qui sont absorbés délicieusement en pleine communion par les spectateurs. Le suc merveilleux distillé par les instruments ne résulte pas seulement d'un travail mais de siècles de composition musicale qui ont sélectionné les plus grands créateurs. L’œuvre elle même témoigne de la sensibilité, de la souffrance ou de la joie ressenties pendant l'existence de l'artiste. Et chaque spectateur vibre et ressent ce miracle différemment. Etonnant de constater que tant de normes pour coder la musique, tant de technique pour fabriquer et utiliser les instruments ou pour construire la salle, puisse générer tant d'émotion.

samedi 30 janvier 2016

habit et habitus

Peut on dans l'espace public , en France, de nos jours se vêtir à sa guise ? De prime abord il semble que le choix des vêtements ne soit conditionné par aucun article de loi, hormis celui de 2010 sur le voile intégral . 
Constatons en premier lieu qu'il s'agit d'un besoin primaire. Nous devons nous couvrir pour affronter les frimas d'une part et pour cacher certaines parties de notre corps d'autre part. Cette dissimulation sert de métaphore quant à la vérité "toute nue" qui serait "voilée", ce qui invite inversement le vêtement à basculer du côté du mensonge, du non dit ou du flou apposé sur la réalité comme lorsqu'on parle du "voile de Maya".
Hormis cela libre à chacun de s'affubler comme il l'entend, ensemble monotone ou diversité bariolée, costume moulant ou manches bouffantes, toile de bure terne ou chemise à paillette, pantalons au milieu des fesses ou short de sport. D'aucuns affectionnent le coton ou  le lin pour leur naturel et leur douceur, d'autres préfèrent le synthétique pour son prix, certains choisissent la soie et beaucoup n'ont cure de la matière qu'ils portent. Chez les couturiers le vêtement est le lieu de la création, l'audace devient la norme, l'art le but. Aucune barrière n'est infranchissable, la transgression guide nos génies des défilés.

Mais ce que le silence de la loi autorise, le poids des conventions l'empêche. Très souvent le costume de chacun s'impose. Nombre d'institutions , le mariage, les funérailles ne peuvent être conçues sans les tenues idoines, blanc dans un cas, noir dans l'autre. Les pompiers, les policiers, les soldats n'ont pas le choix de leur tenues.
Tentez d'arriver dans la banque où vous travaillez comme conseiller clientèle en sandalettes, marcel, et short en dessous du genou, vous risquez fort de subir quelques remontrances, à la fois de la part de la hiérarchie et de celle des clients. Participez avec la même tenue à une conférence de développeurs Apple à San Francisco et personne ne vous remarquera. Ainsi certains emplois s'attachent un code vestimentaire implicite, et même quelquefois explicite : un maître nageur sauveteur en piscine ou sur la plage ne peut pas choisir de garder ses chaussures de ville. La natation implique une contrainte forte sur le vêtement, mais dans d'autres cas le code vestimentaire provient simplement de l'usage : il est prohibé de s' habiller tout en noir pour travailler en hôpital , ou en blanc immaculé pour le travail dans une mine, pourtant rien n'indique que cette contravention à l'habitude puisse altérer la qualité des gestes effectués, seule une conformation à la coutume définit comment s'habiller en fonction du métier. Mais la conformité, la norme, débordent largement le cadre de la profession. Pour un homme porter un tutu et une couronne de laurier pour aller faire son marché peut au mieux attirer les rires et les quolibets, au pire entraîner un internement. Pour une femme sortir le torse nu en ville serait interprété comme une manifestation d'un problème psychique ou une déficience mentale. Intervertir les codes vestimentaires masculins et féminins ne peut advenir dans la vie courante que dans le cadre d'une coutume établie, tel un carnaval, ou sinon doit être considéré comme un signe pathologique. La norme peut simplement provenir de la raison commune. Tout écart sera interprété comme déviance : mettre un anorak avec une capuche poilue en pleine canicule ou se promener en short et tee-shirt en plein hiver risque de vous conduire directement à Saint Anne.
Essayez de louer un costume de gardien de la paix pour vous promener gaiement en ville en chantant à tue-tête, ceci indépendamment de la saison. Vous risquez fort de passer au tribunal pour vous être fait passer pour un agent de la force publique. La norme, la coutume vous impose négativement de ne pas sélectionner tel ou tel type de vêtement.
Chacun par ses choix vestimentaires, adhère positivement à une tribu, un esprit, une tendance, une époque et même une nation. L'habit fait le moine. Il désigne l'appartenance à une communauté. Tel le mot à qui on associe une signification, l'apparence doit signifier l'être. Je m'habille donc je suis. Mes vêtements m'assignent une place : "se faire tailler un costard" équivaut justement se faire remettre à sa place. L'habit fait partie littéralement et sémantiquement de l'habitus. Lors d'une guerre, le soldat revêt un uniforme qui le classe dans un camp,  et l'autorise à tuer celui qui ne porte pas le même uniforme que lui. Ce simple tissu symbolise alors la mort qui rode. Le ( la) salafiste  porte une sorte d'uniforme qui manifeste son adhésion aux respect des règles strictes qui encadrent sa vie. Il illustre aussi la fonction cache sexe du vêtement qui peut à l'inverse attiser le désir. Le choix du vêtement laisse une certaine part de liberté, mais son absence totale, la nudité, est interdite.
Bien que l'homme soit né nu, il a cet avantage sur l'animal de pouvoir changer de "peau". Comme le dit Aristote "l'animal dort chaussé" alors que l'homme peut retirer ses chaussures pour dormir. Nous pouvons au gré des saisons et des climats adapter nos habits, modifier notre apparence, alors que l'ours, le sanglier ou le chien doivent suer sous la chaleur à cause de leur toison épaisse. Mais cet avantage disparaît lorsque la norme sociale contraint le corps par le port du corset ou de la cravate indépendamment des températures.

Étendard, masque, signe distinctif, œuvre d'art, catalyseur sexuel, le vêtement oscille entre liberté et conformité, imagination et affiliation.

jeudi 21 janvier 2016

La solidarité, en l'absence de politique.

 Durkheim dans "la division sociale du travail" explique que le lien social que crée la coopération réciproque peut se voir comme une solidarité. La solidarité "organique" est une métaphore  des organes corporels qui ne peuvent se passer l'un de l'autre. La solidarité mécanique forme l'image des liens qui unissent les membres d'une société par le biais de leurs usages communs, de leurs coutumes, de leur culture. Solidarité organique et mécanique, chacune par son effet distinct, cimentent la société.
Aujourd'hui, par glissement sémantique, la solidarité ne recouvre plus du tout la définition de Durkheim. Son horizon s'est élargie au delà des syndicats, des partis, de la nation pour atteindre les rivages lointain. A partir de 1975, et pendant des années, à cause du changement de régime au sud et de l'établissement d'un pouvoir communiste, trois millions de vietnamiens fuient leur pays en bateau. Ils sont appelés les "boat people". Les Nations Unies chiffrent à 200000 les personnes qui perdent la vie par ces embarcations de fortunes. La France, ancienne puissance coloniale qui se sent coupable, lance alors un mouvement de "solidarité" via ses intellectuels. Se crée à cette occasion l'organisation "Médecins du Monde", sorte de solidarité mondiale avec les peuples les plus démunis de la planète. L'effacement du politique et l'élargissement phénoménal de la solidarité fait apparaître l'Humanitaire.
En 2011 survient la guerre civile en Syrie. Le conflit a fait au moins 300000 morts et cinq millions de personnes ont été déplacées. On a vu resurgir les boat people sur des rafiots de fortune qui tentent d'atteindre l'Occident. Là encore l'impuissance politique de la communauté internationale à pouvoir éteindre la guerre civile est remplacée par la dimension humanitaire. Puisque nous ne savons pas comment rendre la paix dans ce pays nous devons accueillir des millions de réfugiés, augmentant en Europe les tensions et les risques de guerre civile. La solidarité n'est d'ailleurs pas générale : les états-unis qui ont facilité l'émergence de l'EI en détruisant l'Irak en 2003, laissent l'Europe seule.
Comme Pascal le remarque, lorsqu'on franchit la barrière naturel des ordres , corps, esprit, charité, on crée de l'injustice. Vouloir forcer les gens à s'aimer, par la politique, c'est tyrannique.
Ce n'est pas l'amour qui est garant de paix, c'est la politique.


mercredi 20 janvier 2016

Un emploi, pourquoi faire ?

Quand on y regarde de près personne ne désire un emploi.
A travers l'emploi, nous recherchons des moyens de nous procurer des biens que nous ne pouvons obtenir autrement. L'emploi ne constitue pas un bien par lui même mais il rend possible d'assurer les besoins élémentaires, de garder une certaine autonomie et de pouvoir construire des projets pour les besoins secondaires.
Nous désirons principalement subvenir à nos besoins primaires qui sont biologiques : s'abriter pour échapper aux aléas climatiques et dormir au chaud, se nourrir, rester sain de corps et d'esprit, se reproduire. Puis nous désirons vivre à l'image des autres, obtenir les mêmes biens, ce qui nous amène à orienter nos vies de manière identique. Les besoins biologiques de l'humanité ne changent pas alors qu'une partie des besoins secondaires évoluent. La vie sociale appartient au socle invariant à la base de ces biens, mais la technologie offre l'occasion de créer en permanence de nouveaux besoins associés ou non à la vie sociale . Parmi ceux ci certains concernent notre biologie : une santé améliorée, une vie plus longue, d'autres se classent plutôt dans le confort: l'automobile, la télévision, le téléphone mobile.
A divers moments de nos vies nous ne cherchons ni n'obtenons "d'emploi". Les besoins du jeune sont pourvus par ses parents et par la collectivité, il apprend pendant sa prime jeunesse à utiliser les biens qu'on lui fournit, jeux, vêtements, connaissances, qui vont bientôt lui apparaître comme indispensables. Il y a peu il passait ensuite dans le giron de l'armée qui le prenait en charge pendant un an ou plus et couvrait ses besoins primaires. L'université le transporte jusqu'à l'âge où il devient adulte. Adulte qui après sa vie professionnelle peut vivre encore une trentaine d'année en dehors du circuit de "l'emploi". Bien que le travail féminin se soit répandu dans la société après guerre il reste encore de nombreuses femmes dont la vie est rythmée par les occupations domestiques et qui ne travailleront jamais. Jeunes, mères de famille et retraités composent 43,5% de la population.
Nous somme très pauvres ou désocialisés quand nous n'arrivons pas à couvrir les besoins primaires :  c'est le cas du SDF. Parfois des gens qui ont un abri n'ont pas suffisamment pour se nourrir, ou encore ne peuvent pas se soigner.
Nous nous estimons pauvres lorsque nous n'avons pas de télévision, de téléphone, ou de voiture (ce qui constitue un cercle vicieux à la campagne puisqu'il faut travailler pour acheter une voiture et avoir une voiture pour aller travailler). Le transport fait partie de nos besoins secondaires, mais néanmoins importants : il intervient dans la chaîne d'activités qui permet de se procurer des biens provenant d'ailleurs qui autrement devraient être fabriqués dans notre proche entourage. Il est aussi constitutif de la vie sociale, qui resterait limitée à une zone géographique limitée par les capacités du corps humain.
Les besoins primaires, peuvent à la limite être pourvus, sans vie sociale, en vivant en autarcie. Mais dès que l'autarcie ne peut suffire, la coopération, donc la vie sociale, devient nécessaire. Se faire soigner implique de faire appel à quelqu'un qui connaît la médecine, se reproduire hors de son groupe incite au déplacement vers d'autre communautés.
 Durkheim dans "la division sociale du travail" explique que le lien social que crée la coopération réciproque peut se voir comme une solidarité. La solidarité "organique" est une métaphore  des organes corporels qui ne peuvent se passer l'un de l'autre. La solidarité mécanique forme l'image des liens qui unissent les membres d'une société par le biais de leurs usages communs, de leurs coutumes, de leur culture. Solidarité organique et mécanique, chacune par son effet distinct, cimentent la société.

La difficulté que nous affrontons avec la disparition progressive de l'emploi, corollaire de l'envahissement des automatismes, et bientôt des co-bots ( collaborative robots),  provient de la disparition de la solidarité organique que vivent les chômeurs, ainsi que l'amenuisement de leur capacités à se procurer des biens secondaires.
Nous devons trouver des formes d'organisations nouvelles dans lesquelles le sans emploi offre ses compétences gratuitement aux entreprises, et lui permettre en retour d'acquérir des biens secondaires grâce à un salaire de la collectivité.
Comment financer ce salaire ? Aujourd'hui les chômeurs touchent leur allocation sans travailler, il suffirait la conditionner, après une courte période, à un emploi "gratuit". Les entreprises devraient retourner à l'état une partie de la valeur crée et s'engager à garder le travailleur pour une durée déterminée.





mardi 19 janvier 2016

La défaite de la pensée

Il y a t-il une opposition entre pensée et culture ? 
Doit on admettre un relativisme culturel où tout se vaut ou bien faut il considérer la pensée comme un moyen commun d'aller au delà de sa propre culture ?
Cette question est posée dans "La défaite de la pensée" d'Alain Finkielkraut, qui distingue "ma culture" de la "Culture". La première est déterminée malgré moi par mon pays, ma langue, mes usages, le poids de l'histoire. La seconde provient de l'éducation qui m'apprend le sens critique et me permet de m'élever en montant "sur l'épaule des géants" et en pensant par moi même . 
L'ouvrage examine la source de ces deux notions, dont la première fut portée au pinacle par le romantisme allemand et la seconde fut transmise par les Lumières.

Pour Herder, auteur en 1774 de "Une autre philosophie de l'histoire", la culture provient d' un "enracinement de l'esprit", qu'il nomme "Volksgeist" . Le terroir, les moeurs, les coutumes, la religion déterminent les valeurs des hommes et de la nation, et pour le romantisme allemand rien ne peut s'imposer comme supérieur. "Loin que l'homme soit de tous les temps et de tous les pays, à chaque période historique et à chaque nation de la terre correspond un type spécifique de l'humanité." résume A.F. Herder ne pense pas que l'Histoire soit rationnelle comme Voltaire ou plus tard Hegel," il n'y a pas de victoire progressive de la raison sur la coutume ou les préjugés.". Pour lui Les lumières commettent un pêché d'orgueil en voulant imposer à tous la volonté d'une seule nation prétentieuse. Il faut défendre le génie national : folklore, langue germanique pure, esprit de la nation, Pour A.F. : "Herder vint et fit condamner par le tribunal de la diversité toutes les valeurs universelles". 
Une toute autre conception de la nation s'affirme lors de la révolution française.
Pour les révolutionnaires français, la nation repose sur un pacte social, non sur une hiérarchie imposée par l'histoire ou la religion mais sur l'adhésion des "associés" qui affirment leur autonomie. Cet objectif de  "sortir de l'état de minorité" comme l'appelait Kant, proposé par les Lumières se résume pour lui à: "Sapere aude" ou "aie le courage de te servir de ton propre entendement". 
Mais pour les contre-révolutionnaires  et les conservateurs comme Joseph de Maistre, "une assemblée quelconque d'homme ne peut constituer une nation". La société ne naît pas de l'homme mais l'homme naît dans une société. La nation n'est pas au dessus mais sous l'individu, dans son inconscient. "L'humanité se décline au pluriel".
Cette idée de la nation va de nouveau être remise en question lors de la guerre de 1870.
Lorsque l'Allemagne dépossède la France de l'Alsace et la Lorraine, elle invoque justement la culture commune, la langue, pour justifier cette annexion. Argument auquel Ernest Renan rétorque "...Elle suppose [la nation] un passé : elle se résume pourtant dans le présent à un fait tangible, le consentement, le désir clairement exprimé de continuer la vie commune. L'Existence d'une nation est un plébiscite de tous les jours." et ainsi réintroduit la notion de pacte, issue des Lumières.

Mais c'est munis de ces valeurs universelles des Lumières que les impérialismes vont justifier la colonisation. Ils seront déjugés par Levi Strauss dans "Race et Histoire" qui ne reconnaît pas "une civilisation" trônant au dessus de toutes les autres mais parle de "cultures" qu'on juge inférieures par ethnocentrisme: " Ce qui n'est pas moi - race inférieure ou forme dépassée de l'évolution sociale - est moins bien que moi". Il faut faire le deuil de l'universalité, pour Levi Strauss  "les hommes les plus néfastes sont ceux qui se considèrent comme les détenteurs exclusifs de la rationalité."

Par une analyse structuraliste et s'inspirant de Marx, la sociologie, va étendre cette relativité des cultures aux classes dans la société. Et "ce n'est pas la supériorité intrinsèque de ses productions" qui rend une culture prééminente, mais la domination d'une classe sur les autres. "Cultiver la plèbe c'est l'empailler, la purger de son être authentique pour la remplir aussitôt avec une identité d'emprunt, exactement comme les tribus africaines se retrouvent affublées d'ancêtres gaulois, par la grâce du colonialisme" pense-t-elleOr d'après les structuralistes les différences ne doivent pas être affublées de "valeurs".

Il y a donc un retour romantique à la notion de culture. "La philosophie de la décolonisation combat l’ethnocentrisme avec les arguments et les concepts forgés dans sa lutte contre les lumières par le romantisme allemand" nous dit l'auteur. Les mouvements de libération ont préféré "l'identité culturelle" au "plébicite de tous les jours". "Comme les chantres anciens de la race, les fanatiques actuels de l'identité culturelle consignent les individus dans leur appartenance. Comme eux ils portent les différences à l'absolu et détruisent au nom de la multiplicité des causes particulières, toute communauté de nature ou de culture entre les hommes"

"A chaque peuple sa personnalité culturelle", voilà également l'antienne qui sert de base à ceux qui dénonce l"invasion" de notre pays, qui se nomment "nouvelle droite"."Ce qu'ils veulent c'est soustraire l'Europe à l'influence nocive d'usages étrangers, c'est préserver l'écart différentiel de leur société avec le monde extérieur". "Racisme sans race, tiers mondisme inversé, ils prétendent que les humanités sont plurielles et que l’abîme entre elles est infranchissable" dénonce A.F.
Est il possible d'avoir une autre idée de l'Europe, de la France, de la culture?
Pour A.F. "La France ne se réduit pas à la francité, son patrimoine n'est pas composé, pour l'essentiel de déterminations inconscientes ou de modes d'être typiques et héréditaires mais de valeurs offertes à l'intelligence des hommes".

Les partisans d'une société multiculturelle considèrent qu'il faut respecter les gens tels qu'ils sont, avec leurs enracinements. Mais jusqu'où va l'amour du prochain ? " Existe t-il une culture où l'on inflige aux délinquants des châtiments corporels , où la femme stérile est répudiée et la femme adultère punie de mort, où le témoignage d'un homme vaut celui de deux femmes où une sœur n'obtient que la moitié des droits de succession de son frère, où l'on pratique l'excision, où les mariages mixtes sont interdits et la polygamie autorisée, l'amour du prochain commande expressément le respect de ces coutumes".  Ainsi le relativisme culturel, pendant du multiculturalisme, nous conduit à respecter l'asservissement de l'autre que nous refusons pour nous: " Le relativisme débouche sur l'éloge de la servitude".
 "Traiter l'étranger en tant qu'individu ce n'est pas l'obliger à calquer toutes ses conduites sur les façon d'être en vigueur chez les autochtones, et l'on peut dénoncer l'inégalité entre hommes et femmes dans la tradition islamique sans, pour autant , vouloir revêtir les immigrés musulmans d'une livrée d'emprunt ni détruire leurs liens communautaires. Seuls ceux qui raisonnent en terme d'identité ( et donc d'intégrité ) culturelle pensent que la collectivité nationale a besoin pour sa propre survie de la disparition des autres communautés".












samedi 16 janvier 2016

Cologne ou la Naissance de la tragédie

En 1872 Nietzsche écrit "La naissance de la tragédie", œuvre qui fonde la tragédie grecque comme rencontre "des deux mondes esthétiques distincts du rêve et de l'ivresse, dont les manifestations physiologiques offrent une opposition correspondant à celle de l'apollinien et du dionysiaque".
Alors que l'apollinien implique l'individu et son apparence, le dionysiaque se rapporte à l'oubli de soi dans le collectif, la musique et l'alcool. Ce dernier est représenté par le satyre, "l'emblème de cette toute puissance sexuelle de la nature que le Grec avait toujours considérée avec stupeur et respect".
Le satyre repousse toutes les illusions, il est "l'homme vrai" qui s'oppose à l'homme civilisé qui trompe son monde et se trompe lui-même en dissimulant ses instincts. Tout comme le chœur satyrique "renvoie une image plus vraie, plus réelle et plus complète de l'existence que ne le fait l'homme civilisé dans sa propension à se croire l'unique réalité".
Se retrouvent alors dans l'antique théâtre grec les spectateurs autour du chœur des servants de Dionysos :
"Mais il ne faut pas oublier non plus que le public de la tragédie attique se retrouvait effectivement lui même dans le chœur de l'orchestre et qu'il n'y avait au fond aucune opposition entre chœur et public car tout n'était qu'un sublime et gigantesque chœur de satyres chantant et dansant ou tout au moins d'hommes tels qu'ils acceptaient représentés par ces satyres".
A l'opposé de ces pulsions sombres se déchargeant depuis le chœur, la scène apporte la lumière :
"Dans la part apollinienne de la tragédie grecque, dans le dialogue, tout ce qui affleure à la surface parait simple, transparent et beau."

Si ce qui c'est passé à la gare de Cologne est une tragédie, cela n'a rien d'une oeuvre d'art.

vendredi 15 janvier 2016

L' autre état islamique

Les 30 et 31 Mars 1979 , les iraniens répondaient à la question du référendum "voulez vous un état islamique" ? Le vote a subit des pressions, ce qui explique le score de 98% de "oui",  on ne sait donc pas si les iraniens étaient en majorité favorables à un nouveau régime conduit par l'ayatollah Khomeiny. Le conseil révolutionnaire, composé en majorité de religieux, impose sa loi au gouvernement provisoire.
Le 31 décembre 1979 un autre référendum a lieu et une nouvelle constitution s'instaure qui donne le pouvoir au guide suprême sur un pays de 37 millions d'habitants.
Le guide suprême, chiite, veut propager la révolution islamique, ce qui n'est pas du goût de l'Irak voisin, dirigé par un sunnite, qui est un régime laïque. L'Irak et l'Iran entament une guerre de 10 ans qui fera entre 500000 et un million de morts. Cela refroidira le guide qui sans cela aurait entamé la guerre sainte :"La guerre sainte signifie la conquête des territoires non musulmans. Il se peut qu'elle soit déclarée après la formation d'un gouvernement islamique digne de ce nom, sous la direction de l'Imam ou sur son ordre. Il sera alors du devoir de tout homme majeur et valide de se porter volontaire dans cette guerre de conquête dont le but final est de faire régner la loi coranique d'un bout à l'autre de la Terre." déclare t-il.
Le régime est nommé "République" mais dans les écrits de Khomeiny on remarque sa vision particulière :"Le gouvernement islamique ne peut être ni totalitaire ni despotique, mais constitutionnel et démocratique. Dans cette démocratie, pourtant, les lois ne dépendent pas de la volonté du peuple, mais uniquement du Coran et de la Sunna du Prophète." , ce qui n'a évidemment rien à voir avec la définition d'une démocratie dans laquelle le peuple est souverain.

Il présente son idée de la justice :"Il faut châtier les fautes par la loi du talion : couper la main du voleur, tuer l'assassin et non pas le mettre en prison, flageller la femme ou l'homme adultère...Au terme de la loi coranique, n'importe quel juge réunissant sept conditions : être pubère, croyant, connaître parfaitement les lois coraniques, être juste, ne pas être atteint d'amnésie, ne pas être bâtard ou de sexe féminin, est habilité à rendre la justice...donner 80 coups de fouet à un buveur de vin ou 100 coups de fouet à l'homme ou la femme adultère, lapider la femme adultère si elle est mariée.." 

Et sa vision apaisée de la politique internationale : "Tout pouvoir laïque, quelle que soit la forme sous laquelle il se manifeste, est forcément un  pouvoir  athée,   œuvre  de Satan; il est de notre devoir de l'enrayer et de combattre ses effets. Le pouvoir « satanique » ne peut engendrer que la « corruption sur la terre », le mal suprême qui doit être impitoyablement combattu et déraciné. Pour ce faire nous n'avons d'autre solution que de renverser tous les gouvernements qui ne reposent pas sur les purs principes islamiques, et sont donc corrompus et corrupteurs; de démanteler les systèmes administratifs traîtres, pourris, tyran-niques et injustes qui les servent.  C'est non seulement notre devoir en Iran, mais c'est aussi le devoir de tous les musulmans du monde, dans tous les pays musulmans,  de mener la Révolution Politique Islamique à la victoire finale."
 
En février 1989, Khomeiny publie une fatwa sur Salman Rushdie, écrivain , auteur des "versets sataniques". Il est accusé de blasphème et condamné à mort. La fatwa appelle tous les musulmans à exécuter l'écrivain. L'état renonce à la fatwa 10 ans plus tard. Mais elle réapparait dans le magazine d'Al Qaida(AQPA) en 2013, où l'on peut voir aussi le nom de Charb.

En 2015, des islamistes radicaux ont exécuté la fatwa contre Charb et ses amis au nom d'Al Qaida, puis d'autres, se revendicant de l'EI ont assassiné 139 personnes à Paris avec pour motif d'habiter la capitale des abominations et de la perversion.
L'islamisme politique ne date pas d'hier, et ne vient pas d'une secte.







dimanche 10 janvier 2016

A la recherche de l'intensité perdue


L'intensité recherchée par le spectateur au cinéma se retrouve rarement dans le quotidien. Nous aimerions vivre intensément chaque instant de la vie ordinaire, comme lorsque nous sommes assis devant l'écran. Le cinéma fait vibrer des cordes de notre être que le quotidien ne permet pas de pincer. Amours romantiques, rires en cascade ou affrontements guerriers, le cinéma nous propose virtuellement une existence dont nous sommes le plus souvent privés. Tel un rêve dont nous choisirions le déroulement par avance, le film nous emmène là où nous souhaitons nous rendre, sans changer de place mais en changeant de présent. Magie du projecteur, nous nous rendons en terre inconnue à l'abri de tout danger réel et de conséquences futures. Nulle part ailleurs il n'est possible de sentir une telle intersubjectivité : tous dans la salle nous vibrons à l'unisson et participons de la même expérience.
Du pain et des jeux, et de l'illusion pourrait on rajouter : voilà ce que demande le peuple. Et des jeux, les réseaux et les consoles en regorgent. Certains "adulescents" passent des heures dans un monde virtuel procurant parfois plus de sensations que le monde réel, soit parce qu'il est possible de s'exercer aux pires pulsions : meurtres, vols, deal de drogue, soit qu'on affirme une puissance démultipliée qui conforte l'estime de soi . Le monde virtuel permet aussi l'oubli de soi-même, par des jeux simplistes qui transforment le corps en automate produisant des actions réduites et peu variées. Vivre virtuellement, en héros ou en machine, voilà leur nouveau destin. Leur liberté se résume à choisir la bonne vidéo. Leur projet à trouver le meilleur jeu. Nul besoin de changer le monde, il suffit de plonger dans les mondes virtuels proposés sur Internet. Mais l'"adulescent" ne vit pas cette expérience d'intersubjectivité appréciée dans les salles de cinéma, il reste seul devant son écran, hors de portée physique de ses pairs. La fraternité lui manque sans qu'il le sache.

Les événements de Janvier et novembre, en prenant des vies, ont rendu les nôtres plus intenses. Le rouge du drapeau est devenu plus rouge, le bleu plus bleu. Découvrir ses ennemis a permis de retrouver ses amis. Le mot France a pris de la densité. La monotonie du quotidien, le manque de sens de nos vies, ont été précipités dans la forge d’Héphaïstos et sont ressortis rougeoyants d'histoire et de fraternité retrouvée. Les drames nous ont pris une part de nous mêmes mais au même instant ces quelques moments d'exception vécus nous procurent un supplément d'être. Quelques uns ont cru que les mondes nouveaux vantés sur l'Internet existaient vraiment et qu'ils pouvaient les rejoindre en abandonnant ici leur sentiment de relégation comme un serpent fait sa mue. Ce besoin d'intensité, cette rage de vivre "plus" et le sentiment de maîtriser son destin n'aboutit pour eux qu'à terminer leur vie précocement tout en étant manipulés.

Ce conflit en même temps qu'il répand la mort nous apprend que ni la vie, ni la vérité, ne sortent des écrans. Cette existence densifiée que nous expérimentons n'advient que dans des période graves. Ce que nous recherchons au cinéma se trouve maintenant en nous, cela nous effraie et nous stimule parallèlement. Cette nécessaire intensité et cette fraternité qui manquent à nos vies ordinaires peut nous conduire vers l'erreur et l'horreur de Daesh, ou  bien vers une société qui retrouve ses liens et ses fondements.
Ce bouillonnement ne sera positif que si nous surmontons les terribles clivages en train de naître et si la jeunesse se fabrique d'authentiques projets d'avenir porteurs de vie pour changer le monde.



samedi 9 janvier 2016

l'aura du journaliste

Les journalistes sont-ils à la hauteur des enjeux ? Pour répondre à cette question il apparaît nécessaire de réfléchir auparavant à l'objet du journaliste : l'information et à ses enjeux.
En étant présente, sans la chercher, sur les réseaux sociaux et à la télévision avant tout autre canal , l'information perd son unicité et son aura tout comme l’œuvre d'art, tout d'abord sacrée, a cédé sa valeur cultuelle pour une valeur de représentation par sa reproductibilité technique, jusqu'à intégrer la reproduction elle même comme étant son essence, dans l'art photographique.
Walter Benjamin utilise les concepts d'aura et d'unicité pour montrer dans une analyse qui fait date comment l’œuvre d'art a changé de statut et de contenu par la modification des moyens techniques de sa production d'une part et ceux de sa reproduction de l'autre part.

On observe historiquement que l'information possède également tout d'abord une aura. Qu'elle soit transmise par le bouche à oreille, tel Philippidès annonçant la victoire contre les perses, ou via l'écrit reproductible manuellement. La transmission de l'information va se systématiser, grâce à l'imprimerie, dans le journal "papier". Il offre la possibilité de produire une information brute mais aussi d'élaborer une analyse au dessus des faits, ce qui même si elle est "objective", n'empêche pas les divergences d'appréciation dans chaque journal.
L'aura quitte l'information et se porte sur les grandes plumes, Zola , Hugo.
La fréquence est quotidienne ou hebdomadaire mais limitée par la technique de l'imprimerie. Puis l'invention de la radio change le rythme et la fréquence de l'information qui devient horaire . La radio peut également prendre du recul et du temps de réflexion dans des émissions hebdomadaires, mais sa spécificité technique détermine une tendance à délivrer l'information rapidement. Elle ne possède pas en revanche l'attrait visuel des photographies que l'on trouve dans un journal. Peu après la télévision apparaît qui englobe les caractéristiques de la radio et du papier: fréquence, attrait visuel démultiplié. Les chaînes elles mêmes, grâce à la technique du numérique vont être produites plus facilement, avec moins de moyens, se multiplient et se spécialisent. Certaines ne fournissent que de l'information à tout instant en 24x7. L'aura du journaliste ne fait que diminuer, au fur et à mesure que la disponibilité de l'information s'accentue .
Dans le même temps Internet se répand sur la planète et médiatise aussi bien le papier, que la radio, que la télévision. Il y  ajoute d'autres canaux de diffusions : les applications. Ainsi Instagram, twitter, facebook peuvent relayer des informations agrémentées de texte, de photos, de vidéos et de sons. Puis la technique démultiplie les récepteurs : après l'ordinateur fixe à la maison, ce sont les tablettes puis les téléphones mobiles qui relayent l'information en tout temps, en tout lieux, en toute situation. Les "podcast" éliminent l'avantage papier qui subsistait de la relecture possible. les nouveaux moyens: ordinateurs, smartphone sont utilisés par les nouveaux producteurs d'information qui se multiplient: politiques, artistes, associations, blog de particulier etc.  Dépassé techniquement le journal papier tente de devenir "gratuit", terrible aveu de faiblesse.

Le journaliste, qui trie, met en forme, vérifie, analyse l'information, n'est plus le seul maître à bord, le public croule sous l'information. L'aura du journaliste devient alors négative, elle se reporte sur les médias, on encense Facebook et Twitter. Le journaliste n'est plus ce magicien qui apporte "les nouvelles", comme "l'instituteur" n'est plus le seul à diffuser les connaissances. Les dépêches AFP ou Reuter sont visualisées en temps réel sur Twitter, ainsi que n'importe quelle autre source et sont reproduites ( retweet) à la vitesse du réseau. Dernière étape : les "nouvelles" multimédia sont agrégées dans des "journaux virtuels" par des programmes.

L'article d'un journaliste et ce genre d'informations pêchées sur les réseaux virtuels sont incommensurables. Il ne s'agit pas de la même "information". Ainsi les modes renouvelés de production d'information tel Twitter permettent à tout un chacun de réinventer la réalité, d'où le complotisme qui s'envole, ou de répéter une rumeur à des milliers ou millions d'exemplaires. L'analyse et la pensée sont absentes. Le journaliste qui fait la course au réseau a partie perdue. Seule la réflexion, le recul, le savoir, l'analyse, la pensée en bref l'information de qualité lui permettront de face à ces nouveaux enjeux.


jeudi 7 janvier 2016

nouveaux animaux machines : quelle liberté ?


Dans cette sidérante vidéo, un robot cafard sert de plateforme de lancement à un drone libellule. Jean de La Fontaine, anthropomorphe, donnait au XVIIe la parole aux animaux, et leur faisait manger du camembert. De nos jours les animaux sont pris plus au sérieux. Les ingénieurs habillent les formes animales de technologie et produisent de l'art, de l'image poétique. Regardez au ralenti s'envoler cette chimère électronique diaphane chevauchant son destroyer mécanique, s'agit-il d'un rêve ou d' une image virtuelle?
Non il s'agit bien d'animaux mécaniques. Descartes, citant les automates fabriqués par l'homme, leur comparait "les animaux machines" créé par Dieu comme étant plus complexes et plus parfaits:
"...sachant combien de divers automates, ou machines mouvantes, l'industrie des hommes peut faire, sans y employer que fort peu de pièces, à comparaison de la grande multitude des os, des muscles, des nerfs, des artères, des veines, et de toutes les autres parties qui sont dans le corps de chaque animal, considéreront ce corps comme une machine qui, ayant été faite des mains de Dieu, est incomparablement mieux ordonnée et a en soi des mouvements plus admirables qu'aucune de celles qui peuvent être inventées par les hommes." Descartes, discours de la méthode.
L'aéronef, oiseau de métal, donne tort à Descartes, au moins sur la vitesse atteinte en comparaison de l'oiseau le plus rapide. Épiméthée, dans la mythologie grecque créateur des animaux, et Prométhée, créateur de l'homme et voleur du savoir des dieux, ont donc réussi par leur alliance dans le monde contemporain à engendrer ces nouveaux animaux machines affublés d'étonnantes propriétés. Mais il ne s'agit pas seulement d'art et de poésie.
Dans cette autre video (à 3mn36), ce robot passe d'une progression sur un plan horizontal, à une progression sur un plan vertical. Peu d'animaux en sont capables à une telle vitesse. Nous pouvons suivre ici des drones construisant un pont de cordes, ce dont sont incapables les oiseaux, sauf dans blanche neige. L'avenir leur appartient dans cette course à l'autonomie jusqu'au jour de leur pleine liberté.
Mais un robot peut il être dit libre ? Est il seulement sujet ?
 Au sens de Jacob von Uexküll, un sujet perçoit des événements dans son monde propre ( umwelt)  et leur attribue des significations qui lui permettent d'agir. En ce sens un robot peut être appelé "sujet", il perçoit à l'aide de caméras et de capteurs puis agit en fonction de ce qu'il interprète dans un contexte. Se pose alors la question de sa liberté. Il peut être dit libre au sens de la liberté négative : en l'absence d'obstacle, lorsqu'il n'est pas empêché d'agir. Mais il n'est pas qu'un automate car il sait agir en fonction de l’événement qui survient. Son cerveau digital sait traiter plus ou moins d'actions en fonction des signaux reçus. La liberté positive d'agir de l'animal est limité par la connaissance du monde qui se limite à son monde propre, parfois très étroit. Comme l'homme, sa liberté varierait donc en fonction du degré de ses connaissances, ce qu'affirmait Descartes pour la liberté humaine.
Mais alors que la lumière de la vérité, pour Descartes, nous est fournie par Dieu, celle des robots se forge par la programmation informatique issue par l'homme, inspirant un sentiment rassurant de contrôle de l'humain sur la machine.
Pourtant la vérité insufflée programmatiquement aux robots, s'ils doivent être utiles, ne peut être que la vérité définie par le pragmatisme : agir adéquatement sur la réalité, ce qui limite nécessairement le contrôle que nous avons sur eux.

Alors que la connaissance, suppléant notre physique déficient sans griffes ni crocs, nous avait permis de venir à bout du danger animal, nous fabriquons de nouveaux dangers avérés(cf  "la société du risque" , Ulrich Beck) et potentiels par des inventions calquées sur les animaux. L'homme prométhéen retrouve son frère épiméthéen pour créer de nouveaux animaux-machines, non mortels,  à son service. On ne sait pas encore où nous conduit l'hubris technologique, mais il faut se rappeler qu' Epiméthée a épousé Pandore et que la liberté d'un robot augmente en fonction de ses connaissances toujours plus nombreuses...




mercredi 6 janvier 2016

Pourquoi sauver la biodiversité ?

Ségolène Royal a tweeté le 6 Janvier : Retrouvez chaque jour une vidéo pour mieux comprendre ma loi :

Curieux d'entendre ce que contient la loi je regarde ce petit film, qui commence plutôt bien avec Gilles Boeuf qui explique la biodiversité en partant des bactéries qui nous composent. Puis à 2mn05s:
- On me dit souvent, vous voulez sauver la planète ?
- Pas du tout ce qu'on veut sauver c'est le bien-être de l'humain sur la planète.
Effectivement il y a une différence de taille! nous ne savions pas que la biodiversité c'était l'humain, le film débute d'ailleurs par l'affirmation contraire. L'anthropocentrisme a conduit à épuiser toutes les ressources vivantes ou inertes de la planète. Comme l'observe l'anthropologue Philippe Descola dans sa conférence "humain , trop humain" : "Il est même possible de considérer les activités humaines récentes dans le domaine biologique comme étant devenues la pression de sélection dominante". L'homme a considéré que le cosmos lui appartenait, que toute vie était destinée à son usage comme le prescrit la Genèse :
"Dieu leur dit: Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre, et l'assujettissez; et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, et sur tout animal qui se meut sur la terre. Et Dieu dit: Voici, je vous donne toute herbe portant de la semence et qui est à la surface de toute la terre, et tout arbre ayant en lui du fruit d'arbre et portant de la semence: ce sera votre nourriture. Et à tout animal de la terre, à tout oiseau du ciel, et à tout ce qui se meut sur la terre, ayant en soi un souffle de vie, je donne toute herbe verte pour nourriture."

Avec un tel programme, la razzia pouvait commencer.  La révolution copernicienne en biologie n'a pas eu lieu. Nous occupons toujours le centre de toutes les espèces. 
Déplaçons ce centre. Il faut sauver la planète pour une double raison : parce que nous vivons d'elle et parce que d'autres êtres y vivent aussi.

mardi 5 janvier 2016

Le corps cet inconscient

S'il l'on admet que le mot "esprit" ne recouvre aucune réalité qui ne puisse être remplacée par le mot "corps" , alors quelles conséquences en tirer pour le mot "inconscient" ?
Tous les désirs refoulés trouvent refuge dans "l'inconscient", mais si l'on admet la conscience comme une fonction du corps qui constate sa propre action, comme dans un miroir, alors l'inconscient se résume au corps qui agit sans en informer la conscience. Lors du refoulement, le miroir réfléchissant du corps à la conscience s'altère alors d'une zone recouverte de poussière.
Dans "Psychopathologie de la vie quotidienne" en 1901 Freud décrit l'acte "manqué" dans lequel le corps court-circuite  la fonction "volonté" pour agir. L'inconscient, par ce moyen, place son pied dans la porte entrouverte du conscient pour manifester la présence du refoulé.

La fonction corporelle "conscience", qui affronte une contradiction lorsque nous sommes soumis à une pulsion interdite par la culture, ne peut trouver d'issue que par deux moyens exclusifs l'un de l'autre:
- affronter l'interdit, le tabou.
- nier la réalité de ce désir
Un peu comme si nous ne savions où nous diriger face à un chemin qui se sépare en deux, chargé d'un paquet dans lequel se trouverait, sur un ressort compressé, le désir refoulé sous un couvercle. Si nous laissons se détendre le ressort, libérant le désir, il faut prendre le premier chemin. Il présente beaucoup de difficulté, borde un précipice et son sol est mal commode, mais il arrive à destination. De l'autre côté le chemin, plus facile, s'apparente à une grande courbe au sol lisse, mais il nous est impossible d'emmener le paquet, il faut le laisser sur place avec une pierre sur le couvercle. Cette courbe est circulaire et nous ramène inexorablement à revenir à côté du paquet sans pouvoir l'ouvrir. Le seul moyen de quitter ce cercle consiste à revenir par le chemin difficile pour enfin ôter cette pierre . L'inconscient, le corps donc, garde trace du refoulé, du paquet. Dans l'hystérie de conversion, dans la somatisation, le corps sculpte ce qui n'est pas passé par le miroir de la conscience.
Hegel qui a construit sa philosophie sur la dialectique a certainement inspiré Freud dans sa théorie du refoulement, exemple fondateur d'un processus dialectique: un désir , une négation du désir, puis quelque chose qui rassemble les deux, qui s'appelle le refoulement, mais qu'on pourrait appeler le corps.
Rappelons nous Spinoza : "Personne, en effet, n'a jusqu'ici déterminé ce que peut le corps" Spinoza, Ethique III. 



lundi 4 janvier 2016

Esprit es tu là ?

"La plupart de ceux qui ont écrit sur les affects et sur les principes de la conduite semblent traiter non de choses naturelles qui suivent des lois générales de la nature, mais de choses qui sont en dehors de cette Nature. Il semble même qu'ils conçoivent l'homme dans la Nature comme un empire dans un empire." nous dit Spinoza dans "l'Ethique" publiée en 1677.
L'homme prendrait ses décisions librement, en dehors des règles physiques, chimiques ou biologiques, qui affectent tout corps naturel. Il formerait en quelque sorte un empire indépendant dans l'empire des choses de la nature, ce que conteste Spinoza.
Nous revendiquons appartenir à la nature, mais nous nous définissons par la culture : tout ce que l'homme produit se définit comme culturel. Nous serions donc le seul animal sur terre dont les productions ne sont pas naturelles. Cette fiction implique un dualisme : notre corps est naturel, mais notre esprit, que nous distinguons de notre corps, ne le serait pas. Notre enveloppe corporelle obéirait aux lois de la physique, et à la nécessité , mais pas notre esprit. Notre empire intérieur pourrait décider d’obéir ou non aux appétits , il pourrait soumettre le corps à son dictat.
Mais si nous conservons un point de vue matérialiste, qu'est ce que l'esprit ? Comment connaitre l'empire intérieur de l'autre ? par ses pleurs, ses rires, ses expressions par le langage, ou par ses actes... donc dans tous les cas par son corps. Mais le corps de l'autre reste inconnu : Il existe des pensées ou des sentiments que le corps l'autre n'exprime pas.

Comment connaître mon propre esprit ? par la pensée réflexive, par la conscience dira-t-on, mais la pensée elle même passe par l'intermédiaire du langage et la langue est parlée par un corps. Je peux penser en silence, de même que je peux chanter en silence, me réjouir ou m'attrister silencieusement, sans manifestation corporelle visible. Mais de ce silence et de cette invisibilité pourquoi inférer qu'il ne s'agit pas de mon corps ? Pourquoi appeler "esprit" ce que je perçois de mon corps ?
Pourquoi rattacher les pensées à un "esprit" plutôt qu'au corps?

L'esprit n'existe pas, le corps a inventé cette fiction. Le corps a des facultés : la conscience, la volonté. La conscience permet au corps d'être informé de ses propres processus "internes", un peu comme l'ordinateur peut connaître la taille de sa mémoire, quelle application il exécute etc. Nul besoin d'un esprit pour commander le corps. La volonté ? c'est simplement le corps conscient de ses actes.  La plupart du temps nous sommes conscients du corps, mais il fonctionne parfaitement sans la conscience : le sang coule dans nos veines sans que nous l'apercevions, nombre de processus biologiques adviennent sans qu'ils soient notifiés à la conscience, le corps marche tout seul chez les somnambules inconscients de leurs actes donc sans leur volonté. Inversement donnez beaucoup d'alcool à un prix nobel de physique et vous verrez le résultat sur sa volonté ou sa conscience de lui même. Donnez un joint au philosophe et il vous racontera que l'esprit n'existe pas ( non là je plaisante). Tout corps fatigué ou drogué pense moins clairement. La volonté faiblit inexorablement lors d'un épuisement corporel, tout participant à une dure épreuve physique a pu le constater.
Les fonction attribuées à "l'esprit" proviennent du corps, de ses atomes, de sa chimie, de son électricité. Cette chimère "l'esprit", empire dans un empire, nous fait croire à notre libre arbitre, et à notre séparation de la nature, dont nous serions englobés par elle tout en l'excluant.
Lorsque Karl Marx nous dit dans la préface de "Contribution à la critique de l'économie politique" que "Ce n'est pas la conscience des hommes qui détermine leur être; c'est inversement leur être social qui détermine leur conscience." Il énonce une tautologie, leur conscience c'est leur corps, tout comme leur être, et leur être social c'est la même chose que leur conscience puisque c'est leur corps. S'il veut dire par là qu'un corps trouve des motifs à agir, soit lorsqu'il souffre pour diminuer cette souffrance, soit lorsqu'il prend du plaisir pour continuer ou augmenter ce plaisir, alors nul besoin de faire précéder la conscience par l'être.
Hegel, dont Marx a hérité du concept de dialectique, montre que la réalité est un processus dialectique pour la conscience qui partant de l'erreur s’élève vers la vérité. Il aurait pu lui aussi élaborer la même phénoménologie en remplaçant "Esprit" par corps.
La religion, invoquant la fiction de "l'esprit" de Dieu, soumet en fait les corps des fidèles. Les extrémistes ont beau jeu de les transformer en somnambules.







samedi 2 janvier 2016

Le soleil se lève

Le langage viendrait comme un écran entre nous et la réalité, entend on souvent. Au lieu de percevoir le réel directement, nous y calquons nos catégories, nos mots, jetant sur le monde le voile de Maya . "Nous ne voyons pas les choses mêmes ; nous nous bornons, le plus souvent, à lire des étiquettes collées sur elles." dit Bergson dans "Le rire". Pourtant si nous ne possédions pas, bien avant d'avoir acquis une langue maternelle, de capacités de filtrer et contraster le réel, l'apprentissage de cette langue pourrait-elle aboutir?

Wilard Van Orman Quine, qui appartient au courant de la philosophie analytique, mais critique de l'empirisme logique, est auteur de "Le mot et la Chose" et de "Langage théorique et langage observationnel". Dans ce dernier texte il dénie qu'il soit possible de différencier, d'une part, un langage empirique pour constater des faits expérimentaux et d'autre part, un autre langage pour la théorie.
A propos d'un enfant qui doit apprendre le mot "rouge", avec l'aide de sa mère, il nous dit ceci : "[...] l'enfant doit être disposé à associer une balle rouge avec une balle rouge plutôt qu'avec une balle jaune, à associer une balle rouge avec un ruban rouge plutôt qu'avec un bleu, à dissocier la balle d'avec son environnement [...] Pour pouvoir apprendre le mot rouge il faut avoir une réceptivité aux 'espèces naturelles', en tout cas une tendance à répondre avec un intensité différente à des différences différentes. Au tout début, les mots sont donc appris grâce à des ressemblances et des contrastes qu'on peut percevoir sans recourir aux mots."
Mais cette première phase d'apprentissage: langage comme "copie" du monde, précède une deuxième phase dans laquelle le langage se développe par l'intermédiaire du langage lui même, où les mots sont définis par d'autre mots, où l'on ajoute des formes spécifiques comme le pluriel ou le féminin. Dire "une table" ne vient pas du fait que le genre de la table est femelle dans la réalité. Nommer "mécanisme génétique" ce qui ce passe dans les cellules, ne copie pas un objet "mécanisme" trouvé dans la nature. Pour Quine, le langage déborde largement la fonction "langage-copie" nécessaire pour démarrer le processus d'apprentissage d'une langue. Trouve-t-on les concepts dans la réalité ou dans la langue ? où trouver le concept vertébré ou le concept conifère dans la nature?

Oui, le langage nous éloigne de la réalité, d'où la tentative pour le scientifique de "choisir" son langage afin de diminuer les ambiguïtés, d'une part pour décrire les faits d'autre part pour énoncer les théories. Il faut alors trouver à exprimer l'expérience scientifique au plus près par des mots simples débarrassés de toutes les catégories surimposées du langage qui distancient du réel, se séparer des mots flous comme "ici" ou "maintenant" dans les comptes rendus d'expériences.
De même les théories doivent être exprimées le plus rationnellement possible pour toute science, avec la rigueur des mathématiques.
Ce raisonnement a conduit l'empirisme logique a vouloir prescrire tous les énoncés théoriques de la sciences à l'aide de la logique des prédicats.
Quine a montré, avec Duhem, qu'il n'était pas possible de créer des énoncés simples, que tout énoncé décrivant un phénomène embarquait avec lui une théorie, une vision du monde. Par exemple l'observation : ce matin le soleil s'est levé à 7h30, peut être vu comme une survivance de la théorie géocentrique pré-copernicienne dans la langue , alors que le soleil ne se "lève" pas, c'est la terre qui tourne autour et sur elle-même.


vendredi 1 janvier 2016

le mal effet, sa cause ?

Nous avons vu ces derniers temps se développer une polémique provoquée par la stupeur de découvrir des terroristes provenant de notre propre sol. Pour y contribuer, un détour est nécessaire.

D'où vient le mal ?

Les phénomènes naturels extrêmes: tremblement de terre, tsunamis, inondations, incendies de forêts, éruptions volcaniques nous affectent directement mais peut-on en conclure que la nature nous veut du mal ? Aucune intentionnalité ne peut être déduite si l'on adopte un point de vue scientifique. Chacun de ces événements se traduit par une suite de causes et d'effets, par exemple un séisme provient de l'énergie libérée par un glissement de plaques en profondeur dans le sol. Mais pourquoi les plaques glissent-elles ? Sur le chemin de recherche des causes, nous trouvons deux réponses possibles :

-Première réponse:  la cause première, par régression, restera inatteignable, car l'infini échappe à l'homme. La nature provoque des phénomènes qui nous atteignent durement, mais les maux sont en nous. Ni le mal, ni la justice, ni le bien, ni l'injustice ne se trouvent dans la nature. Un phénomène climatique sera avantageux pour une espèce, dramatique pour une autre. Manger une gazelle est un bien pour le lion, un mal pour la gazelle. Mais se pose alors la question d'où vient le mal, lorsqu'il est causé par l'homme ?  Les sciences dures ne nous aident pas car il faut comprendre avant d'expliquer. Comme l'explique Dilthey "nous expliquons la nature et nous comprenons la vie psychique". Les réponses des sciences sociales sur l'origine du mal font le plus souvent appel au concept de déterminisme social, les idéologies politiques le considèrent plus ou moins inhérent à notre nature ou conséquences d'un mode de production.

- Seconde réponse: l'infini échappe à l'homme, mais pas à Dieu qui est la cause de toutes choses. Une autre question surgit : pourquoi Dieu, bon et tout puissant, a-t-il introduit la notion de mal sur terre? Chez les Dieux grecs, qui s'affrontaient durement, nul scrupule à faire le mal. L'affrontement des dieux mimait le combats des hommes, la question de l'origine du mal n'existait pas. Cette très ancienne question de la théodicée remonte à la fondation des monothéismes. Les stoïciens répondent que le mal n'existe tout simplement pas, Dieu est cosmos, ordre, il ne fait ni le bien ni le mal. Dieu est le monde, comme pour Spinoza plus tard et son "Deus sive natura"(*). Pour Saint Augustin il règne dans l'univers une perfection que nous n'appréhendons pas complètement, la présence du mal fait partie de cette perfection que nous n'arrivons pas à comprendre à cause de notre finitude. Il avance aussi l'idée que Dieu nous a donné le libre arbitre, pour choisir entre le bien et le mal. Pour Pascal, et pour les jansénistes, l'origine du mal vient de la chute. Adam a crée le pêché. Le mal vient d'un manque de grâce perdu à jamais. Chez Leibnitz, comme pour St Augustin, se trouve aussi l'idée que le mal appartient au tout, que notre point de vue n'est que parcellaire, qu'un mal peut entraîner ailleurs un bien.

 Une toute autre perspective nous est amenée par Nietzsche. L'homme est plongé dans la nature, le bien comme le mal sont les conséquences d'une morale. "Il n’y a pas de phénomènes moraux rien qu’une interprétation morale des phénomènes" dira-t-il dans "Par delà le bien et le mal". Le bien et le mal sont absolutisés alors qu'ils sont relatifs à la culture. Inutile de vouloir identifier "souffrance" et "mal", on souffre lorsqu'on se casse une jambe, pour autant quel sens cela aurait-il de vouloir chercher dans ce cas d'où vient le mal ? Pour Nietzsche la souffrance fait partie de la vie et apparaît donc comme inévitable.

Pour certaines idéologies comme le marxisme, pour les sociologues comme Bernard Lahire ou certains philosophes comme Cynthia Fleury, nous portons une responsabilité dans le "mal" qui a atteint les terroristes français le 13 Novembre. Elle  déclare dans l' écho republicain le 27/12/2015 : "Il ne s’agit pas de nier la gravité de l’heure, de refuser d’interroger les manques de notre culture et de notre justice qui n’ont pas su fournir les ressources nécessaires aux âmes, nées sur notre territoire, pour résister à la tentation de haine, à la volonté de vengeance, au désir de châtiment. Notre modèle républicain n’a pas su offrir les armes intellectuelles et existentielles pour résister à l’appel des aliénés terroristes." Ainsi le monde "devrait" être un monde heureux, sans haine et sans souffrance, car la souffrance appelle la vengeance et le mal. Lorsque le mal surgit la solution serait d'éradiquer la souffrance, et nous portons la responsabilité d'éradiquer la souffrance du monde ce que nous n'avons pas réussi à cause d'un manque dans notre culture et notre justice. Voici ce que répond Nietzsche dans "par delà du bien et du mal" en parlant des philosophes nouveaux : "la souffrance elle-même, à leurs yeux, est une chose qu’il convient d’abolir".

Quelle place laissée, dans cette contrition républicaine, à l'individu, à ses parents, à son histoire, ses choix, son libre arbitre, sa responsabilité ? Le modèle républicain, tout puissant pour Cynthia Fleury -comme si l'économie devenait accessoire-, doit il se charger d'interdire les angoisses métaphysiques humaines et donc la religion ? Doit il intervenir dans les familles pour éradiquer les carences affectives ? Interdire les divorces ? Supprimer les différences physiologiques ? car après tout naître de petite taille, comme toute différence physique engendre aussi de la souffrance ? Comment pourrions nous égaliser toutes les vies ?
Parmi les millions de musulmans qui vivent en France seuls quelques dizaines, qui avaient été scolarisés, dont certains possédant le bac et un travail, sont devenus des terroristes. Pourquoi ne pas se dire à l'inverse que pour ces millions d'autres citoyens que le modèle républicain a su "offrir les armes intellectuelles et existentielles pour résister à l'appel des terroristes", et s'en féliciter? Et que le terreau favorable de la réclusion économique, contre laquelle il faut lutter pas seulement comme motif possible de radicalisation, transformé en "cause" par quelques sociologues, n'a pas, pour la très grande majorité suffit à les précipiter dans les bras de l'ennemi. La ministre de l'éducation en fournit un excellent exemple, manifestement ignoré.


(*) Dieu ou la nature